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« Comme la Réserve fédérale des Etats-Unis pourrait bientôt commencer à relever ses taux d’intérêts, alors même que la Banque Centrale Européenne (BCE) projette de bientôt lancer un programme d’assouplissement quantitatif (quantitative easing), certains affirment que cette divergence pourrait conduire à une forte chute de la valeur de l’euro et que cette dépréciation aurait débuté il y a quelques jours.

Etant donné que nous avons vu par le passé de telles divergences dans l’orientation des politiques monétaire (ou tout du moins des politiques monétaires variant à des différents rythmes), il est intéressent d’observer ce qui s’est passé durant ces épisodes.

Voici ci-dessous l’évolution du taux de change dollar/euro depuis 1975 (cliquez sur l’image pour avoir une meilleure version). Bien sûr, l’euro n’existait pas avant 1999, mais ce que j’ai fait, c’est remplacer l’euro par le mark allemand (converti à la parité mark/euro qui a été fixé à l’époque où l’euro fut lancé). Donc le graphique est vraiment une combinaison du taux de change mark/dollar avant 1999 et du taux de change euro/dollar après 1999. Pour une question de simplicité, je vais me référer à l’euro même lorsque je me penche sur la période antérieure à 1999.

GRAPHIQUE Taux de change de l'euro vis-à-vis du dollar

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La courbe est croissante parce que l’inflation en Europe est en général inférieure à celle des Etats-Unis (nous nous attendons à ce que la devise du pays le plus inflationniste se déprécie au cours du temps). L’effet est plus prononcé au cours des premières décennies, parce que le différentiel d’inflation (entre l’Allemagne et les Etats-Unis) était alors le plus large.

En plus de la tendance, nous voyons deux épisodes au cours desquels le dollar se renforça substantiellement par rapport à l’euro, puis déclina à la même vitesse pour retourner à sa tendance. Le premier épisode est survenu au début des années quatre-vingt lorsqu’une combinaison de politique monétaire restrictive et de larges déficits budgétaires aux Etats-Unis poussa les taux d’intérêt à la hausse et entraîna de persistantes hausses du dollar américain. Ce dernier atteint une valeur qui fut clairement au-dessus de toute estimation compatible avec les fondamentaux, ce qui conduisit aux Accords du Plaza en septembre 1985 où les ministres des finances d’Europe, du Japon et des Etats-Unis s’accordèrent pour intervenir de manière à stopper l’appréciation du dollar. La dépréciation qui s’ensuivit fut toute aussi forte.

Le second épisode est survenu entre le milieu et la fin des années quatre-vingt-dix et il coïncide avec des très forts taux de croissance aux Etats-Unis qui suscitèrent l’intérêt des investisseurs. La politique monétaire elle-même ne fut pas si différente que ça (…). En plus, le lancement de l’euro en 1999 fut perçu par certains comme une source d’incertitude et comme une possible mauvaise nouvelle pour l’économie de la zone euro et sa devise. A cette époque, l’appréciation du dollar américain fut aussi stoppée par une intervention coordonnée de la Réserve fédérale des Etats-Unis et de la BCE en novembre 2000.

Au cours de ces deux épisodes, nous observons une dynamique de divergence dans les conditions économiques entre l’Europe et les Etats-Unis qui se traduisit par une appréciation de la devise américaine, bien que cela ne concerne pas toujours la politique monétaire (et dans les deux cas, l’appréciation s’accompagna d’une surévaluation et d’une forte volatilité). Pouvons-nous nous attendre à la même chose aujourd’hui ? C’est une éventualité, mais qui est loin d’être garantie. Pourquoi ? Parce que si nous observons plus attentivement certaines autres années, nous voyons qu’il y a plusieurs autres épisodes où la croissance américaine fut également plus forte que la croissance européenne, où les taux d’intérêt américains s’élevèrent plus rapidement que les taux européens et où pourtant le dollar américain ne s’apprécia pas. Au contraire, il connut lors de ces épisodes une forte dépréciation.

Par exemple, entre 2002 et 2003, l’Europe fut au milieu d’une récession, avec des taux de croissance qui furent significativement plus faibles que ceux des Etats-Unis. Les taux d’intérêt en Europe baissèrent et se maintinrent à 2 % jusqu’à l’automne 2005. Parallèlement, les taux d’intérêt américains passèrent de 1 % à 5,25 % à l’été 2006. Au cours de ces années, non seulement le dollar ne s’est pas apprécié vis-à-vis de l’euro, mais à l’inverse il se déprécia. En janvier 2002, un euro valait 0,90 dollar ; en 2005, l’euro atteignit 1,30 dollar.

Il est aussi intéressant de noter que depuis le début de la crise de 2008, le taux de change entre le dollar et l’euro est resté relativement stable (comparé aux précédentes années). Il fluctua autour de 1,25 et 1,40 malgré les profonds changements que nous avons observés des deux côtés de l’Atlantique. On s’attendait à ce que la crise de la dette souveraine en Europe ait de fortes répercussions sur la valeur de l’euro, mais en fait la devise resta stable durant la crise. Si les conditions économiques continuent de diverger entre les Etats-Unis et l’Europe et que l’euro se déprécie fortement par rapport au dollar américain, personne ne sera surpris. Ce sera clairement une bonne illustration de ce que nous voyons dans les manuels universitaires à propos des taux d’intérêt et des mouvements de capitaux. Mais l’histoire nous suggère que rien ne garantit que ce sera forcément le cas. Les taux de change sont un peu plus volatils et imprévisible que ce que les théories pourraient nous laisser penser. Quel que soit le sens où variera le taux de change, ce qui est très probable c’est que nous allons observer une plus forte volatilité des taux de change au cours des prochains mois et des prochaines années, bien loin de la stabilité dont nous avons joui au cours des dernières années. »

Antonio Fatás, « The Euro crash? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 10 septembre 2014. Traduit par Martin Anota