« Lorsque l’économie se retrouve en récession en raison d’une demande globale insuffisante, alors même que les taux d’intérêts nominaux butent sur leur borne inférieure zéro, le gouvernement devrait logiquement adopter une relance budgétaire selon un point de vue strictement macroéconomique. C’est précisément la situation à laquelle nous sommes confrontés et pourtant les gouvernements ne sont obsédés que par la réduction de leur dette et de leurs déficits, si bien que nous nous retrouvons en avec une austérité budgétaire.

Il est important de comprendre que cette obsession des déficits n’exprime pas une inquiétude quant à la soutenabilité à long terme des finances publiques. Et ce pour deux raisons. Premièrement, si les gouvernements s’inquiétaient vraiment de la soutenabilité de la dette publique à long terme, ils n’adopteraient pas de plan d’austérité aujourd’hui (c’est-à-dire à un instant où celle-ci est particulièrement coûteuse), mais ne resserreraient leur politique budgétaire qu’une fois le problème de la borne inférieure zéro loin derrière nous. En fait, les gouvernements devraient plutôt craindre que leurs plans d’austérité détériorent la soutenabilité à long terme de leur dette publique, en raison des effets d’hystérèse mis en évidence par DeLong et Summers (notez que leurs arguments peuvent également s’appliquer à l’impact d’une réduction de l’investissement public même s’il n’y a pas d’effets d’hystérèse). Deuxièmement, les gouvernements semblent heureux de réduire les déficits courants en utilisant des mesures qui détournent l’attention de la soutenabilité à long terme (car elle aggrave leur contrainte budgétaire intertemporelle). Les privatisations à prix cassés en sont un exemple évident. (…)

Le problème d’économie politique qui se pose est que les gouvernements sont obsédés avec les déficits de ces prochaines années. D’un point de vue macroéconomique, il y a une manière évidente de contourner cette obsession du déficit qui consiste à financer toute relance budgétaire en utilisant la création monétaire plutôt que la dette publique. Au cours d’une récession, créer de la monnaie ne génère pas de tensions inflationnistes, comme nous avons tous le voir ces dernières années avec l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Le problème avec cette solution tout droit sortie des manuels (que l’on qualifie souvent de "relance budgétaire financée par création monétaire"), c’est que nous l’avons exclue en rendant les banques centrales indépendantes. Les gouvernements ne peuvent créer de la monnaie pour financer la relance budgétaire. Les banques centrales créent de la monnaie (…) mais elles ne peuvent l’utiliser que pour acheter des actifs. Qu’importe le problème d’économie politique que l’indépendance des banques centrales est censé résoudre, celle-ci a fortement restreint nos options en termes de politique économique.

La monnaie-hélicoptère apparaît comme une solution évidente à ce problème. Mais elle est susceptible de provoquer un autre problème. La monnaie-hélicoptère est un moyen très efficace par lequel les banques centrales injectent de la monnaie dans le système pour accroître la demande globale, mais ce processus n’est pas réversible. En effet, personne ne va proposer qu’une banque centrale prenne de la monnaie de chaque citoyen. Donc que se passe-t-il, une fois que la récession est finie, si la banque centrale désire réduire le montant de monnaie en circulation dans le système ?

Comme l’expliquent Eric Lonergan, Cecchetti et Schoenholt, c’est la seule raison expliquant pourquoi le bilan des banques centrales se révèle important. Si la banque centrale manque d’actifs à vendre, elle pourra difficilement retirer du système la monnaie qu’elle a injectée avec son hélicoptère. Ce problème n’est pas nouveau. Il se pose déjà avec les pertes potentielles associées à l’assouplissement quantitatif. Au Royaume-Uni, la banque centrale a réglé ce problème en obtenant du Trésor qu’il couvre ces éventuelles pertes. Il y a plusieurs choses que la banque centrale peut faire si elle manque d’actifs à vendre suite à l’émission de monnaie-hélicoptère, mais la plus simple d’entre elles est de généraliser cet accord. Les gouvernements doivent s’engager à fournir aux banques centrales les actifs dont elles ont besoin pour contrôler l’inflation.

Rendre explicite le "soutien budgétaire" des banques centrales impose aussi un passif contingent sur les gouvernements. La monnaie-hélicoptère génère un passif contingent, ce qui détériore la position budgétaire à long terme du gouvernement. Mais comme nous l’avons vu, ce n’est pas la principale préoccupation des gouvernements. Le gouvernement britannique ne voit pas d’objection à l’assouplissement quantitatif au motif qu’il lui impose un passif contingent. Tout ce qui importe, c’est qu’il n’accroisse pas les déficits prévus pour les cinq années suivantes.

Alors qu’Eric Lonergan estime que les banques centrales ne doivent pas s’inquiéter pour leur bilan, Cecchetti et Schoenholtz estiment de leur côté qu’elles ont raison de s’en inquiéter, pour des raisons politiques plutôt qu’économiques. Si le bilan ne la banque centrale n’est pas robuste, elle devient dépendante du gouvernement, ce qui compromet son indépendance. Cet argument n’est pas très solide. Il suggère que l’indépendance de la banque centrale consiste à protéger la population face à un gouvernement de cauchemars qui ferait tout son possible pour avoir une forte inflation. Comme je l’ai affirmé ici, un gouvernement qui désire une forte inflation ne va pas laisser sa banque centrale indépendante. Il est également ironique de voir que les banques centrales s’inquiètent toujours à propos des gouvernements dépensiers inflationnistes alors même que notre principal problème aujourd’hui est que les gouvernements considère la réduction de la dette publique comme prioritaire sur le reste, notamment sur la santé de l’économie. La combinaison d’un gouvernement qui est obsédé avec son déficit courant et une banque centrale qui est obsédée par une hypothétique inflation future est un dangereux mélange. »

Simon Wren-Lewis, « Why helicopter money is a political economy issue », in Mainly Macro (blog), 27 mai 2015. Traduit par Martin Anota