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Tag - ciblage du PIB nominal

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mercredi 18 mars 2015

La relation entre le ciblage du PIB nominal, le relèvement de la cible d’inflation et la monnaie-hélicoptère

« Supposons que la baisse des prix du pétrole annonce cinq années de croissance significativement supérieure à la moyenne dans les économies de l’OCDE ; nous évitons la déflation, mais malgré une forte croissance, nous parvenons à maintenir l’inflation à sa cible, voire même à un niveau inférieur à celle-ci. Même si cela se passe ainsi, l’histoire de la Grande Récession restera celle d’un drame. Si vous comparez l’endroit où nous sommes avec celui où nous aurions pu être si la crise financière n’avait pas eu lieu, vous constateriez un large fossé entre les deux. Même si nous parvenions par chance à refermer cet écart au cours des cinq prochaines années, cette très lente reprise va nous coûter cher. Dans certains pays (essentiellement en zone euro) ce coût se traduit actuellement par des taux de chômage élevés, tandis que dans d’autres (les Etats-Unis par exemple) il se traduit par une stagnation ou un déclin des salaires réels. (Le Royaume-Uni est désormais dans le second groupe : si vous êtes fatigué d’entendre ça de moi, vous pouvez lire ceci de John Van Reenen.)

Y a-t-il des leçons à tirer de ça ? Vous pouvez probablement diviser le groupe des économistes en deux camps sur ce point. Un groupe, le groupe de l’offre (qui inclurait la plupart de ceux qui décident de la politique monétaire) tend à penser que nous avons fait le mieux que nous puissions faire dans ces circonstances. Par circonstances, j’entends deux choses liées : une hausse assez surprenante de l’inflation durant 2011 et un déclin apparent de la capacité du côté de l’offre de l’économie à croître au même rythme qu’avant la crise. Si le premier fait est indéniable, le second reste à démontrer, parce que nous ne pouvons observer le principal moteur de la croissance à long terme, en l’occurrence le progrès technique.

Le second groupe d’économistes attribue avant tout la lenteur de la reprise suite à la crise financière à une insuffisance de la demande agrégée. J’appartiens à ce second groupe et j’ai régulièrement affirmé que l’austérité budgétaire avait beaucoup contribué à la lenteur de la reprise. (…) Toute hausse nouvelle de l’inflation autour de 2011 aurait été modeste et temporaire, auquel cas il n’y aurait pas eu nécessairement une hausse de taux d’intérêt avec une politique monétaire raisonnable.

Je pense que la plupart des membres du second groupe partagent également l’idée qu’il serait une grande erreur d’ignorer cette mauvaise expérience en le considérant comme un événement unique ou comme quelque chose qui survient seulement une fois par siècle. L’histoire de l’évènement unique peut focaliser sur une lecture erronée de la crise de la zone euro : cependant si celle-ci peut expliquer le changement d’attitude de la part de certaines institutions majeures comme le FMI, elle explique plus difficilement pourquoi les responsables politiques autour du monde ont embrassé l’austérité. L’idée qu’il s’agisse d’un événement qui se produit qu’une fois par siècle est fausse parce qu’elle ne prend pas en compte les changements provoqués par l’adoption généralisée de cibles d’inflation de 2 % dans un contexte où il est probable que le taux d’intérêt réel "naturel" reste faible pendant quelques temps.

Différents membres du groupe de la demande ont proposé trois innovations différentes et radicales en matière de politique macroéconomique pour éviter que ce genre d’erreur se reproduise. Il s’agit du ciblage du PIB nominal (NGDP targeting), du relèvement de la cible d’inflation et d’une certaine forme de monnaie-hélicoptère. Est-ce que ces innovations sont complémentaires ou substituables entre elles ?

Certains économistes (notamment les monétaristes de marché) semblent affirmer que changer la politique monétaire en adoptant le ciblage du PIB nominal serait suffisant. Je suis moins optimiste. Un clair avantage du ciblage du PIB nominal (et non le seul avantage) est qu’il amènerait les agents à formuler des anticipations plus expansionnistes durant la récession et lors de la reprise, mais selon moi ceci ne suffirait pas pour empêcher les trappes à liquidité de survenir. C’est parce que l’économie fut confrontée à une trappe à liquidité (les taux d’intérêt nominaux sont incapables de chuter sous un certaine borne autour de zéro) que la Grande Récession fut si sévère ; les épisodes où nous sommes confrontés à une trappe à liquidité sont devenus plus fréquents parce que la cible d’inflation (qu’elle soit explicite ou bien implicite dans le cas du ciblage du PIB nominal) est faible.

Un relèvement de la cible d’inflation est une manière évidente de réduire la fréquence des trappes à liquidité. Si le taux d’intérêt naturel était de 2 %, par exemple, alors avec une cible d’inflation de 4 %, le taux d’intérêt nominal aurait une plus grande marge pour chuter avant que la borne inférieure zéro soit atteinte que si la cible d’inflation était de 2 %. Il est important de noter que cet argument n’empêche pas d’adopter le ciblage du PIB nominal, parce que toute trajectoire de cible pour le PIB nominal inclut une cible implicite d’inflation. Pour cette raison, vous pouvez considérer le ciblage du PIB nominal et un relèvement de la cible d’inflation comme soit complémentaires, soit substituables selon que vous pensez que l’un des deux dispositifs est capable ou non de faire le boulot à lui seul.

La monnaie-hélicoptère consiste finalement à donner à la banque centrale un instrument additionnel, en l’occurrence une forme de relance budgétaire. Dans ce sens, elle se distingue du ciblage du PIB nominal ou du relèvement de la cible d’inflation dans la mesure où, parce qu’elle implique un changement des instruments plutôt que des objectifs de politique monétaire. Pour cette raison, elle peut en principe être complémentaire à ces deux politiques monétaires radicales. D’une certaine manière, la monnaie-hélicoptère est mieux perçue comme une alternative à l’assouplissement quantitatif et il n’y a aucune raison nous amenant a priori à penser que l’assouplissement quantitatif serait incompatible avec un ciblage du PIB nominal ou avec un relèvement de la cible d’inflation. Il est bien sûr possible que la monnaie-hélicoptère rende moins pressante l’adoption de d’autres changements radicaux si elle se révélait être efficace pour faire face aux trappes à liquidité.

(…) Si la première phrase de ce billet s’avérait exacte, il est peu probable que l’un de ces changements radicaux soit adopté avant le prochain épisode de trappe à liquidité. Une période de forte croissance suffira aux autorités pour prétendre que la lente reprise suite à la crise financière était un événement unique ou bien le mieux qu’il y avait à avoir dans ces circonstances. Je pense plutôt qu’au fur et à mesure que l’économie se rapprochera de sa tendance d’avant-crise, les économistes du groupe de la demande convaincront toujours plus d’économistes du groupe de l’offre qu’ils ont eu tort. Ceci va donner une plus grande crédibilité à l’idée que des changements radicaux de politique monétaire sont nécessaires et chaque alternative fera l’objet d’une plus grande analyse et d’un plus grand soutien parmi les économistes avant que l’économie ne bascule à nouveau dans une trappe à liquidité. »

Simon Wren-Lewis, « Radical macro lessons from the Great Recession. The relationship between NGDP targets, a higher inflation target and helicopter money », in Mainly Macro (blog), 17 mars 2015. Traduit par Martin Anota



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« Et si les banques centrales ciblaient une inflation de 4 % ? »

« Les banques centrales doivent-elles cibler le PIB nominal ? »

lundi 14 avril 2014

Comment les banques centrales peuvent-elles faire face au risque de borne inférieure zéro ?

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« Toute politique monétaire reposant sur un taux directeur suppose qu’il y a un niveau de taux d’intérêt qui permet à la banque centrale d’atteindre sa cible. Même avant la crise, il était notoire que la borne inférieure zéro (zero lower bound) poserait des enjeux à la mise en œuvre de la politique monétaire. Pourtant, même si l’expérience japonaise de trappe à liquidité était connue de tous, la borne inférieure zéro fut considérée comme une curiosité théorique et ne fut pas prise au sérieux avant 2008 (avec des exceptions notables, voir Bernanke et alii, 2004), lorsque la sévérité de la crise poussa les banques centrales de plusieurs pays avancés à ramener leurs taux directeurs au plus proche de zéro.

Pour déterminer si les banques centrales doivent modifier le cadre de leur politique monétaire en temps normal pour faire face au risque d’atteindre la borne inférieure zéro, il faut non seulement évaluer la probabilité que ce risque se matérialise, mais aussi déterminer si le fait d’atteindre la borne inférieure zéro se traduit par des pertes de bien-être. Ces dernières dépendent de la capacité des outils de politique monétaire qui sont disponibles à la borne inférieure zéro (en l’occurrence, les outils de politique monétaire non conventionnelle) à se substituer efficacement à la politique traditionnelle de taux directeur. Nous considérons ces questions une à une, mais nous reconnaissons qu’il n’y a pas aujourd’hui de réponses définitives.

Commençons par ce qui détermine la vraisemblance d’atteindre la borne inférieure zéro. La politique monétaire est accommodante aussi longtemps que le taux directeur réel est inférieur au taux d’intérêt naturel (c’est-à-dire au taux d’intérêt réel compatible avec un écart de production négatif). Alors, un taux d’intérêt naturel plus faible augmente la probabilité d’atteindre la borne inférieure zéro, puisque de plus faibles chocs suffisent pour pousser le taux directeur optimal à des niveaux négatifs. Les pays émergents ont donc une faible probabilité de se retrouver à la borne inférieure zéro en raison de leurs taux d’inflation et taux d’intérêt naturel élevés (bien que la probabilité puisse s’élever au fur et à mesure que ces économies se développeront). Et, ce n’est certainement pas un problème pressant pour les pays à faible revenu où les enjeux de politique monétaire sont principalement reliés aux questions structurelles et institutionnelles. Par contre, les économies avancées avec leurs plus faibles taux d’intérêt naturels (Laubach et Williams, 2003) peuvent se retrouver plus fréquemment face à la borne inférieure zéro : la crise peut indiquer que de larges chocs sont plus probables qu’on ne le pensait précédemment et que le taux d’intérêt naturel peut être sur une tendance séculaire à la baisse. En l’occurrence, la borne inférieure zéro a été atteindre lors d’une crise financière majeure et le problème ne serait peut-être pas posé avec un secteur financier plus résilient. Cependant, du moins en principe, il peut y avoir des récessions suffisamment profondes pour pousser le taux directeur à zéro sans qu’il y ait pour autant simultanément une crise financière.

La borne inférieure zéro ne serait pas une contrainte significative pour la politique monétaire si les outils non conventionnels étaient aussi efficaces que le taux directeur de court terme. A la borne inférieure zéro, les banques centrales délaisseraient tout simplement une cible intermédiaire de court terme pour adopter des outils de politique monétaire non conventionnelle (tels que les achats d’obligations et le forward guidance) ciblant directement des taux de long terme. Les données empiriques disponibles suggèrent que la politique monétaire non conventionnelle a été efficace pour diminuer les rendements obligataires de long terme, avec des effets comparables à ceux obtenus avec une politique monétaire conventionnelle. Cependant, ces résultats ont été obtenus en étudiant principalement des périodes de sévères turbulences financiers. La politique monétaire non conventionnelle peut se révéler moins efficace si une économie atteint la borne inférieure zéro en l’absence de perturbation financière majeure. Il y a aussi d’autres motifs d’inquiétude à propos de la politique monétaire non conventionnelle, notamment des difficultés de calibrage (bien que celles-ci peuvent être dépassées avec une plus grande expérience), des complexités liées à la sortie et de possibles rendements décroissants. Ces limites ne peuvent être quantifiées avec exactitude aujourd’hui, mais elles sont soutenues par des arguments théoriques solides (FMI 2013c ; Bayoumi, 2014).

Si la politique monétaire non conventionnelle se révèle moins efficace que la politique monétaire conventionnelle, il faut alors déterminer, d’une part, l’ampleur des pertes en bien-être provoquées par la borne inférieure zéro et, d’autre part, la durée et la fréquence de tels épisodes. Trois choses ont amené les études d’avant-crise à sous-estimer les deux : (i) de larges chocs furent considérés comme improbables (en utilisant les observations de la Grande Modération) et les calibrations supposèrent un taux d’intérêt naturel relativement élevé ‘un héritage des années quatre-vingt) ; (ii) le paramètre d’incertitude ne fut pas pris en compte, en particulier en ce qui concerne les chocs, et les événements extrêmes furent essentiellement ignorés ; et (iii) les modèles structurels et les méthodes de solutions adoptées ne furent pas aptes à générer des contractions prolongées à la borne inférieure zéro (Reifscheider et Williams, 2000 ; Schmitt-Grohe et Uribe, 2007). Une atonie de plus de trois ans à la borne inférieure zéro fut pour ainsi dire considérée comme impossible. Les travaux qui ont été récemment réalisés portent une plus grande attention aux non-linéarités et elles donnent de plus grandes probabilités aux larges chocs. Cependant la plupart de ces modèles ne prennent pas en compte le rôle que la politique monétaire non conventionnelle peut jouer pour stimuler l’économie à la borne inférieure zéro. De plus, l’apparent aplatissement de la courbe de Phillips et le moindre risque de spirales déflationnistes qui lui est associé peuvent avoir diminué les coûts associés à la borne inférieure zéro. Il est nécessaire de réaliser davantage d’études pour obtenir une tableau complet.

Au moins quatre stratégies ont été proposées pour réduire la probabilité d’atteindre la borne inférieure zéro ou pour accroître la résilience si celle-ci est atteinte : (i) relever la cible d’inflation (Summers, 1991 ; Krugman, 1998 ; Blanchard et alii, 2010) ; (ii) utiliser le forward guidance ; (iii) adopter une règle monétaire dépendant de l’histoire telle que le ciblage du niveau des prix (Eggertson et Woodford, 2003 ; Carlstrom et Pescatori, 2009) ou le ciblage du PIB nominal (Woodford, 2012) ; et (iv) agir plus rapidement en "embrassant" la borne inférieure zéro (Williams, 2009). Nous passons en revue chacune de ces solutions ci-dessous.

De plus hautes cibles : En temps normal, un taux d’inflation plus élevé et les taux d’intérêt nominaux plus élevés qui lui sont associés fourniraient une plus grande marge de manœuvre pour assouplir la politique monétaire lorsque se produit un choc négatif. En théorie, cela apparaît comme un remède facile à mettre en œuvre pour résoudre le problème du faible taux d’intérêt naturel. Il y a cependant deux importants problèmes qui se posent alors : les coûts associés à un taux d’inflation plus élevé et la difficulté d’adopter une plus haute cible d’inflation sans perdre en crédibilité.

Les coûts associés à une plus haute inflation incluent les perturbations dans les détentions de liquidité ; le surinvestissement dans le secteur financier ; la plus grande incertitude à propos des prix relatifs et du niveau général des prix ; les perturbations du système fiscal ; la redistribution de richesse ; et les difficultés dans la planification financière (Mishkin, 2011). De plus, une plus haute inflation tend à être plus volatile, ce qui élèverait la prime de terme et par conséquent les taux d’intérêt de long terme nominaux et réels. Il n’y a cependant pas consensus sur l’importance quantitative de ces coûts. Quelques estimations suggèrent qu’ils peuvent être substantiels (Feldstein, 1997 et 1999), mais la plupart des estimations concluent à des effets beaucoup plus limités (Ball, 2013). Et, même si les récents travaux théoriques suggèrent que le taux d’inflation optimal est rarement supérieur à 3 % et souvent compris entre 1 et 2 % (Coibion et alii, 2012 ; Billi, 2011), il n’y a pas consensus dans la littérature empirique sur les valeurs des paramètres clés sous-jacents à ces résultats, notamment le risque d’atteindre la borne inférieure zéro et le coût d’inflation.

En ce qui concerne le problème de crédibilité de la banque centrale, le risque est qu’un unique relèvement de la cible d’inflation amène les agents à anticiper de nouveaux relèvements (Bernanke, 2010 ; Woodford ; 2009 ; Mishkin, 2011). En pratique, c’est difficile d’évaluer ces inquiétudes, dans la mesure où les cibles dans les économies avancées ont rarement été modifiées en temps normal, mais le cas de la Nouvelle Zélande (qui a modifié sa bande de cible d’inflation en la passant de 0-2 % à 1-3 %) est plutôt rassurant (Brash, 1998). Le calendrier de la transition est également important, puisqu’une hausse crédible des cibles d’inflation mènerait à une hausse immédiate des taux d’intérêt de long terme. Ces risques font du changement de cible une option difficile à mettre en œuvre dans les économies avancées. Il peut être toutefois opportun pour les pays émergents et les pays en développement de maintenir leurs cibles d’inflation relativement plus élevées : en effet, si elles diminuaient leurs cibles, il pourrait leur être difficile de les relever après.

Le forward guidance : Une alternative à de plus hautes cibles ex ante consiste à générée une inflation anticipée temporairement plus élevée une fois la borne inférieure zéro atteinte. Cela peut être obtenu avec le forward guidance ou un cadre de politique qui présente une dépendance à l’histoire (comme on le verra ci-dessous). A la borne inférieure zéro, le forward guidance peut réduire les taux d’intérêt à long terme si la banque centrale parvient à convaincre les agents que les taux d’intérêt futurs seront plus faibles que ceux suggérés par une fonction de réaction en temps normal (Eggertsson et Woodford, 2003 ; Eggertsson et Ostry, 2005 ; Woodford, 2012). Cela peut générer une incohérence temporelle dans la mesure, une fois éloignée de la borne inférieure zéro, une banque centrale peut être tentée de revenir à sa fonction de réaction normale plus tôt qu’elle ne l’a promis. Ce problème peut être atténué si la banque centrale s’inquiète suffisamment pour sa réputation à long terme. Par conséquent, ce type de forward guidance va être plus efficace lorsque la banque centrale dispose d’une forte crédibilité ou lorsqu’elle accompagne ses annonces d’un dispositif d’engagement (tel que les achats à grande échelle d’actifs de long terme).

Durant la crise, la Banque du Canada, la Réserve fédérale des Etats-Unis, la Banque du Japon, la Banque d’Angleterre et la Banque centrale européenne (BCE) ont toutes utilisé le forward guidance (FMI, 2013c). La question est de savoir si le forward guidance est nécessaire et quelle forme il doit prendre. En temps normal, le forward guidance est en principe redondant si une banque centrale publie ses prévisions économiques et si sa fonction de réaction est connaissance commune. (Cependant, s’il est difficile de pleinement spécifier la fonction de réaction, le forward guidance peut être un outil de communication supplémentaire bien utile même en temps normal.) A la borne inférieure zéro, la question qui se pose est de savoir comment informer des futures déviations par rapport à la fonction de réaction suivie en temps normal. De ce point de vue, conditionner le comportement futur de la banque centrale à l’état de l’économie apparaît plus efficace que de suivre un forward guidance conditionnel au calendrier (ce dernier pouvant être interprété comme une simple prévision). Mais la récente expérience des banques centrales aux Etats-Unis et au Royaume-Uni suggère que le forward guidance conditionnel à l’état de l’économie peut amener le public à interpréter ces conditions comme des seuils de déclenchement, ce qui peut se révéler problématique si l’économie dévie de sa trajectoire attendue. Une meilleure communication pourrait atténuer ce problème, mais l’incertitude à propos du canal de transmission fait de cela un véritable défi.

Les règles monétaires dépendantes de l’histoire : Ces propositions incluent le ciblage du niveau des prix (price-level targeting) et le ciblage du PIB nominal (nominal-GDP targeting). Dans leur cadre, une banque centrale cherche à maintenir le PIB nominal ou le niveau des prix sur une certaine trajectoire. Si la borne inférieure zéro empêche la banque centrale de contrer une contraction de l’activité, la règle impose à la politique monétaire de rester accommodante jusqu’à ce que le PIB nominal ou le niveau des prix soient de retour à la trajectoire cible. Cela signifie que la croissance du PIB nominale ou l’inflation seront plus élevées qu’en moyenne dans une période future. Par rapport au régime de ciblage d’inflation standard, les règles dépendant du sentier maintiennent l’inflation délibérément au-dessus de sa moyenne de long terme pour quelques temps pour compenser la déflation passée.

Comme le forward guidance, la politique dépendant de l’histoire amène la banque centrale à préciser aux marchés les conditions sous lesquelles la politique monétaire va rester hautement expansionniste ; à la différence du forward guidance, les seuils sont déterminés automatiquement par la trajectoire cible du PIB nominal ou du niveau des prix, si bien qu’ils ne peuvent pas être perçus comme ad hoc (Carney, 2012 ; Woodford, 2013). Ce cadre comporte un mécanisme inhérent de stabilisation. Les agents anticiperaient automatiquement une inflation plus élevée ou une croissance du PIB nominale plus rapide lorsque la banque centrale rate sa cible. Ceci diminue les taux d’intérêt réels et contient la contraction initiale.

En théorie, les règles dépendant du sentier constituent la politique monétaire optimale en présence de la borne inférieure zéro (Eggertsson et Woodford 2003 ; Billi et Kahn, 2008 ; Coibion et alii, 2012). Cependant il y a des problèmes pratiques qui ne trouvent pas de claires solutions. En particulier, un engagement au ciblage du niveau des prix fait par nature face à un problème d’incohérence temporelle. Une banque centrale peut être tentée de revenir sur ses promesses de générer une plus forte inflation une fois l’économie en-dehors de la borne inférieure zéro. En même temps, ce n’est pas clair comment les anticipations de marchés vont réagir à une banque centrale qui se montre des fois extrêmement accommodante (lorsqu’il est nécessaire de rattraper la déflation passée) et à d’autres moments extrêmement restrictives (lorsqu’elle cherche à rattraper l’inflation passée). Aussi, il peut être difficile de ramener vers le bas le niveau des prix (c’est-à-dire de déflater l’économie) après une période où le taux d’inflation à été supérieur à sa moyenne. Le ciblage du PIB nominal fait face à des limites similaires. Ce qui complique encore ce régime de politique monétaire, c’est qu’il impose à la banque centrale d’expliquer au public comment la trajectoire cible du PIB nominal est ajustée en raison des changements dans la production potentielle ou des révisions de données. En raison de ces complications, il peut être difficile de déterminer en temps réel si l’objectif de politique monétaire a été atteint et de maintenir les anticipations d’inflation bien ancrées.

L’assouplissement préventif : Lorsque le risque de déflation s’accroît, la banque centrale doit agressivement réduire ses taux directeurs, plus que ce qu’une règle standard de taux d’intérêt aurait prédit, c’est-à-dire finalement ne pas chercher à conserver des munitions. Une telle politique monétaire aide à atténuer l’effet dépressif des anticipations du secteur privé sur la production et les prix actuels lorsque la probabilité de tomber dans une trappe à liquidité est élevée. Les épisodes à la borne inférieure zéro deviennent plus fréquent, mais leur sévérité et leur durée sont réduites. De plus, cette stratégie ne nécessiterait pas un changement du régime de ciblage d’inflation, mais seulement une modification dans la réaction de la banque centrale aux fluctuations de l’inflation.

Relatif à cette stratégie est l’idée d’"aller à contre-courant" (leaning against the wind) pour empêcher la formation de déséquilibres financiers excessifs lors des expansions. Durant les booms, cela conduirait à des taux d’intérêt plus élevés que ceux qu’aurait suggéré une règle standard de taux directeur. Cela renforcerait le système financier et donnerait plus de marge de manœuvre aux banques centrales pour réduire les taux d’intérêt lorsque l’économie ralentit, ce qui réduirait au final la probabilité d’atteindre la borne inférieure zéro. »

Tamim Bayoumi, Giovanni Dell'Ariccia, Karl Friedrich Habermeier, Tommaso Mancini Griffoli et Fabian Valencia, « How should central banks deal with the risk of the zero lower bound? », Monetary Policy in the New Normal, chapitre 3, avril 2014. Traduit par Martin Anota.



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« Comment les économies basculent dans une trappe à liquidité (et comment elles peuvent en sortir) »

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