« Les investisseurs financiers à travers le monde regardent attentivement la chute brutale des cours boursiers en Chine. L’indice composite de la Bourse de Shanghai est désormais inférieur de 40 % à sa valeur de juin 2015. La raison pour laquelle les observateurs sont inquiets n’est pas parce qu’ils y ont eux-mêmes placé les capitaux : les actions chinoises sont majoritairement détenues par les Chinois eux-mêmes. En fait, c’est parce qu’ils interprètent cela comme une preuve d’un ralentissement de la croissance chinoise.

Le taux de croissance de la Chine a en effet ralenti et il y a plein de raisons amenant à croire que le ralentissement n’est pas juste temporaire. Mais aucune d’entre elles n’ont beaucoup à voir avec les marchés boursiers. Les prix de marché sont toujours bien au-dessus de la valeur qu’ils atteignaient en 2014. C’était une époque où plusieurs observateurs étaient baissiers en Chine et affirmaient que son économie eut juste surpassé les Etats-Unis pour devenir la plus large au monde, en s’appuyant sur les statistiques du PIB basées sur les nouvelles parités de pouvoir d’achat. Mais en fait, le ralentissement dans la croissance chinoise a commencé il y a quatre ans. Selon les statistiques officielles, la croissance atteignit en moyenne 10 % au cours de trois décennies 1980-2010, mais ralentit à la fourchette 7-8 % en 2012-2014.

En effet, la raison pour laquelle les cours boursiers chinois accélérèrent leur hausse vers la fin de 2014 est que la Banque populaire de Chine commença à réduire ses taux d’intérêt en novembre, une réponse appropriée à un ralentissement de la croissance économique qui était déjà perceptible. L’essor continu des marchés boursiers s’apparenta de plus en plus à une bulle alimentée par le crédit au printemps de l’année 2015. Le pic eut lieu le 12 juin, quand la Securities Regulatory Commission releva ses exigences en matière de marges de solvabilité.

La bulle a maintenant été inversée. Cela ne donne pas nécessairement beaucoup d’informations à propos des perspectives de croissance de la Chine. Il y a plein de raisons de ne pas être surpris que la croissance chinoise ait ralenti et de ne pas s’attendre à ce qu’elle retourne à 10 %. Certains prévisionnistes il y a cinq ans suivaient leur instinct naturel et se contaient simplement d’extrapoler les trois précédentes décennies. Mais lancer un filet statistique plus large aurait révélé qu’une quatrième décennie à 10 % aurait été historiquement sans précédents. Donc l’Empire du Milieu n’échappe pas à de régularités statistiques plus larges. Certains voient le ralentissement comme un cas de "piège du revenu intermédiaire" (ou "trappe à revenu intermédiaire"). D’autres trouvent que le schéma statistique le plus pertinent est celui de la "régression vers la moyenne" (regression to the mean) des taux de croissance.

Quelles sont les forces économiques derrière la tendance qui ralentit la forte croissance d’un pays ? Il y a une large variété d’interprétations économiques possibles. Il y en a six qui me viennent à l’esprit :

  • L’une est le rendement décroissant du capital. L’investissement de la Chine dans les infrastructures de transports et la construction résidentielle est devenu excessif.

  • Selon une autre interprétation, la croissance de la productivité est plus facile lorsqu’il s’agit d’imiter les technologies, les processus de production et les pratiques de gestion des pays occidentaux ; quand l’écart entre la frontière économique et les nouveaux venus se resserre, ces derniers doivent désormais entreprendre un peu d’innovation par eux-mêmes.

  • Une troisième explication est que la migration des campagnes vers les villes a été une puissante source de croissance chinoise, mais que le surplus de travail s’est finalement tari, les salaires augmentent et l’avantage comparatif dans les manufactures intensives en travail a été perdu. (Le "point tournant de Lewis" a été atteint.)

  • Une quatrième est que la population est vieillissante. La population en âge de travail a atteint un pic en 2012. Le ratio des personnes en âge d’aller à la retraite sur la population en âge de travail augmente. Cette transition démographique survient naturellement dans les pays avancés ; mais la politique de l’enfant unique l’a accéléré prématurément en Chine.

  • Une cinquième est que les prix de l’immobilier urbain ont été surévalués et que la "capacité de charge" de l’environnement a été épuisée.

  • Un sixième est que la composition de l’économie se réoriente de l’industrie vers les services, ce qui est approprié pour rendre la croissance soutenable, mais la croissance doit alors nécessairement ralentir car, dans tous les pays, la marge de croissance pour la productivité est moindre dans les services que dans l’industrie.


Donc le passage d’une croissance de 10 % vers une tendance à long terme plus soutenable de 5-7 % est parfaitement naturel. La question qu’il est important de se poser si la transition prend la forme d’un atterrissage en douceur ou d’un atterrissage brutal. Dans un scénario d’atterrissage en douceur, la Chine continuerait de croître à un taux tendanciel plus faible, mais soutenable. Dans le cas d’un atterrissage brutal, elle subirait une crise financière et une récession économique plus sévère.

Une forte dépendance sur les dépenses d’investissement et le financement par l’endettement peut fonctionner durant une phase de forte croissance, mais risque ensuite d’entraîner des surcapacités et une crise financière quand les taux de croissance de long terme ralentissent. Les précédents historiques incluent le Japon après les années quatre-vingt et la Corée du Sud en 1997-1998.

Certains disent que les statistiques officielles surestiment fortement le PIB chinois et que le véritable taux de croissance a déjà chuté sous les 6,9 % que le gouvernement a annoncés pour 2015. C’est en effet curieux que les statistiques de croissance officielles semblent la plupart du temps proches des chiffres qui avaient été annoncés bien auparavant lors de la conception des plans. Donc les sceptiques se tournent naturellement vers des mesures plus tangibles. Ils notent que la consommation d’énergie, l’activité ferroviaire et la production de produits industriels comme le charbon, le métal et le ciment ont fortement ralenti (ce sont des composantes du soi-disant indice de Keqiang). Mais Nicholas Lardy affirme de façon convaincante que ces statistiques sont également cohérentes avec l’interprétation selon laquelle la composition de l’économie chinoise s’est réorientée de l’industrie lourde vers les services.

La réorientation de la production de l’industrie vers les services est l’une des conditions (…) de la transition vers un taux de croissance soutenable. Cette dernière passe aussi par la réduction de la dépendance vis-à-vis des dépenses d’investissement et de la demande d’exportation et ainsi par un plus grand rôle pour la consommation des ménages. D’autres réformes désirables incluent l’accroissement de la flexibilité des marchés fonciers et des marchés du travail. Par exemple, la mobilité du travail est toujours freinée par la précarité des droits fonciers dans les campagnes et par le système houkou dans les villes. Plus généralement, les marchés doivent continuer à jouer un rôle plus important dans l’économie. Les entreprises publiques doivent laisser de la place aux entreprises privées. Des réformes sont également nécessaires dans la santé, la sécurité sociale et le système fiscal. Et, bien sûr, il faut resserrer la réglementation environnementale et mettre fin à la politique de l’enfant unique.

Les économistes et dirigeants chinois savent tout ça. En effet le Troisième Plénum du Parti communiste de 2013 a abouti à une liste (…) de réformes. Pékin a mis en œuvre une partie de ces réformes au cours des deux années suivantes. Mais il y a encore beaucoup de chemin à faire et rien ne garantit que la mise en œuvre des réformes soit une pleine réussite. Comme Shang-Jin Wei de la Banque du Développement asiatique le souligne, le destin de l’économie chinoise dépend bien plus du rythme et du contenu des réformes plutôt que de la bulle boursière de l’année dernière et de son éclatement subséquent. »

Jeffrey Frankel (2016), « China’s slowdown », in Econbrowser (blog), 22 janvier 2016. Traduit par Martin Anota



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