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Tag - Konstantinos Efstathiou

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lundi 10 juin 2019

Quelles devraient être les qualifications du successeur de Mario Draghi ?

« (…) Le 28 mai, deux jours après que les élections du Parlement européen aient été tenues dans tous les Etats-membres, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont rencontrés à Bruxelles pour commencer le processus d’attribution des postes clés à la tête de plusieurs institutions de l’UE. Beaucoup de ces postes (en l’occurrence ceux des présidents du Conseil européen et de la Commission européenne, tout comme le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité) sont typiquement pourvus tous les cinq ans, quand le cycle politique européen s’achève pour laisser place à un nouveau. Cependant, comme le mandat de Mario Draghi s’achève le 31 octobre 2019, les dirigeants vont aussi discuter des candidats pour le remplacer à la présidence de la BCE au cours des huit prochaines années. (…)

La nomination à venir a donné lieu à un florilège de spéculations dans les médias sur la possible identité du nouveau président de la BCE. En laissant les noms de côté, ce billet essaye d’isoler les arguments à propos des qualifications que le nouveau président devrait avoir et les défis auxquels il risque d’être confronté.

Pour commencer, certains commentateurs se sont focalisés sur ce que la sélection ne doit pas être. Par exemple, Stefan Gerlach critique le fait que la course à la succession de Draghi ait pris "des allures (…) d’Eurovision". Il ajoute, "les gouvernements veulent qu’un candidat de leur pays gagne parce que cela leur donnerait une bonne image, non parce que leur candidat améliorerait l’élaboration de la politique monétaire de la BCE", il y aura des votes selon les lignes de blocs régionaux et, "de façon absurde, certains commentateurs affirment que c’est au tour de leur pays de gagner".

De même, le comité de rédaction du Financial Times appelle à minimiser l’effet des arbitrages à l’œuvre quand il s’agit de pourvoir les divers postes-clés de l’UE sur la sélection du prochain président de la BCE. Bien que les "dirigeants de l’UE chercheront à obtenir un équilibre entre nationalités, régions de l’Europe, affiliations partisanes et genre", les auteurs notent que "la présidence de la BCE est le seul boulot (…) qui ne doit pas être victime d’un marchandage".

Qu’y a-t-il de spécial à propos de la présidence de la BCE ? Les auteurs soulignent que techniquement le président de la BCE est certes "premier entre des égaux" au conseil des gouverneurs de la BCE, le rôle que joue en pratique le président a profondément changé et est devenu beaucoup plus important au fil du temps, la crise ayant agi comme un catalyseur. Alors que Wim Duisenberg, le premier président de la BCE de 1999 à 2003, se focalisait sur la recherche d’un consensus sur l’orientation de la politique monétaire au conseil des gouverneurs de la BCE, les présidents suivants eurent à assumer un rôle plus proéminent. Les auteurs affirment que le discours de juillet 2012 où Draghi dit que la BCE ferait "tout ce qui est nécessaire" (whatever it takes) "était un exemple de leadership et s’est révélé être un point tournant dans la crise » de l’euro. Ils poursuivent en décrivant la BCE comme "l’institution la plus efficace, irremplaçable" durant cette crise.

L’expérience de la crise sert comme une prémisse pour plusieurs arguments avancés en ce qui concerne les exigences que la BCE doit honorer. Stephen Gerlach, par exemple, maintient que, bien qu’un président de la BCE effectif doive refléter la diversité de la zone euro pour des raisons de légitimité, il doit aussi satisfaire deux critères supplémentaires. Premièrement, le nouveau président de la BCE doit agir comme un joueur d’équipe. "Le président de la BCE ne fixe pas la politique, mais plutôt préside les réunions du conseil des gouverneurs où les décisions de politique monétaire sont prises". Gerlach nous rappelle que les désaccords avec le reste du conseil des gouverneurs "compliquent l’obtention de larges accords dans le conseil des gouverneurs qui sont la marque d’une bonne élaboration de politique économique", en concluant que "se risquer d’avoir une BCE dysfonctionnelle ne semble pas constituer une sage décision en cet instant précis".

Deuxièmement, le prochain président de la BCE doit posséder un solide bagage en science économique, insiste Gerlach. En "temps normal", de simples références quantitatives comme la règle de Taylor peuvent suffire pour décider de l’orientation de la politique monétaire, affirme-t-il. Mais quand la crise économique et financière éclate, "les concepts économiques comme la relation inverse entre l’inflation et le chômage avancé par la courbe de Phillips sont rompues et les solutions des manuels ne s’appliquent plus". Dans de tels cas, quand "l’incertitude explose", le temps manque comme "les banques centrales doivent agir rapidement et de façon décisive pour empêcher que les problèmes soient aggravés par les anticipations". Le président de la BCE doit avoir "une vision claire de ce qui doit être fait et la confiance pour adopter l’action décisive".

Et "cela, à son tour, nécessite qu’il ait une compréhension de première main des problèmes qui peuvent survenir". Pour renforcer son argumentation, Gerlach cite l’exemple de Ben Bernanke, l’ancien président de la Réserve fédérale, en affirmant que son bagage en tant qu’économiste universitaire spécialisé de la question "des erreurs de politique monétaire commises durant la Grande Dépression" a permis à ce que la Fed réagisse en temps opportun et efficacement à l’effondrement de Lehman Brothers.

Lucas Guttenberg (…) affirme que les plus importantes exigences que devra respecter le prochain président de la BCE seront sa volonté et sa crédibilité à faire "tout ce qui est nécessaire" pour sauver l’euro. Cela reste le filet de sécurité le plus robuste que l’euro a, écrit-il, avant d’ajouter que les alternations sont soit indésirables, soit impopulaires. Echouer à maintenir cette promesse fait peser "une menace existentielle sur les pays potentiellement en difficulté, en particulier ceux qui sont trop gros pour bénéficier du Mécanisme Européen de Stabilité (MES)" et plus généralement reste "une question pour la stabilité de l’union monétaire dans son ensemble", alors qu’un "approfondissement considérable de l’union monétaire" reçoit peu de soutien en Allemagne. Par conséquent, Guttenberg croit que la plupart des Etats-membres vont insister sur ce critère plutôt que des questions moins importantes, telles que "la question de l’orientation colombe ou faucon qu’il faut avoir quand cela touche à la question de la politique monétaire normale" (…).

S’il faut s’engager à faire "tout ce qui est nécessaire" pour assurer que la zone euro n’éclate pas, il peut y avoir d’autres défis face auxquels le prochain président de la BCE devra toujours trouver une solution.

Pour sa part, Martin Sandbu ne croit pas que ce soit la question de ce que la boîte à outils comprend. Au contraire, il voit "un fort consensus sur la façon par laquelle la BCE fonctionne" comme un autre élément de l’héritage de Draghi : "le non-conventionnel est devenu convention" note-t-il, en se référant aux politiques monétaires non conventionnelles. Néanmoins, Sandbu se demande si la zone euro ne courrait pas un plus grand risque avec "une trajectoire économique non inspirée laissant de nombreux citoyens se laisser tenter par les politiciens anti-européens, convaincus que la zone euro ne fonctionne pas pour eux" qu’elle n’en court avec une "répétition de crise". Dans la réponse, il est positif, écrivant qu’"il ne faut pas se contenter de simplement éviter le pire dans une crise", "l’entreprise d’amélioration des capabilités de la BCE est loin d’être achevée" et "la tâche du prochain président sera d’améliorer l’influence de la politique monétaire sur l’économie réelle".

Enfin, Jacob, Kirkegaard (ici et ) considère un scénario différent pour le prochain président de la BCE quand viendra la prochaine récession. Kirkegaard explique que l’arsenal de la BCE "se limitera soit à acheter des actifs privés plus risqués, soit à repousser la limite auto-imposée de la banque centrale sur les détentions de titres publics". Adopter la première option "sur les marchés peu profonds de la zone euro sera critiquée au motif qu’elle se ramènerait à une sélection injuste de gagnants", alors que la seconde option "risque d’être jugée illégale par la Cour européenne de Justice". En concluant que "ces contraintes rendent cruciale la politique budgétaire pour combattre la prochaine récession", Kirkegaard affirme que "le prochain président de la BCE doit non seulement être enclin à utiliser la politique monétaire pour combattre les récessions, mais aussi pousser les Etats-membres à être plus agressifs dans l’usage de la politique budgétaire pour ce même objectif". »

Konstantinos Efstathiou, « The next ECB president », in Bruegel (blog), 27 mai 2019. Traduit par Martin Anota

mercredi 1 mai 2019

Démanteler les grandes firmes du numérique pour réduire leur pouvoir de marché ?

« La sénatrice Elizabeth Warren a proposé de démanteler les grosses entreprises du secteur des nouvelles technologies. Un rapport du gouvernement britannique a présenté une autre approche pour réguler l’économie digitale. Et une étude du FMI a rappelé que la concentration du pouvoir de marché va au-delà du numérique. Ce billet passe en revue le débat…

Le 8 mars, la sénatrice américaine Elizabeth Warren a publié un essai où elle développe sa proposition de démanteler les grosses compagnies de nouvelles technologies du pays, à savoir en particulier Amazon, Google et Facebook. Ces entreprises, affirme Warren, ont acquis un pouvoir excessif : "Près de la moitié de l’ensemble du commerce numérique passe par Amazon", tandis que "plus de 70 % de l’ensemble du trafic sur Internet passe par des sites possédés ou exploités par Google ou Facebook".

Surtout, ces firmes ont utilisé ce pouvoir pour étouffer leurs rivales et limiter l’innovation. Warren accuse "un relâchement de l’application de la loi antitrust" d’avoir entraîné "une réduction dramatique de la concurrence et de l’innovation" dans ce secteur, en notant que "le nombre de nouvelles entreprises de nouvelles technologies a baissé, qu’il y a moins de jeunes firmes à forte croissance typiques de l’industrie des nouvelles technologies et que les premiers tours de financement pour les startups de nouvelles technologies ont décliné de 22 % depuis 2012".

Cette réduction de la concurrence et de l’innovation, poursuit-elle, passe par deux canaux : l’acquisition par les grosses entreprises de potentiels rivaux ; et leur engagement dans un marché qu’elles possèdent. Donc, la proposition de démanteler les grosses firmes de nouvelles technologies repose en fait sur deux propositions distinctes de séparation. Premièrement, pour répondre au conflit d’intérêt, les entreprises qui "offrent au public sur un marché en ligne un échange ou une plateforme pour se connecter à des tiers" et génèrent des recettes annuelles globales supérieures à 25 milliards de dollars auraient à choisir entre posséder la plateforme ou y participer. Deuxièmement, pour rétablir un paysage concurrentiel, Warren nommerait des régulateurs ayant pour tâche de renverser les fusions anticoncurrentielles en utilisant les lois antitrust existantes. Elle fait explicitement mention aux fusions suivantes : Amazon avec Whole Foods et Zappos ; Facebook avec Whatsapp et Instagram ; Google avec Waze, Nest et DoubleClick.

"L'Amérique a une longue tradition de démantèlement des entreprises lorsqu’elles sont devenues trop grosses et dominantes", dit Warren. Elle rappelle que lorsque, dans les années quatre-vingt-dix, Microsoft "essayait de convertir sa position dominante dans les systèmes d’explorateurs en position dominante dans le nouveau domaine de la recherche internet", le gouvernement lança une procédure d’infraction à la réglementation antitrust contre cette firme qui "contribua à tracer la voie pour que des entreprises d’internet comme Google et Facebook puissent émerger".

Warren n’est pas la seule à évoquer des exemples de l’histoire antitrust américaine pour étayer son argumentation. Tyler Cowen, cependant, trouve plus de similarités avec la procédure d’infraction à la réglementation antitrust lancée contre IBM en 1969 et adopte le point de vue opposé. Le gouvernement américain essaya de démanteler cette entreprise lorsqu’elle "contrôlait près de 70 %" du marché des ordinateurs pour entreprises. "L’affaire dura 13 ans, coûtant des millions de dollars à IBM et au gouvernement, sans oublier qu’elle détourna l’attention des innovateurs d’IBM", écrit Cowen. Il ajoute que "la procédure d’infraction à la réglementation antitrust lancée contre IBM rendit cette dernière moins à même de percevoir la réorientation du marché vers les PC" et contribua à l’effondrement de la part de marché d’IBM et lui occasionna des pertes records.

Du point de vue de Cowen, les entreprises majeures de nouvelles technologies ont été des innovateurs très efficaces et le démantèlement pourrait de la même façon les distraire et les affaiblir, c’est-à-dire nuire en définitive à l’innovation. En fait, Cowen loue les grosses entreprises de nouvelles technologies pour ce que d’autres les accusent : plutôt que d’utiliser les acquisitions pour éliminer de potentiels concurrents qui pourraient les menacer, elles ont permis à leurs acquisitions de se développer en mettant à leur disposition leurs vastes ressources. Il cite comme exemple l’acquisition de YouTube et Android par Alphabet et l’investissement subséquent de cette dernière dans les premières et l’amélioration du contenu et des services de celles-ci.

Cowen remet également en cause l’idée que les grosses entreprises de nouvelles technologies soient en situation de monopole. Dans l’espace des réseaux sociaux, Facebook est toujours en concurrence avec de nombreux rivaux, numériques ou non, et il ajoute qu’"il est facile d’imaginer que Facebook devienne un acteur moins important à mesure que le temps passe". Dans la publicité, Google et Facebook peuvent être meneurs, mais ils sont toujours en concurrence l’un contre l’autre, aussi bien qu’avec d’autres acteurs plus traditionnels (par exemple la télévision). Cowen affirme aussi qu’en ce qui concerne la publicité, Google "est fondamentalement une institution réduisant les prix pour les petites entreprises et les entreprises de niche qui peuvent maintenant avoir plus de portée qu’elles n’auraient pu en avoir auparavant", ce qui contribue à la concurrence dans d’autres secteurs. Par conséquent, bien que Cowen ne "suggère pas que tout soit positif dans le monde en ligne et que certaines critiques soient valides sur certains points", "une réponse antitrust vigoureuse serait précipitée et nuisible".

A l’inverse, Kenneth Rogoff rejoint Warren en remarquant que "le débat sur la manière de réglementer le secteur nous rappelle étrangement le débat sur la réglementation financière au début des années deux mille". Comme dans le cas de la finance à l’époque, les partisans d’une régulation souple du secteur des nouvelles technologies évoquent la complexité de ce dernier comme motif pour ne pas resserrer sa régulation, les sociétés puissantes peuvent accorder de très hauts salaires qui leur permettent de détourner les talents des institutions de régulation et le rôle des régulateurs américains est "énorme" pour le reste du monde. Donc, bien que les "idées pour réguler les grosses entreprises de nouvelles technologies soient juste au stade de l’ébauche et qu’une analyse plus sérieuse soit bien sûr nécessaire", Rogoff est "tout à fait d'accord pour dire qu'il faut agir, en particulier en ce qui concerne la capacité des géants du Web à racheter leurs potentiels concurrents et à utiliser leur position dominante sur les plateformes pour investir d’autres branches d’activité".

Publié seulement cinq jours après l’essai de Warren, le "Rapport du panel d’experts de la concurrence digitale" (Report of the Digital Competition Expert Panel) avance d’autres propositions. La revue The Economist résume ce rapport qui a été préparé par le gouvernement britannique par une équipe menée par Jason Furman, l’ancien économiste en chef du Président Obama. Les auteurs du rapport affirment que la concentration est intrinsèque à l’économie numérique en raison des effets de réseau et qu’une position dominante soutenue peut entraîner des prix plus élevés, une moindre diversité de produits et moins d’innovations.

Cependant, ils rejettent l’idée de démanteler les entreprises du numérique ou de les réguler en limitant leurs profits ou en resserrant la supervision comme dans le cas des infrastructures d’eau ou d’électricité. Le rapport suggère plutôt que l’action publique se focalise sur la stimulation de la concurrence et du choix offert aux usagers. Cela peut passer par l’introduction d’un code de bonne conduite sur le comportement concurrentiel sur les grosses plateformes, faisant écho à un autre élément de la proposition de Warren. Ce code de bonne conduite "empêcherait par exemple un marché en ligne comme Amazon de favoriser ses propres produits vis-à-vis de ceux d’un rival dans un résultat de recherche soumis à un consommateur". Une autre mesure est la "mobilité des données", qui réduirait les coûts de changement de fournisseur pour les usagers. Avec la mobilité des données, "les consommateurs individuels pourraient déplacer leurs historiques de recherche et d’achats d’une plateforme à l’autre. Les utilisateurs de médias sociaux pourraient poster leurs messages à leurs amis, qu’importe le site qu’utilisent ces derniers. Et un amas anonymé de données aggloméré par une firme pourrait être rendu disponible aux nouveaux entrants tout en respectant la vie privée des individus".

L’article décrit le rapport comme "équilibré" et "de première qualité", mais nourrit aussi un certain scepticisme. Il se demande comment la "mobilité des données" va fonctionner en pratique. Il questionne aussi l’impact que le rapport peut avoir. (…) "Même si la Grande-Bretagne adoptait ses recommandations, les titans des nouvelles technologies sont mondiaux en termes d’échelle, mais américains en termes de nationalité. Au final, les Etats-Unis et l’Union européenne (que la Grande-Bretagne est susceptible de bientôt quitter) sont les puissances qui vont décider de leur destinée".

(…) La régulation des grosses entreprises de nouvelles technologies va au-delà de la question de la concurrence et de l’innovation et touche à la politique, aussi bien domestique qu’internationale. A travers sa proposition, Warren cherche notamment à "restaurer l’équilibre des pouvoirs dans notre démocratie" en s’assurant à ce que les données des utilisateurs restent dans le domaine privé et en réduisant le levier dont disposent les sociétés pour obtenir des administrations locales de "massives baisses d’impôts en échange de leur activité".

Pour le secteur des nouvelles technologies, Kenneth Rogoff pense que "pour surmonter ce problème, il faudra répondre aux questions fondamentales sur le rôle de l'État, sur les données personnelles et sur la façon dont les compagnies américaines peuvent soutenir la concurrence face à la Chine, dont le gouvernement utilise des entreprises technologiques nationales pour recueillir des données sur ses citoyens à un rythme exponentiel". Plus généralement, Joseph Stiglitz remarque que "dans la mesure où le pouvoir de marché des firmes mastodontes s’est accru, il en va de même de leur capacité à influencer une politique américaine si soumise au pouvoir de l’argent". Puisque "le défi, comme toujours, est politique", Stiglitz émet des doutes à l’idée que "le système politique américaine soit en mesure d’adopter la bonne réforme" et croit que "il est clair que l’Europe devra prendre l’initiative".

Cependant, la hausse de la concentration est un problème qui s’étend au-delà de l’économie numérique selon Federico Díez et Romain Duval au FMI. En regardant le ratio prix sur coût (le taux de marge) pour près d’un million d’entreprises de 27 pays développés et émergents, ils concluent que celui-ci s’est accru en moyenne de 6 % de 2000 à 2015. Cette hausse est plus prononcée dans les pays développés et en-dehors du secteur manufacturier, notamment l’économie numérique. Surtout, l’essentiel de la hausse des taux de marge provient des entreprises qui présentaient initialement les taux de marge les plus élevés. Ces 10 % des entreprises sont plus rentables, plus productives et utilisent plus d’actifs intangibles que les autres. Díez et Duval affirment que la hausse du pouvoir de marché des firmes les plus productives et innovantes s’explique par leur capacité supérieure à exploiter des actifs intangibles comme des droits de propriété, les effets de réseau et les économies d’échelle, créant une dynamique où "le gagnant rafle l’essentiel".

Les auteurs écrivent que cette hausse du pouvoir de marché a eu des effets significatifs en réduisant notamment l’investissement et la part du travail dans le revenu. "Si les marges étaient restées au niveau qu’elles atteignaient en 2000, le stock de biens de capital serait aujourd’hui en moyenne 3 % plus élevé et le PIB environ 1 % plus élevé". De plus, "la hausse du pouvoir de marché observé depuis 2000 explique aussi au moins 10 % de la baisse (0,2 de 2 points de pourcentage) de la part du revenu national versée aux travailleurs dans les pays développés".

(…) Díez et ses coauteurs identifient les plus faibles incitations à l’innovation et la possible tentative d’entreprises en position dominante sur leur marché pour ériger des barrières à l’entrée justifient que les responsables de la politique économique soient vigilants à l’avenir. Ils proposent une boîte à outils de politique économique diversifiée : un retrait des barrières à l’entrée, un retrait des barrières au commerce et à l’investissement direct à l’étranger dans les services, un resserrement de la loi et des politiques de la concurrence, une réforme de la fiscalité des entreprises et des droits de propriété intellectuelle qui "encouragent des innovations majeures plutôt que des innovations incrémentales". »

Konstantinos Efstathiou, « Breaking up big companies and market power concentration », in Bruegel (blog), 29 mars 2019. Traduit par Martin Anota



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