« C’est bien sûr ridicule, mais qui s’en soucie. Le jour de la conférence organisée par la Fed de Boston en 1978 revêt une signification symbolique. C’est le jour où Lucas et Sargent changèrent la manière par laquelle on fait de la macroéconomie. Ou, comme le dirait Paul Romer, c’est le jour où la vieille garde rejeta les idées des nouveaux venus et s’assura qu’il y ait une révolution nouvelle classique en macroéconomie plutôt qu’une évolution nouvelle classique. Ou, comme le dirait Ray Fair, qui était par ailleurs présent à la conférence, c’est le jour où la macroéconomie commença à mal aller.

Ray Fair est un peu un héros pour moi. Lorsque j’ai quitté le National Institute pour devenir un universitaire formel, j’avais pour but (avec l’aide essentielle de deux collègues excellents et courageux) de construire un nouveau modèle économétrique de l’économie britannique, qui incorporerait la dernière théorie, en l’occurrence la théorie des nouveaux keynésiens, mais qui incorporerait également quelques aspects additionnels, pour par exemple prendre en compte la possible influence des conditions de crédit sur la consommation. A la différence d’un modèle DSGE, cela impliquait autant que possible de s'appuyer sur l’estimation économétrique. J’avais précédemment travaillé avec le modèle du Trésor et configuré ensuite ce qui constitue désormais le modèle NIGEM qu’utilise le National Institute en adaptant un modèle global utilisé par le Trésor et finalement j’ai eu en charge de développer le modèle domestique de l’institut. Mais créer un nouveau modèle à partir de rien en l’espace de deux ans était une autre paire de manches. Le conseil du Conseil de Recherche Economique et Sociale (ESRC) me donna de l’argent pour le faire, mais je savais que plusieurs de ses membres pensaient que je n’y parviendrai pas. En croyant (avec raison) que c’était possible, Ray Fair fut une réelle source d’inspiration pour moi.

Je suis d’accord avec Ray Fair à l’idée que ce qu’il appelle les modèles de type Commission Cowles ou ce que j’appelle les modèles économétriques structurels, couplés avec l’estimation économétrique d'une unique équation qui leur est sous-jacente, aient beaucoup à offrir et que la macroéconomie universitaire ne devrait pas les ignorer. Ayant passé les quinze dernières années à travailler avec les modèles DSGE, je suis plus optimiste sur leurs vertus que ne l’est Fair. A la différence de Fair, je veux des modèles DSGE encore plus sophistiqués. Je suis également en désaccord avec ce qu’il pense des anticipations rationnelles : le modèle du Royaume-Uni que j’ai construit avait des anticipations rationnelles dans toutes les relations clés.

Il y a trois ans, lorsqu’Andy Haldane suggéra que les modèles DSGE étaient en partie responsables de la crise financière, je n’étais pas d’accord avec lui (comme je l’ai écrit dans ce billet). Ensuite, j’ai commencé à penser (et je continue de croire) que la banque centrale dispose des informations et des ressources pour savoir ce qui se passait avec l’endettement des banques commerciales et qu’elle ne doit pas utiliser les modèles DSGE comme une excuse pour ne pas avoir rendu publiques ses inquiétudes à l’époque.

Cependant, si nous élargissons cela hors de la banque centrale, à l’ensemble de la communauté universitaire, je pense qu’il a un point légitime. J’ai déjà parlé des travaux que Carrol et Muellbauer ont réalisés. Ces deux auteurs montrent que vous devez prendre en compte les conditions de crédit si vous voulez expliquer les séries temporelles d’avant-crise relatives à la consommation au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Les modèles DSGE peuvent éviter ce problème, mais des modèles économétriques structurels plus traditionnels auraient plus de difficultés à le faire. Donc, peut-être que si la macroéconomie universitaire avait donné une plus grande priorité à l’explication de ces séries temporelles, elle aurait été mieux préparée pour comprendre l’impact de la crise.

Que dire à propos de l’affirmation selon laquelle seuls les modèles DSGE qui présentent une cohérence interne sont capables de donner un conseil politique fiable ? Pour un autre projet, j’ai relu un article de Chari et alii publié en 2008 dans l’American Economic Journal: Macroeconomics. Les auteurs y affirmaient que les modèles des nouveaux keynésiens n’étaient pas encore utiles pour l’analyse politique parce qu’ils n’étaient pas proprement microfondés. Ils avaient écrit : "Une tradition, qui a notre préférence, consiste à garder le modèle le plus simple possible, d’avoir un nombre limité de paramètres, motivés par les faits microéconomiques, et d’accepter la réalité qu’un tel modèle ne peut, ni doit être cohérent avec la plupart des aspects des données. Un tel modèle peut toujours être très utile pour éclairer notre réflexion quant à la politique économique". C’est bien là où vous vous retrouvez lorsque vous vous laissez submerger par une vision puriste à propos de la cohérence interne, de la critique de Lucas et ainsi de suite. Vous risquez de finir par penser cela : "si je n’arrive pas à comprendre quelque chose, il vaut mieux que suppose que ça n’existe pas". »

Simon Wren-Lewis, « The day macroeconomics changed », in Mainly Macro (blog), 27 août 2015. Traduit par Martin Anota