Annotations

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Tag - lowflation

Fil des billets

mercredi 16 avril 2014

Le coût de la faible inflation

Jurgen_Stark__ECB__BCE__lowflation__deflation__deflation__faible_inflation.jpg

« Au mois de mars, le taux d’inflation de la zone euro a été plus faible que celui attendu, ce qui a soulevé des inquiétudes à propos de la déflation ou de la faible inflation (la "lowflation" comme l’appelle le FMI). Dans un article publié dans le Financial Times, Jurgen Stark, un ancien responsable à la BCE, affirme que la déflation ou la faible inflation ne sont pas un problème. Au contraire, selon lui la faible inflation est une bonne chose. "Il est probable que nous connaissions une période prolongée de stabilité des prix. C’est une bonne nouvelle. Elle stimule le revenu disponible réel et va finalement soutenir la consommation privée". (C’est d’ailleurs le même argument que Mario Draghi a avancé lors de sa dernière conférence de presse).

Donc la faible inflation élève le revenu réel et elle contribue à stimuler la demande et la production. La logique économique derrière cette affirmation est au mieux imprécise, au pire totalement erronée. Malheureusement la mauvaise conception des choses que sous-tend cette phrase est partagée par beaucoup et elle reflète la mauvaise compréhension du public (et des responsables politiques) de l’inflation et des variables nominales et réelles. Mais elle repose aussi sur des arguments académiques basés sur des modèles avec rigidité des prix qui, selon moi, ne sont pas toujours aussi clairs qu’ils le devraient lorsqu’il s’agit d’analyser la dynamique des prix absolus et relatifs.

Commençons avec le commentaire de Jurgen Stark : son hypothèse est que les prix s’accroissent moins rapidement que le revenu. Mais il oublie que le revenu est lié au prix. C’est possible qu’avec la faible inflation le revenu réel de certains agents s’accroisse, mais ce serait au détriment du revenu réel d’autres agents. Par exemple, si les salaires s’accroissent à un rythme soutenu, mais que les prix chutent (ou s’accroissent moins rapidement) cela signifie que les salaires réels s’accroissent. Mais c’est en raison d’une redistribution qui transfère une partie des revenus des capitalistes vers les travailleurs. La demande totale n’est affectée que si nous supposons que la propension à consommer diffère d’un groupe à l’autre. Et si c’est ce mécanisme que nous avons en tête, alors réclamons une hausse généralisée des salaires pour sortir d’une crise (je doute que Jurgen Stark partage cette conclusion).

Mais qu’est-ce que les modèles académiques ont à dire à propos des effets de prix relatifs liés aux changements dans l’inflation ? Pas grand-chose ou, du moins, des choses qui ne soient pas suffisamment claires pour conduire à un consensus sur les recommandations de politique économique.

Commençons avec le model de base que nous enseignons en macroéconomie : le modèle IS-LM des manuels. Dans la plupart des manuels, il est habituellement présenté comme un pur modèle de demande. L’inflation (ou les prix) importent : une baisse des prix stimule la demande. La demande dépend du ratio monnaie nominale sur prix (M/P) et la baisse des prix est associée à une hausse de la production. C’est en effet le principal mécanisme par lequel une réduction des prix restaure l’équilibre de long terme. Donc dans ce monde-là, la faible inflation ou la déflation sont bonnes (c’est-à-dire que Jurgen Stark a raison).

L’idée que M/P influence la demande et la production n’est pas toujours évidente pour les étudiants, si bien que lorsque nous enseignons le modèle IS-LM nous avons pris l’habitude de faire référence au rôle potentiel que certains prix relatifs peuvent jouer pour générer les mêmes dynamiques de la production. En particulier, nous faisons intervenir les salaires dans l’histoire. Mais la logique devient alors confuse. En faisant intervenir les salaires, nous affirmons que les récessions sont des périodes au cours desquelles les salaires nominaux sont rigides et, comme les prix baissent, le salaire réel augmente et entraîne une contraction de l’emploi et de la production. La reprise suite à une récession correspond à une période où les salaires nominaux reviennent à la normale (décroissant par rapport à l’inflation), ce qui stimule la croissance de l’emploi et de la production. Mais il y a deux problèmes dans ce raisonnement : c’est un effet d’offre et non plus un effet de demande. Deuxièmement, si ce raisonnement est juste, l’accélération de l’inflation permet de restaurer l’équilibre (à l’opposé de la baisse des prix dans le premier argument). Les dynamiques relatives des différents prix sont cruciales pour soutenir la logique de ce raisonnement et parler de l’inflation (comme le fait Jurgen Stark) sans préciser clairement quels prix et salaires varient ne peut que porter à confusion.

Mais qu’est-il arrivé à la demande dans cette histoire ? L’argument des salaires réels est un argument de l’offre et l’hypothèse sur laquelle il se fonde est que la demande va s'équilibrer avec l’offre. Mais que se passe-t-il si nous supposons que les agents n’ont pas la même propension à consommer à court terme ? Alors toute variation des prix relatifs peut affecter la demande. Dans ce monde, il se peut que la baisse des prix contribue à accroître les salaires réels (et à diminuer les profits) et, si nous faisons l’hypothèse que les travailleurs ont une plus haute propension à consommer que les capitalistes, cela peut accroître la demande et la production (donc Jurgen Stark a de nouveau raison).

Les choses sont en fait plus compliquées, car les salaires réels ne sont pas le seul prix relatif à prendre en compte. Deux autres facteurs sont susceptibles d’affecter les effets potentiels des faibles prix. Premièrement, si les taux d’intérêt nominaux sont fixes (ou collés à leur borne inférieure zéro), la chute des prix ou de l’inflation va élever les taux d’intérêt réels et réduire la demande. De plus, si les actifs et passifs financiers sont libellés en termes nominaux, toute chute inattendue des prix ou de l’inflation va élever la valeur réelle de la dette. Ceci est encore un effet redistributif (...) mais si nous faisons l’hypothèse que les emprunteurs ont une plus haute propension à consommer ou simplement nécessitent plus d’aide pour nettoyer leurs bilans, il peut y avoir un effet négatif sur la demande.

Et les choses deviennent plus compliquées dans une économie ouverte où les prix (et les salaires) jouent un rôle dans la détermination des exportations et des importations. Typiquement nous enseignons que la baisse des prix est une bonne recette pour mettre en œuvre une dévaluation du taux de change réel qui aide l’économie à gagner en compétitivité et améliore sa croissance (mais lorsque nous faisons cela, nous ignorons les autres répercussions négatives des faibles prix ou de la faible inflation).

Finalement il se peut que les effets de la faible inflation ne soient pas du tout liés aux prix relatifs. La confusion entre variables nominales et réelles a été soulignée à de nombreuses reprises et la chute de l’inflation (même si tous les prix et taux d’intérêt varient simultanément) peut entraîner des effets réels si elle est interprétée comme une variation réelle du revenu ou des prix relatifs.

Donc nous nous retrouvons au final avec un ensemble d’arguments qui se fondent sur différents modèles avec un certain type de rigidité nominale, mais ceux-ci ne sont pas toujours cohérents entre eux dans leurs prédictions. (…) Dans certains scénarios l’inflation (…) est une bonne chose, dans d’autres scénarios l’inflation (…) est au contraire mauvaise. Il devient alors très difficile de faire des recommandations de politique économique.

Par exemple, que voulons-nous voir en périphérie de la zone euro ? Une moindre inflation ou une plus forte inflation ? Une plus faible inflation semble une bonne chose pour entraîner un ajustement dans le taux de change réel. Mais voulons-nous une moindre inflation des prix, une moindre inflation des salaires ou les deux ? Comment les rigidités des salaires nominaux et les potentiels effets dans la distribution du revenu (du capital vers le travail ou des épargnants vers les emprunteurs) affectent la demande ?

A mon sens, le consensus est que nous voulons un niveau d’inflation suffisamment élevé en zone euro pour obtenir de significatives variations des prix relatifs dans les pays (c’est ce que le FMI affirme dans ce billet). Mais il est moins évident de savoir exactement quel prix relatif doit varier et dans quelle direction. Habituellement nous pensons que la périphérie nécessite une moindre inflation des salaires (pour être plus compétitive). Mais une inflation pas trop faible, pour éviter que les salaires baissent en termes nominaux ou que la déflation accroisse la valeur réelle de la dette. Ceci semble raisonnable, mais nous supposons implicitement que la chute des salaires réels dans la périphérie de la zone euro est une bonne chose. Mais sommes-nous sûrs que les effets redistributifs de telles politiques n’affectent pas la demande (de la même manière que nous affirmons que les effets redistributifs entre épargnants et débiteurs affectent la demande) ? Il faut absolument préciser les arguments théoriques et déterminer précisément l’importance de chacun de ces effets au niveau empirique. »

Antonio Fatás, « The price is wrong », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 14 avril 2014. Traduit par Martin Anota.



aller plus loin...

« La zone euro est-elle au bord de la déflation ? »

« La BCE face à la faible inflation »

« La flexibilité des prix et salaires est-elle stabilisatrice ? »

vendredi 4 avril 2014

Dans la tête de Mario Draghi

MARKETS-FOREX/

« La conférence de presse tenue hier par Mario Draghi a de nouveau entretenu la confusion sur ce que la BCE a l'intention de faire. Peut-être que ce qu'il a appelé un consensus unanime au sein du conseil de la BCE n'est pas vraiment là. Ou peut-être qu’il n’y a consensus que sur l’idée qu’il y a des risques des deux côtés, que les données ne sont pas suffisamment claires, qu’elles peuvent être interprétées d’innombrables manières et qu’en l'absence de certitude il est préférable de ne pas agir.

Ses réponses ressemblaient à la parodie parfaite d'un économiste qui joue systématiquement la sécurité en commençant par un argument et affirmant ensuite que "d'autre part" nous pourrions aussi dire le contraire. En voici le meilleur exemple : "Ma plus grande crainte est (…) celle d’une stagnation prolongée, c’est-à-dire plus longue que ce que nous avions postulé dans notre scénario de base. À l'heure actuelle, c’est est assez grave, avec des niveaux de chômage qui (…) sont très élevés. Et plus le chômage persiste, plus il est susceptible de devenir structurel, c’est-à-dire beaucoup plus difficile à réduire via des mesures conventionnelles. Voilà ma plus grande peur et c'est pourquoi la politique monétaire est importante, mais ce n'est pas la seule chose. Pour répondre à cette crainte, il faut un ensemble complexe de politiques et, comme nous le soulignons toujours, les réformes structurelles viennent en premier, car la plupart des problèmes de la zone euro sont de nature structurelle".

Donc sa plus grande crainte est que le chômage conjoncturel se transforme en chômage structurel, donc je suppose que cela signifie que la BCE est prête à agir pour faire en sorte que cela ne se produise pas. Attendez ! Pas si vite, parce que sa plus grande crainte est que la politique monétaire est importante, mais pas aussi importante que les réformes structurelles qui sont la première priorité. Donc je suppose que tout le chômage conjoncturel s’est transformé en chômage structurel et qu’il est trop tard pour agir.

Et il reconnaît que la faible inflation est mauvaise et qu’elle est inférieure à l'objectif de la BCE. Mais une inflation faible peut aussi être bonne. "Il y a aussi des aspects positifs (associés à la faible inflation) dans le sens où elle soutient le revenu disponible réel, en particulier de ceux qui ont un revenu nominal fixe." Argument intéressant pour justifier une inflation faible (devrions-nous abaisser la cible d'inflation ?).

Et même si l'inflation est faible, elle n'est pas totalement sous le contrôle de la BCE. "Elle s’explique par des facteurs exogènes. En fait, si vous regardez quel est le taux d'inflation dans d'autres pays, par exemple aux États-Unis, où ils sont beaucoup plus avancés dans leur reprise que nous le sommes, ou en Suède, vous pouvez voir que la faible inflation s’explique en grande partir par des facteurs mondiaux".

Oui, l'inflation aux États-Unis est également faible, mais les mots et les actions de Janet Yellen sont très différents de celles de Draghi. Elle ne se contente pas de trouver des arguments pour expliquer pourquoi l'inflation est faible : elle est déterminée à la faire revenir à sa cible.

Donc je suppose que nous sommes partis pour une "stagnation prolongée". Nous allons attendre le chiffre de l'inflation d’avril que Draghi pense plus élevé que celui de mars. Et, s’il ne l'est pas, la BCE continuera à se rassurer à l’idée que les anticipations d'inflation à long terme sont encore ancrées. Ce que la BCE montre ces jours-ci, c'est que son obsession de l'inflation est encore pire que ce que nous pouvions penser. Il est difficile d'imaginer à quel point les chiffres de l’inflation doivent être faibles pour que la BCE prête enfin une certaine attention à son mandat. »

Antonio Fatás, « The many hands of Mario Draghi », in Antonio Fatás on The Global Economy (blog), 3 avril 2014. Traduit par Martin Anota


aller plus loin… lire « La zone euro est-elle au bord de la déflation ? »