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lundi 11 octobre 2021

Card, Angrist et Imbens, ou comment les expériences naturelles peuvent aider à répondre à d’importantes questions

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« Les lauréats de cette année, David Card, Joshua Angrist et Guido Imbens, ont montré que les expériences naturelles peuvent être utilisées pour répondre à d’importantes questions de société, par exemple pour savoir comment le salaire minimum et l’immigration peuvent affecter le marché du travail. Ils ont aussi clarifié quelles conclusions à propos de la cause et de l’effet peuvent être tirées lorsque l'on utilise cette approche. Ensemble, ils ont révolutionné la recherche empirique dans les sciences économiques…

Pour prendre les bonnes décisions, nous devons comprendre les conséquences de nos choix. Cela s’applique aussi bien aux individus qu’aux responsables de la politique publique : les jeunes qui prennent leurs décisions en matière de poursuite d’études veulent savoir comment celles-ci affecteront leur revenu futur ; les politiciens considérant un éventail de réformes veulent savoir comment celles-ci affecteront l’emploi et la répartition du revenu, par exemple. Cependant, répondre à de grandes questions à propos de la cause et de l’effet n’est pas facile, parce que nous ne saurons jamais ce qui se serait passé si nous avions fait un choix différent.

Une façon d’établir une causalité est d’utiliser des expériences randomisées, où les chercheurs répartissent les individus à des groupes de contrôle de façon aléatoire. Cette méthode est utilisée pour étudier l’efficacité de nouveaux médicaments, parmi d’autres choses, mais elle n’est pas adaptée pour étudier plusieurs questions de société. Par exemple, nous ne pouvons pas réaliser une expérience aléatoire déterminant qui ira à l’université et qui n’y ira pas.

Malgré ces problèmes, les lauréats de cette année ont montré qu’il était possible de répondre à plusieurs des grandes questions de société. Leur solution consiste à utiliser des expériences naturelles, c’est-à-dire des situations survenant dans la vraie vie qui ressemblent à des expériences randomisées. Ces expériences naturelles peuvent résulter de variations naturelles aléatoires, de règles institutionnelles ou de changements de politique publique. Dans un travail pionnier au début des années 1990, David Card a analysé certaines questions centrales en économie du travail (telles que les effets d’un salaire minimum, de l’immigration et de l’éducation) en utilisant cette approche. Les résultats de ces études ont remis en cause la croyance conventionnelle et suscité de nouveaux travaux, auxquels Card a continué d’apporter d’importantes contributions. Globalement, nous avons à présent une bien meilleure compréhension du fonctionnement du marché du travail qu’il y a trente ans.

Les expériences naturelles diffèrent des essais cliniques sur un point important. Dans un essai clinique, le chercheur a le contrôle total sur l’identité des personnes qui se voient proposer un traitement et est ainsi susceptible de le recevoir (le groupe de traitement) et sur celle des personnes qui ne se voient pas proposer le traitement et qui ne le reçoivent pas par conséquent (le groupe de contrôle). Dans une expérience naturelle, le chercheur a aussi accès aux données du traitement et des groupes de contrôle, mais, à la différence d’un essai clinique, les individus peuvent eux-mêmes avoir choisi s’ils veulent participer à l’intervention qui est proposée. Cela rend encore plus difficile d’interpréter les résultats d’une expérience naturelle. Dans une étude innovante de 1994, Joshua Angrist et Guido Imbens ont montré quelles conclusions à propos de la causalité peuvent être tirées d’expériences naturelles dans lesquelles les gens ne peuvent être forcés de participer au programme qui est étudié (ni interdits de le faire). Le cadre qu’ils ont créé a radicalement changé la façon par laquelle les chercheurs s’attaquent aux questions empiriques en utilisant les données d’expériences naturelles ou d’expériences de terrain randomisées.

Un exemple d’expérience naturelle


Prenons un exemple concret pour illustrer comment fonctionne une expérience naturelle. Une question qui est pertinente pour la société et les jeunes considérant leur avenir est de savoir combien vous gagnez de salaire en plus en choisissant d’étudier plus longtemps. Une tentative initiale pour répondre à cette question peut impliquer de regarder les données sur le lien entre la rémunération des gens et leur éducation. Par exemple, pour les hommes nés aux Etats-Unis durant les années 1930, les rémunérations étaient en moyenne 7 % plus élevées pour ceux qui avaient une année supplémentaire d’éducation.

Donc, pouvons-nous conclure qu’une année supplémentaire d’éducation ajoute 7 % à votre revenu ? La réponse à cette question est non : les gens qui choisissent de rester longtemps scolarisés diffèrent de plusieurs façons de ceux qui choisissent de vite quitter l’école. Par exemple, certains peuvent être talentueux pour étudier et pour travailler. Ces gens sont susceptibles de continuer d’étudier, mais ils auraient tout de même probablement eu un revenu élevé s’ils ne l’avaient pas fait. Il se peut aussi que ce soit seulement ceux qui s’attendent à ce que l’éducation rapporte qui choisissent d’étudier plus longtemps.

Des problèmes similaires surviennent si vous voulez savoir comment le revenu affecte l’espérance de vie. Les données montrent que les gens avec des revenus plus élevés vivent plus longtemps, mais est-ce vraiment dû à leurs revenus plus élevés ou est-ce que ces gens avaient d’autres attributs qui expliquent à la fois qu’ils vivent plus longtemps et qu’ils gagnent plus ? Il est facile de trouver des exemples où il y a des raisons de se demander si la corrélation implique vraiment une relation de causalité.

Donc, comment pouvons-nous utiliser une expérience naturelle pour examiner si des années additionnelles d’éducation affectent le revenu futur ? Joshua Angrist et son collègue Alan Krueger (maintenant décédé) ont montré comment cela peut être fait dans un article majeur. Aux Etats-Unis, les enfants peuvent quitter l’école lorsqu’ils atteignent 16 ou 17 ans, en fonction de l’Etat où ils sont scolarisés. Parce que tous les enfants qui sont nés au cours d’une année donnée commencent l’école à la même date, les enfants qui sont nés plus tôt dans l’année peuvent quitter l’école plus tôt que les enfants nés plus tard. Quand Angrist et Krueger ont comparé les gens nés au premier trimestre avec ceux nés au quatrième trimestre, ils constatèrent que le premier groupe avait, en moyenne, passé moins de temps à l’école. Les gens nés au premier trimestre ont aussi eu des revenus plus faibles que ceux nés au quatrième trimestre. Lorsqu’ils atteignaient l’âge adulte, ils avaient à la fois moins d’éducation et de moindres revenus que ceux nés plus tard dans l’année.

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La date de naissance est aléatoire, Angrist et Krueger ont été capables d’utiliser cette expérience naturelle pour établir une relation causale montrant qu’un surcroît d’éducation mène à un revenu plus élevé : l’effet d’une année additionnelle d’éducation sur le revenu était de 9 %. Ce fut surprenant que cet effet soit plus fort que la corrélation entre l’éducation et le revenu, qui équivalait à 7 %. Si les gens ambitieux et intelligents ont à la fois des niveaux d’éducation plus élevés et de plus hauts revenus (qu’importe l’éducation) nous aurions dû voir l’opposé : la corrélation aurait dû être plus forte que la relation causale. Cette observation suscita de nouvelles questions à propos de la façon d’interpréter les résultats des expériences naturelles, des questions auxquelles Joshua Angrist et Guido Imbens apportèrent par la suite une réponse.

Il serait facile de croire que des situations qui permettent les expériences naturelles sont très rares, en particulier celles qui peuvent être utilisées pour répondre à des questions importantes. La recherche au cours des trente dernières années a montré que ce n’est pas le cas : les expériences naturelles surviennent fréquemment. Par exemple, ils peuvent survenir en raison de changements dans certaines régions d’un pays (…) ou les seuils de revenu dans les systèmes socio-fiscaux, ce qui signifie que certains individus sont exposés à une intervention, pendant que d’autres individus, similaires, ne le sont pas. Il y a donc un hasard inattendu qui répartit les individus entre groupes de contrôle et groupes de traitement, fournissant aux chercheurs des opportunités pour découvrir des causalités.

Mieux comprendre le marché du travail

Les effets d’un salaire minimum

Au début des années 1990, le consensus parmi les économistes était qu’une hausse du salaire minimum détériore l’emploi parce qu’elle augmente les coûts des entreprises. Cependant, les éléments empiriques soutenant cette conclusion n’étaient pas très convaincants : il y avait en effet plusieurs études qui indiquaient une corrélation négative entre salaire minimum et emploi, mais est-ce que cela signifiait pour autant qu’une hausse du salaire minimum entraînait un chômage plus élevé ? Il peut y avoir une causalité inverse : quand le chômage augmente, les employeurs peuvent fixer de plus faibles salaires, ce qui alimente la demande en faveur d’une hausse du salaire minimum.

Pour étudier comment le salaire minimum affecte l’emploi, Card et Krueger ont utilisé une expérience naturelle. Au début des années 1990, le salaire horaire minimum dans l’Etat du New Jersey est passé de 4,25 dollars à 5,05 dollars. Etudier simplement ce qui s’est passé dans le New Jersey après cette hausse ne donne pas une réponse fiable à la question, comme de nombreux autres facteurs peuvent influencer le niveau d’emploi au cours du temps. Comme avec les expériences randomisées, un groupe de contrôle était nécessaire, c’est un groupe où les salaires ne changent pas, mais pour lequel tous les autres facteurs sont les mêmes.

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Card et Krueger ont noté qu’il n’y a pas eu de revalorisation du salaire minimum dans l’Etat voisin de Pennsylvanie. Bien sûr, il peut y avoir des différences entre les deux Etats, mais il est probable que les marchés du travail évoluent assez similairement à proximité de la frontière entre les deux Etats. Donc, Card et Kruger ont étudié l’évolution de l’emploi dans deux zones voisines, le New Jersey et l’est de la Pennsylvanie, qui ont un marché du travail similaire, mais où le salaire minimum a augmenté d'un seul côté de la frontière, mais non l’autre. Il n’y avait pas de raison apparente de croire qu’un facteur autre que la hausse du salaire minimum (tel que la situation économique) affecterait différemment l’emploi des deux côtés de la frontière. Donc, si un changement dans le nombre de salariés était observé dans le New Jersey et non de l’autre côté de la frontière, il y avait de bonnes raisons d’interpréter ce changement comme un effet de la hausse du salaire minimum.

Card et Kruger se sont focalisés sur l’emploi dans les fast-foods, un secteur où la rémunération est faible et pour lequel le salaire minimum importe. Contrairement aux précédents travaux, ils trouvent qu’une hausse du salaire minimum n’a pas d’effet sur le nombre de salariés. David Card est arrivé à la même conclusion dans deux études au début des années 1990. Ce travail pionnier a suscité une vague d’études. La conclusion générale est que les effets négatifs d’une revalorisation du salaire minimum sont faibles et significativement plus faibles que ce que l’on croyait il y a trente ans.

Emploi dans le New Jersey et en Pennsylvanie (en indices, base 100 en février 1992)

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Le travail réalisé par Card au début des années 1990 a aussi suscité de nouveaux travaux cherchant à expliquer l’absence d’effets négatifs sur l’emploi. Une possible explication est que les entreprises peuvent répercuter la hausse des coûts à leurs clients sous la forme de prix plus élevés, sans réduction significative de la demande. Une autre explication est que les firmes qui dominent leur marché du travail local peuvent maintenir les salaires à un faible niveau. Quand les entreprises ont un tel pouvoir de marché, nous ne pouvons pas déterminer à l’avance comment l’emploi sera affecté par les changements du salaire minimum. Les diverses études inspirées par celle de Card et Krueger ont considérablement amélioré notre compréhension du marché du travail.

Des travaux sur l’immigration et l’éducation

Une autre question importante est de savoir comment l’immigration affecte le marché du travail. Pour vraiment répondre à cette question, il faudrait savoir ce qui se serait passé s’il n’y avait pas eu d’immigration. Parce que les immigrés sont susceptibles de s’installer dans les régions avec un marché du travail en expansion, comparer simplement les régions avec immigrés et celles sans immigrés ne suffit pas pour établir une relation causale. Un événement unique dans l’histoire américaine a donné lieu à une expérience naturelle, que David Card a utilisée pour déterminer comment l’immigration affecte le marché du travail. En avril 1980, Fidel Castro a de façon inattendue autorisé tous les Cubains qui le désiraient à quitter le pays. Entre mai et septembre, 125.000 Cubains émigrèrent aux Etats-Unis. Beaucoup d’entre eux s’installèrent à Miami, qui connut une hausse de la population active d’environ 7 %. Pour examiner comment cet afflux de travailleurs a affecté le marché du travail de Miami, David Card a comparé les tendances des salaires et de l’emploi à Miami avec l’évolution des salaires et de l’emploi dans quatre autres villes.

Malgré l’énorme hausse de l’offre de travail, Card n’a pas trouvé d’effet négatif pour les résidents de Miami avec de faibles niveaux d’éducation. Les salaires n’ont pas chuté et le chômage n’a pas augmenté relativement aux autres villes. Cette étude a généré de nombreux travaux empiriques et nous avons à présent une meilleure compréhension des effets de l’immigration. Par exemple, les études subséquentes ont montré que la hausse de l’immigration a un effet positif sur le revenu de plusieurs groupes de natifs, mais négatif sur ceux qui sont issus d’une vague récente d’immigration. Une explication est que les autochtones se tournent vers des emplois qui nécessitent une bonne maîtrise de la langue native et là où ils ne sont pas en concurrence avec les immigrés pour l’emploi.

Card a aussi fait d’importantes contributions en ce qui concerne l’impact des ressources scolaires sur la trajectoire future des étudiants sur le marché du travail. A nouveau, ses résultats remettent en cause la croyance conventionnelle : de précédentes études suggéraient que la relation entre ressources accrues et performance scolaire, aussi bien que les opportunités ultérieures sur le marché du travail, est faible. Cependant, un problème était que les précédents travaux n’avaient pas considéré la possibilité d’une allocation de ressources compensatrices. Par exemple, il est probable que les responsables investissent davantage dans la qualité éducationnelle dans les écoles où la réussite des élèves est plus faible.

Pour examiner si les ressources scolaires ont un impact sur la trajectoire ultérieure des étudiants sur le marché du travail, David Card et Alan Krueger ont comparé les rendements de l’éducation pour les personnes qui vivaient dans le même Etat aux Etats-Unis, mais qui avaient grandi dans des Etats différents, par exemple ceux qui avaient grandi en Alabama ou dans l’Iowa, mais qui vivaient désormais en Californie. L’idée est que les personnes qui ont déménagé en Californie et qui ont le même niveau d’éducation sont comparables. Si les rendements de l’éducation diffèrent, c’est probablement dû au fait que l’Alabama et l’Iowa n’ont pas investi autant dans leur système éducatif. Card et Krueger ont constaté que les ressources sont importantes : les rendements de l’éducation augmentent avec la densité d’enseignants dans l’Etat dans lequel les individus ont grandi.

Cette recherche a aussi inspiré de nombreuses études. Il y a désormais des éléments empiriques montrant de façon robuste que les investissements dans l’éducation influencent la trajectoire ultérieure des étudiants sur le marché du travail. Cet effet est particulièrement fort pour les étudiants issu de milieux défavorisés.

Un nouveau cadre pour étudier les relations causales

Dans tous les scénarii réalistes, l’effet d’une intervention (par exemple, l’effet d’une année supplémentaire de scolarité) varie d’une personne à l’autre. En outre, les individus ne sont pas affectés de la même façon par une expérience naturelle. La possibilité de quitter l’école à 16 ans va peu affecter ceux qui avaient déjà prévu d’aller à l’Université. Des problèmes similaires surviennent dans les études basées sur des expériences, parce que nous ne pouvons typiquement pas forcer les individus à participer à une intervention. Le sous-groupe qui finira par participer se composera probablement d’individus croyant qu’ils vont tirer un bénéfice de l’intervention. Cependant, un chercheur qui analyse les données sait seulement qui participe, non pourquoi ; il n’y a pas d’informations indiquant quelles personnes ont seulement participé parce qu’on leur en a donné la possibilité grâce à l’expérience naturelle (ou l’expérience randomisée) et quelles personnes y auraient de toute façon participé. Comment peut-on établir une relation causale entre éducation et revenu ?

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Joshua Angrist et Guido Imbens se sont attaqués à ce problème dans une étude influente du milieu des années 1990. En l’occurrence, ils se sont posé la question suivante : dans quelles conditions pouvons-nous utiliser une expérience naturelle pour estimer les effets d’une intervention particulière, telle qu’un cours d’informatique, quand les effets varient d’un individu à l’autre et que nous n’avons pas complètement contrôlé qui participe ? Comment pouvons-nous estimer cet effet et comment doit-il être interprété ?

Si l’on simplifie un peu, nous pouvons imaginer une expérience naturelle comme si elle répartissait aléatoirement les individus entre un groupe de traitement et un groupe de contrôle. Le groupe de traitement a la possibilité de participer à un programme, tandis que le groupe de contrôle n’en a pas la possibilité. Angrist et Imbens ont montré qu’il est possible d’estimer l’effet du programme en appliquant un processus en deux étapes (connu sous le nom de "méthode des variables instrumentales"). La première étape évalue comment l’expérience naturelle affecte la probabilité de participer à un programme. La deuxième étape considère alors cette probabilité quand elle évalue l’effet du programme effectif. Au prix de quelques hypothèses, qu’Imbens et Angrist ont formulées et discutées en détails, les chercheurs peuvent donc estimer l’impact du programme, même quand il n’y a pas d’information sur l’identité de ceux qui ont été affectés par l’expérience naturelle. Une importante conclusion est qu’il est seulement possible d’estimer l’effet parmi les personnes qui ont changé leur comportement en conséquence de l’expérience naturelle. Cela implique que la conclusion d’Angrist et Krueger à propos de l’effet sur le revenu d’une année supplémentaire de scolarité (un gain qu’ils ont estimé être de 9 %) s’applique seulement aux personnes qui ont effectivement choisi de quitter l’école quand la possibilité leur a été donnée. Il n’est pas possible de déterminer quels individus sont inclus dans ce groupe, mais nous pouvons déterminer sa taille. L’effet pour ce groupe a été qualifié d’"effet de traitement moyen local".

Joshua Angrist et Guido Imbens ont donc montré exactement quelles conclusions à propos de la cause et de l’effet peuvent être tirées des expériences naturelles. Leur analyse est aussi pertinente pour les expériences randomisées où nous n’avons pas un contrôle complet sur l’identité des participants à l’intervention, ce qui est le cas de presque toutes les expériences de terrain. Le cadre développé par Angrist et Imbens a été largement adopté par les chercheurs qui travaillent avec des données observationnelles. En clarifiant les hypothèses nécessaires pour établir une relation causale, leur cadre a aussi augmenté la transparence (et donc la crédibilité) de la recherche empirique. (...) »

L'Académie royale des sciences de Suède, « Natural experiments help answer important questions », 11 octobre 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « L’immigration nuit-elle à l’emploi ? »

jeudi 4 mars 2021

Les arguments en faveur d’une hausse du salaire minimum

« Les appels aux Etats-Unis à relever le salaire minimum fédéral de 7,25 à 15 dollars de l’heure semblent recevoir davantage d’échos maintenant que le parti démocrate contrôle la Maison Blanche et le Congrès. Une telle mesure ferait sens tant économiquement que politiquement.

Les économistes ne sont plus aussi réservés sur le salaire minimum qu’ils ont pu l’être par le passé. Ils faisaient habituellement l'hypothèse que les marchés du travail fonctionnaient sans frictions, ce qui les amenait à penser que les employeurs ne disposaient pas d’un pouvoir de monopole leur permettant d’extraire des "rentes" au-dessus du juste rendement sur leurs investissements en capital physique. Dans de telles circonstances, l’économie de base prédisait qu’une hausse du salaire minimum réduit l’emploi.

Mais les travaux réalisés depuis la fin des années quatre-vingt ont, pour l’essentiel, échoué à mettre en évidence des effets pervers de hausses modestes du salaire minimum sur l’emploi. La première salve est venue de David Card, de l’Université de Californie, et du regretté Alan B. Krueger de l’Université de Princeton (qui s’est notamment basé sur le travail qu’il avait réalisé conjointement avec Lawrence F. Katz). Leurs travaux précurseurs, qu’ils résumèrent dans leur livre Myth and Measurement: The New Economics of the Minimum Wage, constatèrent qu’il n’y avait pas de baisse de l’emploi suite aux revalorisations du salaire minimum et, dans certains cas, que l’emploi augmentait lorsque les salaires planchers étaient relevés.

Ces constats ont fait l'objet de controverses à l’époque, mais les travaux empiriques ultérieurs qui se basèrent sur de plus larges échantillons et sur des approches empiriques plus affinées les ont confirmés. Si le salaire minimum ne réduit pas fortement, voire pas du tout, l’emploi, on peut en conclure que de gros employeurs de travailleurs à faible salaire (comme McDonald’s ou Walmart) ont suffisamment de pouvoir de marché pour capter des rentes (même si le jury n’a pas encore rendu son verdict sur cette question).

La littérature antérieure en économie peut avoir sous-estimé d’autres gains potentiels d’une hausse du salaire minimum. Après tout, de telles politiques font davantage que simplement accroître la rémunération des travailleurs à faible salaire. Mes propres travaux montrent que le salaire minimum tend à décourager l’emploi à faible salaire et à stimuler la création de bons emplois avec des salaires plus élevés, davantage de sécurité et davantage de possibilités en termes de promotion de carrière. A présent que les opportunités se réduisent pour les travailleurs dénués de diplôme universitaire (dont beaucoup doivent recourir à l'économie de plate-forme ou aux contrats à zéro heure), il est encore plus impérieux d’obtenir une telle impulsion.

Certes, certains économistes s’inquiètent à l’idée que le salaire minimum puisse décourager la formation et d’autres investissements visant à accroître la productivité des travailleurs. Mais comme Steve Pischke, de la London School Economics, et moi-même l'avons montré, ces craintes sont excessives. Quand les employeurs gagnent des rentes, comme il semble que ce soit le cas aux Etats-Unis sur les marchés du travail à faible salaire, ils peuvent s’accommoder d’une petite hausse du salaire minimum sans avoir à licencier leurs salariés. Mieux encore, quand un employeur doit verser de plus hauts salaires à ses salariés, il a une plus forte incitation à chercher à accroître leur productivité.

En outre, alors que les démocrates disposent déjà d’une recherche empirique solide pour préconiser un relèvement du salaire minimum, une telle revalorisation apparaît encore plus justifiée lorsque l’on prend en compte des facteurs non économiques. Comme le philosophe Philip Pettit l’explique, les êtres humains se battent pour se libérer de la "domination", qu’il définit comme une situation où l’on vit "à la merci d’un autre, en ayant à vivre d’une manière qui nous laisse vulnérable à un certain mal que l’autre est en position de nous infliger arbitrairement". (...) Cette définition capture l’expérience de ceux qui, tout au long de l’Histoire humaine, sont morts dans la servitude. Mais comme James A. Robinson et moi-même l’avons souligné dans notre livre The Narrow Corridor, même si la plupart des travailleurs en Occident n’ont plus à s’inquiéter à propos des formes les plus brutales de travail forcé, l’absence de sécurité de l’emploi et de rémunération suffisante pour répondre aux besoins de base signifie que l’on est sujet à la "domination". (...)

Sous cet éclairage, les efforts des démocrates en vue d’accroître le salaire minimum et d’élargir les protections des travailleurs doivent être perçus comme un retour à un agenda social qui a été trop longtemps délaissé. Dans une économie toujours plus inégale et stratifiée, il tarde à mettre en œuvre des politiques visant à uniformiser les règles du jeu et à réduire la domination. (...)

Un salaire minimum fédéral plus élevé aurait un puissant effet économique, ainsi que symbolique, mais ce n’est pas une panacée. Sans une voix sur le lieu de travail, ni un environnement de travail sûr, les travailleurs vont rester sous la "domination arbitraire" de leurs employeurs. Si relever le salaire minimum fédéral est la seule politique de l’emploi significative que les démocrates adoptent durant le premier mandat de Joe Biden, ils n’auront pas fait grand-chose et ils pourraient même accroître les incitations des employeurs à automatiser davantage de tâches.

Le plus gros problème auquel les économies occidentales font face aujourd’hui est une pénurie de bons emplois, due à une focalisation excessive sur l’automatisation et à une insuffisance des efforts consacrés au développement de nouvelles technologies et tâches qui bénéficieraient à l’ensemble des travailleurs. Une hausse du salaire minimum représente un premier pas important, mais il doit s’accompagner de politiques pour réorienter le changement technologique et fournir des incitations aux employeurs pour créer de bons emplois et de meilleures conditions de travail. »

Daron Acemoglu, « The case for a higher minimum wage », 24 février 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Le problème des Etats-Unis : l’excessif pouvoir de monopole des firmes ou l’insuffisant pouvoir de négociation des travailleurs ? »

« Les répercussions du progrès technique sur la répartition des revenus et l’emploi »

« Les robots, les intelligences artificielles et le travail »

jeudi 27 décembre 2018

Les effets du salaire minimum selon Neumark

« (…) Le principal argument en faveur du salaire minimum est qu’il aide les ménages pauvres à gagner assez de revenu. Cependant, le potentiel revers est qu’il puisse désinciter les employeurs à utiliser des travailleurs à bas salaire, peu qualifiés. Si le salaire minimum réduit l’emploi pour les travailleurs peu qualifiés, il y aura des gagnants et des perdants. La capacité d’un salaire minimum à réduire la pauvreté ou à aider les ménages à faible revenu dépend de la localisation de ces gagnants et perdants dans la distribution des revenus. Clairement, l’effet sur l’emploi est crucial : si un salaire minimum plus élevé ne détruit pas les emplois, alors du point de vue du gouvernement, il y a un "repas gratuit" (free lunch) qui aide à réduire la pauvreté, même si les ménages plus riches en profitent aussi. Les économistes du travail se demandent depuis longtemps si le salaire minimum réduit l’emploi. Cet article passe en revue les preuves empiriques portant sur les Etats-Unis et aussi la fiabilité des méthodes de recherche utilisées pour estimer les effets du salaire minimum sur les emplois.

La théorie


Les analyses standards du salaire minimum partent d’un marché du travail concurrentiel pour un seul type de travail, avec une courbe d’offre de travail croissante et une courbe de demande de travail décroissante. Sans salaire minimum, le salaire est égal au salaire d’équilibre, w, et la quantité du travail employé est égale à la quantité d’équilibre, L (cf. graphique 1).

GRAPHIQUE 1 Impact du salaire minimum sur un marché du travail concurrentiel

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Avec un salaire minimum "contraignant" mw qui est plus élevé que w, moins de travailleurs sont employés, pour deux raisons. Premièrement, les employeurs substituent un autre intrant (par exemple du capital) à un travail désormais plus cher. Deuxièmement, parce que les coûts sont plus élevés avec cette nouvelle combinaison productive, les prix de vente augmentent, ce qui réduit davantage la demande de travail. Ces deux effets se traduisent par un moindre emploi (Lmw sur le graphique 1).

Bien sûr, ce modèle simplifie les choses. Il ne faut pas oublier que les travailleurs n’ont pas les mêmes niveaux de qualifications et que le salaire minimum ne nuit pas directement aux travailleurs très qualifiés. Les employeurs vont substituer davantage de travailleurs très qualifiés aux travailleurs peu qualifiés après une hausse du salaire minimum. Cette substitution entre travailleurs a des implications pour les analyses empiriques des effets du salaire minimum sur l’emploi. Les baisses de l’emploi peuvent ne pas être énormes, même si l’emploi des moins qualifiés se dégrade fortement. C’est important pour la politique économique. Le salaire minimum vise à aider les travailleurs les moins qualifiés. Si leur emploi se dégrade substantiellement (…), la politique est moins susceptible d’atteindre cet objectif.

Un problème plus fondamental concernant le modèle concurrentiel est qu’il n’est simplement pas le bon modèle. Certains affirment qu’il peut y avoir "monopsones" sur les marchés du travail, c’est-à-dire des situations où les employeurs ont un certain pouvoir dans la fixation des salaires, contrairement au modèle concurrentiel, en raison de frictions qui lient les travailleurs à des entreprises spécifiques. Ces frictions impliquent que lorsqu’un employeur embauche un autre travailleur, le coût des travailleurs existants augmente aussi. Par conséquent, l’emploi déterminé par le marché peut chuter bien en-deçà du niveau qui aurait été en vigueur si la concurrence avait été parfaite. En outre, dans le modèle du monopsone, un salaire minimum peut parfois entraîner un emploi plus élevé.

Les analyses empiriques


Les économistes décrivent les effets du salaire minimum en utilisant l’élasticité de l’emploi, c’est-à-dire le ratio rapportant la variation en pourcentage de l’emploi sur la variation en pourcentage du salaire minimum. Par exemple, une hausse de 10 % du salaire minimum réduit l’emploi de 1 % quand l’élasticité est de -0,1 et de 3 % lorsqu’elle est de -0,3.

Les premières études trouvant des effets de désemploi


Durant les années soixante-dix, plusieurs études portant sur les effets du salaire minimum sur l’emploi se sont focalisées sur les Etats-Unis. Ces études ont estimé les effets des variations du salaire minimum national sur l’emploi agrégé des jeunes, typiquement les personnes âgées de 16-19 ans ou de 16-24 ans, qui sont souvent peu qualifiés. Le consensus de ces études de première génération était que les élasticités pour l’emploi des jeunes étaient comprises entre -0,3 et -0,1.

Quelques études des années quatre-vingt-dix ont remis en cause ce premier consensus, en suggérant que les élasticités de l’emploi pour les adolescents et les jeunes adultes étaient proches de zéro. Mais des études postérieures, utilisant de nouvelles méthodes pour analyser les données agrégées, mettaient plus clairement en évidence des effets de désemploi, en lien avec le premier consensus. En utilisant des données allant jusqu’à 1999, la meilleure de ces études a trouvé que les élasticités de l’emploi adolescent était de -0,12 à court terme (c’est-à-dire sur moins d’un an) et de -0,27 à plus long terme, donc confirmant apparemment le premier consensus : le salaire minimum réduit l’emploi des jeunes (et donc des peu qualifiés) et l’éventail des élasticités va de -0,3 à -0,1.

Au début des années quatre-vingt-dix, une seconde vague d’études, plus convaincantes, a commencé à exploiter le fait que les salaires minima ne sont pas les mêmes d’un Etat à l’autre au sein des Etats-Unis. Une telle variation fournit des preuves plus fiables parce que les Etats qui relevèrent leur salaire minimum peuvent être comparés avec ceux qui ne le relevèrent pas, ce qui permet de prendre en compte les changements dans l’emploi des jeunes survenant pour des raisons autres que la hausse du salaire minimum. Une littérature s’est focalisée sur des cas spécifiques de hausses de salaire minimum par des Etats fédérés. Cette approche par des études de cas offre l’avantage de limiter l’analyse pour inclure un Etat où le salaire minimum a augmenté et un Etat très similaire où le salaire minimum n’a pas augmenté. Malheureusement, ces résultats ne s’appliquent pas nécessairement à d’autres Etats, ni à d’autres époques.

Une analyse de cette récente vague d’estimations empiriques a compilé plus de 100 études portant sur les effets du salaire minimum sur l’emploi, en cherchant à évaluer la qualité de chacune de ces études et en se focalisant sur celles qui sont les plus fiables (Neumark et Wascher, 2007). Les études se focalisant sur les moins qualifiés sont mises en avant, dans la mesure où l’on s’attend à ce que les effets supposés négatifs du salaire minimum sur l’emploi apparaissent plus clairement dans ces études. Reflétant la plus grande variété de méthodes et de sources de variation des effets du salaire minimum utilisés depuis 1982, cette revue de la littérature présente un éventail plus large d’estimations des effets du salaire minimum sur l’emploi que les études antérieures (essentiellement sur séries temporelles).

Près des deux tiers des études passées en revue estiment que le salaire minimum a des effets négatifs (quoique pas toujours statistiquement significatifs) sur l’emploi. Seulement huit études ont trouvé des effets positifs sur l’emploi. Des 33 études considérées comme les plus crédibles, 28, soit 85 % d’entre elles, suggèrent des effets négatifs sur l’emploi. Elles concernent le Canada, la Colombie, le Costa Rica, les Etats-Unis, le Mexique, le Portugal et le Royaume-Uni. En particulier, les études se focalisant sur les travailleurs les moins qualifiés trouvent des preuves plus robustes suggérant des effets négatifs, avec des effets proches ou plus larges que la gamme faisant consensus à partir des données américaines. A l’inverse, peu d’études (voire aucune) ne fournissent de preuves convaincantes d’effets positifs du salaire minimum sur l’emploi.

Les remises en cause du consensus


Deux récentes méta-analyses ont remis en cause la conclusion (Doucouliagos et Stanley, 2009 ; Belman et Wolfson, 2014). Ces analyses suggèrent qu’en moyenne les études offrent une estimation proche de zéro. Cependant, tirer des moyennes des études sur les effets du salaire minimum, comme le font les méta-analyses, n’est pas sans poser problème. Premièrement, la population étudiée n’est pas la même d’une étude à l’autre ; ce facteur et d’autres peuvent influencer la contrainte qu’exerce le salaire minimum. Cela entraîne des écarts dans les effets estimés, si bien qu’il n’y a pas de raisons d’en tirer simplement une moyenne. Deuxièmement, les méta-analyses assignent souvent plus de poids aux estimations qui sont statistiquement plus précises (Belman et Wolfson, 2014), même si les méthodes empiriques les plus rigoureuses sont susceptibles d’être moins précises du fait que leur méthodologie est plus rigoureuse. Et pourtant, ce sont les études qui utilisent les méthodes les plus rigoureuses (…) qui devraient recevoir une pondération plus importante. Donc l’attention doit être prêtée aux meilleures études, même si les chercheurs ne sont pas d’accord quant à s’avoir quelles études sont les meilleures, il est plus sensé d’essayer de résoudre cette question que de chercher mécaniquement à tirer des moyennes des estimations existantes dans la littérature.

Les conclusions de la revue de la littérature ci-dessus sont contestées dans deux études plus récentes (Dube et al., 2010 ; Allegretto et al., 2011). Les auteurs de ces études supposent que les salaires minima fédéraux tendent à augmenter dans les Etats et années où les conditions sur le marché du travail pour les moins qualifiés se dégradent relativement à celles dans les autres Etats, générant une relation négative fallacieuse entre le salaire minimum et l’emploi des peu qualifiés. Ils affirment aussi que restreindre les comparaisons entre Etats proches, quand le salaire minimum augmente dans l’un mais pas dans autres, résout ce problème, parce que des Etats proches sont sujets aux mêmes chocs qui peuvent être corrélés fallacieusement avec les hausses du salaire minimum. En utilisant ces "comparaisons entre voisins", ces deux études constatent que les effets de désemploi sont proches de zéro. La première se focalise sur les travailleurs de la restauration (Dube et al., 2010) et la seconde sur les adolescents (Allegretto et al., 2011).

Deux nouvelles analyses récentes remettent en cause plusieurs de ces conclusions (Neumark et al., 2014a ; 2014b). En outre, trois études utilisant trois approches différentes au problème de la corrélation des chocs touchant le marché du travail avec les hausses du salaire minimum (Baskaya et Rubinstein, 2015 ; Clemens et Wither, 2016 ; Powell, 2016) mettent en évidence de forts effets de désemploi associés au salaire minimum, avec des élasticités allant de -0,5 à -0,3 pour les adolescents et proches de -1 pour les travailleurs à très bas salaire (Clemens et Wither, 2016). Il y a plusieurs raisons pour trouver ces études plus convaincantes (Neumark et Wascher, 2017), notamment le fait que les méthodes de contrôle utilisées dans les études antérieures peuvent obscurcir les effets de désemploi du salaire minimum.

(…) Les exceptions dans les récents travaux qui ne trouvent pas de preuves suggérant des effets sur l’emploi (Dube et al., 2010 ; Allegretto et al., 2011) tiennent généralement à une façon spécifique d’estimer les effets du salaire minimum sur l’emploi (…). Bien d’autres méthodes dans la plupart des récentes études, qui s’attaquent aux limites potentielles que les études antérieures, trouvent des effets de désemploi (Baskaya et Rubinstein, 2015 ; Clemens et Wither, 2016 ; Powell, 2016). (…) Les affirmations générales selon lesquelles il n’y a pas de preuve qu’accroître le salaire minimum détruit des emplois sont simplement fausses.

Le salaire minimum dans les autres pays


Jusqu’à présent, la plupart des études utilisent les données américaines car les différences entre les salaires minima d’un Etat à l’autre fournissent le meilleur "laboratoire" pour estimer les effets du salaire minimum. Beaucoup d’autres pays, notamment l’Allemagne, ont un salaire minimum national. Un salaire minimum national pose de plus gros problèmes pour les sciences sociales, parce qu’il est difficile d’estimer ce qui se serait passé en l’absence d’une hausse du salaire minimum. Ce problème se reflète aussi dans les données britanniques. Dans la mesure où le salaire minimum est le même d’une région à l’autre au Royaume-Uni, une étude récente a examiné des groupes différemment affectés par le salaire minimum national, trouvant des baisses d’emploi pour les femmes à temps partiel, le groupe le plus affecté. Une deuxième étude observe les changements sur le marché du travail à des âges où le salaire minimum change (à 18 et 22 ans) et constate un effet négatif à 18 ans et à 21 ans (un an avant que le salaire minimum n’augmente, ce qui reflète d’après les auteurs le fait que les employeurs anticipent le relèvement du salaire minimum à 22 ans). Cependant, il y a plusieurs études britanniques qui ne trouvent aucun effet de désemploi. (...)

Les effets distributionnels et l’impact sur la pauvreté


Le principal argument avancé en faveur d’un salaire minimum est qu’il aide les ménages modestes. Mais parce qu’il y a des effets de désemploi, le salaire minimum crée des gagnants et des perdants. Les gagnants obtiennent un salaire plus élevé sans réduction de l’emploi (ni du nombre d’heures travaillées), tandis que les perdants portent le poids des effets de désemploi, en perdant leur emploi, en travaillant moins longtemps ou en ayant plus de difficultés à trouver un emploi. Si les gains des gagnants sont larges, si ces gagnants sont surreprésentés parmi les ménages modestes que les autorités cherchent à aider et si les perdants sont concentrés parmi les ménages à haut revenu (…), alors les pertes subies par les perdants suite à la hausse du salaire minimum peuvent sembler acceptables. Cependant, les études portant sur les Etats-Unis échouent à trouver des preuves démontrant que le salaire minimum aide les pauvres ; celui-ci accroît en fait le nombre de ménages modestes (Lundstrom, 2017).

Le problème fondamental avec l’utilisation du salaire minimum en vu d’accroître le revenu des ménages modestes est que cette politique cible des travailleurs à faible salaire, pas les ménages à faible revenu, or il ne s’agit pas forcément des mêmes personnes. Premièrement, dans plus de la moitié des familles pauvres avec un chef de famille âgé de 18 à 64 ans, personne ne travaille (…). Deuxièmement, certains travailleurs sont pauvres parce qu’ils ne travaillent que quelques heures, non parce qu’ils gagnent de faibles salaires (…). Et troisièmement, parce que les adolescents sont surreprésentés dans la main-d’œuvre rémunérée au salaire minimum, beaucoup de travailleurs à faible salaire ne sont pas dans des ménages pauvres. Par conséquent, des calculs sommaires suggèrent que lorsque le salaire minimum augmente, en supposant aucune destruction d’emploi, l’essentiel de la hausse des revenus va aux ménages appartenant à la moitié supérieure de la distribution des revenus plutôt qu’aux ménages sous le seuil de pauvreté (…).

L’incapacité à aider les ménages modestes via une hausse du salaire minimum est, on le comprend, frustrant pour les autorités. Aux Etats-Unis, cependant, un outil bien plus efficace est l’earned income tax credit (EITC) instauré dans les années soixante-dix. Certains pays européens (notamment le Royaume-Uni, la Belgique, la France et les Pays-Bas) ont mis en œuvre des politiques similaires. Ces programmes versent un supplément de revenu aux travailleurs à faible revenu, en fonction des ressources du ménage ; ce supplément de revenu diminue à mesure que le revenu d’activité augmente. (…)

Les effets incitatifs de ces suppléments de revenu sont souvent compliqués, mais si ces dispositifs sont correctement conçus, alors ils accroissent les incitations à entrer sur le marché du travail pour de nombreux individus éligibles qui ne travaillaient pas. (…) L’EITC aide les ménages à sortir de la pauvreté pas seulement via le supplément de revenu qu’il offre, mais aussi indirectement via le supplément de revenu d’activité généré par les incitations à accroître l’offre de travail (Neumark et Wascher, 2011). (...)

Résumé et recommandations de politique économique


Alors que de faibles salaires contribuent aux difficultés économiques de nombreuses familles pauvres et à faible revenu, l’argument selon lequel un relèvement du salaire minimum est un moyen efficace d’améliorer leur situation n’est pas soutenu par les preuves empiriques. Premièrement, un salaire minimum plus élevé décourage les employeurs d’utiliser les travailleurs à bas salaire, peu qualifiés que le salaire minimum cherche à aider. De nombreuses preuves empiriques (mais pas toutes) confirment que le salaire minimum réduit l’emploi des travailleurs à bas salaire, peu qualifiés. Deuxièmement, le salaire minimum ne parvient pas à cibler les familles pauvres et à faible revenu. Le salaire minimum augmente davantage les salaires des travailleurs à bas salaire plutôt qu’il n’augmente les revenus des ménages à faible revenu. Les familles à faible revenu doivent recevoir de l’aide pour sortir de la pauvreté. Les études portant sur les Etats-Unis échouent généralement à trouver des preuves empiriques montrant que le salaire minimum aide les pauvres, bien que certains sous-groupes puissent être aidés lorsque le salaire minimum est combiné avec un programme de subvention, comme un crédit d’impôt ciblé. Le salaire minimum est une politique relativement inefficace pour aider les ménages pauvres et à faible revenu. Des politiques plus efficaces sont celles qui incitent davantage les membres des familles pauvres et à faible revenu à travailler. »

David Neumark, « Employment effects of minimum wages », IZA World of Labord, n° 6, décembre 2018. Traduit par Martin Anota



Références


ALLEGRATTO, Sylvia A., Arindrajit DUBE & Michael REICH (2011), « Do minimum wages really reduce teen employment? Accounting for heterogeneity and selectivity in state panel data », in Industrial Relations, vol. 50, n° 2.

BASKAYA, Yusuf S., & Yona RUBINSTEIN (2015), « Using federal minimum wages to identify the impact of minimum wages on employment and earnings across U.S. states », document de travail

BELMAN, Dale, & Paul WOLFSON (2014), « What does the minimum wage do? ».

CARD, David, & Alan B. KRUEGER (1995), Myth and Measurement: The New Economics of the Minimum Wage, Princeton University Press.

CLEMENS, Jeffrey, & Michael WITHER (2016), « The minimum wage and the Great Recession: Evidence of effects on the employment and income trajectories of low-skilled workers », document de travail.

DOUCOULIAGOS, Hristos, & T. D. STANLEY (2009), « Publication selection bias in minimum-wage research? A meta-regression analysis », in British Journal of Industrial Relations, vol. 47, n° 2.

DUBE, Arindrajit, T. William LESTER & Michael REICH (2010), « Minimum wage effects across state borders: Estimates using contiguous counties », in Review of Economics and Statistics, vol. 92, n° 4.

LUNDSTROM, Samuel M. (2017), « When is a good time to raise the minimum wage? », in Contemporary Economic Policy, vol. 35, n° 1.

NEUMARK, David, J.M. Ian SALAS, & William WASCHER (2014a), « Revisiting the minimum wage–employment debate: Throwing out the baby with the bathwater? », in Industrial and Labor Relations Review, vol. 67, n° 3.

NEUMARK, David, J.M. Ian SALAS, & William WASCHER (2014b), « More on recent evidence on the effects of minimum wages in the United States », in IZA Journal of Labor Policy, vol. 3, n° 24.

NEUMARK, David, & William WASCHER (2007), « Minimum wages and employment », Foundations and Trends in Microeconomics, vol. 3, n° 1−2.

NEUMARK, David, & William WASCHER (2008), Minimum Wages, MIT Press.

NEUMARK, David, & William WASCHER (201), « Does a higher minimum wage enhance the effectiveness of the Earned Income Tax Credit? », in Industrial and Labor Relations Review, vol. 64, n°

NEUMARK, David, & William WASCHER (2017), « Reply to credible research designs for minimum wage studies », in Industrial and Labor Relations Review, vol. 70, n° 3.

POWELL, David (2016), « Synthetic control estimation beyond case studies: Does the minimum wage reduce employment? », RAND, labor & population working paper, n° WR-1142.

mardi 28 juillet 2015

Rapporté au salaire médian, le salaire minimum français est l'un des plus élevés au monde

GRAPHIQUE Le salaire minimum en 2013 (en % du salaire médian)

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source : The Economist (2015)

vendredi 22 mai 2015

La relation entre salaire minium et niveau de vie dans le monde et aux Etats-Unis

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source : The Economist (2015)

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