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Tag - OCDE

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mercredi 30 novembre 2016

L’OCDE et son étrange révision procyclique des multiplicateurs budgétaires



« L’OCDE vient juste de publier son Global Economic Outlook de novembre 2016. Ses prévisions suggèrent une accélération des taux de croissance à travers le monde, en particulier dans les pays qui prévoient de mettre en œuvre une expansion budgétaire. Dans le cas des Etats-Unis, l’OCDE (qui s’appuie sur le programme de l’administration Trump) s’attend à une accélération de la croissance du PIB et estime que celle-ci devrait atteindre 3 % en 2018.

Je suis soulagé de voir que l’OCDE est plus ouverte à l’idée qu’une expansion budgétaire puisse être le bon choix en matière de politique économique dans un environnement de faible croissance économique. Je suis aussi très heureux de voir que l’OCDE soit prête à admettre l’idée que les multiplicateurs budgétaires soient plus larges que ce qu’elle pensait précédemment.

Mais je suis intrigué à l’idée que l’OCDE semble ignorer ses précédentes préconisations, particulièrement désastreuses, en matière de politique économique. Et je suis encore plus intrigué de constater qu’elle révise ses estimations des multiplicateurs budgétaires (en particulier pour les réductions d’impôts) au mauvais moment du cycle d’affaires, lorsque l’économie doit être plus proche de son plein emploi.

Voici l’histoire : en 2011, plusieurs pays développés ont abandonné la relance budgétaire pour embrasser l’austérité, alors même que leurs taux de croissance étaient faibles et leurs taux de chômage élevés. Au cours de ces années, l’OCDE semblait d’accord avec cette généralisation de l’austérité, au vu des niveaux élevés de dette publique (la consolidation budgétaire lui semblait nécessaire). Elle avait tout à fait conscience qu’il y avait certains effets négatifs sur la demande globale, mais comme elle supposait que les multiplicateurs étaient d’environ 0,5 (alors même que les économies étaient au cœur d’une crise avec d’énormes taux de chômage !), elle pensait que le coût de l’austérité ne serait pas très élevé.

Aujourd’hui, dans une économie où le taux de chômage est inférieur à 5 %, où la croissance des salaires et l’inflation retournent à des valeurs normales et où la banque centrale s’apprête à relever son taux d’intérêt, l’OCDE retourne sa veste et annonce qu’elle change ses estimations des multiplicateurs budgétaires pour les rapprocher de l’unité, alors même que les mesures budgétaires qui ont été annoncées consistent pour l’essentiel à réduire les impôts pour les ménages les plus aisés, c’est-à-dire ceux qui présentent la plus faible propension à consommer.

C’est ce que j’appellerais une révision procyclique des multiplicateurs budgétaires. Appeler à l’austérité budgétaire au milieu d’une crise économique et à la relance budgétaire en période d’expansion. C’est l’opposé de ce qui constitue la politique budgétaire optimale !

Et, bien sûr, les médias (notamment le Financial Times) ont présenté l’étude de l’OCDE comme validant les politiques de la nouvelle administration au pouvoir aux Etats-Unis. Je laisse pour un autre billet (plus long) l’absence de toute discussion sérieuse des risques associés à la présidence Trump. Cela me dérange tout particulièrement, de la part d’une organisation qui s’est montrée obsédée par les risques d’inflation et d’appréciation excessive des prix d’actifs durant la crise. »

Antonio Fatás, « The OECD procyclical revision of fiscal policy multipliers », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 9 août 2016. Traduit par Martin Anota

mercredi 10 décembre 2014

L’évolution des inégalités et son impact sur la croissance

« Au cours des 20 à 25 années qui ont précédé la crise économique mondiale, les revenus disponibles réels moyens des ménages se sont accrus dans les pays de l’OCDE, au rythme annuel moyen de 1,6 %. Cependant, dans les trois quarts des pays de l’OCDE, les revenus disponibles des 10 % des ménages les plus aisés ont augmenté plus rapidement que ceux des 10 % des ménages les plus pauvres, ce qui s’est traduit par un creusement des inégalités de revenu. Les différences de rythme de croissance du revenu que l’on a pu observer d’un groupe de ménages à l’autre dans la période d’avant-crise furent particulièrement prononcées dans les pays anglo-saxons, mais également en Israël, en Allemagne et en Suède. L’image n’est pas la même lorsque nous regardons la période d’après-crise (c’est-à-dire les années entre 2007 et 2011/2012), puisque le revenu réel moyen des ménages a stagné voire diminué dans la plupart des pays, en particulier en Espagne, en Irlande, en Islande et en Grèce, où il a reculé de plus de 3,5 % par an. Dans presque tous les pays où les revenus chutèrent, ceux des 10 % des ménages les plus pauvres chutèrent encore plus rapidement. De même, dans presque la moitié des pays où les revenus continuèrent de croître, les 10 % des ménages les plus aisés s’en sont mieux tirés que les 10 % les plus pauvres.

Pris ensemble, ces développements confirment la tendance à long terme d’un creusement des inégalités. A la veille de la crise, la plupart des pays de l’OCDE enregistrèrent des niveaux records d’inégalités de revenu. Aujourd’hui, le revenu moyen des 10 % des plus riches dans les pays de l’OCDE est environ 9,5 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres. Dans les années quatre-vingt, ce ratio était de 7. Cependant, le ratio varie fortement d’un pays de l’OCDE à l’autre. Il est plus faible que la moyenne de l’OCDE dans les pays nordiques et dans plusieurs pays d’Europe continentale, alors qu’il atteint 10 en Italie, au Japon, en Corée du Sud, au Portugal et au Royaume-Uni, et entre 13 et 16 en Grèce, en Israël, en Turquie et aux Etats-Unis, et entre 27 et 30 au Mexique et au Chili. Ces ratios ne présentent toutefois qu’une image partielle, puisqu’ils dépendent de seulement deux valeurs dans la répartition du revenu. Un indicateur plus synthétique, qui prend en compte l’ensemble de la distribution, est le coefficient de Gini. Cette mesure standard des inégalités qui est largement utilisée est comprise entre zéro (lorsque tout le monde a un revenu identique) et 1 (lorsque la totalité des revenus est captée par une seule personne). Le coefficient de Gini s’élevait en moyenne à 0,29 dans les pays de l’OCDE au cours des années quatre-vingt, mais il atteignait 0,32 en 2011/2012, ce qui correspond à une hausse de 3 points au cours de la période. Il s’est accru dans 17 des 22 pays de l’OCDE pour lesquels les données de long terme sont disponibles (cf. graphique 1). Il a augmenté de plus de 5 points en Finlande, en Israël, en Nouvelle Zélande, en Suède et aux Etats-Unis, tandis qu’il diminuait légèrement seulement en Grèce et en Turquie.

GRAPHIQUE 1 Coefficients de Gini des inégalités de revenu

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Les trajectoires et dynamiques des inégalités de revenu au cours du temps diffèrent d’un pays de l’OCDE à l’autre et d’une région à l’autre. Les inégalités de revenu ont commencé à croître à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt dans plusieurs pays anglo-saxons, notamment au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, mais aussi en Israël. A partir de la fin des années quatre-vingt, la hausse des inégalités de revenu s’est généralisée (cf. graphique 2). Durant les années quatre-vingt-dix et le début des années deux mille, les écarts se sont accrus entre les riches et les pauvres dans plusieurs pays ayant déjà de fortes inégalités, notamment en Israël et aux Etats-Unis, mais aussi, pour la première fois, dans des pays traditionnellement peu inégalitaires comme l’Allemagne et les pays nordiques. Le graphique 2 montre aussi qu’avec l’éclatement de la Grande Récession, la tendance à la hausse des inégalités de revenu net s’est stoppée dans plusieurs pays, voire s’est même légèrement inversée au cours des premières années de la crise. Cependant, depuis 2010 (voire même plus tôt dans certains pays), les inégalités sont de nouveau à la hausse.

GRAPHIQUE 2 Evolution du coefficient de Gini des inégalités de revenu dans une sélection de pays de l’OCDE

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Au cours des dernières décennies, beaucoup d’analyses théoriques et empiriques ont cherché à déterminer si les inégalités étaient bonnes ou mauvaises pour la croissance. Les travaux théoriques ont identifié plusieurs mécanismes soutenant chacune de ces possibilités, tandis qu’une large littérature empirique a cherché à mettre en concurrence ces deux possibilités, sans pour autant se révéler concluante. (…) Les théories prédisent que les inégalités peuvent affecter la croissance économique aussi bien positivement que négativement. Un creusement des inégalités est susceptible de freiner la croissance si … :

  • ... si le creusement des inégalités apparaît inacceptable pour les électeurs, au point qu’ils réclament un alourdissement de la fiscalité et un renforcement de la réglementation (…), ce qui réduit les incitations à investir (Nous qualifierons cette vue de théorie de la "politique budgétaire endogène"…). Dans les cas extrêmes, les inégalités peuvent entraîner de l’instabilité politique et des désordres sociaux, ce qui nuirait à la croissance.

  • ... en présence d’imperfections sur les marchés financiers, car la capacité d’investir des individus dépendrait alors de leur niveaux de revenu ou de richesse. Dans ce cas, les pauvres peuvent ne pas être capables de réaliser un quelconque investissement qui leur soit rentable. Par exemple, les ménages à faible revenu peuvent choisir d’abandonner l’éducation à temps plein, s’ils ne peuvent en payer les frais, et ce même si le taux de rendement est élevé (que ce soit pour les individus pris isolément ou bien pour la société dans son ensemble). Un sous-investissement de la part des pauvres implique à son tour que la production agrégée sera plus faible que si les marchés financiers avaient été parfaits. Nous qualifierons cette vue (…) de théorie "d’accumulation du capital humain". (…) L’idée selon laquelle un creusement des inégalités est susceptible d’entraîner un sous-investissement en capital humain de la part des plus pauvres dans une société est à l’origine de nombreuses études sur les conséquences des inégalités sur la mobilité sociale et l’allocation des talents entre les différentes professions.

  • ... si l’adoption des technologies avancées dépend d’un minimum critique de demande domestique. (…)

D’un autre côté, un creusement des inégalités est susceptible de stimuler la croissance économique si :

  • le creusement des inégalités génère des incitations à davantage travailler, à davantage investir et à davantage prendre de risques pour tirer avantage des taux de rendements élevés. Par exemple, si une population éduquée est bien plus productive, alors de larges écarts dans les taux de rendement peuvent encourager plus de gens à s’éduquer.

  • le creusement des inégalités génère un surcroît d’épargne, ce qui stimule l’accumulation du capital, car les riches ont une moindre propension à consommer que les pauvres. (...)


Les données empiriques suggèrent que les inégalités ont un impact négatif sur la croissance économique. (…) L’impact des inégalités sur la croissance s’avère significatif. (…) La hausse des inégalités correspondant à 1 point de Gini se traduirait par une baisse de la croissance cumulative de 0,8 point de pourcentage au cours des 5 années suivantes (ou 0,15 point par an). (…) Interpréter les coefficients estimés à la lumière du modèle de Solow permet de retrouver l’impact de l’évolution des inégalités à long terme, comme l’économie converge alors vers un nouvel état régulier. Lorsqu’on se focalise sur un horizon de 25 ans par exemple, les coefficients estimés suggèrent qu’une hausse des inégalités équivalente à 1 point de Gini se traduit par un ralentissement de la croissance moyenne d’environ 0,1 point de pourcentage par an, avec une perte cumulative représentant 3 % du PIB en fin de période.

GRAPHIQUE 3 Estimations des conséquences de l’évolution des inégalités sur la croissance cumulative du PIB par tête

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Le graphique 3 propose une représentation alternative de l’impact des inégalités qui se focalise sur l’évolution observée des inégalités dans chaque pays pris isolément. Le graphique montre l’impact estimé de l’évolution des inégalités observée entre 1985 et 2005 sur le taux de croissance du PIB entre 1990 et 2010 (…). Pour chaque pays, il représente aussi le taux de croissance observé et le taux de croissance contrefactuel que l’on obtient en soustrayant l’impact des inégalités sur la croissance. On peut interpréter ce dernier chiffre comme le taux de croissance qui aurait été observé dans le pays si les inégalités n’avaient pas changé (et en maintenant toutes les autres variables constantes). Les estimations suggèrent que l’accroissement des inégalités a amputé plus de 10 points de pourcentage à la croissance au Mexique et en Nouvelle-Zélande. Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Suède, en Finlande et en Norvège, le taux de croissance aurait été supérieur d’environ 20 % si les écarts de revenu ne s’étaient pas creusés. D’un autre côté, la réduction des inégalités a contribué à accroître le PIB par tête en Espagne, en France et en Irlande avant la crise. (...)

L’une des prédictions de certaines théories à propos de l’impact des inégalités sur la croissance est que cet impact pourrait être non linéaire. Certaines théories de l’économie politique et de l’instabilité sociopolitique auxquelles j'ai fait référence ci-dessus suggèrent que si les inégalités peuvent ne pas provoquer de conflits, mais fournir des incitations favorables à la croissance tant qu’elles n’atteignent pas un certain seuil, elles peuvent par contre nuire à l’activité économique si elles excèdent ce point tournant (…). On peut trouver un argument assez similaire à propos de l’investissement dans l’éducation par exemple. En pratique, on ne décèle pas une telle non-linéarité : lorsque le coefficient de Gini passe de 20 à 21, l’impact de la hausse des inégalités sur la croissance apparaît similaire à celui qui serait observé si le coefficient de Gini passe de 40 à 41. Les données ne suggèrent pas non plus que l’impact à court terme soit différent de celui sur le long terme. »

Federico Cingano, « Trends in Income Inequality and its impact on economic growth », OCDE, social, Employment and migration working paper, n° 163, décembre 2014. Traduit par Martin Anota



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