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Tag - Natixis

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samedi 23 mai 2015

Le risque de déflation a-t-il disparu en zone euro ?

« Quatre mois après l’annonce du lancement du vaste programme d’achats de titres par la BCE et trois mois après le début de sa mise en œuvre effective, un certain nombre d’indicateurs envoient des signaux positifs suggérant une diminution du risque de déflation dans la zone euro.

La déflation est caractérisée par une baisse généralisée et autoentretenue des prix et des salaires qui est liée à un déficit de demande. On parle de spirale déflationniste car le phénomène s’auto-entretient, la baisse des prix engendrant un comportement attentiste des agents privés réduisant davantage la demande qui conduit à une nouvelle baisse des prix. La réduction conjointe de l’activité et des prix dégrade la solvabilité des agents endettés et entraine une hausse de l’endettement qui devient difficilement gérable. Dans ce processus, les anticipations d’inflation jouent un rôle clé puisqu’elles déterminent l’entrée et la sortie de déflation.

Quels sont les facteurs à l’origine de l’émergence du risque de déflation en zone euro ?

Conséquence de la crise des dettes souveraines, les pays périphériques ont mis en place des politiques budgétaires très restrictives réduisant nettement la demande domestique. De plus, les agents privés ont également été contraints de se désendetter ce qui a pesé davantage sur la demande. Par ailleurs, pour restaurer leur compétitivité, les pays ont mené des politiques de modérations salariales. Résultat, ils ont connu une chute de la consommation et de l’investissement et un net ralentissement des prix et des salaires. La revue des bilans bancaires de 2014 a également contribué à une réduction de la taille des bilans bancaires affaiblissant davantage le crédit. Situation s’approchant de la déflation avec le net ralentissement de l’inflation sous-jacente, à laquelle s’est ajoutée la chute du prix du pétrole à partir de l’été 2014. Le risque était alors que la faiblesse des prix soit renforcée par des effets de second tour. Les anticipations d’inflation ont commencé à décrocher à la fin de l’été 2014 renforçant significativement le risque de déflation.

Où en est-on aujourd’hui ?

Le déficit de demande, l’une des caractéristiques de la déflation, s’estompe progressivement. En effet, la croissance accélère depuis le début de l’année (+0,4% T/T au T1-2015) sous l’effet principalement d’un redémarrage de la consommation des ménages. Le desserrement des politiques budgétaires, la baisse du prix du pétrole, la dépréciation de l’euro et la faiblesse des taux d’intérêt ont commencé à porter leurs fruits. Cette reprise de la demande intérieure a été accompagnée par un début de redémarrage des crédits aux agents privés au cours des derniers mois, notamment des crédits aux entreprises. Toutefois, la reprise reste encore fragile à ce stade. Si les enquêtes auprès des agents privés ont révélé une amélioration du moral des ménages et des entreprises en début d’année 2015, ces dernières restent encore prudentes.

Après un point bas à -0,6% en janvier, l’inflation a progressé pour revenir à 0% en avril. Les autres mesures de prix montrent également les premiers frémissements de retournement à la hausse : les prix de production (hors énergie) augmentent à nouveau légèrement. Les perspectives de prix des différentes enquêtes auprès des industriels et des ménages se redressent progressivement. Enfin, les autres mesures d’anticipation d’inflation montrent également des signes de raffermissement : les anticipations d’inflation 5 ans à 5 ans sont revenues à 1,8 % après un point bas à 1,48 % mi-janvier et les anticipations d’inflation des prévisionnistes à 2 ans ont aussi légèrement augmenté. Le lancement de l'assouplissement quantitatif (quantitative easing) a été concomitant à une nette hausse du prix du pétrole ces derniers mois, il est en conséquence compliqué de départager les effets de chacun de ces deux facteurs sur l’évolution des anticipations d’inflation (cf. "Le QE de la BCE a-t-il des effets sur l'inflation ?"). En tout cas, la remontée du prix du pétrole, d’un point bas à 45$ le baril mi-janvier à environ 65 dollars aujourd’hui, est un facteur important pour expliquer le rebond de l’inflation depuis février et le retournement à la hausse des anticipations. L’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) s’est stabilisée à un bas niveau (0,6%) et devrait rester modérée dans les mois qui viennent, avec toujours des tensions désinflationnistes liées aux différentes réformes en cours (marché du travail, déréglementations,…).

Au total, si le risque de déflation semble légèrement s’atténuer, il ne faudrait pas oublier que l’amélioration récente des perspectives reste fragile et que l’évolution (très incertaine) du prix du pétrole dans les mois qui viennent jouera un rôle important. »

Marie-Pierre Ripert, « Zone euro : le risque de déflation a-t-il disparu ? », édito de l'Eco Hebdo de Natixis, n° 19, 22 mai 2015

vendredi 3 avril 2015

L'assouplissement quantitatif de la BCE a-t-il des effets sur l'inflation ?

« Alors que les premiers bilans de l'assouplissement quantitatif (quantitative easing) de la BCE sur les marchés financiers sont assez aisés à réaliser et commencent à être dressés, les conséquences sur l’économie réelle sont plus difficiles à appréhender car les mécanismes en jeu sont beaucoup plus longs à produire leurs effets. Sur les marchés, les impacts les plus significatifs depuis le début de l’année sont la poursuite de la baisse des taux d’intérêt, le net rebond des marchés actions et la baisse de l’euro même s’il s’est renforcé depuis le dernier FOMC de la Fed le 18 mars. Les effets sur l’économie réelle se matérialisent avec un certain délai, passant par l’amélioration progressive de la transmission de la politique monétaire et les effets induits sur les crédits ou encore via l’amélioration de la compétitivité des entreprises européennes.

Au-delà de ces conséquences de l'assouplissement quantitatif, l’objectif principal de la BCE est de faire repartir l’inflation pour qu’elle revienne légèrement en dessous de 2% à moyen terme. Or l’impact de la politique monétaire sur l’inflation n’est pas immédiat mais passe par différents canaux. En théorie, la progression de la masse monétaire provoque une hausse de l’inflation. Toutefois, le lien, d’une part, entre la base monétaire et la masse monétaire, et d’autre part entre cette dernière et l’inflation s’est révélé fragile dans le passé.

Le canal le plus direct est celui du taux de change puisque la dépréciation de l’euro dégrade les termes de l’échange en rendant les prix des biens importés plus chers. Cet effet a été en partie masqué par la concomitance de la chute du prix du pétrole avec celle de l’euro. Les prix d’importation du secteur industriel sont en effet en baisse de 6% sur un an mais si on retire la composante "énergie", les prix d’importation sont revenus sur une tendance haussière depuis le début du mouvement de réappréciation de l’euro. Les prix de production sont également tirés à la baisse par l’énergie et par la composante "biens de consommation non durables" alors que les prix de production des autres secteurs sont plutôt sur une tendance légèrement haussière. Au total, on commence bien à voir un effet de la dépréciation du change sur certaines mesures de prix en amont des prix à la consommation.

La dépréciation du change a également un effet haussier indirect sur les prix via la reprise de la croissance induite par l’amélioration de la compétitivité des entreprises. Plus globalement, l’assouplissement des conditions monétaires via la réduction des taux d’intérêt réels soutient en théorie la reprise de l’activité. Dans un deuxième temps, cette dernière doit conduire à une amélioration sur les différents marchés (de biens et du travail) et en corollaire y atténuer les tensions désinflationnistes en cours. Cet effet risque d’être assez long à apparaître.

La troisième voie est celle de la confiance. L'assouplissement quantitatif vise à ancrer les anticipations d’inflation des agents de façon à limiter le risque d’une entrée dans une spirale déflationniste. La chute des anticipations d’inflation à la fin de l’été dernier a été un facteur déterminant dans la décision de l'assouplissement quantitatif. Le swap inflation 5 ans à 5 ans était passé d’un niveau de 2,10% en août à 1,90% mi-septembre et a ensuite atteint un point bas mi- janvier à 1,48%. Depuis le lancement de l'assouplissement quantitatif, elles se sont redressées (aujourd’hui à 1,68%) mais elles restent encore à un niveau considéré comme trop faible par la BCE.

L’inflation de la zone euro a commencé à se redresser ces deux derniers mois pour atteindre -0,1% en mars, après un point bas en janvier à -0,6%. Toutefois, cette tendance haussière résulte principalement du rebond du prix du pétrole. L’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) est restée faible (0,6%) et ne montre pas de signe d’accélération.

A court terme, l’inflation va rester très dépendante de l’évolution du prix du pétrole. Ainsi, l’impact de la politique monétaire sur l’inflation devra se juger sur l’évolution de l’inflation sous-jacente et sur celle des anticipations d’inflation.

Il est assez difficile de vouloir générer de l’inflation alors que les pays de la zone euro sont dans des phases d’ajustement à la baisse de leurs coûts et de libéralisation d’un certain nombre de secteurs entretenant des pressions désinflationnistes. Par ailleurs, on peut se poser la question de l’utilité du soutien de l’inflation par la dépréciation du taux de change (perte de revenu) mais aujourd’hui la priorité de la BCE est sa crédibilité dans sa lutte contre le risque de déflation.

Marie-Pierre Ripert, « Le QE de la BCE a-t-il des effets sur l'inflation ? », édito de l'Eco Hebdo de Natixis, n° 13, 3 avril 2015