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Innovation et productivité

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samedi 28 avril 2018

Zoom sur la productivité du travail agrégée

« (…) La productivité du travail, qui est généralement mesurée comme la production (PIB) par heure travaillée dans le secteur marchand et corrigée en termes de pouvoir d’achat (…), est une condition nécessaire, mais pas suffisante pour de hauts niveaux de vie. Sa croissance est reconnue tant en théorie qu’en pratique comme étant associée à des taux élevés de croissance économique. Certains pays peuvent atteindre de hauts PIB par tête (tels que la Corée du Sud) via de grands sacrifices de temps de loisir. La productivité du travail dépend de plusieurs facteurs, si bien que sa mesure peut souffrir d’erreurs significatives. Il est crucial d’évaluer correctement ces facteurs pour que nous comprenions comment les marchés du travail opèrent tant à long terme qu’à court terme. (…)

Productivité du travail et prospérité à long terme : théorie et observations empiriques


Dans une économie de marché, la productivité du travail est l’ultime source de bien-être économique. Le graphique 1 présente l’évolution du PIB par tête depuis 1970 pour plusieurs pays, mesuré en dollars américains et en parité de pouvoir d’achat comme le rapporte l’OCDE. En tant que mesure agrégée, la productivité horaire résume la valeur de marché que l’usage du travail représente pour une économie. Elle mesure la contribution moyenne du travail dans la création de biens et services dans une société et elle constitue un facteur majeur derrière le PIB par tête. Il est utile de souligner que le PIB représente non seulement la consommation de biens privés en soi, mais aussi, plus généralement, les ressources disponibles pour une meilleure fourniture de services de santé, de soins apportés aux plus âgés et aux personnes handicapées, d’éducation, de sécurité publique, tout comme pour l’atténuation de la pollution et la recherche-développement. Naturellement, en tant que moyenne, la productivité du travail agrégée masque d’énormes différences entre les travailleurs d’un lien de travail à un autre, d’un secteur à un autre et d’une profession à une autre. Pourtant, en tant qu’indicateur macroéconomique, c’est un signe remarquablement fiable de la prospérité d’une nation aussi bien que de sa compétitivité internationale.

GRAPHIQUE 1 Productivité du travail : PIB par heure (en dollars PPA de 2010)

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(...) La théorie de la croissance et les études empiriques ont montré de façon convaincante que la productivité du travail est une condition nécessaire pour le bien-être économique. Pourtant, un éventail de facteurs influence cette relation. Tout d’abord, les pays avec une faible productivité horaire moyenne peuvent avoir un PIB par tête plus élevé simplement en travaillant moins d’heures chaque jour, chaque semaine ou chaque année (c’est la marge intensive de l’offre de travail), accroissant par conséquent l’intrant travail effectif par personne. Une plus longue durée de travail va en effet accroître le PIB total ou le PIB par tête, mais une plus longue durée du travail signifie moins d’heures pour jouir des fruits du travail. Des heures additionnelles par travailleur sont susceptibles d’accroître le niveau de stress et de malaise liés au travail et notamment les accidents sur le lieu de travail et le burn-out psychologique. Alors que cette plus grande insatisfaction est réelle, elle n’est pas capturée par les mesures conventionnelles du PIB basées sur le marché et elle affaiblit le lien entre le PIB et le bien être ou la « satisfaction de vivre » globale. En même temps, un taux d’emploi plus élevé (la part de personnes employées parmi la population en âge de travailler) va aussi accroître le PIB par tête, même si la productivité reste constante. Parce que la satisfaction de vivre d’une personne employée est susceptible d’être plus élevée que celle d’une personne qui ne l’est pas, un taux d’emploi plus élevé est aussi susceptible de générer plus de bien-être, même si les gens n’aiment généralement pas travailler. Ces deux formes d’utilisation du travail sont importantes à prendre en compte lorsqu’on voit le lien entre productivité horaire et revenu national ou bien-être. (...)

La productivité horaire est intimement associée aux rémunérations, tant au niveau individuel qu’au niveau des secteurs, des professions et des pays. C’est parce que les travailleurs avec une productivité moyenne plus élevée sont plus profitables pour leurs employeurs et que ces derniers tendent à partager cette plus grande profitabilité avec leurs salariés. Il n’est donc pas surprenant que les travailleurs dans les pays avec des niveaux élevés de productivité obtiennent aussi de plus fortes rémunérations, (…) notamment des avantages extra-salariaux comme la santé et l’assurance sociale qui représentent jusqu’à la moitié du coût total que représente un salarié pour un employeur.

En résumé, le lien entre la productivité du travail et le bien-être économique d’une nation peut être affecté par des heures par travailleur, les ratios d’emploi (le pourcentage de ceux en âge de travailler qui sont employés) et l’effort réalisé par les travailleurs sur leur lieu de travail. Pourtant cette relation positive est incontestable et il est crucial de comprendre les sources de la productivité du travail pour comprendre la prospérité aussi bien à long terme qu’à court terme. Au niveau national, les données montrent que les mesures de productivité du travail et le PIB par tête sont très corrélés entre pays, mais pas parfaitement. Le graphique 2 montre cette relation pour 35 pays de l’OCDE en 2015.

GRAPHIQUE 2 PIB par tête et productivité du travail en 2015

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Cela montre que même entre les plus riches nations au monde il y a de considérables écarts en termes de productivité du travail. Théoriquement, il devrait être relativement simple d’isoler les raisons expliquant pourquoi certains pays de l’OCDE n’ont pas encore atteint la frontière technologique en termes de productivité horaire du travail (le niveau de production théorique maximal par unité de temps qui peut être atteint toute chose égale par ailleurs). Des machines plus nombreuses et plus performantes, davantage d’éducation, et des produits plus innovants dans les "bons" secteurs semblent constituer des recettes évidentes pour réussir. Malheureusement, cette tâche n’est pas si facile que cela. Si une partie des écarts de productivité du travail peut être expliquée ainsi, les études montrent que des éléments (…) intangibles de l’environnement économique influencent aussi la productivité du travail. Ces facteurs (…) incluent l’Etat de droite, la fiabilité du système légal et le niveau global de confiance parmi les participants de marché. Ces facteurs ont beau être cruciaux, ils sont difficiles à mesurer et ne peuvent changer du jour au lendemain. (…) Même si le Niger et les Etats-Unis avaient la même dotation en termes de capital physique et humain, les travailleurs américains seraient toujours sept fois plus productifs que les Nigériens.

Une autre complication est que la productivité moyenne est juste une moyenne d’une large gamme de résultats au niveau sectoriel, des entreprises ou même individuel. La structure de production dans un pays comprend plusieurs secteurs ou entreprises de productivités différentes. Aussi longtemps que les entreprises avec une faible productivité surviennent, elles peuvent "piéger" des facteurs de productivité qui pourraient être plus efficacement utilisés ailleurs, ce qui pousse la moyenne à la baisse.

Productivité du travail et cycle d’affaires : Théorique et enseignements empiriques


Si une plus forte productivité du travail est associée à un PIB plus élevé et à une plus grande prospérité à long terme, pourquoi ne serait-il pas logique de l’associer aux cycles d’affaires (…) ? En effet, les analystes des cycles d’affaires ont depuis longtemps cherché à connecter les soudains changements dans la productivité du travail au cycle d’affaires. Dans la plupart des pays industrialisés et durant l’essentiel de la période consécutive à la Seconde Guerre mondiale, la productivité du travail a été procyclique. Le graphique 3 représente l’évolution temporelle des taux de croissance du PIB et la même mesure de la productivité présentée dans l’illustration et le graphique 2 pour six économies majeures de l’OCDE. Pour ces pays (et pour l’OCDE dans son ensemble, avec quelques exceptions), la productivité moyenne du travail s’accroît généralement quand l’économie est en expansion.

GRAPHIQUE 3 Les taux de croissance du PIB réel et de la productivité du travail

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Les économistes ont depuis longtemps compris que les expansions sont généralement associées à des périodes de hausse de la productivité du travail, mais ils y ont souvent vu quelque chose d’énigmatique. Les premiers analystes s’attendaient à ce que les produits marginaux et moyens du travail déclinent à mesure que l’usage des intrants augmentait, mais les premières études n’indiquaient pas cela. Dans les années trente, Keynes était conscient de cette énigme, notant que le comportement des salaires était difficile à réconcilier avec une demande de travail stable. Les salaires tendent à suivre le produit marginal du travail et la productivité moyenne du travail doit chuter quand des travailleurs moins productifs sont embauchés et cela se traduit par des salaires contracycliques. A l’inverse, la productivité procyclique implique que la marge d’accroissement pour les salaires est plus grande lors des expansions, puisque la productivité marginale et la productivité moyenne varient de concert.

Cependant, comme toujours en économie, le monde est plus compliqué que cela. La productivité mesurée du travail est très volatile à court terme et elle dépend de plusieurs facteurs, dont certains déjà mentionnés ci-dessus et d’autres qui seront discutés ci-dessous. En outre, elle est susceptible de souffrir de significatives erreurs de mesure.

Une objection communément avancé à l’encontre de la comparaison des taux de croissance du PIB et de la productivité du travail est que les déterminants sous-jacents des deux séries peuvent être sujets à des tendances différentes qui sont mal détectées par des comparaisons de taux de croissance. Une procédure alternative a été utilisée pour examiner les écarts des tendances séparées estimées individuellement pour la productivité horaire et le PIB. Cette analyse (…) mène à des conclusions similaires : malgré quelques exceptions, la productivité s’accroît lorsque le PIB s’accroît, à la fois en termes absolus et relativement à la tendance.

A priori, il n’y a pas de raison économique amenant à croire que la productivité moyenne du travail doit varier dans le même sens que le PIB. Si l’on observe les graphiques 3, il est évident que les corrélations positives entre la productivité et la production sont seulement une tendance générale dans les données et non une loi d’airain. Des cycles individuels et de plus larges périodes existent dans laquelle la co-variation positive disparaît ou même devient négative, par exemple, en France à la fin des années soixante-dix ou au Royaume-Uni à la fin des années quatre-vingt. Le cas le plus flagrant est la détérioration du lien positif entre productivité et production aux Etats-Unis après le milieu des années quatre-vingt, qui est confirmée par des études avec des données sur le travail de meilleure qualité. (…) Pour la plupart des pays et la plupart des sous-périodes, la relation semble assez stable, pourtant les Etats-Unis ne sont pas la seule exception intéressante. Alors que la plupart des pays de l’OCDE d’Europe et d’Asie semblent confirmer la tendance générale, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Portugal représentent d’importants écarts. L’exception la plus significative est l’Espagne, où la corrélation a aussi été négative depuis les années quatre-vingt-dix ; (…) d’autres procédures d’extraction de tendance montrent une corrélation négative depuis au moins le milieu des années soixante-dix.

Quelle est la meilleure explication du lien positif entre productivité et production, souvent ponctuée par des périodes de co-variation nulle ou négative ? Pour expliquer les cycles d’affaires normaux, les macroéconomistes proposent divers récits. L’un d’eux met en scène l’arrivée de l’innovation technique (…) qui accroît la productivité du travail ou des biens capitaux, ce qui stimule alors l’investissement dans les biens d’équipement, les logiciels et d’autres biens productifs. L’innovation même et l’investissement subséquent accroissent la productivité du travail, tandis que l’emploi et la production chute. Une autre explication suggère que les améliorations des termes de l’échange peuvent stimuler l’investissement, la productivité du travail et l’emploi. Pourtant un autre affirme qu’une hausse de la demande globale (…) peut temporairement stimule l’investissement des entreprises lorsque celles-ci atteignent les contraintes de capacité, ce qui accroitrait la productivité du travail. Dans tous les cas, (…) on observe que les employeurs thésaurisent la main-d’œuvre s’ils considèrent le ralentissement de l’activité comme temporaire et veulent préserver le "capital humain", les compétences que possèdent leurs travailleurs et qui seraient perdues s’ils s’en allaient.

Cette interprétation des "corrélations normales" doit aussi expliquer des schémas plus ambigus de co-variation (…). Premièrement, la prévalence de chocs de demande globale peut renverser le cas normal. Par exemple, si une expansion économique était tirée par la seule politique monétaire expansionniste, la productivité et les salaires réels peuvent être davantage susceptibles de décliner lors des expansions ou du moins jusqu’à ce qu’un nouvel investissement est entrepris et stimule la productivité des heures de travail. Pourtant si la thésaurisation de la main-d’œuvre est courante, son effet positif sur la productivité du travail est susceptible de dominer même à court terme. Deuxièmement, la disparition de la productivité procyclique aux Etats-Unis est assez durable pour être notée. Cela peut être dû à un changement structurel permanent lors des récessions, durant lesquelles les entreprises inefficaces disparaissent et l’économie voit ainsi son efficacité augmenter. Cette perspective darwiniste est plausible comme la mondialisation a intensifié au cours des dernières années. Les études sur les Etats-Unis pointent une large variance de productivité entre les entreprises au sein de chaque secteur ; avec une plus forte concurrence internationale, il est plus difficile de survivre aux récessions en se contentant de thésauriser la main-d’œuvre. Le résultat macroéconomique net est une plus grande efficacité de la main-d’œuvre employée par les entreprises, des prix plus faibles et une allocation plus efficace des ressources.

Un aspect commun des pays pour lesquels la procyclicité de la productivité disparaît est l’érosion des institutions du marché du travail, en particulier celles associés à la négociation collective et à la protection de l’emploi. L’adhésion a décliné non seulement dans les syndicats, mais aussi dans les associations d’employeurs, réduisant le pouvoir de négociation collective institutionnalisé et la protection de l’emploi. La plus grande flexibilité du marché du travail signifie que les entreprises peuvent embaucher et licencier les travailleurs plus facilement, ce qui atténue les incitations les plus communément citées pour la thésaurisation de la main-d’œuvre. Un contre-argument pourrait être que les licenciements excessifs de travailleurs et la fermeture des entreprises qui font des pertes peuvent ne pas toujours constituer la réponse appropriée à un ralentissement généralisé. En même temps, des entreprises réalisant de mauvaises performances peuvent être forcées (…) de cesser de "faire le pari d’une résurrection". La détérioration de la corrélation positive peut signaler que les récessions représentent de plus en plus des précurseurs de changement structurel permanent.

(…) Enigmatique et variable est le comportement de la productivité du travail au cours du cycle d’affaires. Pourquoi la plupart des pays de l’OCDE continuent-ils de présenter une productivité procyclique, souvent croissante au cours du temps (l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Corée du Sud et le Japon), tandis que d’autres semblent aller dans le sens opposé (les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Portugal et l’Espagne) ? Est-ce que les développements dans ce dernier groupe de pays est dû à l’effritement du pouvoir des syndicats ? Ou à la plus grande cruauté des entreprises en matière de licenciements et aux pertes en capital humain ? Ou à la plus grande flexibilité du marché du travail, liée notamment à la prolifération de contrats temporaires et de l’emploi d’intérim ? Notons que la productivité du travail reste largement procyclique au Royaume-Uni et en France, où le syndicalisme a décliné, mais où la couverture est large. Le cas inhabituel de l’Espagne, qui a présenté une productivité du travail contracyclique continûment et sans exception depuis la mort de Franco en 1975, a déjà capté l’attention des chercheurs. (…) »

Michael C. Burda, « Aggregate labor productivity », IZA World of Labor, n° 435, avril 2018. Traduit par Martin Anota

samedi 16 décembre 2017

A propos de la régression technologique

« Le Financial Times indique que des milliers de distributeurs automatiques pourraient fermer. L’une des rares innovations financières qui se soit révéler utiles lors de mon existence pourrait ainsi disparaître. Cela m’amène à me poser la question suivante : ne devrions-nous pas prendre plus au sérieux la possibilité d’un recul technologique ? (…)

Par exemple, il faut plus de temps désormais pour traverser l’Océan atlantique qu’il n’en fallait dans les années quatre-vingt lorsque nous avions le Concorde, en particulier si vous prenez en compte les temps d’enregistrement et le temps passé avec la sécurité de l’aéroport. De même, certains trajets en train prennent plus de temps aujourd’hui que par le passé. Et, bien sûr, les hommes ne vont plus sur la Lune.

Il n’y a pas que dans le transport où nous avons connu une régression. Les vieux lecteurs peuvent se rappeler que nous bénéficiions de deux livraisons postales par jour, une avant midi. Paul Romer a affirmé que la recherche macroéconomique a connu une régression intellectuelle. Le fait que les sociétés accumulent depuis plusieurs années des montagnes de liquidité suggère que les banques ne sont désormais plus efficaces dans leur rôle d’intermédiaires financiers (…), peut-être parce que l’essor des actifs intangibles prive les entreprises des collatéraux dont elles pourraient se servir pour emprunter. Les journaux avaient l’habitude de tenir bien informés leurs lecteurs, avec notamment les numéros de leurs correspondants étrangers et les détails des rapports parlementaires. (Brendan O’ Carroll, par exemple, a réussi à retrouver l’assassin de son grand-père en utilisant les rapports des journaux publiés à l’époque.) Aujourd’hui, ils préfèrent laisser leurs lecteurs dans leurs préjugés. Mais ce qui est le plus inquiétant, c’est le fait que les antibiotiques deviennent de moins en moins efficaces, ce qui provoque une régression générale en médecine.

Vous pouvez objecter en disant que nous savons toujours comment faire la plupart de ces choses, en suggérant que c’est seulement le coût à faire ces choses qui a fortement augmenté. En ce qui me concerne, ce n’est pas pertinent. Il y a longtemps nous parlions des conditions sociotechniques de la production : nous savions que nous ne pouvions séparer la technologie des circonstances sociales qui facilitent ou non son usage.

La régression est donc possible.

Cela peut contribuer à expliquer les retournements conjoncturels. Si nous combinons l’idée de Xavier Gabaix selon laquelle les récessions peuvent naître des grandes entreprises qui se retrouvent en difficulté avec la description qu’offre Daron Acemoglu de la façon par laquelle les effets de réseau peuvent amplifier de telles fluctuations, nous obtenons un récit où la régression est susceptible de provoquer des récessions. Je pense que cela peut se vérifier avec la récession de 2008-2009. La capacité des banques à produire du crédit a décliné. Cette régression technique a provoqué un effondrement, un effondrement dont nous observons toujours les effets. Ce qui ne va pas avec la théorie des cycles d’affaires réels est sa conception des marchés du travail et l’utilisation d’un agent représentatif, pas son identification des causes des ralentissements.

Cela nous amène à la question suivante : Quels mécanismes sont susceptibles de provoquer une régression de plus long terme ? Voici une liste non exhaustive :

  • La maladie de Baumol. Là où la productivité ne peut s’améliorer, les coûts relatifs augmentent au cours du temps à mesure que les salaires augmentent. Cela peut rendre certains services non rentables. C’est probablement un tel mécanisme qu’il y a derrière l’histoire des services postaux.

  • Les actifs intangibles. Nous avions l’habitude de penser que la technologie s’améliorait via la réallocation des actifs des entreprises en déclin vers les entreprises plus efficaces. Cela peut être vrai en ce qui concerne les actifs physiques. Mais est-ce également le cas des actifs intangibles ? Si le savoir d’une entreprise se ramène à un capital organisationnel, sa faillite peut entraîner la perte de ce savoir. Et, comme l’a dit Luigi Zingales, "un choc temporaire comme une crise financière peut avoir d’importantes répercussions à long terme".

  • La dépendance au sentier. Brian Arthur a décrit comment une piètre technologie peut gagner un avantage temporaire sur une meilleure technologie en raison d’un heureux accident. Les producteurs peuvent continuer à procéder à des améliorations parcellaires de la technologie inférieure, ce qui a pour conséquence l’abandon d’une technologie potentiellement meilleure. C’est peut-être le mécanisme à l’œuvre derrière les voitures à vapeur et peut-être même derrière la recherche économique.

  • Les incitations. S’il y a de plus grandes incitations pour la quête de rentes plutôt que pour l’innovation, alors nous nous retrouvons avec moins d’innovations. Pire, les luttes dans la répartition du revenu peuvent réduire la taille du revenu total. C’est peut-être le mécanisme derrière la malédiction des ressources naturelles et derrière la merveilleuse parabole du bœuf de John Kay.

  • Le plus grand danger, peut-être, est simplement l’essor des attitudes anti-intellectuelles et anti-scientifiques, telles que nous nous observons actuellement avec l’opposition aux vaccinations, la croyance en un monde post-vérité et les attaques dont sont l’objet les universités.

Le progrès est plus fragile que nous ne le supposons. Vous devez vous demander comment renforcer les conditions matérielles et intellectuelles qui lui sont sous-jacentes. »

Chris Dillow, « On technological regress », in Stumbling & Mumbling (blog), 13 décembre 2017. Traduit par Martin Anota

mercredi 22 mars 2017

La géométrie des robots

« (…) Ryan Avent (…), dans son dernier livre, a cherché à expliquer comment un profond changement technologique peut aller de pair avec une stagnation des salaires réels et une faible croissance de la productivité. D’après ce que je comprends, il affirme que les grandes avancées technologiques surviennent dans un secteur limité de l’économie et qu’elles poussent les travailleurs à aller dans les professions à faible salaire et faible productivité.

Mais je dois admettre que j’ai tout d’abord eu des difficultés à bien saisir ses propos ou à les concilier avec un cadre économique standard. Je cherche donc à savoir dans quelle mesure il est possible de capturer son récit dans un petit modèle d’équilibre général – fondamentalement le genre de modèle que j’ai appris il y a bien longtemps, lorsque j’étudiais la vieille théorie du commerce international.

Actuellement, je pense que ce genre d’analyse relève quelque peu d’un art perdu. Il fut un temps où la plupart des théories du commerce impliquaient des diagrammes illustrant des modèles à deux facteurs, deux biens et deux facteurs ; il n’y en a plus beaucoup ces jours-ci. Et il est vrai que des petits modèles peuvent être trompeurs et que le raisonnement géométrique peut vous induire en erreur. Il est également vrai, cependant, que ce style de modélisation peut vraiment vous aider à comprendre comment les différents morceaux d’une économie collent les uns aux autres, bien plus que ne peuvent le faire l’algèbre et le verbiage.

Ici, je vais utiliser un cadre qui correspond fondamentalement au diagramme de Lerner, mais adapté à une toute autre question, soit par souci de clarification, soit par nostalgie (je ne sais pas exactement quelle raison l’emporte sur l’autre).

Imaginons une économie qui produit seulement un bien, mais qui peut le faire en utilisant deux techniques, soit la technique A, qui est intensive en capital, soit la technique B, qui est intensive en travail. Je représente ces techniques sur le schéma n° 1 en montrant leurs coefficients d’intrants unitaires.

SCHEMA 1

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Ici, AB est l’isoquant unitaire de l’économie, les diverses combinaisons de capital (K) et de travail (L) qu’elle peut utiliser pour produire une unité de production. E est la dotation de l’économie en facteurs ; tant que le ratio agrégé K/L est entre les intensités factorielles de ces deux techniques, les deux seront utilisées. Dans ce cas, le ratio salaire sur loyer (s/r) sera la pente de la ligne AB.

Attendez, ce n’est pas fini. Puisque tout point sur la ligne passant via A et B a la même valeur, le lieu où elle touche l’abscisse correspond au montant de travail nécessaire pour acheter une unité de production, l’inverse du taux de salaire réel. Et la production totale est le ratio de la distance entre l’origine et E, divisée par la distance à AB, si bien que cette distance est 1/PIB.

Vous pouvez aussi déduire l’allocation des ressources entre A et B ; pour ne pas encombrer davantage le premier diagramme, je le montre sur le schéma n° 2, qui utilise les ratios K/L des deux techniques et la dotation globale E :

SCHEMA 2

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A présent, voici l’histoire d’Avent. Je pense qu’on peut la représenter comme un progrès technique affectant A et qui rend peut-être aussi A encore plus intensive en capital. Donc cela correspondrait à un mouvement vers le sud-ouest, vers un point comme A’ sur le schéma n° 3.

SCHEMA 3
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Nous pouvons voir immédiatement que cela va entraîner une chute du salaire réel, parce que 1/w doit augmenter. Le PIB et donc la productivité doivent augmenter, mais peut-être pas beaucoup si l’économie utilisait principalement la technique intensive en travail.

Et que dire à propos de l’allocation de la main-d’œuvre entre les différents secteurs ? Nous pouvons en parlant en utilisant le schéma n° 4, où le progrès technique touchant le secteur A intensif en capital entraîne un accroissement de la part de la main-d’œuvre employée dans le secteur B intensif en travail.

SCHEMA 4
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Donc oui, il est possible pour une simple analyse en équilibre général de saisir l’essentiel des intuitions d’Avent. Cela ne signifie pas, bien sûr, qu’il ait raison empiriquement. Et il y a d’autres choses dans son raisonnement, telles que des effets hypothétiques sur la direction de l’innovation, qui ne sont pas pris en compte ici. Mais, au moins, j’ai trouvé que cette façon de faire permettait de bien clarifier les choses. (….) »

Paul Krugman, « Robot geometry », 20 mars 2017. Traduit par Martin Anota

mercredi 15 mars 2017

Le néolibéralisme et la productivité

« Chris Edwards affirme que les privatisations amorcées par Thatcher "ont transformé l’économie britannique" et stimulé la productivité. Cela nous amène à un paradoxe. Le fait est que les privatisations ne sont pas les seules choses qui se sont passées depuis les années 1980 et qui auraient dû stimuler la productivité, selon (ce que j’appelle) l’idéologie néolibérale. Les syndicats se sont affaiblis, ce qui aurait dû réduire "les pratiques restrictives". Les dirigeants ont vu leur rémunération exploser, ce qui aurait dû en attirer les plus compétents, et mieux les inciter à accroître la productivité. Et la main-d’œuvre a plus de capital humain : depuis les années 1980, la proportion de travailleurs avec un diplôme universitaire a quadruplé en passant de 8 % à un tiers. (…)

L’idéologie néolibérale prédit alors que la croissance devrait s’accélérer. Mais elle ne l’a pas fait. En fait, les données de la Banque d’Angleterre montrent que la croissance de la productivité (…) a eu tendance à ralentir depuis les années 1970. Pourquoi ?

GRAPHIQUE Croissance de la productivité au Royaume-Uni (en %)

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Il se peut que les réformes néolibérales ne stimulent que temporairement la productivité. Je n’en suis pas sûr. Comme Dietz Vollrath l’a dit, les économies sont habituellement lentes à répondre à une hausse de la production potentielle. S’il y avait eu une forte hausse de la production potentielle, alors nous aurions dû le voir dans les données relatives à la croissance sur vingt ans. Ce n’est pas le cas. Une autre possibilité est que les effets stimulateurs de productivité du néolibéralisme aient été compensés par des forces associées à la stagnation séculaire – la pénurie d’innovations et de projets d’investissement profitables.

Mais il y a une autre possibilité, celle selon laquelle le néolibéralisme a en fait contribué au ralentissement de la croissance.

Je pense à trois façons par laquelle le néolibéralisme peut effectivement freiner la croissance. Un premier mécanisme passe via la politique macroéconomique. Sur des marchés du travail tendus tels que ceux que nous avons connus dans l’immédiat après-guerre, les salariés étaient incités à être plus productifs parce qu’on ne pouvait pas facilement s’appuyer sur la réduction des salaires pour accroître les profits. En outre, les entreprises étaient assurées de faire face à une demande globale élevée, ce qui les encourageait à investir et à accroître leurs ratios capital sur travail pour répondre à cette demande. Dans les années qui ont suivi la démocratie sociale, ces incitations à la productivité se sont affaiblies.

En outre, le néolibéralisme peut contribuer à accroître les inégalités de revenu, or ces dernières peuvent freiner la productivité. Par exemple, les inégalités génèrent de la défiance, or celle-ci déprime la croissance économique en dégradant la qualité de la politique économique, en exacerbant les problèmes d’antisélection (les problèmes de "marchés de l’occasion") et en détournant des ressources vers les secteurs à faible productivité.

Enfin, nous pouvons entrevoir un troisième mécanisme : la gestion néolibérale peut elle-même réduire la production. Il y a là plusieurs canaux possibles. Premièrement, la bonne gestion peut nuire à l’investissement et à l’innovation. William Nordhaus a montré que les profits tirés de l’innovation sont faibles. Et Charles Lee et Salman Arif ont montré que les dépenses en capital sont souvent motivées par le sentiment plutôt que par une évaluation réalisée de sang froid avec pour résultat que cela entraîne une chute des profits. Nous pouvons interpréter les ralentissements de l’innovation et de l’investissement comme une preuve que les dirigeants ont pris en compte ces faits. En outre, une focalisation sur la réduction des coûts, les routines et les meilleures pratiques peuvent empêcher les salariés d’avoir la latitude et le temps d’expérimenter et d’innover. Dans tous les cas, les idées de Schumpeter semblent valides : la croissance capitaliste nécessite un esprit aventurier, or celui-ci est étouffé par la bureaucratie rationnelle.

Deuxièmement, comme Jeffrey Nielson l’a affirmé, les organisations basées sur la hiérarchie peuvent démotiver les subalternes, qui s’attendent à ce qu’on leur dise quoi faire plutôt qu’à prendre des initiatives.

Troisièmement, les incitations à haute puissance accordées aux dirigeants peuvent se révéler contreproductives. Elles peuvent alimenter les comportements de quête de rentes (rent-seeking), les intrigues de bureau et les manœuvres pour atteindre le sommet de la hiérarchie plutôt qu’inciter chacun à faire au mieux son travail. Elles peuvent étouffer les motivations intrinsèques comme la fierté professionnelle. Et elles peuvent amener les dirigeants à se focaliser sur la réalisation de tâches que l’on peut facilement surveiller plutôt que celles qui sont certes importantes à l’organisation, mais plus difficiles à mesurer : par exemple, la réduction des coûts peut être quantifiée, faire l’objet d’une mesure d’incitation, mais maintenir une culture d’entreprises saine est moins facilement mesurable, si bien que celle-ci peut être négligée dans la conception des mesures d’incitations.

Quatrièmement, autonomiser la gestion peut accroître l’opposition au changement. Comme McAfee et Brynjolfsson l’ont montré, pour récolter les bénéfices du changement technique, cela requiert souvent un changement organisationnel. Mais les dirigeants bien payés ont peu de raisons de vouloir faire de vagues en entreprenant de tels changements. La conséquence en est que nous sommes collés dans ce que van Ark appelle la "phase d’installation" de l’économie digitale plutôt que la phase de déploiement. Comme Joel Mokyr l’a dit, les forces du conservatisme suppriment finalement la créativité technique.

Tout cela est cohérent avec le Fait : la croissance de la productivité agrégée a été plus faible au cours de l’ère néolibérale qu’elle ne l’a été entre 1945 et 1973, lors de l’âge d’or de la démocratie libérale.

Je concède qu’il ne s’agit ici que d’une suggestion et qu’il peut encore y avoir d’autres possibilités, notamment la possibilité que la forte croissance de la productivité lors de l’immédiat après-guerre ait été une aberration, qui s’explique par le fait que les entreprises aient rattrapé les plus productives et cherché à tirer profit des innovations d’avant-guerre. Cela nous amène toutefois à considérer la possibilité que la faible croissance soit un aspect du capitalisme normal. »

Chris Dillow, « Neoliberalism and productivity », in Stumbling & Mumbling, 26 février 2017. Traduit par Martin Anota

mardi 13 décembre 2016

Notre avenir économique est-il vraiment derrière nous ?



« Avec une économie mondiale qui peine à se remettre de la crise économique de 2008, les inquiétudes à propos de l’avenir (en particulier de celui des économies développées) grandissent. Mon collègue Robert J. Gordon de l’université de Northwest a bien saisi le sentiment de plusieurs économistes en affirmant dans son récent livre The Rise and Fall of American Growth que les grandes innovations qui ont amélioré la productivité depuis un siècle et demi ne peuvent être égalées. Si c’est exact, les économies avancées doivent s’attendre à connaître une faible croissance économique, voire une véritable stagnation, au cours des années suivantes. Mais est-ce que le futur sera vraiment si lugubre ?

Probablement pas. En fait, le pessimisme a régné sur les conceptions qu’ont pu développé les économistes pendant des siècles. En 1830, l’historien britannique Thomas Macauley nota que, "à chaque époque, chacun sait que les choses ne se sont améliorées que lentement, mais personne ne s’attend à ce qu’il y ait de nouvelles améliorations au cours des générations suivantes". Pourquoi, se demanda-t-il, les gens s’attendent à "rien, si ce n’est la détérioration" ? Bientôt, l’optimisme de Macauley fut corroboré par les débuts de l’ère du chemin de fer. Les avancées transformatives dans l’acier, la chimie, l’électricité et l’ingénierie ont rapidement suivi.

En ce qui concerne notre propre futur technologique, je m’attends à un résultat similaire. En fait, j’irais même jusqu’à dire que « nous n’avons encore rien vu ». Les avancées technologiques vont créer de puissantes rafales qui vont faire avancer les économies les plus avancées au monde.

Mon optimisme ne se fonde pas sur une certaine croyance dans le futur, mais sur la façon par laquelle la science (ou le "savoir propositionnel") et la technologie (le "savoir prescriptif") s’alimentent mutuellement. De la même façon que les percées scientifiques peuvent faciliter les innovations technologiques, les avancées technologiques permettent de nouvelles découvertes scientifiques, qui conduiront à leur tour à de nouvelles avancées technologiques. En d’autres mots, il y a une boucle rétroactive entre le progrès scientifique et technologique.

L’histoire de la technologie est remplie d’exemples où cette boucle rétroactive a été à l’œuvre. La révolution scientifique du dix-septième siècle a en partie été rendue possible par des outils nouveaux, technologiquement avancés, tels que les télescopes, les baromètres et les pompes à vide. On ne peut parler de l’émergence de la théorie des germes à la fin des années 1870 sans mentionner les améliorations que le microscope a connues précédemment. Les techniques de cristallographie aux rayons X utilisées par Rosalind Franklin ont joué un rôle déterminant dans la découverte de la structure de l’ADN, aussi bien que dans les découvertes qui ont conduit à l’attribution de plus d’une vingtaine de prix Nobel.

Les instruments dont dispose la science aujourd’hui comprennent des versions modernes de vieux outils qui auraient été inimaginables il n’y a même pas un quart de siècle. Les télescopes ont été envoyés dans l’espace et connectés à des ordinateurs à haute puissance et à optique adaptative, pour révéler un univers assez différent de celui qu’imaginaient les humains. En 2014, les concepteurs du microscope Betzig-Hell furent récompensés par un prix Nobel pour avoir surmonté un obstacle que l’on considérait comme insurmontable, en amenant la microscopie optique à la nanodimension.

Si cela ne suffit pas pour casser le pessimisme technologique, considérons les instruments et outils révolutionnaires qui ont émergé au cours des dernières années – des appareils auxquels nous ne pouvions pas rêver il y a quelques décennies. Commençons avec l’ordinateur. Les économistes ont fait de grands efforts pour évaluer l’impact des ordinateurs sur la production de biens et services et pour mesurer leur contribution à la productivité. Mais aucune de ces mesures ne peut vraiment saisir tous les bénéfices et toutes les opportunités que les ordinateurs ont créés pour la recherche scientifique. Il n’y a par exemple aucun laboratoire dans le monde qui ne dépend pas aujourd’hui d’eux. Le terme "in silico" a pris place à côté des expressions "in vivo" et "in vitro" dans le travail expérimental. Et des champs entièrement nouveaux tels que la "physique numérique" (computational physics) et la "biologie computationnelle" (computational biology) sont apparus ex nihilo. En lien avec la loi de Moore, les avancées dans le calcul scientifique vont continuer de s’accélérer dans les années qui vont arriver, notamment grâce aux avancées dans le domaine de l’informatique quantique.

Un autre nouvel outil est le laser. Lorsque les premiers lasers sont apparus, il s’agissait d’une invention en quête d’une application. Aujourd’hui, ils sont presque aussi répandus que les ordinateurs, puisqu’ils sont utilisés pour des usages quotidiens tout à fait ordinaires allant de la numérisation des documents à l’ophtalmologie. L’éventail de domaines de recherche qui dépendent désormais des lasers n’est pas moins large, allant de la biologie à l’astronomie, en passant par la chimie et la génétique. La spectroscopie sur plasma induit par laser (LIBS) est essentielle à l’analyse de protéines dont dépend une grande partie de la recherche dans la biochimie moléculaire. Récemment, les lasers ont permis de confirmer l’existence des ondes traditionnelles, l’un des saints graals de la physique.

Une autre innovation technologique qui transforme radicalement la science est l’outil de manipulation des gènes CRISPR Cas9. Le séquençage des génomes est déjà un processus rapide et relativement peu cher, son coût étant passé de 10 millions de dollars par génome en 2007 à moins de 1.000 dollars aujourd’hui. CRISPR Cas9 a amené cette technologie à un niveau inédit, réellement révolutionnaire, puisqu’il permet aux scientifiques d’éditer et manipuler le génome humain. Même si cette idée a de quoi nous faire réfléchir, nous devons prendre conscience des applications potentiellement bénéfiques de cette technologie (elle nous permettrait peut-être de rendre les cultures résistantes face au changement climatique et à la salinisation de l’eau).

De plus, la numérisation a substantiellement réduit les coûts d’accès pour les chercheurs. Toute la recherche dépend de l’accès au savoir existant ; nous sommes tous perchés sur des épaules des géants (et même des personnes de taille moyenne) qui nous ont précédés. Nous recombinons leurs découvertes, leurs idées, leurs innovations de façon inédite, parfois révolutionnaire. Mais, jusqu’à récemment, apprendre ce que l’on a à savoir pour se lancer dans les innovations scientifiques et technologiques nécessitait bien plus de temps et de travail, avec de nombreuses heures passées à parcourir les librairies et les volumes d’encyclopédies.

Aujourd’hui, les chercheurs peuvent trouver des aiguilles nanoscopiques dans des bottes d’informations de la taille du Montana. Ils peuvent avoir accès à des méga-bases de données, où ils peuvent déceler des schémas et des régularités empiriques. Le taxonomiste du dix-huitième siècle Carl Linnaeus serait jaloux. Notre savoir scientifique va de l’avant et va trouver d’innombrables nouvelles applications. Il n’y aucun doute que la technologie va également révolutionner notre avenir, dans de nombreux domaines, aussi bien attendus qu’inattendus. Elle va alimenter la croissance économique, mais peut-être pas celle que nous enregistrons à travers nos cadres de comptabilité nationale obsolètes. »

Joel Mokyr, « Is our economic future behind us? », 29 novembre 2016. Traduit par Martin Anota



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