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Tag - multiplicateur

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vendredi 4 janvier 2013

Les erreurs de prévision de croissance et les multiplicateurs budgétaires

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« Comme plusieurs économies ont multiplié les efforts pour assainir leurs finances publiques, il y a eu un intense débat sur la taille des multiplicateurs budgétaires. Parallèlement, l'activité s’est révélée décevante dans plusieurs pays ayant pris des mesures d’austérité. Il est alors naturel de se demander si les prévisionnistes n’auraient pas sous-estimé les multiplicateurs budgétaires, c'est-à-dire les effets que la réduction des dépenses publiques ou les hausses d'impôts peuvent avoir à court terme sur l'activité économique.

Dans un encadré publié dans le World Economic Outlook (WEO; FMI, 2012), nous nous sommes focalisés sur cette question en régressant l'erreur de prévision de croissance du PIB réel sur les prévisions de la consolidation budgétaire. En présence d’anticipations rationnelles et en supposant que les prévisionnistes aient utilisé le bon modèle de prévision, le coefficient de la prévision de consolidation budgétaire devrait être nul. Si, d'autre part, les prévisionnistes sous-estimèrent les multiplicateurs budgétaires, il devrait y avoir une relation négative entre les prévisions de consolidation budgétaire et les erreurs ultérieures de prévision de croissance. En d'autres termes, dans ce dernier cas, les révisions de croissance devraient être plus importantes dans les économies qui ont opéré les plus amples compressions budgétaires. C'est ce que nous avons trouvé.

Dans l’encadré publié en octobre, nous nous sommes concentrés principalement sur les prévisions relatives aux économies européennes pour le début de l’année 2010. La raison est simple : plusieurs gouvernements, en particulier en Europe, avaient alors annoncé d’importantes mesures d’austérité étalées sur plusieurs années et les conditions étaient réunies pour que les multiplicateurs soient plus larges qu’en temps normal.

  • Premièrement, en raison de la contrainte de la borne inférieure zéro sur les taux d'intérêt nominaux, les banques centrales ne peuvent pas baisser davantage leurs taux pour compenser les répercussions négatives qu’une consolidation budgétaire peut avoir à court terme sur l'activité économique. Christiano, Eichenbaum et Rebelo (2011) ont montré, à l'aide d'un modèle dynamique stochastique d’équilibre général (DSGE), que dans de telles conditions, les multiplicateurs budgétaires peuvent dépasser 3. Puisque les épisodes caractérisés par une limite inférieure zéro (aussi appelés épisodes de « trappe à liquidité ») ont été rares au cours de l’histoire, seules quelques études empiriques ont étudié les multiplicateurs budgétaires dans de telles conditions. A partir de données relatives à 27 pays au cours des années trente (une période au cours de laquelle les taux d'intérêt étaient à leur limite inférieure zéro ou proches de celle-ci), Almunia et ses coauteurs (2010) ont conclu que les multiplicateurs budgétaires étaient d'environ 1,6.

  • Deuxièmement, quand la production et le revenu diminuent alors même que le système financier s’avère dysfonctionnel, la consommation peut dépendre davantage des revenus courants que futurs et l'investissement peut dépendre davantage des profits courants que futurs, or ces deux effets entraînent de plus larges multiplicateurs (Eggertsson et Krugman, 2012).

  • Troisièmement, et en accord avec certains des mécanismes décrits ci-dessus, de nombreuses études empiriques ont montré que les multiplicateurs budgétaires sont susceptibles d'être plus larges lorsque l’activité économique est très déprimée. A partir de données américaines, Auerbach et Gorodnichenko (2012) ont constaté que les multiplicateurs budgétaires liés aux dépenses gouvernementales sont compris entre zéro en temps normal et environ 2,5 en période de récession. Si les multiplicateurs budgétaires sont plus larges qu’en temps normal et que les projections de croissance supposent implicitement que les multiplicateurs sont les mêmes qu’en temps normal, alors des erreurs de prévision de croissance doivent être systématiquement corrélées avec les prévisions de consolidation budgétaire.


Notre encadré du mois d’octobre 2012 a généré de nombreux commentaires, critiques et suggestions. Dans cet article, nous revoyons notre méthodologie, nos résultats, examinons leur robustesse et envisageons un certain nombre d'extensions. (...) Nos résultats suggèrent que les multiplicateurs budgétaires ont été effectivement plus importants que ce que supposèrent les prévisionnistes. Mais quelles étaient leurs hypothèses ? Il n’est pas simple de répondre à cette question, car les prévisionnistes utilisent des modèles dans lesquels les multiplicateurs budgétaires sont implicites et dépendent de la composition de l'ajustement budgétaire et de d'autres conditions économiques.

(…) Il est cependant raisonnable de penser que les multiplicateurs utilisés au début de la crise étaient en moyenne à environ 0,5. Certaines études basées sur des données d'avant-crise pour les économies avancées font état de multiplicateurs d'environ 0,5 et il est plausible que les prévisionnistes, en moyenne, firent des hypothèses cohérentes avec ce chiffre. Le chapitre sur la politique budgétaire du WEO du mois d’octobre 2008 présente des estimations de multiplicateurs pour 21 économies avancées au cours de la période s’étalant de 1970 à 2007 qui s’élèvent en moyenne à 0,5 sur trois ans (FMI, 2008, p. 177). De même, le chapitre sur la consolidation budgétaire du WEO du mois d’octobre 2010 (FMI, 2010), présente des estimations des multiplicateurs pour 15 économies avancées pour la période s’étalant de 1979 à 2009 qui s’élèvent en moyenne à 0,5 sur deux ans. Cela (…) impliquerait que les multiplicateurs hypothétiques d’avant-crise étaient d'environ 0,5. La note du FMI du mois de mars 2009 (…) contient une évaluation de l'impact sur la croissance de l'expansion budgétaire opérée entre 2008 et 2010 qui supposait des multiplicateurs compris entre 0,3 et 0,5 pour les recettes publiques et entre 0,3 et 1,8 pour les dépenses publiques (FMI, 2009, p. 32).

(…) Cela suggère que les multiplicateurs étaient effectivement largement supérieurs à 1 au début de la crise. Le fait que nous trouvions un coefficient plus faible lors des prévisions réalisées en 2011 et 2012 pourrait refléter de plus petits multiplicateurs effectifs ou un apprentissage partiel de la part des prévisionnistes en ce qui concerne les répercussions de la politique budgétaire. Malgré la persistance de la borne inférieure zéro, une diminution de la taille effective des multiplicateurs pourrait refléter un assouplissement des contraintes de crédit auxquelles font face les entreprises et les ménages, ainsi que l’activité dans plusieurs économies soit plus forte qu’en 2009-2010.

Cependant, nos résultats doivent être interprétés avec prudence. (…) Il n'y a pas un seul multiplicateur en tout temps et pour tous les pays. Les multiplicateurs peuvent être plus ou moins élevés au cours du temps et d’une économie à l’autre. Dans certains cas, des effets de confiance peuvent partiellement compenser les effets directs. Puisque les économies connaissent une reprise et quittent la trappe à liquidité, les multiplicateurs sont susceptibles de revenir à leurs niveaux d'avant-crise. Néanmoins, il semble prudent pour le moment, lorsque l’on pense à la consolidation budgétaire, de supposer que les multiplicateurs sont plus élevés qu'avant-crise. (…)

Les résultats ne signifient pas que la consolidation budgétaire n'est pas souhaitable. Pratiquement toutes les économies avancées doivent relever le défi de l'ajustement budgétaire en réponse aux niveaux élevés d’endettement public et aux pressions que l'évolution démographique exercera à l’avenir sur les finances publiques. Les effets que la politique budgétaire exerce à court terme sur l'activité économique ne sont qu'un facteur parmi d’autres qui doivent être pris en compte pour déterminer le rythme approprié de consolidation budgétaire pour un pays donné. »

Olivier Blanchard et Daniel Leigh, « Growth forecast errors and fiscal multipliers », FMI, working paper, n° 2013/1, janvier 2013.

aller plus loin… lire « Retour sur l’efficacité des multiplicateurs budgétaires », « L’austérité est-elle vouée à l’échec ? » et « Krugman, Fisher et Minsky »

mardi 23 octobre 2012

Mesurer le multiplicateur budgétaire

« Le FMI a fait la une et bouleversé les décideurs politiques au début du mois lorsqu’il publia une analyse qui conclut que, à partir de 2009, le multiplicateur de la politique budgétaire a en fait été considérablement plus large qu’on ne le supposait précédemment. Les nouvelles estimations du Fond, qui vont de 0,9 à 1,7, suggèrent que les politiques européennes d’austérité sont en fait directement responsables du fait que les récessions sur le continent aient été bien plus sévères qu’on ne s'y attendait initialement.

Nous avons observé l’expérience de 27 pays dans les années trente, une période où les taux d’intérêt furent proches de leur niveau inférieur zéro et où les conditions monétaires s’apparentaient à celles actuelles (…). Nos résultats s’écartent de la littérature historique antérieure. (…) Il est fréquemment dit (…) que la politique budgétaire ne fonctionna pas dans les années trente car elle ne fut pas tentée. En fait, elle le fût, au Japon, en Italie et en Allemagne, pour des motifs de réarmement et militaires, et même aux Etats-Unis (…).

Nous analysons la taille des multiplicateurs budgétaires de diverses manières. Premièrement, nous estimons des régressions vectorielles de panel, (…). Nous trouvons que les multiplicateurs associés aux dépenses de défense au cours des années trente s’élèvent à 2,5 lors de l’impact et à 1,2 lors des années suivantes. Deuxièmement, nous estimons la réponse du PIB aux dépenses publiques en utilisant un panel de données annuelles et les dépenses de défense comme un instrument de la politique budgétaire. (…) En utilisant cette approche, notre estimation du multiplicateur est de 1,6 (…).

Ces estimations, basées sur les données des années trente, sont à l’extrémité supérieure de celles trouvées par la littérature antérieure, ce qui cohérent avec l’idée que le multiplicateur va être plus élevé quand les taux d’intérêt ne répondent pas à l’impulsion budgétaire, soit parce qu’ils sont à leur limite inférieure zéro, soit pour toute autre raison. (…) Nous suspectons que les décideurs publics européens, qui se montrent choqués et outrés par la découverte du FMI, ont été (…) conscientes de ce qui se passe “ici”, bien avant que le FMI n’attitra l’attention du monde. La question maintenant est s’(…) ils sont désormais prêts à traduire cette prise de conscience en action. »

Barry Eichengreen & Kevin H O’Rourke, « Gauging the multiplier: Lessons from history », in VoxEU.org, 23 octobre 2012.

dimanche 21 octobre 2012

Les différentes approches de l’austérité

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« Dans de nombreux pays (Irlande, Espagne et Royaume-Uni), l’austérité se concentre du côté des dépenses publiques. Dans quelques uns (par exemple les Etats-Unis), elle est plus équilibrée, tandis que dans un nombre encore plus restreint de pays (la France en particulier), elle prend davantage la forme de hausses d’impôts qu’une baisse des dépenses. (…).

Si ces mesures sont permanentes, alors ceci est en grande partie une question politique à propos de la taille de l’Etat. La hausse d’impôts protège la taille existante de l’Etat (…), tandis que la baisse des dépenses vise à réduire la taille de l’Etat. En termes d’impact à court terme sur la demande (…), un changement permanent dans la fiscalité ou les dépenses va avoir des effets similaires.

D’un autre côté, si ces mesures sont temporaires, alors leur impact en termes macroéconomiques ne sera pas le même, parce que les multiplicateurs sont différents. (…) Les multiplicateurs pour les baisses de dépenses vont être significativement plus élevés que ceux associés aux hausses d’impôts. (…) Les consommateurs vont amortir l’impact des changements de revenus dus aux hausses d’impôts, tandis que les baisses de dépenses publiques vont directement réduire la demande globale. (…)

Ces mesures d’austérité sont-elles temporaires ou permanentes ? Normalement les gouvernements ne le précisent pas. Une exception est la mesure très remarquée des plans d’austérité français, en l’occurrence l’introduction pour deux ans d’un taux marginal d’imposition de 75 % pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros. (…) C’est un groupe où les répercussions des hausses d’impôts sur la consommation vont être largement amorties (ce qui est une bonne chose), mais où les effets incitatives sont le sujet de débats qui semblent davantage idéologiques que basés sur l’évidence empirique. (…)

Il semble qu’une bonne partie des plans d’austérité actuels implique des changements budgétaires temporaires (…). Pour des pays comme le Royaume-Uni, qui se sont focalisés sur la baisse des dépenses publiques, les effets sur le PIB vont être relativement larges, tandis que pour les pays comme la France l’impact de l’austérité peut être plus modéré (bien que toujours inopportun). »

Simon Wren-Lewis, « Different approaches to austerity », in Mainly Macro (blog), 20 octobre 2012.