« L’office d’évaluation indépendante (Independent Evaluation Office) du FMI a récemment évalué la réponse adoptée par ce dernier face à la crise économique et financière. Sur plusieurs plans, les conseils que prodigua le FMI à l’époque reflétèrent la réponse qu’adoptaient effectivement les autorités publiques face à la crise. En 2008 et en 2009, il recommanda une relance budgétaire et c’est exactement la politique que mirent en œuvre plusieurs pays, notamment le Royaume-Uni et les Etats-Unis. En 2010, il changea radicalement de recommandations et recommanda alors l’austérité budgétaire. Au même instant, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la zone euro resserrèrent leur politique budgétaire.

L’évaluation indépendante suggère que la réorientation de la politique budgétaire en 2010 fut une erreur. Voici certains des passages clés du rapport (paragraphes 32 à 34) :

"L’appel du FMI à une relance budgétaire et à un assouplissement monétaire entre 2008 et 2009, en particulier pour les grands pays avancés et pour certains pays disposant d’une marge de manœuvre budgétaire, fut approprié et tout à fait opportun. (...)

L’appel du FMI à resserrer la politique budgétaire s’est révélé prématuré pour plusieurs pays avancés, comme les projections de croissance se révélèrent par la suite trop optimistes. En outre, à partir de 2010, le FMI conseilla aux pays avancés de combiner la consolidation budgétaire avec un assouplissement monétaire. Ce n’est toutefois pas la combinaison que préconisent les études qui ont évalué l’efficacité relative des politiques conjoncturelles suite à une crise financière associée à un surendettement privé. Puisque le secteur privé cherchait à se désendetter, la demande de crédit s’est montrée moins sensible à la politique monétaire accommodante, quelle que soit la capacité de cette dernière à maintenir de faibles taux d’intérêt ou à accroître les prix d’actifs. Entretemps, un large ensemble d’analyses, notamment celles du FMI, indiquèrent que les multiplicateurs budgétaires étaient plus élevés qu’à la normale suite à la crise, ce qui suggère que la politique budgétaire expansionniste était bien plus efficace qu’avant-crise pour stimuler la demande globale.

Plusieurs analystes et responsables politiques ont affirmé que combiner une relance budgétaire et un assouplissement monétaire aurait permis de stimuler plus efficacement la demande globale et de réduire plus rapidement le chômage, ce qui aurait limité les effets de débordement adverses. Attendre davantage avant d’embrasser l’austérité budgétaire aurait aussi permis de ne pas autant avoir à assouplir la politique monétaire, donc également de limiter les effets secondaires négatifs."

Notons que cela surprendra les lecteurs réguliers de ce blog, mais c’est néanmoins bienvenu. Peut-être que le plus intéressant est l’analyse subséquente qui explique pourquoi le FMI s’est trompé en 2010.

"C’est la crise budgétaire que connaissaient les pays périphériques de la zone euro qui nourrissait les craintes du FMI. Pourtant leurs expériences ne peuvent se généraliser puisque ces pays ne disposent pas de politique monétaire autonome et ne peuvent pas emprunter dans leur propre devise."

Comme l’évaluation le note également, les taux d’intérêt sur les titres publics des Etats-Unis, du Royaume-Uni et du Japon étaient à un minimum historique. Donc le rapport dit finalement que le FMI a été effrayé par la crise de la zone euro. C’est pourquoi il est tentant de qualifier le resserrement budgétaire de 2010 de véritable tragédie grecque.

Cette évaluation ne porte que sur le FMI. Bien sûr, les responsables politiques au Royaume-Uni et aux Etats-Unis avaient d’autres motifs. Nous ne saurons jamais si la politique budgétaire aurait été resserrée en 2010 si le FMI l’avait déconseillé ou ce qui se serait passé si les différents gouvernements grecs n’avaient pas autant emprunté, ni cherché à le dissimuler.

Comme le rapporte le Financial Times, Christine Lagarde a défendu le conseil que donna le FMI en 2010. Elle suggère que ce dernier était approprié dans la mesure où le FMI prévoyait une reprise raisonnable. Ce rapport indique clairement que le FMI fut principalement mené à l’erreur par ce qui se passait dans la zone euro et non pas parce qu’il fit des prévisions suroptimistes. S’il avait interprété la crise de la zone euro comme ce qu’elle était vraiment, il en aurait probablement conclu que la reprise était encore fragile et que il n’était par conséquent pas encore opportun de resserrer la politique budgétaire en dehors de la périphérie de la zone euro. Mieux, il aurait pu accepter de participer à la Troïka à la condition que la Grèce fasse un défaut rapide et complet sur sa dette publique (comme une précédente auto-évaluation du FMI le suggérait) ou même à la condition que la BCE mette en œuvre son programme OMT bien plus tôt.

Un autre impondérable concerne la théorie macroéconomique. En 2011, Paul De Grauwe a su expliquer de façon convaincante pourquoi la crise de la dette publique était confinée à la seule zone euro. A la fin de l’année 2012, lorsque la BCE mit en œuvre le programme OMT, il apparaissait clairement qu’il avait su en fournir la bonne interprétation. Si nous avions su en 2010 ce que nous savons aujourd’hui, le FMI aurait-il agi différemment ? Je pense que non. L’austérité est une sorte de mode par défaut pour le FMI, et pour des raisons compréhensibles. Et bien qu’il y ait eu des désaccords au sein même du FMI, c’est toujours le corps politique qui prend au final les décisions. Mais au moins nous pouvons nous réjouir que cette évaluation du FMI ait délivré un verdict, sans chercher à se sauver la face, ni même se laisser imprégner d’idéologie. Le resserrement budgétaire de 2010 fut une erreur. Et il n'y a pas d'exceptions : ce fut une erreur au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et dans la zone euro dans son ensemble.

Simon Wren-Lewis, « The IMFs evaluation of 2010 austerity », in Mainly Macro (blog), 9 novembre 2014. Traduit par Martin Anota