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Tag - BRIC

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mercredi 26 février 2014

Des BRIC aux MINT ?

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« En 2001, Jim O'Neill, alors économiste en chef chez Goldman Sachs, avait forgé l’acronyme "BRIC". Comme nous le savons tous aujourd’hui, c’était un raccourci pour rappeler que l’avenir de l'économie mondiale sera profondément marqué par les performances du Brésil, de la Russie, de l'Inde et de la Chine. Eh bien, O'Neill est de retour avec un nouvel acronyme, MINT, qui désigne le Mexique, l'Indonésie, le Nigeria et la Turquie. Dans un entretien accordé au New Statesman, O'Neill offre quelques autour de ce nouvel acronyme. (…)

Dans l'interview, O'Neill est bien rapide lorsqu’il s’agit de reconnaître le caractère arbitraire de ces groupements. A propos de l’acronyme BRIC, par exemple, il dit : "Si je devais le refaire aujourd’hui, je l’aurais probablement juste appelé C... L’économie chinoise est 1,5 fois plus grosse que les trois autres économies réunies." A propos des MINT, il voulait apparemment inclure à l’origine la Corée du Sud, mais la BBC l'a persuadé d'inclure le Nigeria. O'Neill dit : "C'est un peu gênant, mais aussi amusant, que j’obtienne en quelque sorte des acronymes décidés pour moi". Mais même des divisions arbitraires peuvent toujours être utiles et révélatrices. Dans cet esprit, voici quelques statistiques de base sur le PIB et le PIB par habitant des BRIC et des MINT en 2012.

GRAPHIQUE PIB et PIB par tête en 2012 (en dollars)

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source : Timothy Taylor (2014), d'après les données de la Banque mondiale

Quelles tendances peut-on observer ?

1) L'économie en croissance la plus représentative pour l'Amérique latine est désormais le Mexique et non plus le Brésil. Ce changement est compréhensible. Le Brésil a connu une croissance inférieure à la normale pendant quatre ans, son économie est en récession et elle connaît une fuite des capitaux. Pendant ce temps, le Mexique forme une alliance économique avec les trois autres nations d’Amérique latine qui ont la plus forte croissance, la plus faible inflation et le meilleur climat d'affaires, en l’occurrence le Chili, la Colombie et le Pérou.

2) Chaque économie composant les MINT est bien plus petite que chaque économie composant les BRIC. (…) Il est toujours vrai que la Chine est le facteur clé qui façonnera la croissance des pays émergents à l'avenir.

3) O'Neill soutient que même si les MINT diffèrent à bien des égards, leurs populations sont à la fois importantes et relativement jeunes, ce qui devrait contribuer à stimuler leur croissance économique. Selon lui, "c'est la clé. Avoir de bonnes données démographiques facilite les choses". C’est peut-être un peu exagéré. Toutefois, selon la théorie du "dividende démographique" (demographic dividend), les pays avec une plus grande proportion de jeunes travailleurs sont bien mieux positionnés pour la croissance économique que les pays ayant une proportion croissante de travailleurs âgés et de retraités.

4) Une manière de considérer les MINT, c'est de percevoir ce qu’ils représentent pour leurs régions respectives. Ainsi, le Mexique, bien qu’il ne représente que la moitié de la taille de l'économie brésilienne, représente l'avenir de l'Amérique latine. L’Indonésie, bien que plus petite que l'économie indienne et surtout que l’économie chinoise, représente le potentiel de croissance pour l'Usine Asie (Factory Asia), cet ensemble de pays qui construit des chaînes de valeur internationales dans cette région. La Turquie représente un potentiel de croissance dans l’Usine Europe (Factory Europe), cet ensemble de liens économiques qui se nouent dans la périphérie européenne. L'économie du Nigeria semble particulièrement faible comparée aux trois autres présentes sur cette liste, mais les estimations de croissance économique pour le Nigeria sont susceptibles d'être fortement révisées à la hausse dans un avenir proche, parce que les agences statistiques gouvernementales nigérianes sont en train de "changer de base" pour calculer le PIB, afin qu'il soit plus représentatif de la structure économique du Nigeria en 2014, alors que précédente année "de base" était 1990. Même avec ce changement de base, le Nigeria restera la plus petite économie sur cette liste, mais elle est susceptible de devenir la plus grande économie en Afrique sub-saharienne (en dépassant l'Afrique du Sud). Ainsi, avec le Nigeria, la croissance économique va peut-être enfin prendre pied en Afrique. »

Timothy Taylor, « From BRICs to MINTs? », in Conversable Economist (blog), 24 février 2014. Traduit par Martin Anota


aller plus loin... lire « La croissance des émergents réserve-t-elle encore des miracles ? » et « La renaissance des pays en développement »

mercredi 9 octobre 2013

Pourquoi la croissance des BRICS ralentit-elle ?

BRICS_emergents_ralentissement_croissance.jpg

« Pendant un certain temps, la croissance mondiale a été stimulée par les BRICS — Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud. Or, depuis quelques années, ils s’essoufflent, ce qui soulève certaines questions fondamentales. Pourquoi le ralentissement est-il simultané? Est-il seulement cyclique ou bien structurel, ce qui aurait de plus grandes conséquences pour l’économie mondiale? (…)

Les Perspectives de l’économie mondiale (PEM) prévoient que la croissance en Afrique du sud, en Chine, en Russie et en Inde sera inférieure de 1½ à 4¼ points en 2013 par rapport à 20111. L’économie brésilienne n’a connu pendant cette période qu’un ralentissement marginal, mais c’est seulement parce que le taux de croissance a diminué de près de 5 points en 2011.

GRAPHIQUE 1 Croissance réelle du PIB (en pourcentage)

BRICS_croissance_PIB_FMI.png

note : , les zones en gris indiquent les années de ralentissement de la croissance

Cela dit, ces ralentissements sont loin d’être sans précédent, comme le montre le graphique 1. Dans certains BRICS, ils ne sont même pas inhabituels. Au Brésil, le dernier en date est en fait très modéré en comparaison aux ralentissements antérieurs d’une durée de deux ans (intervenus depuis 1980, périodes en gris). En Afrique du sud, il est moindre que les deux tiers des précédents. En Chine aussi, le ralentissement actuel est (jusqu’à présent) moins marqué que les décélérations observées à la fin des années 80 et 90.

C’est peut-être surtout parce que l’ampleur du ralentissement actuel était imprévu qu’il attire tant l’attention. Bien sûr, les BRICS étaient voués à décélérer et à retrouver des taux de croissance plus modérés après le rebond qui a suivi la crise financière mondiale, mais les taux de croissance ont baissé bien plus qu’on ne s’y attendait. Si l’on compare les prévisions de croissance des PEM pour 2013 faites à l’automne 2011 et à l’automne 2013, la réduction est de 1½ à 2½ points pour le Brésil, la Chine, la Russie et l’Afrique du sud et de l’ordre de 4½ pour l’Inde. Cela signifie-il que la croissance potentielle a diminué ?

Avant d’essayer de répondre à cette question, il faut clarifier le concept de croissance potentielle. Si l’on se réfère à Okun (1962), la production potentielle correspond à la production réelle compatible avec une inflation stable; son taux de croissance est donc la croissance potentielle. (…) La définition d’Okun a une dimension économique parce qu’elle rapproche «l’écart de production» (la différence entre production potentielle et effective) du comportement de l’inflation. Quand l’économie a une marge d’expansion (écart de production négatif), l’inflation tend à fléchir, alors que s’il y a peu de capacités inemployées (écart de production positif) elle tend à s’accélérer. Cette corrélation, comparable à la courbe de Phillips, est une composante essentielle de la technique de modélisation employée ici pour estimer la production potentielle. Pour simplifier, si la croissance ralentit, mais pas l’inflation, cela laisse penser que la croissance potentielle a diminué.

GRAPHIQUE 2 Composition des variations de la croissance 2011–2013 (en points de pourcentage)

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Le tableau indique les estimations faites (…) et le graphique 2 les représente. (…) Contrairement à une opinion répandue, l’affaiblissement des facteurs cycliques joue un rôle important; il explique l’essentiel de la décélération en Russie et en Afrique du sud ainsi qu’à peu près la moitié en Inde et en Chine. Le rôle de la dissipation des facteurs cycliques apparaît aussi dans les estimations de l’écart de production.

Bien que la croissance des BRICS se soit déjà modérée en 2011 par rapport au rebond de 2010, la production était encore estimée supérieure de près de 1 % au potentiel au Brésil, en Chine et en Inde. Elle n’y était estimée inférieure qu’en Russie et en Afrique du sud, comme depuis le début de la récession mondiale en 2009. En 2013, au contraire, on juge l’écart de production négatif dans tous les BRICS. Il est le plus marqué au Brésil et en Inde (de 1 % à 2 % du potentiel) et le moins accusé en Chine, en Russie et en Afrique du sud (à peu près ½ % du potentiel).

GRAPHIQUE 3 Croissance des exportations mondiales et taux d’intérêt réel américain ex ante (en pourcentage)

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Comment expliquer que le ralentissement cyclique ait été simultané et brutal dans ces pays ? Des facteurs communs ont très probablement joué (cf. graphiques 3 et 4). À la suite de la crise financière mondiale, les autorités de ces pays ont mis en œuvre une relance monétaire et budgétaire d’amplitude exceptionnelle, notamment en Chine, mais aussi dans les autres BRICS. Au même moment — en partie du fait de cette relance — l’économie mondiale a commencé à se redresser, donnant une impulsion supplémentaire; les exportations sont reparties vigoureusement, les taux d’intérêt ont baissé et les prix des produits de base ont augmenté au bénéfice de la Russie (énergie), du Brésil et de l’Afrique du sud (produits de base hors combustibles). Mais, à partir de 2011, ces facteurs ont commencé à se dissiper : les effets de la relance se sont amenuisés, la demande mondiale d’exportations s’est ralentie et les prix des produits de base se sont détendus. Parallèlement à la disparition graduelle des facteurs cycliques, la croissance potentielle a commencé à fléchir. La réduction est de l’ordre d’¼ à ½ point pour l’Afrique du sud, la Russie et le Brésil ainsi que d’à peu près de 1 à 1½ point en Chine et en Inde. Pour ces deux derniers pays, il s’agit d’une inflexion significative. (…)

GRAPHIQUE 4 Prix des produits de base (indice, 2010 = 100)

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La baisse de la croissance potentielle indique l’existence de sérieux obstacles structurels. Ainsi, le potentiel de l’Inde est limité par divers éléments : goulets d’étranglement sur l’offre imputables au cadre réglementaire régissant les activités minières, l’énergie, les télécommunications et d’autres secteurs; ralentissement consécutif de l’obtention de permis et de l’autorisation de projets; excès d’endettement dans les bilans des entreprises.

Néanmoins, il faut remettre en perspective le recul de la croissance potentielle. Il n’implique pas une diminution permanente du taux de croissance à long terme, à l’état stationnaire. En effet, la croissance potentielle varie sans cesse du fait de l’évolution à court terme de l’offre. Pour savoir si le récent ralentissement de la croissance est susceptible de durer, il faut donc intégrer des informations extérieures au modèle. Les prévisions à cinq ans des PEM donnent ce type d’éclairage. Pour l’Afrique du sud, le Brésil et l’Inde, elles font état d’une croissance à peu près égale (ou supérieure) à la moyenne des 15 dernières années (cf. tableau). Il y a néanmoins deux exceptions, la Chine et la Russie, où la croissance prévue est sensiblement inférieure.

TABLEAU Prévision de croissance à cinq ans et croissance moyenne de 1998 à 2013 dans les BRICS (en points de pourcentage)

BRICS_croissance_potentielle_conjoncturelle_FMI_2013.png

Pourquoi anticipe-t-on une baisse des taux de croissance à long terme de la Chine et de la Russie? Dans les deux cas, c’est surtout parce que leur modèle actuel de développement touche à sa fin. La Chine a misé jusqu’à présent sur une croissance extensive, l’État favorisant l’accumulation de capital et le transfert de main-d’œuvre des campagnes vers les industries situées en milieu urbain5. Mais le taux d’investissement extrêmement élevé (près de 50 % du PIB) a eu pour conséquence des capacités excédentaires et des rendements décroissants. Parallèlement, du fait de l’évolution démographique, la population active va commencer à diminuer après 2014 et l’excédent de main-d’œuvre disparaîtra vers 2020. En outre, la hausse de la productivité totale des facteurs se ralentira probablement au fur et à mesure que la Chine se rapprochera des pays à revenu élevé. Dans ces conditions, en l’absence de réformes fondamentales pour rééquilibrer l’économie vers la consommation et stimuler les gains de productivité par la déréglementation, la croissance devrait beaucoup ralentir.

La situation est similaire en Russie. Depuis un certain temps, l’expansion est freinée par l’insuffisance des infrastructures physiques — notamment dans les réseaux de transport et d’électricité — par une trop grande dépendance aux produits de base et par un cadre des activités d’affaires peu porteur. L’économie est néanmoins parvenue à se développer grâce à la hausse des prix du pétrole et à l’utilisation de capacités inemployées. Mais ce modèle semble maintenant à bout de souffle et la croissance va aussi être pénalisée par les facteurs démographiques.

Nous pouvons répondre maintenant à la question posée au départ : le ralentissement de la croissance est-il structurel ou cyclique? Il semble pouvoir être largement imputé à la disparition progressive de facteurs cycliques positifs. La croissance potentielle a aussi diminué. Mais on ne prévoit la persistance d’une croissance ralentie qu’en Chine et en Russie. »

FMI, « Comment expliquer le ralentissement des BRICS ? », in Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2013.


aller plus loin... lire « L'épuisement du modèle de croissance chinois »