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Innovation et productivité

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mardi 13 décembre 2016

Notre avenir économique est-il vraiment derrière nous ?



« Avec une économie mondiale qui peine à se remettre de la crise économique de 2008, les inquiétudes à propos de l’avenir (en particulier de celui des économies développées) grandissent. Mon collègue Robert J. Gordon de l’université de Northwest a bien saisi le sentiment de plusieurs économistes en affirmant dans son récent livre The Rise and Fall of American Growth que les grandes innovations qui ont amélioré la productivité depuis un siècle et demi ne peuvent être égalées. Si c’est exact, les économies avancées doivent s’attendre à connaître une faible croissance économique, voire une véritable stagnation, au cours des années suivantes. Mais est-ce que le futur sera vraiment si lugubre ?

Probablement pas. En fait, le pessimisme a régné sur les conceptions qu’ont pu développé les économistes pendant des siècles. En 1830, l’historien britannique Thomas Macauley nota que, "à chaque époque, chacun sait que les choses ne se sont améliorées que lentement, mais personne ne s’attend à ce qu’il y ait de nouvelles améliorations au cours des générations suivantes". Pourquoi, se demanda-t-il, les gens s’attendent à "rien, si ce n’est la détérioration" ? Bientôt, l’optimisme de Macauley fut corroboré par les débuts de l’ère du chemin de fer. Les avancées transformatives dans l’acier, la chimie, l’électricité et l’ingénierie ont rapidement suivi.

En ce qui concerne notre propre futur technologique, je m’attends à un résultat similaire. En fait, j’irais même jusqu’à dire que « nous n’avons encore rien vu ». Les avancées technologiques vont créer de puissantes rafales qui vont faire avancer les économies les plus avancées au monde.

Mon optimisme ne se fonde pas sur une certaine croyance dans le futur, mais sur la façon par laquelle la science (ou le "savoir propositionnel") et la technologie (le "savoir prescriptif") s’alimentent mutuellement. De la même façon que les percées scientifiques peuvent faciliter les innovations technologiques, les avancées technologiques permettent de nouvelles découvertes scientifiques, qui conduiront à leur tour à de nouvelles avancées technologiques. En d’autres mots, il y a une boucle rétroactive entre le progrès scientifique et technologique.

L’histoire de la technologie est remplie d’exemples où cette boucle rétroactive a été à l’œuvre. La révolution scientifique du dix-septième siècle a en partie été rendue possible par des outils nouveaux, technologiquement avancés, tels que les télescopes, les baromètres et les pompes à vide. On ne peut parler de l’émergence de la théorie des germes à la fin des années 1870 sans mentionner les améliorations que le microscope a connues précédemment. Les techniques de cristallographie aux rayons X utilisées par Rosalind Franklin ont joué un rôle déterminant dans la découverte de la structure de l’ADN, aussi bien que dans les découvertes qui ont conduit à l’attribution de plus d’une vingtaine de prix Nobel.

Les instruments dont dispose la science aujourd’hui comprennent des versions modernes de vieux outils qui auraient été inimaginables il n’y a même pas un quart de siècle. Les télescopes ont été envoyés dans l’espace et connectés à des ordinateurs à haute puissance et à optique adaptative, pour révéler un univers assez différent de celui qu’imaginaient les humains. En 2014, les concepteurs du microscope Betzig-Hell furent récompensés par un prix Nobel pour avoir surmonté un obstacle que l’on considérait comme insurmontable, en amenant la microscopie optique à la nanodimension.

Si cela ne suffit pas pour casser le pessimisme technologique, considérons les instruments et outils révolutionnaires qui ont émergé au cours des dernières années – des appareils auxquels nous ne pouvions pas rêver il y a quelques décennies. Commençons avec l’ordinateur. Les économistes ont fait de grands efforts pour évaluer l’impact des ordinateurs sur la production de biens et services et pour mesurer leur contribution à la productivité. Mais aucune de ces mesures ne peut vraiment saisir tous les bénéfices et toutes les opportunités que les ordinateurs ont créés pour la recherche scientifique. Il n’y a par exemple aucun laboratoire dans le monde qui ne dépend pas aujourd’hui d’eux. Le terme "in silico" a pris place à côté des expressions "in vivo" et "in vitro" dans le travail expérimental. Et des champs entièrement nouveaux tels que la "physique numérique" (computational physics) et la "biologie computationnelle" (computational biology) sont apparus ex nihilo. En lien avec la loi de Moore, les avancées dans le calcul scientifique vont continuer de s’accélérer dans les années qui vont arriver, notamment grâce aux avancées dans le domaine de l’informatique quantique.

Un autre nouvel outil est le laser. Lorsque les premiers lasers sont apparus, il s’agissait d’une invention en quête d’une application. Aujourd’hui, ils sont presque aussi répandus que les ordinateurs, puisqu’ils sont utilisés pour des usages quotidiens tout à fait ordinaires allant de la numérisation des documents à l’ophtalmologie. L’éventail de domaines de recherche qui dépendent désormais des lasers n’est pas moins large, allant de la biologie à l’astronomie, en passant par la chimie et la génétique. La spectroscopie sur plasma induit par laser (LIBS) est essentielle à l’analyse de protéines dont dépend une grande partie de la recherche dans la biochimie moléculaire. Récemment, les lasers ont permis de confirmer l’existence des ondes traditionnelles, l’un des saints graals de la physique.

Une autre innovation technologique qui transforme radicalement la science est l’outil de manipulation des gènes CRISPR Cas9. Le séquençage des génomes est déjà un processus rapide et relativement peu cher, son coût étant passé de 10 millions de dollars par génome en 2007 à moins de 1.000 dollars aujourd’hui. CRISPR Cas9 a amené cette technologie à un niveau inédit, réellement révolutionnaire, puisqu’il permet aux scientifiques d’éditer et manipuler le génome humain. Même si cette idée a de quoi nous faire réfléchir, nous devons prendre conscience des applications potentiellement bénéfiques de cette technologie (elle nous permettrait peut-être de rendre les cultures résistantes face au changement climatique et à la salinisation de l’eau).

De plus, la numérisation a substantiellement réduit les coûts d’accès pour les chercheurs. Toute la recherche dépend de l’accès au savoir existant ; nous sommes tous perchés sur des épaules des géants (et même des personnes de taille moyenne) qui nous ont précédés. Nous recombinons leurs découvertes, leurs idées, leurs innovations de façon inédite, parfois révolutionnaire. Mais, jusqu’à récemment, apprendre ce que l’on a à savoir pour se lancer dans les innovations scientifiques et technologiques nécessitait bien plus de temps et de travail, avec de nombreuses heures passées à parcourir les librairies et les volumes d’encyclopédies.

Aujourd’hui, les chercheurs peuvent trouver des aiguilles nanoscopiques dans des bottes d’informations de la taille du Montana. Ils peuvent avoir accès à des méga-bases de données, où ils peuvent déceler des schémas et des régularités empiriques. Le taxonomiste du dix-huitième siècle Carl Linnaeus serait jaloux. Notre savoir scientifique va de l’avant et va trouver d’innombrables nouvelles applications. Il n’y aucun doute que la technologie va également révolutionner notre avenir, dans de nombreux domaines, aussi bien attendus qu’inattendus. Elle va alimenter la croissance économique, mais peut-être pas celle que nous enregistrons à travers nos cadres de comptabilité nationale obsolètes. »

Joel Mokyr, « Is our economic future behind us? », 29 novembre 2016. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« La croissance américaine est-elle épuisée ? »

« La grande stagnation »

« Robert Gordon et la fin de la croissance américaine »

« La révolution informatique est-elle finie ? »

vendredi 9 septembre 2016

La macroéconomie des robots : que nous enseignent la théorie et sept siècles d’histoire ?

« Avec les progrès dans l’apprentissage machine et la robotique mobile, les robots peuvent finir par réaliser plus efficacement vos tâches que vous. Cette idée amène certains à prédire un chômage de masse, un surcroît de loisir ou un futur sans travail. Mais les innovations économes en travail et les débats qui les entourent ne sont pas nouveaux. La reine Elisabeth 1ère a refusé un brevet pour une machine à coudre par peur qu’elle crée du chômage. Ricardo pensaient que la technologie réduirait les salaires et Keynes avait prédit la semaine de travail de 15 heures pour 2030. (…)

Le progrès technique ne crée pas de chômage de masse…


La technologie peut détruire des emplois dans un secteur en particulier, mais pas au niveau de l’économie dans son ensemble. Dans le célèbre exemple de Paul Krugman, imaginons qu’il y ait deux biens, les saucisses et les petits pains, qui sont combinés un par un pour faire des hotdogs. 120 millions de travailleurs sont divisés également entre les deux secteurs : 60 millions de travailleurs produisent des saucisses, tandis que les autres 60 millions de travailleurs produisent des petits pains, et les uns et les autres ont besoin de deux jours pour produire une unité de production. Maintenant supposez que la technologie double la productivité dans les boulangeries. Moins de travailleurs sont nécessaires pour fabriquer des petits pains, mais cette croissance de la productivité signifie aussi que les consommateurs vont obtenir 33 % de hot dogs en plus. Finalement l’économie va se retrouver avec 40 millions de travailleurs produisant des petits pains et 80 millions de travailleurs fabriquant les saucisses. Entretemps, la transition que l'économie va connaître peut s’accompagner à court terme de chômage, en particulier si les compétences des travailleurs licenciés sont très spécifiques au secteur boulanger. Mais à long terme, un changement dans la productivité relative entraîne une réallocation des emplois, plutôt qu’une destruction nette d’emplois, même si les impacts distributionnels de cette réallocation peuvent être compliqués et significatifs.

… et il ne va peut-être pas réduire votre semaine de travail…


Comme la productivité s’accroît, les gens peuvent juste travailler moins longtemps et jouir du même niveau de consommation. Mais ils peuvent aussi travailler le même nombre d’heures et profiter de la croissance de la productivité pour davantage consommer ou, ce qui est plus probable, à la fois consommer plus et avoir plus de loisir. C'est ce qu'on appelle l'"effet de revenu" et celui-ci signifie que le temps de travail peut diminuer, mais moins amplement que n’augmente la productivité.

Mais ce n’est pas la seule chose qui se passe. La croissance de la productivité change les prix relatifs du loisir et de la consommation au profit de cette dernière, en raison de ce que les économistes appellent un "effet de substitution". La fascinante base de données de Gregory Clarke suggère qu’en 1700 un ouvrier devait travailler presque 10 heures pour gagner les 2 vieilles livres nécessaires pour acheter un kilo de bœuf. Mais en 2014, un travailleur médian en Grande-Bretagne peut gagner les dix livres nécessaires pour acheter un kilo de bœuf en travaillant moins d’une heure. Et ainsi, mesuré en termes de bœuf ou de biens en général, la récompense pour travailler cette heure supplémentaire est bien plus large.

L’effet global sur les heures dépend de l’équilibre entre les deux effets. L’opus majeur d’Angus Maddison publié en 2001 estime qu’entre 1820 et 1998, le PIB réel par tête en Europe de l’ouest a été multiplié par 15. Au cours de la même période, le nombre d'heures travaillées a décliné de moitié environ. Donc environ 87,5 % des gains tirés de la croissance de la productivité ont été utilisés pour accroître la consommation. On peut alors penser que toute chute du temps de travail sera non seulement modeste, mais aussi loin d’être immédiate, à moins que l’automatisation entraîne de vastes gains de productivité. Il faudrait une hausse de la productivité de 75 % pour que le temps de travail chute conséquemment de 10 %. Ou une hausse de 150 % de la productivité pour qu’une journée entière soit retranchée de la semaine de travail.

… et il va probablement pousser les salaires à la hausse


Le consensus parmi les économistes est que le progrès technique tend à stimuler l’emploi, c’est-à-dire qu’il accroît la production de la même façon que le fait un accroissement du facteur travail. Si cela semble contre-intuitif, c’est seulement l’autre face de l’hypothèse selon laquelle les innovations sont économes en travail. L’histoire permet de vérifier cette hypothèse : si le progrès technique stimule le travail, alors le progrès technique doit entraîner une hausse des salaires, mais laisser le taux d’intérêt inchangé. La base de données de la Banque d’Angleterre suggère que les taux longs ont (sauf durant les périodes de forte inflation anticipée) oscillé autour de 4 % depuis 1500. (…) Depuis 1800, le rendement du travail (c’est-à-dire le taux de salaire réel) a été multiplié par environ 15. Bien sûr, ces chiffres agrégés peuvent très bien dissimuler de forts écarts d’un secteur à l’autre, d’un groupe de travailleurs à l’autre. Certains travailleurs peuvent être durement affectés par le progrès technique, en particulier si leur capital humain est rendu obsolète. La robotisation peut ne pas être une bonne nouvelle pour l’ensemble des travailleurs et conduire à de profonds changements dans la répartition des revenus.

Est-ce que la robotisation se distingue des précédentes innovations ?


Ainsi, pour affirmer que la robotisation va bénéficier au capital aux dépens du travail, vous devez croire qu’il y a quelque chose d’intrinsèquement différent concernant la robotisation par rapport aux innovations précédentes. Une chose qui peut (j’ai bien dit « qui peut ») être différente est que la substituabilité entre le travail et le capital. Si le progrès technique stimule l’emploi et si ce paramètre est inférieur à l’unité, alors l’accroissement des ratios capital sur production au cours du temps conduit à une hausse de la part du revenu national au travail, mais s’il est égal à l’unité, alors la part du revenu rémunérant le travail reste inchangée.

L’observation des données suggère que la part du revenu rémunérant le travail est constante ou croissante, pour l’essentiel de l’ère postindustrielle. La plupart des économistes en ont conclu que l’élasticité était inférieure ou égale à l’unité. Donc un surcroît de capital a signifié que son prix relatif a chuté plus que sa quantité n’a augmenté ; donc une plus faible part du revenu va au capital. Comment la technologie change-t-elle cela ?

Imaginons un taxi et son chauffeur ; il y a par essence pas de substituabilité entre les deux. Ils doivent être combinés dans des proportions fixes et ainsi un taxi avec deux chauffeurs ou un chauffeur avec deux taxis n’entraîne pas un surcroît de production. Les précédentes avancées technologiques, les voitures plus rapides, les GPS, Uber, n’ont pas changé grand-chose sur ce point. Mais peut-être que les robots vont rendre le travail et le capital plus interchangeables ; donc le chauffeur peut être substitué par un ordinateur et le passager se déplacer avec une voiture sans chauffeur. Si cela pousse la substituabilité au-dessus de l’unité, l’accroissement du stock de capital au cours du temps s’accompagne par une hausse de la part du revenu rémunérant le capital. En effet, Piketty et Zucman affirment que cela s’applique à une plus large gamme de progrès technique que la seule robotisation et a pu expliquer la hausse des inégalités que l’on a pu observer ces dernières décennies. (...) »

John Lewis, « Robot macroeconomics: What can theory and several centuries of economic history teach us? », in Banque d’Angleterre, Bank underground (blog), 6 septembre 2016. Traduit par Martin Anota

samedi 4 juin 2016

La croissance de la productivité continue de ralentir dans les pays développés

GRAPHIQUE Taux de croissance annuel moyen du PIB par heure travaillée (en %)

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source : The Economist (2016)



aller plus loin... lire « L’effondrement mondial de la productivité »

jeudi 24 mars 2016

La productivité continue de ralentir dans le monde

GRAPHIQUE Taux de croissance de la productivité horaire du travail (en %, moyenne mobile sur 10 ans)

The_Economist__croissance_de_la_productivite_horaire_du_travail_Etats-Unis_Allemagne_Japon_Mexique_Turquie.png

source : The Economist (2016), d'après les données du Conference Board



aller plus loin... lire « L’effondrement mondial de la productivité »

mercredi 30 septembre 2015

Quels pays innovent le plus au monde ?

The_Economist__indice_mondial_d__innovation_PIB_par_tete__Martin_Anota_.png

source : The Economist (2015)

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