« Est-ce que la chute de la livre sterling que le Brexit a provoquée est une bénédiction déguisée ? C’est ce qu’affirment Ashoka Mody et, dans une moindre mesure, Paul Krugman. Leur argument central est que le Brexit va nuire à la City, alors même que c’est la City qui a déséquilibré l’économie britannique et entraîné une surévaluation de la devise. La réduction de la taille du secteur financier constituerait une condition nécessaire pour que l’économie se rééquilibre et le Brexit peut mettre en œuvre un tel rééquilibrage.

Le dédain d’Ashoka Mody pour la City est manifeste. Il écrit : "la complexe propriété financière a été un parasite pour l’économie britannique, créant des pathologies de vulnérabilité financière et de surévaluation du taux de change". Nous pouvons voir la surévaluation dans le large déficit du compte courant du Royaume-Uni. Paul Krugman est moins virulent. La City est juste un important exportateur du Royaume-Uni dont le Brexit va réduire la taille, donc il faut rendre d’autres exportateurs du Royaume-Uni plus compétitifs pour compenser.

Aucun auteur n’est en désaccord avec cela, parce que la dépréciation de la livre sterling va accroître les prix des produits exportés (en langage économique, elle va entraîner une détérioration des termes de l’échange), les gens au Royaume-Uni vont s’appauvrir. Mais il y a aussi une différence dans les mécanismes que les deux auteurs mettent en avant, ce qui change la façon par laquelle on voit cet effet. Pour Mody, la City a provoqué la surévaluation temporaire de la livre sterling comme conséquence d’une "bulle de la propriété financière". Comme c’est un effet temporaire (une bulle), la livre sterling était condamnée à chuter à un moment ou à un autre. Par conséquent, le Brexit a seulement avancé la date où les citoyens du Royaume-Uni s’appauvriraient.

De son côté, Krugman ne dit pas que la livre sterling était surévaluée dans ce sens : la City est juste un important secteur exportateur qui va particulièrement souffrir du Brexit. Par conséquent, le Brexit appauvrit le citoyen moyen de façon permanente. Mais il note que, dans la mesure où cette dépréciation se traduit aussi par une redistribution de la City vers l’industrie, plus dispersée, elle semble bénéficier à certaines régions du Royaume-Uni qui se prononcèrent tout particulièrement en faveur de la sortie de l’UE.

Il n’y a rien de faux avec la logique des deux arguments, ce qui ne surprend pas de la part de tels auteurs. La question clé est s’ils sont empiriquement appropriés dans ce cas. J’ai affirmé, avant le Brexit, que la livre sterling était surévaluée et il semble que le FMI soit en accord avec moi sur ce point. Il faut alors se demander pourquoi il était surévalué. Si le facteur à l’origine de la surévaluation est quelque chose que le Brexit a "soigné", alors le Brexit a en effet mis fin à cette surévaluation. Si le Brexit n’a pas éliminé le facteur à l’origine de la surévaluation, alors la correction de cette surévaluation reste à venir.

Le raisonnement de Paul Krugman est proche de celui que j’ai développé lorsque j’ai affirmé que la dépréciation que l’on observait dans le sillage du Brexit est une conséquence de ce dernier, alors même qu’il complique les exportations britanniques. (…) Au lieu de dire que le Brexit a compliqué les exportations vers l’étranger, Krugman suggère plutôt qu’il a nui à un secteur particulier et ainsi permis au reste de l’économie de croître. Une fois encore, la question clé est de savoir si le Brexit a un effet distributionnel, affectant plus durement la City que l’industrie britannique.

Supposons qu’il y ait quelque chose de juste dans ce que les deux économistes suggèrent. Je ferai une simple remarque. Si nous voulions réduire la taille de la City, nous n’avions pas forcément à le faire en utilisant le Brexit. Nous pouvions juste réglementer plus sévèrement le secteur financier britannique (notamment en imposant de plus hautes exigences en matière de capital) pour voir certains quitter le secteur pas dépit. Ainsi, nous aurions évité tous les coûts additionnels que le Brexit va imposer (que le Trésor britannique a de nouveau rappelés récemment, mais dont le Times ne parle que seulement maintenant, en les présentant comme des "nouvelles") et avec le bénéfice additionnel d’avoir un secteur financier qui n’était pas trop gros pour faire faillite (too big too fail). Ma crainte est qu’après le Brexit, c’est l’inverse qui survienne : les autorités vont aller encore plus loin dans la déréglementation de la City afin de compenser les dommages que le Brexit va provoquer. Donc je vois toujours difficilement quel point positif il y a eu à opter pour le Brexit. »

Simon Wren-Lewis, « Brexit and Sterling », in Mainly Macro (blog), 14 octobre 2016. Traduit par Martin Anota