« Erreur n° 1

Si vous devez accuser quelqu’un pour ne pas avoir vu la crise financière venir, cela doit être les banques centrales. Elles avaient les données qui montraient une hausse massive du levier d’endettement du secteur financier. Cela aurait dû les amener à sonner l’alarme, mais elles se sont contentées de quelques notes où elles exprimèrent quelques inquiétudes à propos de l’attitude vis-à-vis du risque. C’était une erreur commise de bonne foi, mais c’était clairement une erreur.

Erreur n° 2

Bien sûr, le principal coupable pour la lenteur de la reprise suite à la Grande Récession a été l’austérité, en l’occurrence une consolidation budgétaire prématurée. Mais la faible reprise reflète aussi un échec de la politique monétaire. Selon moi, le plus grand échec est survenu très tôt lors de la récession. Les responsables de la politique monétaire auraient dû clairement dire, aux politiciens et au public, qu’avec les taux d’intérêt à leur borne inférieure zéro (zero lower bound), elles ne pouvaient plus assurer leur mission efficacement et que la relance budgétaire les aurait aidé. Les banques centrales avaient le pouvoir d’empêcher la mise en œuvre des plans d’austérité, mais elles ont échoué à l’utiliser.

Les autorités monétaires le l’ont pas vu de cette manière. Elles vont citer l’usage de la politique monétaire non conventionnelle (…), les risques d’un accroissement de la dette publique (en-dehors de la zone euro, il n’existe pas ; dans la zone euro, il est auto-réalisé), et durant l’année 2011 une accélération de l’inflation. Je pense que cette dernière excuse est la seule tenable, mais pour ce qui est des Etats-Unis tout du moins, le calendrier ne colle pas. La grosse erreur que j’ai notée ci-dessus survint en 2009 et au début de l’année 2010.

Ce que peut être l’erreur n° 3

La troisième grosse erreur est aujourd’hui commise au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Il s’agit de leur pessimisme à propos de l’offre. Les banquiers centraux veulent "normaliser" leur situation, soit en disant que leurs taux ne sont plus contraints par la borne inférieure zéro (cas du Royaume-Uni) ou en accroissant les taux au-dessus de la borne inférieure zéro (cas des Etats-Unis). Ils veulent convaincre qu’ils contrôlent les choses. Mais cela implique de ne jamais regagner la capacité qui a été perdue suite à la Grande Récession.

Les situations du Royaume-Uni et des Etats-Unis sont différentes. Au Royaume-Uni, l’inflation sous-jacente est sous la cible, mais certaines mesures de l’utilisation des capacités suggèrent que la production est à son potentiel. Aux Etats-Unis l’inflation sous-jacente est légèrement au-dessus de la cible, mais un significatif écart de production (output gap) demeure. Au Royaume-Uni, les estimations de l’écart de production sont utilisées pour justifier le fait de ne pas réduire les taux à leur borne inférieure zéro (1), tandis qu’aux Etats-Unis les chiffres de l’inflation aident à justifier une hausse des taux au-dessus de la borne inférieure zéro. (La BCE essaye toujours de stimuler l’économie autant qu’elle le peut, parce que l’inflation sous-jacente est sous sa cible et qu’il y a un écart de production, bien que des économistes (2) et politiciens allemands affirment naturellement le contraire.)

Je pense que ces différences sont des détails. Dans les deux cas, la banque centrale traite la production potentielle comme quelque chose d’indépendant de ses propres décisions et du niveau effectif de la production. En d’autres termes, à leurs yeux, c’est simplement une coïncidence que la croissance de la productivité ait significativement ralenti à peu près au même instant que la Grande Récession. Ou, si ce n’est pas une coïncidence, cela représente un coût inévitable et permanent de la crise financière.

Peut-être que c’est correct, mais il est plus que probable que ça ne le soit pas. Si ça ne l’est pas, en essayant d’ajuster la demande à un niveau d’offre que l’on juge incorrectement bas, les banques centrales gâchent un large montant de ressources potentielles. Leurs excuses pour agir ainsi ne sont pas robustes. La vraie question à poser est si les firmes avec la technologie courante aimeraient produire plus si la demande pour cette production était là, et nous n’avons pas de bonnes données sur ça.

Ce que les banques centrales doivent faire dans de telles circonstances est de laisser leur économie être en surchauffe pendant un temps, même si cela doit entraîner une hausse de l’inflation au-delà de sa cible. Si lorsque vous faites cela l’inflation des prix et des salaires continue de s’élever au-delà de la cible, alors que l’"offre" ne présente pas de signe d’accroissement avec la demande, alors le pessimisme se sera révélé exact et la banque centrale pourra facilement faire machine arrière. Les coûts de cette expérience ne seront pas élevés et ils seront même négligeables par rapport aux coûts d’une erreur dans l’autre sens. Il ne semble pas que la Banque d’Angleterre ou la Fed soient prêts à faire cela. Si nous trouvons par la suite que leur pessimisme du côté de l’offre était incorrect (peut-être parce que l’inflation continue à passer plus de temps sous la cible ou, de façon plus optimiste, parce que la croissance dans certains pays excède les estimations d’offre actuelles sans générer une inflation croissante), cela peut marquer la fin de l’indépendance de la banque centrale. Trois chefs d’accusation et vous êtes condamné ? (…)

Je n’ai aucun plaisir à écrire cela. Je pense qu’un cadre comme le comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre est un bon cadre pour prendre des décisions à propos des taux d’intérêt. Mais je trouve que c’est de plus en plus difficile de convaincre les non-économistes de cela. La Grande Modération n’est plus qu’un lointain souvenir voilé par les récents échecs. L’argument intellectuel selon lequel l’indépendance de la banque centrale a restreint nos moyens pour combattre les récessions est robuste, même si je crois qu’il est aussi erroné. L’économie dominante reste joliment attachée à l’indépendance de la banque centrale. Mais comme nous l’avons vu avec l’austérité, à la fin du jour ce que l’économie dominante pense n’est pas décisif lorsqu’il s’agit des décisions politiques sur des questions économiques. (…)

(1) Malheureusement, je pense que certaines de ces données d’enquêtes ne mesurent pas ce que beaucoup croient qu’elles mesurent. Surtout, ne pas réduire les taux après que les Conservateurs aient gagné les élections de 2015 fut une terrible erreur. Cette victoire représenta deux chocs déflationnistes majeurs : plus de consolidation budgétaire, plus d’incertitude créée par le référendum autour de l’Union européenne. Donc pourquoi les taux n’ont-ils pas été réduits ? (2) Mais pas tous les économistes allemands, comme on peut le voir ici. »

Simon Wren-Lewis, « Can central banks make 3 major mistakes in a row and stay independent? », in Mainly Macro (blog), 10 avril 2016. Traduit par Martin Anota