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vendredi 12 février 2021

Cela changerait-il les choses si la BCE annulait la dette qu’elle détient ?

« La récente proposition d'annuler la dette publique détenue par la Banque Centrale européenne publiée par plus de 100 économistes dans les journaux a rallumé le débat sur le rôle de la banque centrale dans le soutien du gouvernement. La question que beaucoup se posent est si cette proposition est à prendre au sérieux. De façon à répondre à cette question, il est bon de revenir aux fondamentaux de la création de monnaie fiat.

Quand la banque centrale achète des obligations publiques, par exemple dans le cadre de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing), elle substitue des passifs monétaires à des obligations publiques portant intérêt (la base monétaire prenant typiquement la forme de réserves bancaires). Par le passé, ces passifs de la banque centrale n’étaient pas rémunérés. Depuis environ dix ans, les banques centrales se sont inclinées face au lobbying des banques et ont commencé à rémunérer ces réserves bancaires. Rien dans les statuts des banques centrales ne les oblige à le faire et elles peuvent facilement inverser cette politique. En fait, depuis environ deux ans, les grandes banques centrales appliquent des taux d’intérêt négatifs sur ces réserves bancaires, ce qui indique à quel point il est facile d’inverser les politiques de rémunération.

Au moment où la banque centrale achète des obligations publiques, elle crée un "seigneuriage". C’est le profit de monopole apparaissant de la création de monnaie. Ce "seigneuriage" est transféré au budget du gouvernement national l’année suivante : le gouvernement paye des intérêts à la banque centrale qui détient désormais les obligations, mais la banque centrale reverse cette recette d’intérêt au gouvernement. Donc, quand la banque centrale achète les obligations publiques, de facto le gouvernement n’a plus à payer d’intérêts sur ses obligations détenues par la banque centrale. Les achats d’obligations publiques par la banque centrale est donc l’équivalent d’un allègement de dette accordé aux gouvernements.

Aussi longtemps que les obligations publiques sont au bilan de la BCE les obligations n’existent plus d’un point de vue économique. C’est parce que, comme je l’ai affirmé plus tôt, quand une obligation publique est au bilan de la banque centrale, un flux circulaire de paiements d’intérêts est organisé du Trésor national vers la banque centrale, puis de nouveau au Trésor. Donc, le poids de la dette pour le gouvernement national est devenu nul. La banque centrale peut annuler la dette (c’est-à-dire fixer la valeur égale à zéro), ce qui stoppe le flux circulaire de paiements d’intérêts. Cela ne fait pas de différence pour le poids de la dette. Pour le dire autrement, le profit de la création monétaire a été transféré au gouvernement à l’instant de l’achat des obligations par la banque centrale.

Que se passe-t-il quand les obligations qui sont maintenues au bilan de la banque centrale arrivent à maturité ? La BCE a promis qu’elle achèterait de nouvelles obligations pour remplacer celles qui viennent à maturité. A nouveau, pas de différence avec une annulation. Donc, aussi longtemps que les obligations publiques restent au bilan de la banque centrale cela ne fait pas de différence d’un point de vue économique à quelle valeur ces obligations sont enregistrées au bilan de la banque centrale. Elles peuvent être enregistrées à leur valeur faciale, leur valeur de marchée ou elles peuvent se voir attribuer une valeur zéro (annulation de dette) : d’un point de vue économique, cela n’importe pas parce que les obligations publiques au bilan de la banque centrale cessent d’exister.

Ce qui importe est la taille des passifs de la banque centrale. C’est la base monétaire qui a été créée quand les obligations furent achetées. Aussi longtemps que la base monétaire est maintenue inchangée, la valeur donnée aux obligations publiques dans le bilan de la banque centrale n’a pas de conséquences économiques. Si la valeur de ces obligations était ramenée à zéro (c’est-à-dire si la dette était annulée), la contrepartie au passif du bilan de la banque centrale serait une dégradation des fonds propres (qui peuvent devenir négatifs). Mais à nouveau, cela n’a pas de conséquences économiques. Une banque centrale émettant de la monnaie fiat n’a pas besoin de fonds propres. La valeur des fonds propres dans les comptes de la banque centrale n’ont qu’une existence comptable.

Donc, l’annulation de dette est bonne, mais elle est équivalente à l’absence d’annulation de dette aussi longtemps que les obligations sont détenues dans le bilan de la banque centrale. Le problème peut survenir à l’avenir si l’inflation accélère et si la BCE veut empêcher le taux d’inflation de dépasser les 2 %. Dans ce cas, elle aurait à vendre des obligations, afin de réduire la base monétaire (et en définitive le stock de monnaie). Si les obligations sont toujours dans son bilan (parce qu’elles n’ont pas été annulées) la banque centrale les vendra. Par conséquent, elles seront détenues par le secteur privé et le poids de la dette des gouvernements va s’accroître parce que les intérêts versés sur les obligations iront aux agents privés qui les détiennent et qui ne les renverseront pas aux Trésors.

Si les obligations ont été annulées, elles ne peuvent plus être vendues et la banque centrale aura à réduire la base monétaire d’une autre façon. Elle peut émettre ses propres obligations portant intérêt en échange pour la base monétaire existante. Mais cela signifie que la banque centrale va avoir à verser des intérêts à l’avenir. Par conséquent, elle transfèrerait moins de profits aux Trésors. A nouveau, pas de différence (ou très peu) avec une véritable annulation.

La conclusion ici est que si la BCE désire maintenir l’inflation à 2 %, cela ne fait pas de différence si elle annule ou non la dette aujourd’hui. Dans le cas où l’inflation dépasse les 2 %, elle aura à réduire le montant de base monétaire, soit en vendant des obligations publiques, soit en émettant ses propres obligations portant intérêt, c’est-à-dire en reprenant le seigneuriage qu’elle a accordé au gouvernement lorsqu’elle acheta les obligations.

Les choses seraient très différentes si la BCE pouvait laisser l’inflation grimper davantage à l’avenir, c’est-à-dire, en d’autres termes, si elle décidait de ne rien faire dans le cas où l’inflation excéderait les 2 %. Elle n’aurait alors pas à vendre des obligations (ni à émettre ses propres obligations). Dans ce cas, la plus forte inflation réduirait la valeur réelle de la dette publique qui n’est pas dans le bilan de la banque centrale et celle-ci a été émise ces toutes dernières années à de très faibles taux d’intérêt. Le gouvernement y gagnerait.

Qui paierait pour cette politique inflationniste ? Les investisseurs financiers. Les taux d’intérêt nominaux s’accroîtraient, ce qui réduirait le prix des obligations de long terme que ces investisseurs ont achetés à des taux nuls, voire négatifs.

Deux derniers commentaires. Tout d’abord, la centaine d’économistes qui propose l’annulation de la dette publique ont créé l’illusion que l’annulation de la dette réduit la dette et par conséquent permet aux gouvernements, qui n’ont plus à porter le fardeau de la vieille dette, à émettre une nouvelle dette pour financer de grands projets. J’ai affirmé que l’allègement de dette survient au moment des achats obligataires par la banque centrale et non quand la banque centrale annule la valeur de ces obligations dans son bilan. L’illusion est de penser que vous pouvez avoir un allègement de la même dette deux fois.

Deuxièmement, sauf si à l’instant de l’annulation de la dette les gouvernements forcent la BCE à annuler son engagement à chercher à ramener l’inflation à une cible de 2 %, les hausses futures de l’inflation vont nécessairement forcer la BCE à réduire le montant de base monétaire, c’est-à-dire à défaire l’allègement de dette qu’elle organisa lorsqu’elle acheta la dette. Donc, aussi longtemps que la BCE reste engagée à sa cible d’inflation, l’annulation explicite de la dette est susceptible de seulement réduire temporairement le fardeau de la dette. Ce n’est que si la BCE n’honore pas son engagement vis-à-vis de l’inflation que l’annulation de la dette réduira de façon permanente le fardeau de la dette publique. Mais quelqu’un va alors payer pour la taxe inflationniste. On peut cependant toujours affirmer qu’un surcroît d’inflation est un juste prix à payer pour réduire de façon permanente le poids de la dette du gouvernement. Peut-être que c’est cela ce que la centaine d’économistes a en tête. »

Paul De Grauwe, « Debt cancellation by the ECB. Does it make a difference? », 12 février 2021. Traduit par Martin Anota



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« Faut-il s'inquiéter de la dette publique lorsque les taux d’intérêt sont faibles ? »

« r < g : peut-on vraiment ne pas se soucier de la dette publique ? »

« Quelques leçons de Reinhart et Rogoff sur les crises financières et la dette souveraine »

« Alimenter l’inflation pour réduire la dette publique ? »

« Quel rôle joue la répression financière dans la liquidation des dettes publiques ? »

samedi 28 novembre 2020

Mémo à la BCE pour atteindre la bonne combinaison des politiques budgétaire et monétaire

« Ce mémo doit débuter par quelques mots de félicitations. La Banque Centrale Européenne (BCE) n’est certes pas parvenue à atteindre sa cible d’inflation (et je reviendrai sur ce sujet ci-dessous), mais elle a su stabiliser les marchés financiers et contribuer à soutenir l’activité économique dans la zone euro. Cela a été le cas lors de la crise financière mondiale et de la crise de la zone euro, mais aussi lors de la crise du coronavirus. Pour y parvenir, la BCE a introduit plusieurs nouveaux programmes et outils. Son bilan a été multiplié par 9 depuis 2000 et de 40 % depuis le début de la crise du coronavirus (cf. graphique). Il est temps de faire l’inventaire.

GRAPHIQUE Taille du bilan de la BCE (en milliers de milliards d'euros)

Blanchard__bilan_BCE.png

Pour cela, nous devons distinguer entre trois environnements économiques différents. Appelons le premier la "dislocation" pour désigner les moments où les marchés financiers connaissent de soudaines fuites de capitaux, où les investisseurs financiers quittent ou pénètrent soudainement des marchés, entraînant d’amples perturbations et d’amples mouvements des prix. L’Europe a connu de tels moments au printemps. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Appelons le deuxième la "stagnation séculaire" pour désigner les périodes où le taux sûr réel neutre est si faible que, en combinaison avec une faible inflation, il limite la capacité de la banque centrale à utiliser le taux directeur comme principal outil de politique monétaire. La BCE fait face à un tel environnement depuis plus d’une décennie à présent.

Appelons le troisième "les temps normaux", ou peut-être plus correctement les "anciens temps", ces périodes où le taux neutre et, par implication, le taux nominal sont suffisamment élevés en moyenne pour qu’il y ait peu de contraintes sur la fixation du taux directeur. Selon les prévisions et les prix de marché, ce n’est pas prêt d’arriver de si tôt.

Considérons le premier : la BCE a su bien faire les choses pour combattre la dislocation. Elle a négocié des lignes de swap avec la Réserve fédérale, fourni d’amples liquidités aux marchés et aux institutions et su rapidement stabiliser les marchés financiers. Elle est prête à le faire de nouveau si nécessaire. Considérons le troisième : pour l’instant, l’Europe n’a pas à se demander quoi faire en "temps normal" : elle aura le temps de réfléchir et peut-être de changer les outils de politique économique si les temps normaux revenaient. Ce qui laisse la question de la politique monétaire dans le cas de la stagnation séculaire, chose sur laquelle je me focaliserai dans le reste de ce mémo.

Première priorité : donner davantage de place à la politique budgétaire


Dans un régime de stagnation séculaire, la question centrale est la bonne combinaison entre politique monétaire et politique budgétaire. En "temps normal", l’allocation est simple. La politique budgétaire doit se focaliser sur des objectifs budgétaires et laisser la stabilisation macroéconomique essentiellement à la politique monétaire. Dans le cas de la stagnation séculaire, la réponse n’est pas si simple. La politique monétaire ne peut assurer la tâche seule et cette limitation s’est en effet manifestée à travers l’incapacité durable de la BCE à atteindre sa cible d’inflation. Les politiques budgétaire et monétaire sont nécessaires pour la stabilisation macroéconomique et la combinaison est complexe.

Face à un écart de production négatif, un soutien insuffisant de la part de la politique budgétaire force la banque centrale à aller au-delà de sa zone de confort pour soutenir l’activité économique, la forcer à réduire les primes de risque peut-être excessivement et au cours du processus prendre des risques, non seulement financiers, mais aussi politiques. Un soutien excessif de la part de la politique budgétaire, d’un autre côté, peut soulever des problèmes de soutenabilité de la dette publique, inquiéter les marchés financiers, accroître les spreads et compliquer la tâche de la banque centrale.

Les politiques budgétaire et monétaire doivent donc trouver le point idéal, ce qui n’est pas facile à faire. Je crois qu’au cours de la crise actuelle, les autorités budgétaires nationales européennes et la BCE s’en sont bien approchées. Les risques pesant sur les bilans de la BCE et des banques nationales sont restés limités. Et, étant donné la faiblesse des taux d’intérêt et des spreads, les risques en termes de la soutenabilité de la dette publique sont aussi restés très faibles. Je vais toutefois souligner trois choses que je considère comme importantes.

La première implique la sémantique. "La stabilisation des marchés" et "l’amélioration du mécanisme de transmission" décrivaient bien ce que la BCE faisait lors de la phase de dislocation. Empêcher une panique autoréalisatrice sur les obligations publiques italiennes au début de l’année fut clairement la bonne politique à suivre. Ces termes peinent à décrire ce que la BCE fait aujourd’hui. Avec les détentions d’obligations proches de 3000 milliards d’euros, la BCE ne se contente pas de stabiliser les marchés ; elle réduit les spreads.

La deuxième concerne la division du travail entre politique budgétaire et politique monétaire. Réduire les spreads est la bonne chose à faire. Si le taux directeur ne peut davantage baisser et si l’activité économique et l’inflation restent excessivement faibles, il y a de bons arguments de second-best en faveur d’une réduction des spreads au-delà de ce que le marché aurait atteint, même si cela entraîne certaines perturbations. La question, cependant, est de savoir quand est-ce que cela n’est plus du ressort de la BCE mais de la politique budgétaire. Les programmes de liquidité de la BCE sont des carottes, non des bâtons. Si un gouvernement commençait à mal se comporter, la BCE ferait face à de très difficiles décisions et peut-être à des problèmes de bilan. Un Mécanisme Européen de Stabilité et un programme OMT plus légers, avec une conditionnalité très limitée mais toujours la possibilité de forcer un ajustement si nécessaire, serait une meilleure façon de fournir un prêt souverain à de plus faibles taux et de réduire l’exposition de la BCE. L’Europe ne peut arriver aujourd’hui à un tel accord, comme les marchés réagiraient sûrement très mal à celui-ci, mais les autorités européennes doivent se demander si une telle transition doit survenir à un moment ou à un autre.

La troisième concerne la nécessité de changements institutionnels majeurs du côté de la politique budgétaire, un changement des règles budgétaires, un pas supplémentaire vers l’union budgétaire et la nécessité d’un partenaire budgétaire à la BCE. Ce n’est pas de la responsabilité de la BCE, mais ils sont nécessaires pour que la BCE puisse assurer sa mission. Atteindre la bonne combinaison entre politique monétaire et politique budgétaire dans l’environnement actuel est difficile quand il y a 19 autorités budgétaires. Avoir un partenaire budgétaire officiel aiderait. Les règles budgétaires de l’UE ont été suspendues et les gouvernements de la zone euro ont été enclins à utiliser agressivement la politique budgétaire, mais les règles ne peuvent être à jamais suspendues. Elles doivent être réécrites pour prendre en compte les nouvelles réalités. Un plus grand rôle pour le MES comme suggéré ci-dessus nécessiterait un pas supplémentaire vers l’union budgétaire. Il est approprié pour la BCE de se prononcer en faveur de telles réformes, en indiquant que si celles-ci n’étaient pas mises en œuvre, elle serait forcée de prendre des risques excessifs, ce qui ne serait dans l’intérêt de personne.

Deuxième priorité : ce n’est pas le moment de relever la cible d’inflation


Penchons-nous sur d’autres questions, que je considère comme moins fondamentales, mais qui font l’objet davantage d’attention et qui seront discutées dans la revue stratégique de la BCE.

Il y a presque un accord universel entre économistes pour dire que, en général, les banques centrales doivent avoir un double mandat, comprenant la stabilisation de l’écart de production et la stabilisation de l’inflation. Mais le mandat unique de la BCE n’est pas forcément mauvais dans les faits : la stabilisation de l’inflation à sa cible va en général se traduire par une bonne performance de la production. De plus, la réalité est que la BCE s’inquiète de l’écart de la production et de l’inflation. Si l’inflation était à 2 % et si, pour une raison ou une autre, la production était bien en-deçà de son potentiel, je suis sûr que la BCE maintiendrait une politique monétaire expansionniste. Donc, étant donné la difficulté d’atteindre un changement de Traité, je laisse cette question de côté et je ne dérangerai pas le chat qui dort.

Que penser d’un relèvement de la cible de taux d’inflation ? Pa rapport au débat et aux divers articles qui ont été écrits avant la crise financière mondiale, qu’avons-nous appris à ce sujet ? D’un côté, nous avons appris que la probabilité de nous retrouver à la borne inférieure zéro est plus élevée que nous l’avions estimée ; que la raison sous-jacente ne tient pas simplement à des chocs négatifs, mais à une baisse du taux neutre par rapport au passé. D’un autre côté, nous avons appris qu’une banque centrale peut fixer des taux d’intérêt légèrement négatifs, ce qui relâche la borne inférieure. La courbe de Phillips est devenue non seulement plus plate, mais elle l’est devenue davantage à la baisse, ce qui réduit le risque d’une spirale déflationniste catastrophique. Et la faible inflation a rendu l’inflation moins saillante et les anticipations d’inflation plus visqueuses, un développement utile pour la politique monétaire.

Donc, même s’il semble en résumé que la BCE serait en meilleure position avec une cible d’inflation plus haute, ce n’est pas le moment de la relever. Nous devons clairement sortir d’une inflation "inférieure, mais proche, à 2 %" pour une inflation "à 2 %", mais ne pas aller plus loin. La crédibilité de la cible actuelle est déjà faible, la crédibilité d’une cible plus élevée serait encore plus faible. Contrairement à ce que la Réserve fédérale a dit, je laisserais la porte ouverte pour reconsidérer cette éventualité lorsque l’inflation sera revenue à 2 %.

Que dire à propos de l’idée de suivre la Fed et d’adopter un ciblage de l’inflation moyenne ou d’opter pour une version plus forte, le ciblage du niveau des prix ? D’un point de vue opportuniste, étant donné le contexte, cela constituait potentiellement une bonne manœuvre de la Fed, dans la mesure où elle pouvait ainsi accroître les anticipations d’inflations et réduire les taux réels (il s’avère que cela n’a pas été le cas, ce qui signale quelque chose de plus général à propos de la capacité de la politique monétaire à gérer les anticipations). La question pertinente, cependant, est de savoir si c’est une bonne règle en général. Si elle est symétrique, elle ne sera pas crédible : aucune banque centrale ne va déclencher une récession au motif que l’inflation est bonne aujourd’hui, mais qu’elle était trop élevée par le passé. Donc elle doit être asymétrique, peut-être comme selon la proposition avancée par l’ancien président de la Fed Ben Bernanke. Ainsi, je crois qu’elle peut-être moins floue que ne l’a décrite la Fed. Le flou à propos du laps de temps au cours duquel la moyenne est calculée et ce que cela signifie à propos du taux d’inflation que la banque centrale va tolérer va embrouiller les investisseurs financiers et compliquer la politique monétaire. Elle compliquera davantage les choses qu’elle ne les simplifiera. Si la banque centrale emprunte cette voie, je crois que le contrôle de la courbe des taux, à la Banque du Japon, serait une meilleure façon d’envoyer le bon signal. La BCE doit davantage explorer cette idée.

Je n’ai pas dit dans quelle mesure la politique monétaire devrait s’inquiéter de la répartition des revenus ou du changement climatique. C’était intentionnel. Dans le rôle de la BCE en tant que superviseur des marchés financiers, il est certes nécessaire de prendre en compte l’impact du changement climatique sur le portefeuille des institutions financières. Il serait malavisé d’aller au-delà, sauf lorsque le choix de différents outils de politique monétaire présente d’évidentes implications pour la répartition des revenus ou la nature de la croissance économique. La BCE peut avoir au mieux un effet marginal sur ces évolutions et avoir trop de cibles l’empêcherait d’accomplir le mieux qu’elle puisse son principal mandat. »

Olivier Blanchard, « Memo to the European Central Bank on achieving the right fiscal-monetary policy mix », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 24 novembre 2020. Traduit par Martin Anota



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dimanche 12 avril 2020

La BCE doit financer les déficits publics du COVID-19

« La pandémie du coronavirus a déclenché une combinaison de chocs d’offre et de demande négatifs d’une intensité sans précédent. Ces deux chocs ont un impact significatif sur la production de biens et de services et, dans la mesure où le revenu de chacun dépend en définitive de la production, les revenus des ménages chutent rapidement. Avec plusieurs économies déjà dans une spirale baissière et s’enfonçant dans la récession, le danger est que cette dernière devienne une crise autoentretenue qui ne cesserait de prendre de l’ampleur.

Les deux chocs d’offre et de demande jumeaux sont susceptibles de déclencher plusieurs "effets domino". Les entreprises avec des coûts fixes importants qui souffrent d’une chute soudaine du revenu vont rapidement rencontrer des difficultés financières ou même faire faillite. Quand cela se produit, les banques et les autres entités qui leur auront prêté de l’argent verront leurs propres difficultés s’accentuer. C’est pourquoi les chocs économiques massifs conduisent souvent à des crises bancaires.

Mais la chute des dominos ne s’arrête pas là. Les gouvernements font eux aussi face à des dangers budgétaires quand ils interviennent pour atténuer la crise. Dans le cas de l’actuelle pandémie, les gouvernements nationaux vont devoir sauver les entreprises de la banqueroute en leur apportant un soutien financier et des subventions, aider les travailleurs en finançant des dispositifs de chômage temporaire et peut-être venir à la rescousse de grandes banques. Pire, tout cela se fera au moment même où les recettes fiscales déclinent, ce qui signifie que les déficits publics et les niveaux de dette publique vont exploser.

Nous avons vu ces effets domino à l’œuvre durant la crise financière de 2007-2008. La différence aujourd’hui est que le choc initial n’a pas commencé sur les marchés financiers avant de contaminer l’économie réelle. En fait, les chocs d’aujourd’hui ont émergé au sein de l’économie réelle et ont ensuite gagné les marchés financiers. Mais, comme par le passé, cette crise demande des mesures urgentes pour mettre plus d’espace entre les dominos qui tombent. Vous pouvez y voir l'équivalent macroéconomique de la "distanciation sociale".

A quoi ressemblera-t-elle en pratique ? Premièrement, les gouvernements nationaux doivent intervenir massivement pour fournir un soutien financier aux firmes en détresse et aux ménages dont les revenus sont menacés. La plupart des gouvernements européens semblent déjà s’apprêter à le faire. Le problème est que ces expansions budgétaires massives par les Etats-membres de la zone euro pourraient s’avérer risquées. Il est donc crucial que la Banque Centrale Européenne intervienne pour empêcher le dernier domino, c’est-à-dire les gouvernements des Etats-membres, de chuter.

Parce qu’ils n’ont pas d’autre choix que de soutenir les entreprises au bord de la faillite, les banques illiquides et les ménages en difficulté, les gouvernements nationaux peuvent basculer en territoire dangereux. Plus leur dette augmente, plus le risque que les détenteurs de leurs obligations paniquent augmente, comme nous l’avions vu lors de la crise de la dette souveraine de 2010-2012. Et les pays qui connaissent la plus forte hausse de la dette publique en conséquence de la "coronacrise", en l’occurrence l’Italie, l’Espagne et la France, font partie des quatre plus grandes économies de la zone euro.

Pour écarter le risque d’une panique sur les marchés obligataires, la BCE doit se préparer à acheter les obligations des gouvernements en détresse. Durant la crise de 2012, la BCE a préparé le terrain pour une telle réponse avec son programme OMT. Mais au début du mois de mars, la présidente de la BCE Christine Lagarde a semblé suggérer que la banque centrale ne viendrait pas à la rescousse des Etats-membres endettés, avant de revenir sur ses propos quelques jours plus tard. Etant donné que sa déclaration initiale avait été saluée par Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, nous pouvons douter de la volonté de la BCE à offrir un soutien direct aux gouvernements nationaux.

Certes, la BCE a promis de servir de prêteur en dernier ressort pour les banques européennes et elle a réactivé son programme d’assouplissement quantitatif (quantitative easing), via lequel elle va acheter des obligations publiques additionnelles sur les marchés secondaires. Mais l’assouplissement quantitatif a beau un peu soulager les gouvernements nationaux, il ne va pas suffire. La BCE doit aller plus loin, en se préparant à acheter des obligations sur les marchés primaires, c’est-à-dire en émettant de la monnaie pour financer les déficits budgétaires des Etats-membres durant la crise.

Si la BCE s’engage dans le financement monétaire des déficits budgétaires des Etats-membres, elle sera certainement rejointe par d’autres banques centrales autour du monde. La vertu d’une telle approche est qu’elle épargne les gouvernements nationaux d’émettre une nouvelle dette. Parce que toute la nouvelle dette serait monétarisée, la crise n’accroîtrait pas les ratios dette publique sur PIB. Pour les pays qui souffriront le plus de la pandémie, la menace d’une panique sur les marchés obligataires sera supprimée de l’équation.

Certes, on peut soulever plusieurs objections à cette proposition. Sur le plan juridique, le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit à la BCE de s’engager dans le financement monétaire des déficits budgétaires nationaux. Mais les juristes de la BCE, avec leur ingéniosité illimitée, peuvent sûrement trouver une manière de contourner cette restriction. Après tout, l’avenir de la zone euro en dépend.

On peut aussi invoquer le risque que le financement monétaire produise de l’inflation. Mais dans les circonstances actuelles, il n’y a simplement pas de chance qu’il y ait de l’inflation. L’Europe fait plutôt face au risque d’une spirale déflationniste. Le financement monétaire permettrait de réduire cette tendance. Dès lors que la dynamique déflationniste sera stoppée, la BCE pourra mettre un terme à son financement monétaire.

Tôt ou tard, la BCE devra accepter que le financement monétaire en soutien aux dépenses déficitaires des Etats-membres est une nécessité non seulement pour atténuer la crise du COVID-19, mais aussi pour empêcher qu’un cycle déflationniste baissier fasse éclater la zone euro. C’est le moment de sortir des sentiers battus. »

Paul De Grauwe, « The ECB must finance COVID-19 deficits », 18 mars 2020. Traduit par Martin Anota



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« Faut-il s’inquiéter de la hausse de la dette publique ? »

« La crise européenne de la dette souveraine a-t-elle été auto-réalisatrice ? »

« Dans la tête des juges de Karlsruhe (ou comment l'Allemagne a paralysé la BCE) »

lundi 15 juillet 2019

Lagarde est un bon choix pour la BCE

« La nomination de Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international et une ancienne Ministre des Finances française, pour succéder à Mario Draghi à la présidence de la Banque centrale européenne, est controversée. Elle ne le devrait pas.

Certes, le marchandage politique via lequel les postes clés de l’Union européenne sont attribués est discutable. Lagarde a été sélectionnée non selon un processus de nomination ouvert, basé sur le mérite, mais plutôt au terme de négociations en coulisses qui menèrent aussi à la nomination de Ursula von der Leyen, la Ministre de la Défense allemande, à la présidence de la Commission européenne.

Mais malgré l’opacité du processus de nomination et le fait qu’elle ait été choisie en partie parce qu’elle est une femme, française et du parti populaire européen du centre-droit, Lagarde a d’immenses qualités pour jouer ce rôle. Elle a eu la ténacité et les compétences politiques pour réussir tout d’abord comme juriste, puis comme politicienne et, plus récemment, comme technocrate internationale. Les huit années qu’elle a passées au FMI lui ont donnée une immense expérience et stature mondiales. Surtout, comme Draghi, si une nouvelle crise éclatait, elle serait désireuse de faire "tout ce qui est nécessaire" (whatever it takes) pour sauver l’euro.

Certains ont rapidement critiqué Lagarde pour des décisions qu’elle a prises durant la crise de la zone euro. En tant que Ministre des Finances française, elle a accepté le consensus en zone euro selon lequel la dette publique de la Grèce ne devait pas être restructurée en 2010 et l’austérité budgétaire était le remède pour la panique financière qui était sur le point de détruire l’euro. Mais quand je l’ai rencontrée pour la première fois avant les réunions annuelles du FMI en septembre 2011, elle indiqua en privé soutenir une intervention de la BCE illimitée et l’allègement de la dette grecque, et ce contrairement au président de la BCE d’alors, Jean-Claude Trichet. Elle a plus tard a approuvé l’autocritique du Fonds pour ses échecs en Grèce, à propos de l’austérité, et au summum de la crise de la zone euro, mais donc aussi ses propres actions en tant que Ministre des Finances. Les institutions de l’UE ont manifestement échoué à faire un tel aveu. Sa volonté d’admettre les erreurs et d’en tirer des leçons est rare et bienvenu.

Le passé politique de Lagarde fait craindre à certains une potentielle politisation de la BCE, en particulier dans la mesure où plusieurs autres membres de son conseil des gouverneurs sont aussi d’anciens politiciens. Mais comme son mandat largement réussi au FMI le montre, elle peut être diplomate en public tout en exprimant son avis en privé. Et, parce que d’immenses compétences politiques sont nécessaires pour gérer une union monétaire incomplète et déficiente de 19 pays-membres avec des idées et intérêts divergents, ses bonnes relations avec les dirigeants de l’UE est en fait un gros avantage. Draghi se sentit capable de réaliser sa promesse de faire "tout ce qu’il faut" en juillet 2012, pour mettre un terme à la panique, seulement après l’avoir remporté face à la Chancelière allemande Angela Merkel. De plus, la BCE est sûrement excessivement indépendante : étant donné sa brutalisation des gouvernements d’Irlande et d’Europe du sud durant la crise, ce ne serait pas forcément une mauvaise chose qu’elle fasse preuve d’une plus grande déférence à l’égard de la politique.

Le manque de formation de Lagarde en économie formelle ne doit pas non plus être un problème. La même accusation lui avait été lancée quand elle prit la succession au FMI en 2011 d’un Dominique Strauss-Kahn tombé en disgrâce, pourtant elle montra que les sceptiques avaient tort. Surtout, Lagarde est à la fois brillante et elle en sait assez à propos de l’économie pour évaluer des arguments en concurrence, saisir les bons conseils et prendre de bonnes décisions. Durant son mandat au Fonds, elle a sagement écouté un brillant panel d’économistes : Olivier Blanchard, Maurice Obstfeld et Gita Gopinath. A la BCE, elle va être bien conseillée par son économiste en chef, Philip Lane.

La flexibilité de Lagarde et son ouverture d’esprit à l’égard de façons différentes de penser contrastent nettement avec la rigidité et la fermeture d’esprit des responsables de politique dogmatiques comme Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, l’un de ses rivaux à la présidence de la BCE. Weidmann, un économiste monétaire, s’est erronément opposé à la politique "whatever it takes" de Draghi et son opérationnalisation à travers le programme OMT, aussi bien qu’au lancement de l’assouplissement quantitatif en 2015. Lagarde, au FMI, a soutenu les deux.

Certes, le manque d’expérience directe de Lagarde en matière de politique monétaire est une faiblesse. Jay Powell, le président de la Réserve fédérale américaine, est certes un autre juriste, mais il a eu une expérience de cinq ans au conseil des gouverneurs de la Fed avant d’en avoir la présidence. Mais comme elle le montra au FMI, elle a rapidement maîtrisé ses dossiers et elle dispose maintenant d’une fine compréhension de la politique économique internationale. Et à une époque où la politique monétaire nécessite désespérément une refonte, cela peut aider de ne pas avoir de préconceptions.

Après tout, le prochain président de la BCE fera face à de gros défis. La BCE a échoué à atteindre sa cible d’inflation inférieure à, mais proche de, 2 %, même quand l’économie de la zone euro était en pleine expansion. Et maintenant que la zone euro s’essouffle et qu’elle est vulnérable au ralentissement de la Chine, aux guerres commerciales du Président américain Donald Trump et à un Brexit sans accord, il y a peu de marge pour davantage de relance. Les taux directeurs sont proches de zéro ou légèrement négatifs et, dans le cadre de ses règles actuelles, la BCE a peu de marge pour un supplément d’assouplissement quantitatif (…). Des politiques plus audacieuses, telles que le ciblage des rendements obligataires de long terme ou même l’utilisation de la monnaie-hélicoptère, restent légalement complexes et politiquement tabous. Dans cet environnement, avec comme principal défi pour la politique monétaire une inflation excessivement faible, une réflexion nouvelle est nécessaire pour considérer les cibles, les outils et les tabous de la BCE. Lagarde est plus ouverte d’esprit que beaucoup.

Plus largement, l’architecture interne de la zone euro reste incomplète et son rôle externe est inadéquat. Son union bancaire incomplète n’a pas rompu les liens entre banques et gouvernements qui ont été à deux doigts de détruire l’euro. De plus, la zone euro manque d’un actif sûr commun qui assurerait la stabilité du système financier, stimulerait l’efficacité de la politique monétaire et fournirait une alternative au dollar, dont le statut mondial privilégié est remis en cause par Trump.

La nomination de Lagarde est un véritable bol d’air frais pour une BCE vieillissante, dominée par les hommes. Draghi semble difficilement remplaçable, mais Lagarde a ce qu’il faut pour réussir. Elle doit être courageuse. »


Philippe Legrain, « Lagarde Is the right choice », 4 juillet 2019. Traduit par Martin Anota

mercredi 10 juillet 2019

Christine Lagarde prend la présidence de la BCE à un moment périlleux pour l’économie mondiale



« Il a été annoncé la semaine dernière que Christine Lagarde quitterait son poste de directrice générale du Fonds monétaire international pour devenir présidente de la Banque centrale européenne, ce qui constitue peut-être le changement le plus important en matière de leadership dans le système financier international depuis plusieurs décennies. Dans un contexte où les Etats-Unis ne veulent plus assumer leurs responsabilités systémiques et se focalisent sur leurs seuls intérêts commerciaux, le rôle que jouait Lagarde et celui qu’elle s’apprête à endosser sont d’une importance capitale.

Lagarde, à la différence de bien d’autres noms qui avaient été avancés pour la présidence de la BCE, s’accorde bien plus naturellement avec le groupe de dirigeants européens qui se rencontrent régulièrement à Bruxelles qu’avec le groupe de banquiers centraux qui se rencontrent à Bâle, en Suisse. C’est le reflet de son extraordinaire présence, de ses compétences politiques et de son expérience avec les affaires européennes. C’est aussi une conséquence du fait que, à la différence de la plupart des autres banquiers centraux, elle n’est ni une économiste, ni une technocrate de la finance.

Les atouts de Lagarde sont ceux qu’il nous faut aujourd’hui. Le plus grand risque qu’encourent la zone euro et la contribution de l’Europe à l’économie mondiale est la persistance de la croyance que la BCE, agissant indépendamment, peut stabiliser l’économie européenne. Au FMI, Lagarde a montré sa volonté d’affirmer que les doctrines de l’austérité, qui étaient peut-être appropriées à une époque inflationniste à forts taux d’intérêt, ne le sont pas à une époque où les marchés croient que les banques centrales ne réussiront pas à suffisamment stimuler l’inflation pour la maintenir à 2 %, même après une décennie. Pour que l’économie européenne réalise de bonnes performances économiques ces prochaines années, il faut accepter l’idée que la politique monétaire ne suffit pas pour stimuler la demande globale.

Outre de bons choix en matière de politique macroéconomique, le succès de la BCE nécessitera de mettre en place de nouvelles réformes institutionnelles pour consolider la réglementation bancaire et les interventions d’urgence en Europe et permettre l’émission d’une dette adossée sur toute l’Europe. Il y a de profonds désaccords sur ces questions en Europe, si bien qu’il faut la stature et l’agilité politiques d’une personne comme Lagarde, et non simplement des explications techniques, pour pouvoir aller de l’avant.

L’actuel président de la BCE, Mario Draghi, a sauvé l’euro avec sa fameuse promesse de faire "tout ce qu’il faut" (whatever it takes). A l’avenir, cependant, une telle promesse ne suffira peut-être pas, à moins que la BCE puisse aussi persuader les gouvernements de faire tout ce qui est nécessaire. En outre, il faut prendre conscience que le recours exclusif à la politique monétaire pour soutenir l’économie européenne se traduira probablement par un faible euro, ce qui exacerbera les tensions commerciales internationales. Donc, il serait opportun que la BCE ait un leadership robuste, politiquement crédible.

Que dire du FMI que quitte Lagarde ? La bonne nouvelle, c’est que, sous son habile direction, le FMI apparaît moins aux yeux des gens à travers le monde comme un sévère prêcheur d’austérité agissant dans l’intérêt des seuls argentiers et qu’il a su gagner la confiance sur un vaste éventail de problèmes touchant les gens normaux. Outre son soutien envers de plus larges déficits publics et la relance budgétaire quand c’est approprié, le FMI de Lagarde a réussi à promouvoir les allègements de dette publique nécessaires, la coopération dans la collection d’impôts auprès des multinationales, des mesures pour réduire les inégalités et une restriction des subventions qui favorisaient les émissions de gaz à effet de serre.

Le successeur de Lagarde devra bâtir sur toutes ces avancées pour minimiser les risques d’une récession catastrophique. Entre autres, cela exige de renforcer la surveillance financière comme le prêt risqué s’accroît à mesure que l’expansion économique se poursuit, de se focaliser sur les politiques nationales pour maintenir adéquatement la demande globale, de s’assurer que le FMI a les ressources adéquates pour gérer les crises des pays émergents qui éclateront tôt ou tard et de porter la torche pour la collaboration dans le maintien du commerce mondial et la coopération économique internationale à une époque où plus personne d’autre n’a la capacité et la volonté d’avoir une vision mondiale.

Le leadership en matière de politique financière a quelque chose en commun avec l’administration de l’euthanasie. Il n’est pas remarqué lorsqu’il est bien mené. Mais quand il est mal fait, les conséquences peuvent être catastrophiques. Entre les pressions populistes croissantes, les faibles taux d’intérêt et le risque de trappe à liquidité, les Etats-Unis qui refusent le leadership et une expansion économique qui vieillit, c’est un moment périlleux qui nécessitera un leadership financier confiant et compétent. Nous devons espérer que Christine Lagarde à la BCE et son remplaçant au FMI, quel qu’il soit, le fourniront. »

Lawrence Summers, « Christine Lagarde enters the European Central Bank at a perilous moment ». Traduit par Martin Anota



Aller plus loin…

« Larry Summers et la stagnation séculaire »

« Les taux neutres, la stagnation séculaire et le rôle de la politique budgétaire »

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