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Tag - innovation

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mercredi 21 novembre 2012

Pouvons-nous tous être Scandinaves ?

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« Les Etats-Unis et les systèmes scandinaves ont produit des pays prospères et des taux de croissance économique similaires au cours des soixante dernières années. Des différences significatives, cependant, existent entre ces sociétés. Les Etats-Unis sont plus riches que le Danemark, la Finlande et la Suède. Ils sont aussi largement perçus comme une économie plus innovatrice. Ils ont joué un rôle leader dans de nombreuses technologies transformatives de ces dernières décennies, en partie parce qu’ils fournissent de plus hautes incitations à leurs entrepreneurs et travailleurs qui travaillent davantage d’heures, prennent moins de congés et prennent plus de risques. Les sociétés scandinaves ont de plus forts filets de sécurité, des Etats-providence plus élaborés et des répartitions de revenu plus égalitaires que les Etats-Unis. (…)

Pourquoi n’adoptons pas tous des institutions de type scandinave ? Plus largement, dans un monde interdépendant, pouvons-nous tous choisir le même type de capitalisme et, en particulier, combiner un capitalisme dynamique avec une forte emphase pour l’égalitarisme et la protection sociale ? (…)

En présence de liens économiques internationaux, les choix institutionnels de différentes sociétés sont aussi enchevêtrés. D’une part, les pays commercent entre eux et cela les pousse à se spécialiser. S’il y a certaines complémentarités entre les décisions de spécialisation et certains accords institutionnels, l’équilibre mondial peut être asymétrique. Certains pays vont choisir la voie « libérale » et se spécialiser dans des secteurs dans lesquels elle leur procure un avantage comparatif, tandis que d’autres choisissent la route coordonnée et se spécialisent dans d’autres secteurs.

Un autre lien international est de nature technologique et c’est celui que notre étude développe formellement. Nous considérons un modèle dynamique canonique de progrès technologique endogène au niveau mondial avec trois aspects fondamentaux. Premièrement, il y a une interdépendance technologique entre les pays, avec les innovations technologiques des pays les plus avancés technologiquement qui contribuent à repousser la frontière technologique mondiale, sur laquelle les autres pays peuvent à leur tour se baser pour innover et connaître la croissance économique. Deuxièmement, nous considérons que l’effort d’innovation exige des incitations qui dépendent de la structure de rémunérations en place. Par conséquent, un plus grand écart de revenu entre les entrepreneurs fructueux et les entrepreneurs infructueux accroît l’effort entrepreneurial et donc la contribution d’un pays à la frontière technologique mondiale. (…)

Le fait que le progrès technologique exige des incitations pour les travailleurs et entrepreneurs se traduit par de plus fortes inégalités et une plus grande pauvreté (et plus faible filet de protection) pour une société qui incite à une plus intense innovation. (…) Dans un monde avec des interdépendances technologiques, lorsque l’une (ou un sous-ensemble limité) des sociétés est à la frontière technologique et contribue disproportionnellement à la repousser, les incitations pour les autres pays à en faire autant vont être plus faibles. En particulier, les incitations à innover pour les économies à la frontière technologique mondiale vont générer une plus forte croissance économique en repoussant la frontière, tandis que les fortes incitations à innover par les suiveurs vont seulement accroître leurs revenus aujourd’hui puisque la frontière technologique mondiale est déjà repoussée par les économies à la frontière.

Cette logique implique que l’équilibre mondial avec transferts technologiques endogènes est typiquement asymétrique avec certains pays qui ont de plus grandes incitations à innover que d’autres. A un tel équilibre, les pays les plus avancés technologiquement optent pour des institutions de type libéral (ce que nous appelons le capitalisme « acharné ») avec de puissantes incitations, peu d’assurance sociale et d’importantes inégalités de revenus, tandis que les pays suiveurs adoptent des institutions de type coordonné (ce que nous appelons un capitalisme « généreux ») comme meilleure réponse à la contribution du meneur technologique de la frontière technologique mondiale, en assurant par conséquent une meilleure assurance à leur population et de moindres inégalités. (…)

A long terme, tous les pays tendent à avoir des taux similaires de croissance économique, mais ceux qui ont des structures de rémunération « généreuses » sont strictement plus pauvres. (…) Ces pays peuvent avoir un bien-être plus élevé que le meneur acharné ; en fait, si l’écart initial entre l’économie-frontière et les suiveurs est suffisamment faible, les suiveurs généreux vont nécessairement avoir un bien-être plus élevé grâce à l’assurance sociale plus développée que fournissent leurs institutions. (…)

Pourtant, (…) nous ne pouvons pas tous être comme les Scandinaves ! En effet, ce n’est pas un choix d’équilibre pour le meneur acharné, en l’occurrence les Etats-Unis, d’être généreux. Compte tenu des choix institutionnels des autres pays, si le meneur acharné adoptait un tel capitalisme généreux, cela réduirait le taux de croissance de l’économie mondiale, en décourageant l’adoption d’une structure de rémunérations plus égalitaire. En effet, ce choix, bien qu’il les rende plus pauvres, ne réduit pas de manière permanente leurs taux de croissance, grâce aux externalités technologiques positives créées par le meneur technologique acharné. Ce raisonnement suggère par conséquent que dans un monde interconnecté, il se peut que ce soit précisément l’existence d’une société américaine acharnée, avec ses inégalités croissantes, qui rende possible l’existence de sociétés scandinaves plus généreuses. »

Daron Acemoglu, James A Robinson & Thierry Verdier, « Choosing your own capitalism in a globalised world? », in VoxEU.org, 21 novembre 2012,

aller plus loin... « Transferts technologiques, Etat-providence et diversité des capitalismes »

vendredi 9 novembre 2012

Les interactions entre innovation et finance

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Chaque fois qu’une grappe d’innovations radicales émerge, elle entraîne un processus de changement structurel dans le système économique. Dans cette phase, des déséquilibres apparaissent habituellement, puisque le processus de changement structurel lance l’étape de la « destruction créatrice » de Schumpeter. De nouveaux secteurs apparaissent, attirant l’investissement en raison de plus hautes opportunités de profit, tandis que les autres secteurs de l’économie connaissent une profonde transformation pour s’adapter au nouveau contexte économique ou plutôt (si l’on suit Carlota Perez) au paradigme techno-économique émergent. Comme les nouvelles technologies se diffusent progressivement dans le système économique, elles entraînent un profond changement dans la structure productive et organisationnelle d’un nombre toujours plus grand de secteurs économiques. Cela exerce habituellement à son tour de significatifs effets sur les comportements d’investissement de la part des entreprises financières et non financières, sur le marché du travail et sur la répartition des richesses et revenus parmi les différents groupes sociaux, affectant par là les conditions de reproduction du système économique et menant potentiellement à l’instabilité macroéconomique.

Carlota Perez, avec son travail sur les révolutions technologiques et le capital financier, est l’une des rares chercheuses à souligner l’importance du lien entre innovation et finance. Elle s’est focalisée essentiellement sur le rôle joué par le capital financier durant les étapes d’« irruption » et d’« installation » d’un paradigme techno-économique. Fondé sur des données historiques, son travail a identifié un certain nombre de similarités caractérisant les phases majeures du développement. En particulier, son analyse met en lumière la récurrence de « bulles ancrées dans la technologie » durant la phase initiale de chaque phase majeure du développement et elle explique cela comme une conséquence de la manière par laquelle une économie capitaliste assimile une révolution technologique.

Cette ligne de recherche a contribué à son tour à stimuler un courant d’études empiriques qui ont identifié, au niveau microéconomique, d’importants faits stylisés concernant le lien entre innovation et finance (…). En particulier, elles ont démontré que la structure financière des entreprises est propre à affecter leurs stratégies d’investissement. De plus, certaines de ces études (…) suggèrent que les jeunes entreprises innovantes d’aujourd’hui, lorsqu’elles cherchent des ressources financières externes, dépendent de plus en plus des marchés financiers que du crédit bancaire. Ceci signifierait que le rôle de sélection joué par les banquiers dans la théorie originale de Schumpeter a été partiellement délégué aux marchés financiers. Les implications potentielles de ce fait ne sont évidemment pas triviales à la lumière de la logique pécuniaire caractérisant le fonctionnement des marchés financiers et de la récurrence de comportements spéculatifs. De plus, certaines études (…) ont montré que la volatilité des cours boursiers s’accroît durant l’étape initiale caractérisant l’émergence d’un secteur innovant et durant une période de changement technologique radical.

Les arguments précédents semblent confirmer l’actualité et la pertinence de l’analyse schumpetérienne, en focalisant sur les complexes rétroactions entre l’innovation et les dynamiques financières, dans le courant contexte économique. De plus, les résultats de ces études mettent en évidence la nécessité de développer un cadre macroéconomique qui soit cohérent et adapté pour analyser les interactions entre innovation et finance. L’élaboration d’une telle perspective nouvelle est même rendue plus urgente aujourd’hui en raison du rôle nouveau, significatif et incontournable que jouent les marchés financiers dans le fonctionnement de nos systèmes économiques, comme conséquence du processus de financiarisation qui débuta il y a plus de trente ans. Néanmoins un tel cadre est encore à élaborer. »

Alessandro Caiani, Antoine Godin & Stefano Lucarelli, « Innovation and finance: an SFC analysis of great surges of development », Levy Economics Institute, working paper, n° 733, octobre 2012.

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