« (…) Alors que seulement une fraction des nouveaux cas requiert une hospitalisation, les admissions quotidiennes peuvent dépasser les capacités hospitalières. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Italie et en Espagne ; c’est ce qui s’est passé à Wuhan. (…) L’incapacité des hôpitaux à faire face se traduit par de tragiques conséquences. Incapables de fournir les soins dont les gens ont besoin pour survivre, les hôpitaux surchargés ne peuvent sauver des gens qu’ils auraient pu sauver si l’infection se propageait plus lentement. Réduire le taux d’infection est donc une question de vie ou de mort. (…)

Puisque nous ne disposons pas des outils du vingt-et-unième siècle pour contenir la contagion du COVID-19, on ne peut réduire les infections qu’en isolant les gens infectés des gens non infectés. Etant donné le manque de testing en Europe et aux Etats-Unis, la seule façon de séparer les malades des bien-portants est de séparer tout le monde. Et cela produit une récession. Bref, la récession est une mesure de santé publique. Cela lie les aspects médicaux et économiques de la crise, créant le problème des "deux courbes".

Le problème des deux courbes


Parce que le COVID-19 est une maladie très contagieuse, mais pas particulièrement mortelle, la maladie en soi aurait provoqué un ralentissement, mais probablement pas un fort ralentissement. L’essentiel de la récession à venir est provoqué par les mesures de santé publique adoptées par les autorités pour réduire le désastre humain dans les hôpitaux. Les gouvernements empêchent les travailleurs d’aller travailler (renforçant la récession du côté de l’offre) et les consommateurs de consommer (renforçant la récession du côté de la demande). La récession, en d’autres termes, est intentionnelle et inévitable. Ce qui n’est pas inévitable, ce sont les dommages à long terme que les politiques de confinement font à l’économie. Elles ont imposé un "arrêt brutal" à la production, à la consommation et à l’investissement et elles nuisent à l’économie de telle sorte qu’elle va augmenter la durée et la sévérité de la récession au-delà de ce qui est nécessaire pour des raisons purement médicales. Heureusement, les gouvernements réagissent de façon à protéger leur économie de ces dommages à long terme. (…)

Considérez les choses ainsi. Chaque week-end, la production de la plupart des biens et services s’écroule, si bien que la mesure du PIB du côté de la production chute. Cela n’inquiète personne, puisque le lundi matin, tous les emplois sont toujours là. Toutes les entreprises sont toujours en activité. Tous les réseaux et infrastructures dont nécessitent les économies modernes sont toujours en place. Les travailleurs reviennent, la production repart.

Dans le meilleur des scénarii, c’est ce à quoi ressemble la crise économique associée au coronavirus. La production chute puisque les travailleurs sont écartés du travail. Mais une fois que la crise médicale est passée, la production va reprendre, puisque tous les emplois, toutes les entreprises et tous les réseaux sont toujours là. Le but est de "garder la lumière allumée", comme j’ai déjà pu le dire.

Beaucoup de commentateurs parlent de « plans de sauvetage », mais on devrait plutôt parler de "plans de protection". Ils doivent protéger les emplois, les entreprises, les banques et les réseaux. En outre, ils doivent inspirer la confiance que l’économie retournera à la normale. Et ils doivent protéger les citoyens économiquement vulnérables. (…) "Eteindre une économie, ce n’est pas comme appuyer une économie. Cela s’apparente davantage à éteindre un réacteur nucléaire. Vous devez le faire lentement et soigneusement, sinon il risque d’entrer en fusion", comme le dit John Cochrane (2020). (…)

L’offre compte aussi ! Dépenses, production et prix


Le PIB est une mesure du revenu d’une nation et une mesure de sa production, et ce en même temps. Pour une question de logique et d’identités comptables, revenu et production doivent être égaux. Non sans heurts, les ajustements des prix et quantités vont les maintenir synchronisés. Le graphique 4 illustre cette idée avec un diagramme de flux circulaires très simplifié avec un côté réel. Le circuit intérieur (en jaune) montre le travail allant des ménages aux entreprises et les biens et services produits par les entreprises vers les ménages. Le circuit extérieur (en gris) montre le côté monétaire : il représente les flux de revenus et de dépenses.

GRAPHIQUE 4 S les dépenses circulaires augmentent et la production circulaire diminue, il peut y avoir de l’inflation

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L’épidémie de coronavirus et les politiques de confinement ont directement et massivement réduit le flux de travailleurs à la disposition des entreprises. En conséquence, il y a une réduction soudaine et massive de la production de biens et services. Tous les biens et services ne sont pas affectés de la même façon (et cela va faire une grande différence, comme on le verra ci-dessous), mais pour l’instant, simplifions pour clarifier le propos et notons que le montant de la production réelle chute.

Les gigantesques plans de relance adoptés par les gouvernements stimulent les dépenses ou, plus précisément, visent à contenir la baisse des dépenses. Les gigantesques politiques de confinement réduisent la production. A très court terme, les pays développés, ouverts, ont assez de mou et de stocks pour permettre à l’offre et à la demande de s’ajuster sans gros changements des prix. Mais que va-t-il se passer dans un ou deux mois ? Quand les stocks s’épuiseront, le système des prix va ajuster l'offre déprimée et la demande stimulée comme il le fait habituellement : les prix vont augmenter.

Je ne dis pas que la solution n’est pas de stimuler ; nous devons "garder les lumières allumées". Nous devons protéger les entreprises, les emplois et le système financier. Mais nous ne devons pas oublier l’offre cette fois, même si habituellement nous pouvons le faire. En temps normal, l’offre s'occupe d’elle-même. Ou, plus précisément, il y a une armée d’entrepreneurs et d’entreprises prêts à s’en occuper en échange d’un profit. Normalement, les entreprises désirent accroître leurs profits et sont capables d’honorer toute demande. Lors des récessions normales, le gros problème est une insuffisance de la demande globale. Cette fois, les choses sont différentes, parce que les politiques adoptées par le gouvernement (les politiques de confinement) provoquent la récession en affectant l’offre.

Quel message en tirer ? Réduire la production avec des politiques de confinement, tout en stimulant les dépenses via des plans de relance, est susceptible d’être inflationniste. Ce n’est pas totalement mauvais en ces temps déflationnistes, mais cela pourrait dégénérer comme lors des années soixante-dix.

L’offre relative importe aussi !


Les directives visant à généraliser le télétravail ont un impact biaisé sur la production de biens et de services. Plusieurs tâches de services peuvent être faites à distance, mais l’essentiel de la production de biens requiert une proximité sociale, pas une distanciation sociale. Si les confinements s’appliquaient à l’ensemble des emplois (et je vais affirmer ci-dessous que ce serait une mauvaise idée), il y aurait un déplacement de l’offre de biens relativement aux services. Cela risque probablement de se traduire par une hausse des prix relatifs des biens. Donc, la hausse des prix suggérée par le graphique 5 peut être particulièrement marquée quand elle concerne les biens.

GRAPHIQUE 5 Les déplacements de l’offre relative

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Cette analyse est trop simplifiée, bien sûr. Nous devons distinguer les biens durables des biens non durables ou encore les services en personne des services numériques, par exemple, mais le point fondamental demeure : les politiques de confinement vont changer les prix relatifs puisqu’elles modifient les offres relatives. Cela est illustré par le graphique 5, qui est une version du diagramme d’offre et de demandes relatives classique de Krugman-Obstfeld. Les politiques de confinement qui empêchent les gens de participer à la production vont se traduire par un déplacement sur la gauche de la courbe d’offre de biens relativement aux services. Si la demande relative de biens se maintient, voire augmente, il en résultera une hausse des prix relatifs des biens.

Dans la mesure où les gens ont besoin de certains biens pour survivre et où les hausses de prix ne sont pas populaires, les gouvernements peuvent chercher à relâcher politique de confinement. Les travailleurs de production peuvent en être exemptés, à condition qu’ils puissent recevoir un équipement pour réduire leur exposition au COVID-19.

Concilier la production d’un minimum de biens essentiels avec la justice


Le dernier point concernant l’offre est bien connu par les étudiants en économie de guerre. Une combinaison d’économie fondamentale et d’économie politique mène souvent à des pénuries, au contrôle des prix et à une production nationalisée (ou subventionnée).

Le graphique 6 aide à organiser la réflexion sur ce sujet. Ici, la courbe d’offre relative diffère de celle du graphique 5. L’offre relative est celle des biens essentiels relativement à celle des autres. Comme je l’ai dit, le maintien des travailleurs en dehors du travail déprime la production, en particulier la production de biens physiques puisqu’une telle production requiert la présence physique de travailleurs dans les usines et leur fourniture nécessite un bon approvisionnement en biens intermédiaires.

GRAPHIQUE 6 Le dilemme des biens essentiels : des prix plus élevés ou une moindre disponibilité

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La réduction subséquente de l’offre relative de biens essentiels est représentée sur le graphique par le déplacement de la courbe d’offre relative vers la droite (passage de la courbe en noir à la courbe en bleu). Les citoyens qui sont effrayés, du moins inquiets, sont susceptibles d’augmenter leur demande relative pour les biens essentiels, ce qui entraîne alors une hausse de la demande relative (la courbe de la demande se déplace sur la droite). Le marché pour les biens essentiels s’équilibre maintenant à un prix élevé et une moindre disponibilité. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire.

Les prix élevés pour les biens essentiels vont être perçus par les citoyens comme injustes, peut-être même inacceptables. L’Histoire a régulièrement montré que cette combinaison peut générer des forces politiques qui se traduisent par des contrôles des prix (pour contenir la hausse des prix) et des rationnements (pour allouer les biens rares).

Est-ce ce que nous allons voir ces prochains mois ? Ce n’est pas improbable, en particulier dans les pays où l’électorat est focalisé sur le social. Le rationnement, bien sûr, n’est pas la seule possibilité. Il y a plusieurs autres options. En fait, c’est fondamentalement une ouverture pour les enseignants d’économie en licence pour aborder la question de l’analyse des prix-plafonds, des quotas de production, des détails de divers schémas de rationnement, des coupons, du soutien au revenu, etc. (...) »

Richard Baldwin, « The supply side matters: Guns versus butter, COVID-style », in VoxEU.org, 22 mars 2020. Traduit par Martin Anota