Annotations

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Travail, emploi, chômage

Fil des billets

mardi 2 mars 2021

Le coût du travail affecte-t-il la demande de travail des entreprises ?

« (…) Tout employeur se préoccupe du coût du travail, c’est-à-dire des salaires et des cotisations sociales. Une rémunération attractive est essentielle pour que les gens candidatent à un emploi et travaillent dur, mais elle va aussi réduire les profits de l’employeur. Dans toute économie, les responsables politiques sont confrontés à un arbitrage en imposant des coûts salariaux plus élevés (par exemple en introduisant ou en revalorisant un salaire minimum) qui bénéficieraient aux travailleurs, mais réduiraient les profits. Savoir comment les employeurs réagissent à un coût du travail plus élevé est essentiel pour comprendre comment les emplois sont créés et pour prévoir l’impact économique de la réglementation du travail

Points positifs et négatifs


La question centrale est si la réaction d’un employeur à une hausse du coût du travail diffère de la réaction d’un consommateur à la hausse du prix des chemises. En général, elles ne devraient pas être différentes : dans les deux cas, il s’agit de savoir comment la demande de quelqu’un pour quelque chose réagit à la hausse de son prix. Avec les chemises, on s’attend à ce que la hausse des prix amène les consommateurs à en acheter moins et à porter plus longtemps les chemises qu’ils achètent. Avec les travailleurs, une hausse des coûts va amener les employeurs à utiliser moins de salariés et à les "utiliser" plus efficacement. Sur les quelques marchés du travail où un employeur domine ou s’avère être le seul employeur, celui-ci peut répondre différemment ; mais de tels marchés sont rares et ils deviennent encore plus rares à mesure que les forces du travail se développent et que le transport s’améliore.

La seule question importante est de savoir de combien l’emploi chute quand le coût du travail augmente. Il n’est pas question de savoir s’il va chuter, mais plutôt de savoir de quelle ampleur sera sa chute. C’est une question plus importante dans le cas des travailleurs que dans celui des chemises parce qu’environ 60 % des revenus dans une économie moderne sont générés par l’emploi.

L'ajustement de l’emploi quand le capital ne peut pas être ajusté

Quand le coût du travail augmente, un employeur n’a le choix dans l’immédiat qu’entre, d’une part, ne rien faire et absorber le coût supplémentaire et, d’autre part, réduire le montant de travail employé. Cela prend du temps de modifier les investissements dans les machines, les bâtiments et la technologie, ce qui peut permettre une opération plus efficace. D’un autre côté, il est plus rapide et facile de modifier les heures des travailleurs ou le nombre de travailleurs. Donc, la première décision d’un employeur quand le coût du travail augmente est de trancher s’il ne fait rien ou s’il réduit l’emploi ou le nombre d’heures travaillées et, s’il opte pour cette deuxième option, dans quelle mesure il les réduit.

Un ensemble d’éléments empiriques sur cette question provient d’études à grande échelle examinant comment l’emploi change dans des secteurs où les salaires horaires augmentent plus rapidement que dans d’autres secteurs aux caractéristiques similaires. Ces études, conduites pour différents pays et différents secteurs, aboutissent, sans surprise, à une grande variété de conclusions. Néanmoins, un consensus raisonnable de ce vaste corps de recherche est qu’une hausse des salaires horaires pousse les travailleurs à réduire l’emploi et le nombre d’heures travaillées. La meilleure estimation de ces études est qu’une hausse de 10 % du coût du travail entraîne une baisse de 3 % du nombre de salariés (ou à une baisse de 3 % du nombre d’heures travaillées, ou à une certaine combinaison des deux). C’est ce que l’on qualifie parfois de règle des "trois pour dix". (…)

Beaucoup de ces études (mais pas toutes) ignorent le fait que les employeurs prennent leurs décisions en matière de salaires et d’emploi en même temps. Cela amène à la question de "l’œuf et de la poule" quant à savoir si c’est la hausse du coût du travail qui entraîne la chute de l’emploi ou si c’est la hausse de la demande de travailleurs qui amène les employeurs à accroître les taux de salaires. Pour déceler une causalité, certaines études se focalisent sur des exemples spécifiques d’impact de chocs qui altèrent le nombre de travailleurs disponibles aux employeurs ou qui considèrent des changements des coûts du travail imposés de façon externe. Les études examinent comment l’intifada dans les territoires occupés par Israël a altéré les salaires et l’emploi (Angrist, 1996) ; comment de brutales baisses des cotisations sociales en Suède ont accru la demande de travail des entreprises dans ce pays (Egebark et Kaunitz, 2018) ; et comment le retrait des hommes de la main-d’œuvre civile aux Etats-Unis durant la Seconde Guerre mondiale a altéré l’emploi et le salaire des femmes (Acemoglu, Autor et Lyle, 2004). Ici aussi les analyses empiriques n’aboutissent pas aux mêmes conclusions. Mais, en somme, une hausse du coût du travail horaire amène les employeurs à utiliser moins de travailleurs.

A quelle vitesse la demande de travail s’ajuste-t-elle à une hausse du coût du travail ?

Les employeurs ne réagissent pas instantanément quand le coût du travail augmente. Il leur faut du temps avant pour se convaincre qu’une hausse du coût du travail n’est pas une aberration temporaire. Ils savent que cela prendra du temps de trouver de nouveaux travailleurs si et quand le coût du travail diminuera. En outre, en raison de la réglementation sur les licenciements et parce que la réduction de la main-d’œuvre via le départ des salariés est limitée par le nombre de salariés qui s’en iront vraiment et par le calendrier de leurs départs, l’employeur peut ne pas immédiatement réagir. Malgré ces complications, les données empiriques montrent que les choses changent assez rapidement. Aux Etats-Unis, au moins la moitié de la baisse de la demande de travail observée suite à une hausse du coût du travail s’opère sur les six premiers mois, alors que l’ajustement est plus lent en Europe continentale, mais à peine plus.

La hausse et la baisse de l’emploi n’a pas à s’effectuer à la même vitesse. Cela dépend des coûts d’embauche et de licenciement (ce que l’on appelle les "coûts d’ajustement") et sur la façon parce laquelle ils changent avec le nombre de travailleurs embauchés ou licenciés au cours d’une période de temps. Si les coûts par travailleur augmentent plus rapidement avec le nombre d’embauches ou licenciements, les employeurs sont poussés à lisser l’ajustement. Les études empiriques suggèrent que les coûts d’embauche sont bien moindres que les coûts de licenciement, en particulier dans les pays d’Europe de l’ouest, ce qui est cohérent avec l’idée que l’ajustement de l’emploi est asymétrique : les embauches se font plus rapidement que les licenciements en réponse à un choc sur le marché du travail (Kramarz et Michaud, 2010).

Alors que la demande de travail s’ajuste assez rapidement, les chocs aux marchés du travail génèrent des ajustements dans les résidences des gens et dans les structures qui hébergent des bureaux, des magasins et des usines et ces ajustements peuvent prendre beaucoup de temps. Les études empiriques pour les chocs touchant le marché du travail américain quand les salaires minima sont revalorisés suggèrent qu’il faut environ trois ans pour que l’ajustement à un choc soit à peu près complet (Meer et West, 2016).

L’ajustement de l’emploi quand l’investissement en capital peut être changé


Une hausse du coût du travail par travailleur ou heure travaillée peut rendre l’usage du capital plus attractif pour les employeurs. L'employeur sera d'autant plus tenté de prendre l'option de l'investissement s'il a du temps, auquel cas il substitue du capital au travail. Cela prend du temps parce qu’il est compliqué d’installer de nouvelles machines ou de construire de nouvelles usines qui permettent à l’entreprise d’opérer plus efficacement. Cela signifie que l’observation d’un "trois pour dix" à la réponse initiale des niveaux d’emploi aux variations du coût du travail sous-estime la réponse finale. En effet, les analyses empiriques suggèrent que la réponse finale de l’emploi à une hausse du coût du travail est bien plus forte. Une bonne estimation est qu’une hausse de 10 % du coût du travail entraîne en définitive une chute de 10 % de l’emploi et/ou des heures travailleurs, c’est-à-dire une réponse "dix pour dix".

Une autre façon pour un employeur de changer le montant du capital investi, tout comme de réduire ses besoins en main-d’œuvre, quand le coût du travail augmente, est de fermer un établissement existant. En allant plus loin, les entreprises peuvent même mettre fin à toutes leurs opérations si le coût du travail augmente tellement que l’activité ne devient plus rentable dans un avenir prévisible. La question est de savoir si l’impact sur l’emploi total d’une hausse donnée du coût du travail en conséquence des fermetures d’entreprises est le même que l’impact dû aux compressions au sein des entreprises. D’un autre côté, en regardant ce qui se passe quand le coût du travail baisse, la question est de savoir si les emplois générés via la création de nouvelles entreprises en réponse à un travail moins cher sont dans la même proportion que les emplois créés via les expansions des entreprises existantes.

Il y a relativement peu d’analyses empiriques spécifiques sur l’impact du coût du travail sur les créations ou destructions d’emplois dues aux ouvertures ou fermetures d’établissements ou d’entreprises. Les quelques études qui existent indiquent que les réponses aux changements du coût du travail opérant via ces canaux ne diffèrent pas, en moyenne, de ceux résultant des expansions ou contractions des établissements.

Tous les travailleurs ne sont pas affectés de la même façon par la hausse du coût du travail

(…) Le "travailleur moyen" n’existe pas. Certains travailleurs ont plus d’expérience professionnelle, de meilleures compétences et/ou plus de diplômes. Les hommes salariés se distinguent des femmes salariées, les travailleurs de la majorité ethnique se distinguent des travailleurs des minorités ethniques, et ainsi de suite. Dans la mesure où la demande de travailleurs émanant des employeurs change quand le coût du travail augmente diffère d’une catégorie de travailleurs à l’autre.

D’une façon ou d’une autre, ces différences tiennent aux différences dans les compétences que les travailleurs possèdent dans les différents groupes. Donc, une bonne façon de généraliser à propos des différences dans la façon par laquelle les employeurs répondent aux hausses du coût du travail de différents travailleurs est de considérer les qualifications des travailleurs. Les études empiriques montrent que les réponses des niveaux d’emplois à une hausse du coût du travail spécifique sont d’autant plus faibles que les travailleurs sont qualifiés. Par exemple, une hausse de 10 % du coût du travail amène les employeurs à davantage réduire l’emploi des adolescents et des jeunes adultes que celui des travailleurs plus âgés. Quand le coût du travail des travailleurs les moins diplômés augmente, leur emploi est réduit bien davantage que celui des travailleurs diplômés pour la même hausse.

GRAPHIQUE Les réponses de l’emploi à une hausse de 10 % du coût du travail

Daniel_Hamermesh__consequences_hausse_du_cout_du_travail_de_10___sur_l__emploi_qualifie_non_qualifie.png

Plusieurs études empiriques se sont attaquées à cette question en couvrant différents pays, différents niveaux de qualifications et différentes périodes de temps. Le graphique représente les résultats de plusieurs de ces études. Pour chacune d’entre elles, la baisse de l’emploi qualifié est rapportée en fonction de la baisse de l’emploi non qualifié quand les coûts du travail augmentent de 10 %. La diagonale montre les points où les variations de l’emploi qualifié et de l’emploi non qualifié sont égales. Excepté dans deux cas, la baisse de l’emploi qualifié est moindre que celle de l’emploi non qualifié.

Licencier des salariés ou réduire le temps de travail de chaque travailleur ?

Lorsque le coût d’une heure de travail (le taux de salaire du travailleur) augmente, l’employeur fait face à un choix : licencier des salariés, réduire le nombre d’heures travaillées ou opter pour une certaine combinaison des deux. Le choix importe pour la société : la plupart des gens préfèreraient voir tous les travailleurs perdre quatre heures par semaine plutôt que de voir 10 % d’entre eux perdre leur emploi, tandis que les 90 % restants gardent leur emploi sans que ne change leur durée de travail hebdomadaire.

Il y a une autre chose importante à prendre en considération : les coûts fixes du travail, ceux qui ne varient pas quand le nombre d’heures par travailleur varie. Par exemple, si l’employeur est responsable, comme aux Etats-Unis, de la fourniture d’une assurance médicale à ses salariés, ces coûts ne vont pas diminuer quand le nombre d’heures travaillées par travailleur diminue sans que le nombre de personnes embauchées ne change. De même, si les employeurs sont taxés sur un certain montant de la rémunération d’un travail, comme c’est le cas aux Etats-Unis avec la taxe qui finance l’assurance-chômage, le coût du travail ne diminue pas si le nombre d’heures travaillées par travailleur diminue. Donc, la réponse de l’employeur à une hausse du coût du travail n’y est pas indifférente (Rosen, 1968).

Les hausses du taux de salaire horaire et les hausses de ces coûts fixes réduisent l’emploi et le nombre d’heures travaillées. Mais une hausse des coûts fixes du travail augmente le coût de l’embauche d’un travailleur supplémentaire relativement au coût d’une heure travaillée supplémentaire par travailleur. En raison de cela, imposer une taxe par travailleur pousse les employeurs à embaucher moins de travailleurs et à allonger le nombre d’heures travaillées des travailleurs déjà embauchés (Rosen, 1968).

Alors que le choix entre réduire le nombre de travailleur et réduire le nombre d’heures par travailleur dépend des coûts de chacun, la chose la plus importante à prendre en considération est le produit total des travailleurs et des heures (c’est-à-dire le montant total de travail utilisé) qui est généré par une combinaison de coûts fixes et de coûts par heure de travail. Après tout, c’est le nombre total d’heures-travailleurs dans l’économie qui détermine le montant de la production, c’est-à-dire le PIB. Du point de vue de l’économie dans son ensemble, les études empiriques sur le sujet sont claires : une hausse des taux de salaires réduit l’emploi et le nombre total d’heures travaillées et une hausse des coûts fixes par travailleur réduit le nombre total d’heures travaillées. Toute hausse du coût du travail, indépendamment de sa source, va amener les employeurs à réduire le nombre total d’heures travaillées qu’ils cherchent à utiliser.

Quelques exemples de politique importants

Le salaire minimum

Plusieurs pays imposent un salaire minimum à la plupart des employeurs. Aux Etats-Unis, en 2020, il y avait un minimum national de 7,25 dollars par heure, ce qui représentait environ 22 % du salaire horaire moyen (et même un pourcentage encore plus faible du coût du travail moyen). Une majorité des Etats étasuniens (et plusieurs villes) fixent un salaire minimum supérieur (jusqu’à 15 dollars de l’heure). Au Canada, les provinces fixent des salaires minima séparés ; tandis que le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont un minimum national. Aux Etats-Unis, l’objectif de ces minima a été précisé quand le Fair Labor Standards Act a été rédigé en 1938 : "pour préserver le travail de la concurrence", c’est-à-dire pour empêcher les entreprises d’exploiter les travailleurs dans leur recherche de coûts du travail plus faibles et de profits plus élevés.

Quand il est effectivement mis en place, un salaire minimum accroît le coût du travail. Il le fait pour ceux dont le salaire aurait sinon été inférieur au minimum. La demande pour un professeur qui peut gagner 50 dollars de l’heure ne sera pas affectée par un salaire minimum horaire de 7,25 dollars ; c’est le salaire d’un travailleur qui aurait sinon gagné 7 dollars de l’heure qui en sera affectée. L’impact d’un salaire minimum plus élevé sur l’emploi dépend par conséquent de deux choses : du nombre de travailleurs qui auraient sinon gagné moins que ce minimum et de l’ampleur par laquelle ce dernier réduira l’emploi parmi les travailleurs. Le second effet semble clair : la demande de travailleurs à faible salaire (qui tendent à être peu qualifiés) répond plus brutalement (négativement) que la moyenne quand le coût du travail augmente, comme nous l’avons déjà noté.

(…) Il y a d’importantes différences dans l’importance relative du salaire minimum d’une économie à l’autre : les Etats-Unis ont un faible salaire minimum national, tandis que la France a un salaire minimum national très élevé (équivalent à la moitié du salaire moyen). (…)

Les économistes étudient les effets du salaire minimum depuis plus d’un demi-siècle (…). Malgré tous ces travaux, les conclusions restent très controversées, en partie parce qu’ils portent sur une question de politique économique qui porte partout à controverse. Une lecture sérieuse des études empiriques suggère qu’une hausse du salaire minimum a de faibles effets négatifs sur l’emploi et que ces effets sont d’autant plus importants que le salaire minimum est important relativement au salaire moyen (Brown et Hamermesh, 2019). En outre, cependant, accroître le salaire minimum se traduit par de meilleures rémunérations pour les travailleurs à faible salaire qui restent employés malgré leur coût plus élevé. (...)

Les heures supplémentaires


Les heures supplémentaires constituent un deuxième exemple en matière de politique. En effet, les heures supplémentaires entraînent une pénalité payée par l’employeur pour les heures travaillées d’un salarié au-delà d’un maximum légal. Dans certains pays, les employeurs doivent payer un supplément pour chaque heure de travail qu’un salarié fait au-delà du maximum légal (40 heures dans beaucoup de pays, notamment les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud). La majoration peut être de 50 %, comme aux Etats-Unis, ou de 25 % comme au Japon ou ailleurs. Dans certains pays, le taux horaire des heures supplémentaires peut être progressif : par exemple, en Corée du Sud, la majoration est de 25 % pour les quatre premières heures supplémentaires par semaine, puis de 50 % au-delà. Dans beaucoup de pays, il y a des maxima hebdomadaire et/ou annuel sur la durée des heures supplémentaires. Dans certains pays, la pénalité des heures supplémentaires s’applique sur une base quotidienne plutôt qu’hebdomadaire.

Toutes ces politiques poursuivent deux objectifs : "partager" le travail en incitant les employeurs à employer davantage de travailleurs, chacun travaillant moins de temps par semaine ; et protéger les travailleurs d’être forcés de travailler longtemps sur des horaires non désirés. Les analyses empiriques montrent clairement que ces lois sont efficaces pour pousser les employeurs à réduire la durée du travail par semaine, comme ce fut par exemple le cas au Japon dans les années 1990 (Kawaguchi, Naito et Yokoyama, 2017) ou pour éviter les longues semaines de travail (Boeri et van Ours, 2021). Bien qu’il n’est pas clair dans quelle ampleur les heures supplémentaires permettent de partager le travail (…), celles-ci augmentent le nombre de salariés relativement au nombre d’heures travaillées par travailleur. Il est clair cependant, qu’elles réduisent le nombre total d’heures travaillées (les heures assurées par l’ensemble des salariés) en accroissant le coût du travail (Brown et Hamermesh, 2019). (...) »

Daniel S. Hamermesh, « Do labor costs affect companies’ demand for labor? », in IZA, World of Labor, n° 3, février 2021. Traduit par Martin Anota

samedi 6 février 2021

Que pouvons-nous apprendre de la plus grande expérience de télétravail ?

« En février 2014, le métro de Londres a été en partie fermé par une grève qui força plusieurs usagers à trouver de nouvelles façons d'aller travailler. La perturbation dura juste 48 heures, mais quand trois économistes (Shaun Larcom, Ferdinand Rauch et Tim Willems) étudièrent les données du réseau de transport de la ville, ils découvrirent quelque chose d’intéressant. Des dizaines de milliers d’usagers ne reprirent pas leur trajet initial, ayant a priori trouvé des façons plus rapides ou agréables de rejoindre leur destination. Quelques heures de perturbation avaient suffi pour les amener à prendre conscience qu’ils s’étaient trompé toute leur vie d’adulte sur leur moyen de transport.

Je le mentionne parce que nous sommes à un point tournant dans la pandémie. Beaucoup de personnes, notamment moi-même, ont travaillé à distance, depuis leur domicile. Pendant plusieurs mois, il a été difficile de se défaire du sentiment que cela durerait à jamais. Maintenant, nous faisons face à un possible retour à la normalité avec les vaccins ; peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas demain, mais bientôt.

Ce que la grève du métro de 2014 nous apprend, c’est que des perturbations temporaires peuvent avoir des effets permanents. Parfois, il y a des cicatrices qui ne disparaissent pas. Parfois, une crise nous offre quelques leçons qui nous serons utiles une fois qu’elle sera finie. Donc, qu’avons-nous appris de l’expérience du travail à domicile ? Et dans quelle mesure va-t-elle se poursuivre une fois que l’épidémie sera finie ?

Un point évident est que, comme un usager du métro qui investit dans l’achat d’un vélo lorsque le métro est en grève, les salariés et les employeurs ont consacré beaucoup de temps et d’efforts pour acquérir les équipements et les compétences nécessaires pour supporter le changement. De tels investissements vont rendre le travail à domicile moins coûteux et plus attrayant à l’avenir. Je pense, cependant, que l’étape cruciale n’est pas l’investissement, mais l’information. Nous avons appris que le travail à domicile est plus productif que nous ne le pensions.

Emma Harrington et Natalia Emanuel, deux jeunes économistes de l’Université de Harvard, ont constaté qu’avant la pandémie les télétravailleurs d’une grande entreprise ont été moins productifs que ceux qui étaient restés travailler dans l’établissement de l’entreprise. Pourtant, quand tout le monde bascula au travail à distance, la productivité globale augmenta. L’explication de cette apparente contraction est que le travail à domicile est intrinsèquement plus productif, mais que cette vérité a été occultée par le fait que ce sont les travailleurs les moins productifs qui travaillèrent à la maison. Maintenant que les employeurs ont découvert que cette apparente pénalité en termes de productivité était illusoire, peut-être que le télétravail sera plus populaire à l’avenir.

De même, une fameuse étude sur le télétravail par Nicholas Bloom et ses collègues a analysé une expérience randomisée à Ctrip, une grande entreprise chinoise de voyage, dans laquelle certains salariés furent assignés au travail à domicile. On s’attendait à ce que la productivité chute, mais que les coûts à offrir un espace au bureau chuteraient également. En fait, Bloom et ses collègues observèrent que les travailleurs devinrent bien plus productifs avec le télétravail.

Tout cela suggère que la pandémie, comme la grève du métro, constituera l’électrochoc qui nous poussera à faire le télétravail que nous aurions dû faire dès le début. Mais je n’en suis pas sûr.

Un point qui est facilement occulté est que, dans ces deux études, les travailleurs en question, ont cessé de prendre des appels dans un centre d’appels pour prendre des appels à leur domicile. Dans l’étude de Bloom, les télétravailleurs et les travailleurs qui restèrent dans l’établissement de leur entreprise utilisaient le même équipement et le même logiciel, faisaient les mêmes tâches et étaient rémunérés avec les mêmes bonus.

Cela doit nous rappeler qu’il ne faut pas tirer de conclusions trop générales. Dans un centre d’appels qui fonctionne bien, les protocoles pour assigner, surveiller et clôturer les tâches sont biens établis. Ils ne nécessitent pas une chaîne de mails de groupes pour savoir ce qui se passe ou programmer une réunion sur Zoom. Ce n’est pas le cas de l’essentiel du travail intellectuel.

Comme Cal Newport, l’auteur de l’ouvrage A World Without Email, l’a souligné dans le New Yorker en mai dernier : "le travail intellectuel qui est réalisé dans les bureaux modernes (réflexion, investigation, synthèse, écriture, planification, organisation, et ainsi de suite) apparaît flou et désorganisé en comparaison avec les processus structurels de l’industrie manufacturière par exemple". Pour Newport, c’est un problème que l’on peut résoudre, mais la plupart des bureaux n’ont simplement pas trouvé la façon d’y parvenir. (...) L’improvisation va rester le principal mode de travail et, pour cela, les contacts en face à face semblent essentiels.

Une récente étude réalisée par Bloom avec Jose Maria Barrero et Steven Davis estime que le télétravail aux Etats-Unis sera quatre fois plus utilisé qu’avant la pandémie, passant de 5 % à 22 % des jours travaillés. Cela sera un retour à la normalité ; les chercheurs estiment qu’en mai 2020 plus de 60 % des travailleurs aux Etats-Unis travaillèrent depuis leur domicile. Mais il y aurait toujours une chute sismique de la demande pour les trajets travail-domicile et pour les bureaux aux centres-villes.

J’espère que la crise nous apprendra comment réaliser un travail productif et épanouissant à domicile. Mais il semble que la plupart d’entre nous, la plupart du temps, sont destinés à retourner au bureau le moment venu. Si c’est le cas, j’espère que la crise nous apprendra à réaliser un travail productif et épanouissant quel que soit l’endroit où nous serons. »

Tim Harford, « What can we learn from the great working-from-home experiment? », 28 janvier 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Et si nous restions au domicile ? Les heurs et malheurs du télétravail »

« Quel est l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur la productivité ? »

mardi 27 octobre 2020

Les inégalités salariales selon l’origine ethnique dans les pays développés

« Dans plusieurs pays développés, les minorités ethno-raciales sont moins rémunérées, en moyenne, que la majorité blanche autochtone. Alors que les écarts de salaires entre les groupes ethniques s’expliquent en partie par l’immigration, ils persistent aussi pour les minorités raciales de deuxième génération, voire au-delà. L’élimination des inégalités de salaires entre les groupes ethniques et la promotion d’une égalité des opportunités entre les citoyens aux différentes origines ethniques constituent un objectif important de politique sociale. Les inégalités résultant des différences en matière d’opportunités entraîne un gâchis de talents pour ceux qui ne peuvent exploiter leur potentiel et à un gâchis de ressources si certaines personnes ne peuvent pleinement contribuer à la société. (…)

Il y a de robustes analyses empiriques suggérant que dans plusieurs pays développés les salaires des minorités raciales et ethniques sont, en moyenne, inférieurs à ceux de la majorité autochtone (blanche). Bien que ces écarts de salaires aient diminué au cours du temps, ils demeurent dans la plupart des pays. Même s’il est presque impossible d’identifier toutes les raisons expliquant la persistance des différentiels raciaux de salaires, on sait que l’une de ces raisons est que plusieurs personnes appartenant aux minorités ethniques sont des immigrés, or ces derniers peuvent rencontrer des difficultés pour communiquer dans la langue du pays d’accueil, ne pas être familiers avec son marché du travail, ne pas voir leurs qualifications être reconnues ou encore manquer des réseaux sociaux nécessaires pour obtenir un emploi adapté. Cependant, dans des pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Australie, une large proportion de minorités ethniques sont des immigrés de deuxième génération, ou même d’une génération ultérieure, et elles ne font pas face à des tels problèmes, or il y a aussi des inégalités salariales selon l’origine ethnique dans de tels pays.

La réduction des écarts de salaires entre groupes ethniques et la promotion d’une plus grande égalité des opportunités parmi les citoyens avec différentes origines raciales constituent d’importants objectifs de politique sociale. Les compétences et talents des minorités ethniques peuvent être sous-utilisés si elles ne peuvent exploiter la totalité de leur potentiel et contribuer pleinement à la société. En définitive, une réduction des inégalités de salaires entre groupes ethniques est susceptible de mener à une société plus cohésive, plus productive et plus égalitaire.

La discrimination


Diverses études se sont focalisées sur la discrimination comme source des écarts de salaires entre groupes ethniques. Les modèles théoriques suggèrent que les minorités peuvent être discriminées en raison d’attitudes sociales négatives à leur égard (c’est-à-dire d’une discrimination que l’on qualifie de "discrimination par goût", basée sur les préférences individuelles) ou parce que les employeurs jaugent la qualité d’un candidat à l’embauche issu d’une minorité en se basant sur la qualité moyenne perçue des gens appartenant à la même minorité (discrimination que l’on qualifie alors de "discrimination statistique"). Les stéréotypes, comme la croyance répandue que les gens d’une certaine origine raciale ou ethnique travaillent moins efficacement que les autres, peut être une raison pour les employeurs de ne pas recruter les candidats à l’embauche issus de cette minorité ou de leur offrir des salaires plus faibles, du moins initialement. Les stéréotypes raciaux peuvent même devenir une prophétie autoréalisatrice : une récente étude sur les travailleurs des supermarchés français suggère que ceux appartenant à une minorité ethnique travaillent moins efficacement s’ils ont des superviseurs présentant des biais raciaux (Glover et alii, 2017).

D’une perspective empirique, l’identification et la mesure de la discrimination sont très difficiles. Les récentes analyses empiriques suggèrent que les candidats à l’embauche avec des noms associés à une minorité sont moins susceptibles d’être recontactés pour un entretien d’embauche que des candidats à l’embauche similaires mais avec des noms associés à la majorité autochtone. Cependant, les analyses empiriques ont du mal à déterminer précisément le rôle que joue la discrimination dans les écarts salariaux entre groupes ethniques et dans quelle mesure elle relève de la discrimination par goût ou de la discrimination statistique (Lang et Lehmann, 2012). Le débat sur l’existence et l’importance de la discrimination et sur la façon par laquelle elle opère reste ouvert.

Les politiques visant à réduire les inégalités salariales entre groupes ethniques doivent clairement différer selon que la discrimination est le résultat d’une aversion vis-à-vis des minorités ou d’un manque d’information. Cependant, la compréhension et l’élimination de la discrimination ne sont pas la seule voie pour les politiques cherchant à réduire les inégalités salariales entre groupes ethniques. Il est important de garder à l’esprit qu’il peut y avoir des écarts de salaires entre groupes ethniques même en l’absence de discrimination (salariale).

Une importante raison expliquant pourquoi les minorités ethniques reçoivent moins de salaires que les natifs blancs est qu’elles ne présentent pas les mêmes caractéristiques que ces derniers. Aux Etats-Unis, par exemple, les latinos ont de moindres niveaux d’éducation que les natifs blancs, à l’instar de la population noire caribéenne au Royaume-Uni. D’un autre côté, les Afro-Américains aux Etats-Unis et les Pakistanais et Bangladais de deuxième génération au Royaume-Uni tendent à avoir de hauts niveaux d’éducation, mais ils sont aussi davantage susceptibles d’aller dans les plus mauvaises écoles que les natifs blancs, ce qui est susceptible d’avoir un effet négatif sur leurs salaires. En outre, les minorités ethniques tendent à se concentrer dans les professions peu payées.

Les analyses empiriques montrent régulièrement que les écarts de salaires entre groupes ethniques décroissent quand de telles caractéristiques sont prises en compte. Cependant, parce que les analyses empiriques peuvent souvent être contraintes par la disponibilité des données, les différentes études peuvent ne pas prendre en compte le même ensemble de caractéristiques, si bien qu’elles n’aboutissent pas forcément aux mêmes résultats, sans pour autant être erronées. La question est alors de savoir ce que les diverses estimations d’écarts de salaires entre groupes ethniques signifient vraiment et comment elles peuvent être mieux utilisées pour éclairer la politique publique.

Mesurer les inégalités de salaires entre groupes ethniques


Une manière largement acceptée de mesurer les écarts de salaires entre groupes ethniques consiste à utiliser des modèles ne prenant en compte que la seule appartenance à une minorité ethnique pour expliquer les salaires horaires. Ces modèles mesurent des écarts salariaux "non ajustés". Les modèles mesurent les écarts "ajustés" lorsqu’ils incluent d’autres variables, comme le niveau de diplôme et l’expérience professionnelle. Alors que les écarts salariaux non ajustés mesurent la différence moyenne de salaires entre la majorité et la minorité considérée prise dans son ensemble, les écarts ajustés mesurent l’écart salarial moyen résiduel entre les groupes après prise en compte de certaines caractéristiques pertinentes.

Quand les autres caractéristiques, telles que le niveau d’éducation ou l’expérience professionnelle, sont incluses dans le modèle, alors la variable ethnique peut être interprétée comme l’écart salarial ethnique résiduel, qui n’est pas dû à des différences en matière d’éducation et d’expérience professionnelle. Certains chercheurs emploient une approche particulière (connue sous le nom de "décomposition d’Oaxaca") pour déterminer dans quelle mesure les inégalités salariales entre les groupes ethniques restent inexpliquées. Cette approche divise les écarts salariaux ethniques en deux composantes : une première qui est expliquée par des différences en termes de caractéristiques moyennes entre les groupes (telles que l’éducation et l’expérience professionnelle) et une seconde qui est due aux différences en termes de rendements moyens de ces caractéristiques. Cette seconde composante est qualifiée de part "inexpliquée" (...).

La plupart des études cherchent à déterminer dans quelle mesure le différentiel salarial entre groupes ethniques diminue lorsque certaines caractéristiques sont incluses dans le modèle et quelle proportion du différentiel demeure inexpliqué (Aeberhardt et alii, 2010). Il est cependant important de noter que l’inclusion de certaines caractéristiques peut amener à estimer de plus larges, et non de plus faibles, écarts.

Certains chercheurs interprètent la part inexpliquée des inégalités salariales entre les groupes ethniques comme manifestant une "discrimination". C’est toutefois incorrect. La part inexpliquée indique dans quelle mesure les caractéristiques choisies expliquent l’écart salarial entre les groupes ethniques. La part inexpliquée inclut l’impact d’une éventuelle discrimination, mais aussi l’impact de tous les autres facteurs qui ne sont pas inclus dans le modèle. Par exemple, une raison expliquant pourquoi une partie des écarts salariaux entre groupes ethniques reste inexpliquée peut tenir à des différences entre ces groupes en termes d’interruptions de carrière, de durées passées au chômage ou dans le travail indépendant ou à d’autres facteurs qui ne sont pas mesurées dans les données et qui peuvent difficilement être pris en compte. Les périodes de chômage peuvent avoir un impact négatif sur les salaires et peuvent eux-mêmes résulter de la discrimination ou d’un manque d’opportunités. Cependant, elles ne sont pas nécessairement une source de discrimination salariale. Puisqu’il n’est pas possible d’estimer l’importance des causes non mesurées, la part non expliquée ne doit donc pas être entièrement attribuée à la seule discrimination.

Bien que le rôle que la discrimination est susceptible de jouer (directement ou indirectement) dans l’apparition d’inégalités salariales entre les groupes ethniques ne doit pas être complètement écarté, il est opportun pour la politique publique de se focaliser sur les caractéristiques qui se sont révélées être d’importants déterminants des écarts salariaux entre les groupes ethniques, comme l’éducation. Celles-ci peuvent être utilisées comme des cibles intermédiaires.

Les possibles déterminants des inégalités salariales entre groupes ethniques


Une comparaison des écarts salariés non ajustés et ajustés et une analyse des caractéristiques les plus pertinentes dans leur détermination peuvent être assez révélatrices et utiles pour la politique publique. Premièrement, certaines caractéristiques peuvent davantage contribuer que d’autres. Deuxièmement, toutes les caractéristiques ne réduisent pas les salaires, donc ne contribuent pas aux écarts salariaux entre groupes ethniques ; certaines caractéristiques peuvent accroître les salaires et contribuer à réduire les inégalités salariales entre groupes ethniques (Longhi et alii, 2012 ; Hellerstein et Neumark, 2008). Par exemple, les auteurs d’une étude constatent que le plus important déterminant des écarts de salaires entre groupes ethniques au Royaume-Uni est la concentration des minorités ethniques dans les professions peu rémunérées, tandis que le niveau d’éducation relativement plus élevé de ces minorités compense en partie l’effet négatif de la ségrégation professionnelle (Longhi et alii, 2012). Cela suggère que le problème peut tenir à l’accès aux emplois bien rémunérés ou dans le manque de possibilités de promotions de carrière, plutôt que dans le manque d’éducation.

La situation semble être légèrement différente aux Etats-Unis, où les analyses empiriques suggèrent que la ségrégation ethnique dans l’établissement est essentiellement due à la ségrégation en termes de compétences et notamment de compétence langagière, bien que cela semble être davantage le cas pour les hispaniques que pour les noirs (Hellerstein et Neumark, 2008). Notons cependant que la ségrégation en termes de professions ou sur le lieu de travail sont des concepts légèrement différents ; alors que les établissements (ou les employeurs) peuvent offrir des emplois dans différentes professions, les mêmes professions peuvent être disponibles dans d’autres établissements.

La littérature compare rarement l’importance relative des diverses caractéristiques comme déterminants des inégalités de salaires entre groupes ethniques. De nombreux pans de la littérature portent sur une poignée de déterminants. La comparaison des études utilisant différentes données et différentes méthodologies, qui ne sont pas conçues pour répondre aux mêmes questions (certaines ne se focalisant même pas sur les écarts de salaires), n’est pas claire, ce qui signifie que la généralisation n’est pas toujours possible. Néanmoins, en comparant les différentes études, il est possible de tirer des conclusions quant à savoir quels sont les facteurs susceptibles de jouer un rôle dans les écarts de salaires entre groupes ethniques, mais sans pour autant directement comparer leur importance.

Parmi les premières caractéristiques considérées dans la littérature, il y a l’éducation, les qualifications et les compétences. Les analyses empiriques concernant divers pays, notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne (Algan et alii, 2010 ; Hellerstein et Neumark, 2008) suggèrent que les écarts de salaires entre groupes ethniques sont en partie dus à de plus faibles niveaux d’éducation pour plusieurs minorités, en particulier quand elles incluent une grande proportion d’immigrés. Cependant, il y a d’importantes différences entre les minorités. Alors que certaines minorités ethniques sont moins qualifiées que la majorité blanche, d’autres tendent à être plus qualifiées que celle-ci. Une explication de la persistance des différentiels de salaires entre groupes ethniques, même après prise en compte des qualifications, est que les minorités sont davantage susceptibles d’aller dans les écoles de moins bonne qualité que les autochtones blancs, ce qui peut avoir un impact négatif sur leur niveau de compétences globale. Les compétences, néanmoins, tendent à augmenter avec l’expérience professionnelle.

Un autre facteur important dans la détermination des écarts de salaires entre groupes ethniques est que les minorités tendent à être ségréguées vers les professions à faible rémunération (Longhi et alii, 2012). Une étude souligne l’importance des compétences et notamment de la compétence langagière (du moins pour certaines minorités aux Etats-Unis) pour la ségrégation d’établissements, mais les causes de la ségrégation en termes de professions n’ont pas été systématiquement analysées (Hellerstein et Neumark, 2008). Les théories économiques et sociologiques suggèrent que les minorités peuvent préférer travailler dans des professions où une grande partie des travailleurs partagent leur origine ethnique et ils peuvent donc être prêts à accepter des salaires comparativement plus faibles pour travailler dans ces professions. Il a également été suggéré que, à mesure que la taille d’une population minoritaire dans un pays augmente, les personnes appartenant à la majorité s’inquiètent davantage de la concurrence pour les emplois. La majorité réagirait alors en empêchant les minorités d’obtenir des emplois de grande qualité (…). Il y a des analyses empiriques allant dans ce sens dans le cas des Etats-Unis (Tienda et Lii, 1987). Comme la taille de la minorité augmente et que la majorité s’adapte à la présence de minorités, qui s’intègrent davantage, la ségrégation en termes de professions devrait à terme diminuer.

Suivant ce courant de la littérature, diverses études empiriques ont estimé l’impact de la taille relative des diverses minorités sur leur situation sur le marche du travail, même si la variable observée est souvent le niveau de salaires de la minorité plutôt que l’écart de salaire relativement à la majorité. En outre, ces études analysent l’impact de la taille des minorités en comparant les régions dans un seul pays ou des quartiers dans une ville et se focalisent sur l’impact de la ségrégation résidentielle. Ces études tendent à constater de pires situations sur le marché du travail, en termes de salaires, pour les minorités vivant dans les zones les plus ségréguées aux Etats-Unis (Tienda et Lii, 1987), même si certains affirment que la ségrégation a un impact positif sur les salaires une fois la sélection entre zones prise en compte.

L’un des mécanismes qui peut expliquer l’importance de la ségrégation résidentielle sur les écarts de salaires entre groupes ethniques est la qualité des réseaux et les types de personnes avec lesquelles les minorités et la population majoritaire sont susceptibles d’interagir, dans la mesure où ceux-ci jouent un rôle significatif sur le type d’emploi que les gens peuvent trouver. Une récente étude se focalisant sur les Etats-Unis et l’Estonie constate que les écarts de salaires entre groupes ethniques sont plus larges dans les zones où les gens sont plus susceptibles de lier amitié avec des personnes ayant la même origine ethnique (Toomet et alii, 2013). Cependant, (…) cela peut aussi être une question de classes sociales (Longhi et alii, 2012).

Finalement, certaines études focalisées sur les Etats-Unis affirment que la ségrégation en termes de professions peut en partie résulter de la ségrégation résidentielle, si bien qu’elles suggèrent que divers facteurs peuvent contribuer aux écarts de salaires entre groupes ethniques et interagir d’une façon complexe. En outre, il est possible que les différents facteurs puissent ne pas avoir la même importance pour chaque minorité ethnique. Par exemple, pour certaines minorités, le principal problème peut être le manque de qualifications appropriées, tandis que pour d’autres les qualifications peuvent ne pas être un problème et la localisation résidentielle jouer un rôle plus crucial. La politique publique doit donc prendre en compte que la littérature a trouvé d’importantes différences d’une minorité ethnique à l’autre et même au sein de chacune d’entre elles ; les écarts de salaires entre groupes ethniques ainsi que leurs déterminants sont susceptibles de ne pas être les mêmes d’un groupe à l’autre. Par conséquent, adopter une approche unifiée pour réduire les inégalités salariales entre groupes ethniques peut se révéler inapproprié.

Les inégalités entre les minorités ethniques et en leur sein


De nos jours la plupart des pays hébergent des proportions croissantes de minorités ethniques, soit immigrées, soit descendantes d’immigrés, mais la taille de la population minoritaire, l’histoire et l’ampleur des flux d’immigration, ainsi que les politiques d’intégration varient d’un pays à l’autre (Algan et alii, 2010 ; Aeberhardt et alii, 2010). Il n’est par conséquent pas surprenant que les inégalités salariales entre groupes ethniques, même pour les immigrés de deuxième génération, varient d’un pays à l’autre. L’expérience des Afro-américains aux Etats-Unis n’est pas la même que celle des noirs d’origine africaine au Royaume-Uni. De même, en raison des différences dans les relations coloniales, les populations d’origine africaine qui se sont établies au Royaume-Uni sont susceptibles d’être très différentes de celles qui se sont établies en France ou au Portugal.

GRAPHIQUE 1 Ecarts de salaires des hommes immigrés de première et deuxième générations en France relativement aux hommes nés en France de parents français (en 2005-2007, en %)
Algan__inegalites_salaires_selon_origine_ethnique_France_immigres.png
source : Longhi, d'après Algan et alii (2010)

Chose plus importante du point de vue de la politique publique, les écarts salariaux varient d’un groupe à l’autre, et ce même au sein d’un même pays. Alors que certaines minorités, comme les latinos ou Mexicains aux Etats-Unis, connaissent d’importantes pénalités salariales, d’autres, comme les asiatiques, reçoivent souvent des salaires plus élevés que les autochtones blancs. Par exemple, les graphiques 1 et 2 montrent que le différentiel de salaire n’est pas le même d’une minorité ethnique à l’autre pour les hommes en France et en Allemagne. En France (cf. graphique 1), ce sont les Turcs et les Africains qui subissent la plus mauvaise situation, tandis que les immigrés provenant du nord de l’Europe semblent être davantage payés que les autochtones français (Algan et alii, 2010). En Allemagne (cf. graphique 2), ce sont les immigrés venant d’Italie et de Grèce qui connaissent la plus mauvaise situation, tandis que ceux issus d’autres pays de l’UE semblent connaître une bien meilleure situation (Algan et alii, 2010). (…) Au Royaume-Uni, les immigrés blancs de deuxième génération ont globalement la meilleure situation, tandis que les immigrés provenant du Bangladesh et de Pakistan connaissent la pire situation (Algan et alii, 2010). Parmi les diplômés d’universités israéliennes, ce sont ceux provenant d’Ethiopie qui connaissent les plus fortes pénalités salariales, tandis que ceux provenant de l’ancienne Union soviétique connaissent les plus faibles différentiels de salaires (Epstein et alii, 2015).

GRAPHIQUE 2 Ecarts de salaires des hommes immigrés de première et deuxième générations en Allemagne relativement aux hommes nés en Allemagne de parents allemands (en 2005-2006, en %)
Algan__inegalites_salaires_selon_origine_ethnique_Allemagne_immigres.png
source : Longhi, d'après Algan et alii (2010)

Outre les inégalités entre groupes ethniques, il y a aussi d’amples inégalités au sein de chacun d’entre eux. Le genre en offre un bon exemple. La littérature qui se focalise sur les hommes décèle d’amples écarts de salaires selon l’origine ethnique. A l’inverse, la littérature analysant les écarts salariaux entre groupes ethniques parmi les femmes constate qu’en général les femmes appartenant à une minorité ethnique tendent à recevoir la même rémunération (voire même une rémunération supérieure) que les femmes natives blanches. Ce constat se retrouve dans de nombreux pays, notamment le Royaume-Uni, les Etats-Unis et Israël (Algan et alii, 2010 ; Lang et Lehmann, 2012 ; Epstein et alii, 2015 ; Brynin et alii, 2019), mais quelques pays comme la France et l’Allemagne font exception (Algan et alii, 2010). Le fait que les différentiels de salaires en fonction de l’origine ethnique soient plus faibles parmi les femmes peut s’expliquer par une possible auto-sélection : les femmes, en particulier celles qui appartiennent aux minorités ethniques, sont moins susceptibles d’être actives que les hommes et celles qui sont actives sont davantage susceptibles d’avoir des caractéristiques (comme un plus haut niveau d’éducation ou une plus forte motivation) qui accroissent les chances qu’elles reçoivent à un haut salaire. Malheureusement, il y a bien peu d’analyses empiriques susceptibles d’éclairer les raisons pour lesquelles les différentiels de salaires en fonction de l’origine ethnique sont plus faibles parmi les femmes que parmi les hommes.

La plupart des études estiment les différentiels de salaires raciaux spécifiques aux sexes, où les salaires des hommes issus des minorités sont comparés aux salaires des hommes natifs blancs et les salaires des femmes issus des minorités sont comparés aux salaires des femmes natives blanches. Néanmoins, il est aussi intéressant de voir comment les salaires des hommes et des femmes issus des minorités ethniques se comparent aux salaires des hommes natifs. Cela nous permet de mesurer les différentiels de salaires en fonction de l’origine ethnique et de voir comment ils interagissent avec les différentiels de salaires entre les sexes (Brynin et alii, 2019). (…)

Outre les différences entre hommes et femmes, il y a aussi d’importantes différences entre ceux qui sont nés à l’étranger et ceux qui sont nés dans le pays. Bien qu’en général les écarts salariaux entre les groupes ethniques tendent à être plus faibles pour les personnes nées dans le pays, ce n’est pas toujours le cas (pensons par exemple aux hommes d’origine turque en France, cf. graphique 1). De récentes analyses suggèrent aussi que les différentiels de salaires en fonction de l’origine ethnique pourraient être plus amples parmi les travailleurs peu qualifiés et quasiment nuls parmi les travailleurs très qualifiés (Lang et Lehmann, 2012 ; Zwysen et Longhi, 2018) et qu’ils tendraient à varier le long de la distribution salariale et selon le type de salariés. Par exemple, aux Etats-Unis, dans les emplois où la rémunération dépend de la performance, l’écart de salaires entre blancs et noirs est plus élevé aux plus hauts niveaux de salaires, tandis que dans les emplois où la rémunération n’est pas liée à la performance le différentiel est plus faible pour les plus hauts niveaux de salaires (Heywood et Parent, 2012). (…) »

Simonetta Longhi, « Racial wage differentials in developed countries », in IZA, World of Labor, n° 365, octobre 2020. Traduit par Martin Anota

dimanche 11 octobre 2020

Ce que le sport nous enseigne à propos du marché du travail

« (…) Les données relatives au sport permettent aux chercheurs de mesurer des facteurs qui sont typiquement inobservés, allant de la productivité d’un travailleur et aux détails des contrats à la fonction de production d’une entreprise. De plus, des phénomènes qui ont caractérisé depuis longtemps les marchés du travail du sport (les inégalités de rémunérations extrêmes entre les travailleurs faisant le même travail, la rémunération conditionnée à la performance, la surveillance de l’effort) ont souvent émergé sur le reste du marché du travail quelques décennies après, si bien qu’une analyse des données du sport tel qu’il est actuellement joué pourrait donner un aperçu du marché du travail futur. Avec les progrès réalisés dans le domaine des technologies portables, la productivité de nombreux travailleurs pourra bientôt être facilement observée comme dans le cas des joueurs de baseball ou des footballeurs aujourd’hui. Et alors que la "gig economy" est perçue comme un phénomène récent, elle n’est pas sans rappeler à la façon par laquelle des milliers de joueurs de tennis et de boxeurs ont toujours gagné leur vie. En outre, bien que les sports ne soient pas représentatifs du marché du travail dans son ensemble, les sportifs sont motivés par les mêmes facteurs qui motivent tous les travailleurs et ils sont sujets aux mêmes biais et contraintes comportementaux, notamment la discrimination et une tentation de tricher.

GRAPHIQUE 1 Rémunérations dans le monde du sport aux Etats-Unis en 2010 : faibles en moyenne, mais très inégales

Kerry_Papps_IZA__professions_Etats-Unis_inegalites_remunerations_coefficient_de_Gini_indice_sport.png

Comment la productivité affecte-t-elle la rémunération ?


La relation entre la rémunération d’un travailleur et son niveau de productivité dépend de la nature de la concurrence sur le marché du travail. Sur un marché du travail parfaitement concurrentiel, la théorie économique prédit que le salaire d’équilibre sera égal à la productivité marginale des travailleurs, c’est-à-dire la valeur de ce qui est produit par le dernier travailleur embauché au cours d’une période de temps donnée. Cependant, quand il y a un seul demandeur de travail sur le marché, c’est-à-dire un "monopsone", le salaire que les travailleurs reçoivent sera inférieur à leur productivité marginale.

Les économistes ont depuis longtemps cherché à savoir si ces prédictions étaient vérifiées en étudiant le marché du travail dans la Ligue majeure de baseball. Parmi les sports, le baseball s’est révélé être un cadre idéal pour comparer la rémunération et la productivité pour deux raisons. Premièrement, il est facile de mesure la contribution d’un joueur de baseball pris individuellement à la production de l’équipe (et donc le produit marginal du joueur) puisque chaque frappeur ou lanceur réalise ses tâches essentiellement seul. Deuxièmement, il y a eu de profonds changements dans l’organisation du marché du travail dans la Ligue majeure de baseball des Etats-Unis au cours du temps, ce qui permet aux chercheurs de tester l’importance du pouvoir de négociation sur la relation entre la rémunération et la productivité.

Pendant près d’un siècle, jusqu’aux années 1970, les équipes de baseball étaient essentiellement monopolistes. Les joueurs signaient des contrats d’un an et chaque joueur avait une clause dans son contrat lui imposant de ne pas signer avec une autre équipe. Avec cette clause de réserve, les équipes pouvaient proposer des offres "à prendre ou à laisser" à leurs joueurs. Cependant, après une série de litiges individuels et de contestations judiciaires, le système de clause de réserve a été progressivement démantelé entre 1973 et 1977. Depuis 1977, les joueurs ont été rattachés à leur équipe originelle pour leurs six premières années dans la ligue majeure, comme dans le cadre de la clause de réserve. Cependant, une fois ces six ans de service révolus, les joueurs pouvaient désormais devenir des "joueurs disponibles" (free agents), ce qui leur permettait de jouer avec n’importe quelle équipe. En outre, les joueurs qui avaient passé plus de trois ans de services dans la ligue majeure étaient éligibles à l’arbitrage salarial. Avec ce dernier, quand un joueur et une équipe ne parvenaient à s’accorder sur un contrat, l’un des deux partis pouvait présenter le désaccord à un arbitre indépendant, qui choisissait entre les offres faites par le joueur et par l’équipe et dont la décision était contraignante. L’introduction de l’arbitrage salarial et des joueurs disponibles s’est traduite par une explosion des salaires dans la ligue majeure : le salaire moyen a été multiplié par dix entre 1977 et 2010.

Parce que la réussite individuelle et la réussite d’une équipe peuvent toutes deux être observées dans le baseball, les chercheurs ont estimé la productivité marginale des joueurs en deux étapes. Tout d’abord, ils ont calculé quelle est la contribution d’un jour au score d’une équipe, puis ils ont déterminé dans quelle mesure le score d’une équipe affecte son revenu. Une étude des salaires de la ligue majeure en 1968-1969 a constaté que les joueurs étaient payés pour un tiers de leur productivité marginale (Scully, 1974). Cependant, parmi le premier groupe de joueurs disponibles en 1977, les salaires étaient substantiellement plus proches de la productivité marginale, en particulier pour les lanceurs.

Comme le montre le graphique 2, le retrait de la clause de réserve en 1977 a aussi brutalement accru les inégalités salariales entre joueurs. Il y a un salaire minimum que les équipes paient dans le cadre de leur accord avec l’association des joueurs. Il est régulièrement versé aux joueurs qui n’ont pas atteint l’éligibilité à l’arbitrage salarial. Jusqu’en 1976, le ratio salaire moyen sur salaire minimum était à peu près similaire au ratio rapportant le salaire horaire moyen du secteur privé américain au salaire minimum fédéral. Mais le salaire minimum du baseball a beau avoir été régulièrement relevé ces dernières décennies, il a augmenté bien moins vite que le salaire moyen. En comparaison, le ratio rapportant le salaire horaire moyen du secteur privé américain au salaire minimum fédéral a augmenté bien plus lentement au cours des cinq dernières décennies.

GRAPHIQUE 2 Ratio salaire moyen sur salaire minimum

Kerry_Papps_IZA_ratio_salaire_moyen_salaire_minimum_Etats-Unis_baseball.png

Bien que la persistance d’un élément de pouvoir monopoliste rende le baseball singulier par rapport au reste du marché du travail américain, le système hybride donne aux chercheurs l’opportunité de tester comment le pouvoir de négociation affecte les rémunérations. Par exemple, les analyses empiriques suggèrent que les joueurs reçoivent des hausses de rémunérations au cours de leur carrière qui ne dépendent pas des gains de productivité (Blass, 1992). Le graphique 3 montre comment la rémunération moyenne varie avec les années d’expérience dans les ligues majeures et compare cela avec (…) une statistique qui capture la valeur d’un joueur pour son équipe. Bien que les hausses observées de la rémunération soient surévaluées dans la mesure où seuls les meilleurs joueurs sont retenus chaque année, cela permet une comparaison de rémunération et de la productivité parmi les joueurs à chaque étape de leur carrière. Avant que la clause de réserve ne soit retirée, la rémunération et la productivité progressaient au même rythme, mais ensuite, jusqu’en 2010, la rémunération a augmenté plus vite avec l’ancienneté qu’avec la productivité. Ce n’est pas cohérent avec un marché dans lequel les joueurs sont rémunérés avec des salaires « spot » égaux à leur produit marginal à chaque période. Cela rapport plutôt les modèles de contrats implicites, où les plus vieux joueurs sont relativement surrémunérés de façon à motiver les joueurs à faire plus d’efforts au début de leur carrière. Le calendrier des revalorisations salariales coïncide avec les hausses dans le pouvoir de négociation d’un joueur. Les joueurs reçoivent des salaires significativement plus élevés une fois qu’ils deviennent éligibles à l’arbitrage salarial (trois ans après), sans changement de leurs statistiques de performance. De plus, ils signent des contrats de bien plus long terme une fois qu’ils deviennent éligibles pour devenir joueurs disponibles (six ans après). En comparaison à la relation entre rémunération et expérience vue dans le graphique 3, les travailleurs du marché du travail américain reçoivent en moyenne une plus faible hausse de rémunération pour chaque année passée embauchés.

GRAPHIQUE 3 Profils du salaire et de la performance en fonction de l’expérience dans la Ligue majeure de baseball en 1977 et en 2010 (en indices, base 1 pour l'année sans expérience)

Kerry_Papps_IZA__salaire_et_performance_selon_l__experience_baseball_Ligue_majeure.png

Globalement, un demi-siècle d’études empiriques portant sur le marché du travail du baseball indique que lorsque les travailleurs ont un pouvoir de négociation élevé, les entreprises préfèrent offrir à leurs meilleurs salariés des contrats de plus long terme et les structurer de façon à ce que la rémunération augmente au cours du temps plus vite que ne le fait la productivité.

Comment la rémunération affecte-t-elle la productivité ?


La structure de la rémunération dans une entreprise peut influencer la productivité d’un travailleur en altérant les incitations à l’effort. Les "tournois" sont souvent utilisés pour déterminer les promotions aux postes les plus élevés dans la hiérarchie des grandes organisations. Ils peuvent être ouverts (…) ou le résultat de possibilités de promotions relativement réduites (…). Le principe est que si l’écart de rémunération entre le premier et le deuxième dans un tournoi est particulièrement large, tous les concurrents vont être incités à travailler aussi dur que possible. Ici aussi, les sports permettent d’examiner quel effet la structure de rémunération exerce sur la performance en examinant les résultats des tournois (effectifs) qui sont communs dans plusieurs sports individuels.

Le golf est le sport idéal pour examiner les effets sur l’effort parce qu’il n’implique pas de confrontation immédiate entre joueurs, contrairement au tennis et à la plupart des autres sports individuels, où le résultat d’un match est déterminé par la performance des deux concurrents. En effet, le score de chaque golfeur reflète sa seule performance. La plupart des tournois de golf distribuent des récompenses pécuniaires plus ou moins de la même façon, avec une fraction similaire de la "cagnotte" totale allant au gagnant, au deuxième, etc. Cependant, la taille totale de la cagnotte varie fortement d’un tournoi à l’autre. Cela suggère qu’une plus large cagnotte peut inciter à davantage d’efforts, mais que cela doit être particulièrement prononcé pour ceux qui sont vers le sommet du classement. Une étude des scores de la Professional Golf Association en 1984 a constaté que cela était effectivement le cas, avec une hausse de 100.000 dollars dans la cagnotte d’un tournoi menant à une amélioration de 1,1 coup dans le score d’un joueur (Ehrenberg et Bognanno, 1990). Cet effet se concentre dans le dernier tour d’un tournoi et dépend du montant qui est en jeu pour un joueur donné, en fonction de sa performance antérieure dans le tournoi. Des résultats similaires ont été trouvés dans les études empiriques portant sur le tennis, un sport où les meilleurs joueurs font mieux dans les tournois les plus lucratifs et en points dans un match quand l’enjeu est le plus élevé. Inversement, il y a certaines preuves empiriques suggérant que dans le football les joueurs "s’étouffent" lorsqu’ils sont sous pression et réalisent de plus mauvaises performances lorsque les enjeux sont les plus élevés.

La productivité dépend-elle des personnes avec lesquelles on travaille ?


Les économistes ont aussi utilisé les données de performances tirées des sports professionnels pour examiner si la productivité d’une personne est influencée par la qualité de ses collègues. De tels effets de débordement peuvent exister parce que les coéquipiers se transmettent des compétences, sont poussés ou encouragés à travailler plus dur lorsqu’ils travaillent aux côtés de pairs plus productifs ou font face à une incitation financière à faire plus d’efforts lorsque leurs coéquipiers réalisent de bonnes performances.

Dans les tournois de la Professional Golfers’ Association, les joueurs sont aléatoirement assignés à un partenaire de jeu, contrairement à la plupart des cadres que les économistes ont étudiés. Puisque les partenaires de jeu peuvent s’observer les uns les autres durant un tournoi, ils ont l’opportunité d’apprendre de l’autre ou d’être motivé par l’autre. Cependant, les analyses empiriques suggèrent que la qualité du partenaire d’un joueur ne fait pas de différence pour leur score global. Néanmoins, la présence d’une superstar (à savoir Tiger Woods) semble réduire les performances des autres joueurs lors des tournois.

Bien sûr, le golf est un sport individuel, ce qui signifie que les effets de débordement ne peuvent être reliés à la nature de la fonction de production. D’autres études se sont focalisées sur le baseball et le basket, où les joueurs doivent interagir efficacement de façon à ce que leur équipe gagne. Cela permet de tester si les effets de débordement sont générés par une maximisation du revenu de la part d’individus, plutôt que des facteurs comportementaux. La théorie implique que le sens de tels effets de débordement dépend de la complémentarité ou substituabilité entre individus dans la fonction de production. Si les individus sont complémentaires, des effets de débordement positifs peuvent émerger, parce que les individus peuvent obtenir une plus grande rémunération de leur performance lorsque leurs coéquipiers réussissent. Cependant, si les individus sont substituables entre eux, des effets de débordement négatifs peuvent dominer, parce que les individus ont une incitation à se comporter en passager clandestin lorsqu’ils ont des collègues plus capables.

Les joueurs du baseball sont répartis entre frappeurs (hitters), dont le boulot est de marquer des points, et les lanceurs (pitchers), dont le boulot consister à empêcher l’équipe adverse de marquer des points. Dans une partie, les lanceurs et les frappeurs peuvent être vus comme substituts l’un pour l’autre, parce qu’une équipe peut gagner le jeu, soit en gagnant un maximum de points, soit en empêchant l’équipe adverse d’engranger des points. Cependant, les frappeurs sont complémentaires aux autres frappeurs et les lanceurs sont complémentaires aux autres lanceurs, parce qu’ils doivent travailler ensemble pour gagner des points ou empêcher l’équipe adverse de gagner des points, respectivement. Les résultats suggèrent que les frappeurs réalisent de meilleures performances dans les saisons au cours desquelles ils jouent avec de meilleurs lanceurs, mais ne sont pas affectés par les autres frappeurs. En réalité, les frappeurs peuvent être vus comme à la fois comme substituts et complémentaires l’un pour l’autre à différents degrés, en fonction de la façon par laquelle ils frappent et la nature d’une partie. Les données sur les frappes individuelles lors des parties de baseball indiquent que les frappeurs sont davantage susceptibles de réussir leur tâche si par ce biais ils augmentent les chances que l’équipe gagne les matchs aléatoires de fin de saison, mais bien moins si l’équipe a déjà une forte probabilité de les réussir (Papps et Bryson, 2019). Un frappeur peut influencer ses coéquipiers par l’un ou l’autre de ces canaux, mais ils les compensent en moyenne, si bien que la taille globale de l’effet de débordement est très faible.

En général, la productivité de joueurs individuels est plus difficile à mesurer dans des sports comme le basket et le football, où les joueurs interagissent de façon déstructurée. Cependant, les données sur chaque occasion au cours de laquelle un joueur tient une balle durant les partis de basket à la NBA indique que les effets de débordement sont une composante importante de la production d’une équipe (Arcidiacono et alii, 2017). Malgré cela, la rémunération des joueurs tend à être principalement déterminée par leurs propres niveaux de productivité, sans prise en compte de l’influence qu’ils ont sur les niveaux de performance des autres joueurs.

Qu’importe leur origine, l’existence d’effets de débordement entre coéquipiers a des implications pour les entraîneurs lorsqu’ils forment les équipes. Si les meilleurs joueurs enseignent des compétences aux autres joueurs, les motivent ou font pression sur eux, consacrer une grande proportion d’un budget salarial fixe sur un unique joueur star peut rapporter de meilleurs résultats pour l’équipe. Cependant, l’inverse peut aussi être vrai, si les joueurs stars sont démotivés à l’idée de jouer avec des coéquipiers moins efficaces. Globalement, il y a des preuves empiriques allant dans le sens d’un niveau "optimal" d’inégalité de capacités dans une équipe. En analysant la performance des équipes de la Ligue majeure de baseball au cours de huit décennies, les études empiriques suggèrent que les équipes gagnent la plupart des jeux quand l’écart-type de la performance entre frappeurs (…) correspond à 6,2 % de la moyenne des performances des frappeurs (Papps et alii, 2011). La plupart des équipes présentent des niveaux de dispersion qui sont plus étalés que cet optimum, ce qui suggère qu’elles gagneraient à ce que la sélection de joueurs soit plus homogène.

Qu’est-ce qui fait un bon chef ?


Les gens peuvent influencés non seulement par leurs pairs, mais également par leurs supérieurs. On considère habituellement que ce qui fait un bon dirigeant est une question hautement subjective. Cependant, les données du sport ont permis aux économistes d’analyser systématiquement les déterminants des réussites managériales. Dans le baseball, les dirigeants avec plus d’expérience et des pourcentages de victoires passées plus élevés gagnent davantage de jeux, lorsque l’on prend en compte la qualité des joueurs de l’équipe. De plus, les joueurs tendent à réaliser de meilleures performances lorsqu’ils ont un dirigeant de meilleure qualité.

Il est aussi possible d’utiliser les sports professionnels pour examiner si des travailleurs à forte capacité font de bons dirigeants. Dans plusieurs organisations, les entraîneurs sont promus de l’intérieur, en fonction de leurs performances au "niveau des ateliers". En utilisant les données de la NBA, une étude a constaté une corrélation entre la capacité d’une personne comme joueur et sa réussite ultérieure comme entraîneur plus tard dans sa vie (Goodall et alii, 2007). Ces effets semblent être assez larges. Par exemple, avoir un entraîneur ayant cinq ans d’expérience de jeu (plutôt qu’aucune expérience) fait gagner six places à l’équipe dans le classement de la ligue.

Quelle est l’ampleur de la discrimination entre joueurs ?


Le travail séminal de Gary Becker sur l’économie de la discrimination suggère que la discrimination de la part des entreprises devrait être éliminée au cours du temps, dans la mesure où l’entrée d’employeurs non discriminateurs évince du marché les employeurs discriminateurs. Les données du sport fournissent un cadre idéal pour étudier l’ampleur de la discrimination sur le marché du travail, puisque les chercheurs peuvent tester si des joueurs à la même productivité, mais ayant des origines ethniques différentes, ont les mêmes chances d’être embauchés ou, s’ils sont embauchés, le sont à des salaires différents. Ils peuvent aussi voir la question plus subtile quant à savoir si la discrimination de la part de ceux qui appliquent les règles peut rendre les joueurs de certains groupes ethniques moins productifs qu’ils ne l’auraient été sinon.

En 1945, Jackie Robinson a signé avec les Brooklyn Dodgers, franchissant la "ligne de couleur" de la Ligue majeure de baseball. Cependant, le processus de déségrégation a été graduel : la dernière équipe à avoir signé un joueur noir a été le Boston Red Sox en 1959. Les joueurs noirs étaient considérablement moins chers que les joueurs blancs : en 1947, les joueurs noirs capables d’aller directement aux ligues majeures depuis les ligues noires étaient souvent payés entre 1.000 et 5.000 dollars, alors que le coût total d’exploitation d’un joueur blanc était probablement supérieur de 100.000 dollars. De plus, les joueurs noirs qui étaient embauchés avaient de meilleures performances moyennes que les joueurs blancs. Chaque joueur noir additionnel qui était embauché était estimé rapporter deux victoires supplémentaires (sur 154 parties) par an. Etant donné le clair avantage compétitif de la signature de joueurs noirs, le fait qu’il fallut 14 ans pour pleinement déségréguer les ligues majeures jette le doute sur la théorie de la discrimination des employeurs de Backer. Cette conclusion est renforcée par les analyses empiriques suggérant que ce fut les équipes qui étaient déjà en réussite qui intégrèrent en premier des joueurs noirs (Goff et alii, 2002). Le fait que les clubs disposent d’un pouvoir de monopole peut contribuer à expliquer pourquoi ils étaient capables de poursuivre leurs pratiques discriminatrices aussi longtemps.

L’érosion des pouvoirs monopolistes des équipes de baseball dans les années 1970 semble avoir réduit l’ampleur de la discrimination salariale. En 1969, les joueurs non blancs gagnaient significativement moins que les joueurs blancs ayant des performances passées et expérience similaires (Scully, 1974). En 1978-1980, il n’y avait plus de différence significative de salaires entre blancs et non-blancs de capacités égales, tandis que les différences salariales demeuraient parmi ceux qui n’étaient pas éligibles pour devenir joueurs disponibles. A l’inverse des données empiriques en ce qui concerne la déségrégation, ces constats sont cohérents avec les prédictions théoriques de Becker et suggèrent que la concurrence sur le marché du travail peut aider les groupes discriminés.

Les analyses empiriques suggèrent aussi indirectement que la discrimination existe dans la ligue de football anglaise, dans la mesure où les clubs avec une proportion supérieure à la moyenne de joueurs noirs réalisent de meilleures performances que les clubs ayant une proportion de joueurs noirs inférieure à la moyenne, après avoir contrôlé leur masse salariale totale (Szymanski et alii, 2000).

La discrimination peut aussi se manifester sous al forme de traitements inégaux des membres d’une origine ethnique donnée sur leur lieu de travail. Les règles de différents sports ont permis aux économistes de tester si c’était le cas. Dans la NBA, les arbitres doivent sanctionner les fautes des joueurs ne respectant pas les règles du sport. Malgré le fait que les matchs soient regardés par des millions de fans, les arbitres semblent traiter inégalement les joueurs, en fonction de leur origine ethnique. Une étude des fautes commises dans les parties jouées entre 1991 et 2004 a trouvé que les arbitres noirs étaient significativement plus enclins à sanctionner les fautes commises par les joueurs blancs et les arbitres blancs à davantage sanctionner celles des joueurs noirs (Price et Wolfers, 2010). Après que ces constats aient reçu une grande attention des médias, une étude ultérieure à trouvé que la prévalence d’un tel comportement s’est réduite. Des phénomènes similaires ont aussi été décelés dans le cas du baseball (…) (Parsons et alii, 2011). (...)

Qu’est-ce qui explique les comportements non éthiques sur le lieu de travail ?


Les données du sport ont aussi permis d’examiner ce qui provoque les pratiques injustes et la corruption parmi les salariés. Le modèle économique du crime développé par Gary Becker et d’autres pose que les individus sont davantage susceptibles de s’engager dans des activités illégales lorsque les gains de cette activité sont larges, la probabilité d’être attrapé faible et la punition faible. Cependant, cela suppose un niveau de rationalité qui n’est pas réaliste dans de nombreux cas. L’examen du modèle de Becker a été freiné par la difficulté de calculer les coûts et bénéfices attendus d’un acte criminel. A nouveau, les sports offrent des avantages en termes de mesure : en comparaison avec presque tous les autres cadres, il est possible de mesurer plus précisément ce qu’une personne spécifique tire comme gain d’un "crime", ce qu’elle sait à cet instant-là et quelle est la probabilité que son "crime" soit détecté.

Le basket universitaire aux Etats-Unis fournit un cadre utile pour examiner si l’incidence des fautes commises durant une partie change en réponse à la probabilité que ce comportement soit détecté. En 1978, le nombre de responsables de l’Atlantic Coast Conference est passé de deux à trois par partie. Cela s’est traduit par une baisse de 34 % du nombre de fautes par jeu.

En utilisant l’information sur les résultats de tournois de lutte sumo, une étude a examiné si la corruption était plus probable lorsque les bénéfices d’être corrompu sont plus élevés (Duggan et Levitt, 2002). Les lutteurs sumo reçoivent le plus grand élan en termes de classement une fois qu’ils gagnent leur huitième match à un tournoi. Il apparaît qu’ils gagnent un huitième match plus souvent que ce qui est attendu. Bien sûr, cela pourrait s’expliquer par le fait que la perspective d’une huitième victoire les motive. Mais la fois suivante où les deux lutteurs se retrouvent, l’opposant a aussi une probabilité de gagner plus élevée qu’attendu, ce qui suggère une collusion. (...) »

Kerry L. Papps, « Sports at the vanguard of labor market policy », in IZA, World of Labor, n° 481, juillet 2020. Traduit par Martin Anota



aller plus loin… lire « Le changement d'entraîneur en cours de saison améliore-t-il les performances d’une équipe de football ? »

mardi 8 septembre 2020

Les sombres perspectives à long terme des jeunes diplômés en temps de pandémie

« En 2019, le contexte était favorable aux demandeurs d’emploi. L’emploi atteignait en Allemagne le plus haut niveau qu’il ait atteint depuis 1990 et le taux de chômage n’avait jamais été aussi faible aux Etats-Unis depuis 50 ans. Puis, le coronavirus a frappé le monde et provoqué la plus sévère crise économique des temps modernes. Les emplois ont été détruits à un rythme sans précédent. Aux Etats-Unis, le taux de chômage a grimpé à 14,2 % en avril et n’a que légèrement diminué pour revenir à 10 % à la fin du mois de juillet. Même en Allemagne, un pays qui a plutôt bien tenu face à la crise jusqu’à présent, près de 635.000 emplois ont été détruits sur un an en juillet 2020.

C’est une sombre perspective qui se présente aux jeunes qui ont le malheur de finir leurs études au cours de la pandémie. La raréfaction des opportunités d’emploi vont compliquer les transitions de l’école vers le travail et entraîner des pertes de revenu importantes et durables. Les études d’IZA ont régulièrement montré que les diplômés qui quittent l’école lors d’une récession gagnent substantiellement moins lors de leurs premiers emplois. Bien que les rémunérations tendent à rebondir après quelques années, à mesure que les opportunités sur le marché du travail s’améliorent, il demeure un ample fossé dans les revenus gagnés le reste de l’existence. Par exemple, une précédente étude d’IZA basée sur les données canadiennes des années 1980 et 1990 suggèrent qu’une hausse du taux de chômage de 3 à 4 points de pourcentage lors de l’obtention du diplôme se traduit par des pertes moyennes de 5 % dans les rémunérations gagnées tout au long de l’existence.

Quels sont les effets attendus de l’actuelle pandémie sur ceux qui ont récemment obtenu leur diplôme ? La dernière vague de sondage du IZA Expert Panel a demandé aux économistes du travail d’une cinquante de pays de quelle façon croient-ils que la crise du coronavirus affectera les nouveaux entrants sur le marché du travail dans leur pays.

L’analyse montre que plus des deux tiers des experts s’attendent à ce que les diplômés de l’année 2020 aient de plus grandes difficultés dans leur transition de l’école vers le travail que les précédentes cohortes. Les experts étasuniens et allemands sont plus pessimistes que la moyenne, tandis que les économistes italiens et espagnols se montrent légèrement plus optimistes. Alors que l’enquête ne permet pas de dégager les raisons expliquant ces différences entre pays, une possible explication pourrait être que l’Italie et l’Espagne ont déjà fait face à un important chômage des jeunes par le passé, tandis que les marchés du travail aux Etats-Unis et en Allemagne se sont révélés être très favorables aux diplômés au cours des dernières années, si bien que ces derniers pourraient y connaître un bien plus grand déclassement.

Poursuivre ses études dans le supérieur est une option qui s’offre aux jeunes afin d’éviter de se retrouver au chômage dans un marché du travail déprimé, tout en investissant en même temps dans leur capital humain pour améliorer les perspectives de rémunérations futures. Cette option semble être particulièrement pertinente au Royaume-Uni, où 60 % des experts interrogés croient que les diplômés du secondaire vont davantage se tourner vers le supérieur.

En ce qui concerne l’impact à plus long terme sur les perspectives de carrière, les experts (en particulier ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni) s’attendent à de significatifs désavantages à l’âge de 30 ans pour ceux qui ont été diplômés durant la récession. Ces effets négatifs sont susceptibles de s’effacer au cours du temps (…). A nouveau, ce sont les économistes italiens et espagnols qui s’attendent le moins à d’amples effets négatifs. Comme nous l’avons suggéré précédemment, cela peut notamment s’expliquer par les différences que l’on a pu observer entre les pays dans les conditions sur le marché du travail avant la crise.

Que peuvent faire les diplômés lors d’une pandémie pour essayer de tirer profit de la situation ? Philip Oreopoulos, de l’Université de Toronto, fournit quelques conseils dans un récent article d’opinion (…). Outre la poursuite d’études, il suggère que le volontariat est une manière de mettre en pratique ses compétences et de gagner de l’expérience pour améliorer ses chances lors des futurs entretiens d’embauche. Néanmoins, les récents diplômés risquent d’avoir à être plus mobiles et à faire preuve d’une plus grande flexibilité dans leurs préférences en matière d’emploi que les précédentes cohortes. »

IZA, « Graduating in a pandemic may lead to long-term income losses », IZA Newsroom, 31 août 2020. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Le diplôme rapporte… surtout lors des récessions »

« Quelles sont les répercussions à long terme des pandémies ? »

« Quelle reprise de l’activité économique après une pandémie ? »

- page 3 de 13 -