« (…) Le 28 mai, deux jours après que les élections du Parlement européen aient été tenues dans tous les Etats-membres, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont rencontrés à Bruxelles pour commencer le processus d’attribution des postes clés à la tête de plusieurs institutions de l’UE. Beaucoup de ces postes (en l’occurrence ceux des présidents du Conseil européen et de la Commission européenne, tout comme le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité) sont typiquement pourvus tous les cinq ans, quand le cycle politique européen s’achève pour laisser place à un nouveau. Cependant, comme le mandat de Mario Draghi s’achève le 31 octobre 2019, les dirigeants vont aussi discuter des candidats pour le remplacer à la présidence de la BCE au cours des huit prochaines années. (…)

La nomination à venir a donné lieu à un florilège de spéculations dans les médias sur la possible identité du nouveau président de la BCE. En laissant les noms de côté, ce billet essaye d’isoler les arguments à propos des qualifications que le nouveau président devrait avoir et les défis auxquels il risque d’être confronté.

Pour commencer, certains commentateurs se sont focalisés sur ce que la sélection ne doit pas être. Par exemple, Stefan Gerlach critique le fait que la course à la succession de Draghi ait pris "des allures (…) d’Eurovision". Il ajoute, "les gouvernements veulent qu’un candidat de leur pays gagne parce que cela leur donnerait une bonne image, non parce que leur candidat améliorerait l’élaboration de la politique monétaire de la BCE", il y aura des votes selon les lignes de blocs régionaux et, "de façon absurde, certains commentateurs affirment que c’est au tour de leur pays de gagner".

De même, le comité de rédaction du Financial Times appelle à minimiser l’effet des arbitrages à l’œuvre quand il s’agit de pourvoir les divers postes-clés de l’UE sur la sélection du prochain président de la BCE. Bien que les "dirigeants de l’UE chercheront à obtenir un équilibre entre nationalités, régions de l’Europe, affiliations partisanes et genre", les auteurs notent que "la présidence de la BCE est le seul boulot (…) qui ne doit pas être victime d’un marchandage".

Qu’y a-t-il de spécial à propos de la présidence de la BCE ? Les auteurs soulignent que techniquement le président de la BCE est certes "premier entre des égaux" au conseil des gouverneurs de la BCE, le rôle que joue en pratique le président a profondément changé et est devenu beaucoup plus important au fil du temps, la crise ayant agi comme un catalyseur. Alors que Wim Duisenberg, le premier président de la BCE de 1999 à 2003, se focalisait sur la recherche d’un consensus sur l’orientation de la politique monétaire au conseil des gouverneurs de la BCE, les présidents suivants eurent à assumer un rôle plus proéminent. Les auteurs affirment que le discours de juillet 2012 où Draghi dit que la BCE ferait "tout ce qui est nécessaire" (whatever it takes) "était un exemple de leadership et s’est révélé être un point tournant dans la crise » de l’euro. Ils poursuivent en décrivant la BCE comme "l’institution la plus efficace, irremplaçable" durant cette crise.

L’expérience de la crise sert comme une prémisse pour plusieurs arguments avancés en ce qui concerne les exigences que la BCE doit honorer. Stephen Gerlach, par exemple, maintient que, bien qu’un président de la BCE effectif doive refléter la diversité de la zone euro pour des raisons de légitimité, il doit aussi satisfaire deux critères supplémentaires. Premièrement, le nouveau président de la BCE doit agir comme un joueur d’équipe. "Le président de la BCE ne fixe pas la politique, mais plutôt préside les réunions du conseil des gouverneurs où les décisions de politique monétaire sont prises". Gerlach nous rappelle que les désaccords avec le reste du conseil des gouverneurs "compliquent l’obtention de larges accords dans le conseil des gouverneurs qui sont la marque d’une bonne élaboration de politique économique", en concluant que "se risquer d’avoir une BCE dysfonctionnelle ne semble pas constituer une sage décision en cet instant précis".

Deuxièmement, le prochain président de la BCE doit posséder un solide bagage en science économique, insiste Gerlach. En "temps normal", de simples références quantitatives comme la règle de Taylor peuvent suffire pour décider de l’orientation de la politique monétaire, affirme-t-il. Mais quand la crise économique et financière éclate, "les concepts économiques comme la relation inverse entre l’inflation et le chômage avancé par la courbe de Phillips sont rompues et les solutions des manuels ne s’appliquent plus". Dans de tels cas, quand "l’incertitude explose", le temps manque comme "les banques centrales doivent agir rapidement et de façon décisive pour empêcher que les problèmes soient aggravés par les anticipations". Le président de la BCE doit avoir "une vision claire de ce qui doit être fait et la confiance pour adopter l’action décisive".

Et "cela, à son tour, nécessite qu’il ait une compréhension de première main des problèmes qui peuvent survenir". Pour renforcer son argumentation, Gerlach cite l’exemple de Ben Bernanke, l’ancien président de la Réserve fédérale, en affirmant que son bagage en tant qu’économiste universitaire spécialisé de la question "des erreurs de politique monétaire commises durant la Grande Dépression" a permis à ce que la Fed réagisse en temps opportun et efficacement à l’effondrement de Lehman Brothers.

Lucas Guttenberg (…) affirme que les plus importantes exigences que devra respecter le prochain président de la BCE seront sa volonté et sa crédibilité à faire "tout ce qui est nécessaire" pour sauver l’euro. Cela reste le filet de sécurité le plus robuste que l’euro a, écrit-il, avant d’ajouter que les alternations sont soit indésirables, soit impopulaires. Echouer à maintenir cette promesse fait peser "une menace existentielle sur les pays potentiellement en difficulté, en particulier ceux qui sont trop gros pour bénéficier du Mécanisme Européen de Stabilité (MES)" et plus généralement reste "une question pour la stabilité de l’union monétaire dans son ensemble", alors qu’un "approfondissement considérable de l’union monétaire" reçoit peu de soutien en Allemagne. Par conséquent, Guttenberg croit que la plupart des Etats-membres vont insister sur ce critère plutôt que des questions moins importantes, telles que "la question de l’orientation colombe ou faucon qu’il faut avoir quand cela touche à la question de la politique monétaire normale" (…).

S’il faut s’engager à faire "tout ce qui est nécessaire" pour assurer que la zone euro n’éclate pas, il peut y avoir d’autres défis face auxquels le prochain président de la BCE devra toujours trouver une solution.

Pour sa part, Martin Sandbu ne croit pas que ce soit la question de ce que la boîte à outils comprend. Au contraire, il voit "un fort consensus sur la façon par laquelle la BCE fonctionne" comme un autre élément de l’héritage de Draghi : "le non-conventionnel est devenu convention" note-t-il, en se référant aux politiques monétaires non conventionnelles. Néanmoins, Sandbu se demande si la zone euro ne courrait pas un plus grand risque avec "une trajectoire économique non inspirée laissant de nombreux citoyens se laisser tenter par les politiciens anti-européens, convaincus que la zone euro ne fonctionne pas pour eux" qu’elle n’en court avec une "répétition de crise". Dans la réponse, il est positif, écrivant qu’"il ne faut pas se contenter de simplement éviter le pire dans une crise", "l’entreprise d’amélioration des capabilités de la BCE est loin d’être achevée" et "la tâche du prochain président sera d’améliorer l’influence de la politique monétaire sur l’économie réelle".

Enfin, Jacob, Kirkegaard (ici et ) considère un scénario différent pour le prochain président de la BCE quand viendra la prochaine récession. Kirkegaard explique que l’arsenal de la BCE "se limitera soit à acheter des actifs privés plus risqués, soit à repousser la limite auto-imposée de la banque centrale sur les détentions de titres publics". Adopter la première option "sur les marchés peu profonds de la zone euro sera critiquée au motif qu’elle se ramènerait à une sélection injuste de gagnants", alors que la seconde option "risque d’être jugée illégale par la Cour européenne de Justice". En concluant que "ces contraintes rendent cruciale la politique budgétaire pour combattre la prochaine récession", Kirkegaard affirme que "le prochain président de la BCE doit non seulement être enclin à utiliser la politique monétaire pour combattre les récessions, mais aussi pousser les Etats-membres à être plus agressifs dans l’usage de la politique budgétaire pour ce même objectif". »

Konstantinos Efstathiou, « The next ECB president », in Bruegel (blog), 27 mai 2019. Traduit par Martin Anota