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Croissance, cycles et crises

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samedi 12 mars 2022

Comment le choc Poutine pourrait affecter l’économie mondiale

« Quand Vladimir Poutine a commencé à envahir l’Ukraine, je pense qu’il est juste de dire que la plupart des observateurs s’attendaient à ce qu’il s’en tire. Les imposantes forces armées russes prendraient Kiev et d’autres grandes villes en quelques jours ; l’Occident répondrait avec sa timidité habituelle, ne donnant à la Russie qu’une petite tape sur les doigts.

Ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, 13 jours après le début de l’assaut, avec Kiev et Kharkiv tenant encore et les forces russes faisant face à une forte résistance ukrainienne (aidée par un afflux rapide d’armes occidentales) et à de désastreux problèmes logistiques. En parallèle, les sanctions occidentales exercent clairement déjà de sévères effets sur l’économie russe et peuvent encore s’aggraver. Bien évidemment, tout cela peut changer : les forces russes peuvent se regrouper et reprendre l’offensive ; les faibles gouvernements occidentaux peuvent commencer à retirer les sanctions. Pour l’instant, cependant, Poutine fait face à des conséquences bien pires qu’il ne pouvait s’imaginer.

Malheureusement, résister à l’agression a un prix. Les événements en Ukraine et en Russie vont en particulier entraîner de sérieux coûts pour l’économie mondiale. La question est de savoir à quel point ils seront sérieux. Ma conviction est que ce sera mauvais, mais pas catastrophique. En l’occurrence, le choc Poutine a peu de chances d’être aussi mauvais que les chocs pétroliers qui déstabilisèrent l’économie mondiale dans les années 1970.

Comme dans les années 1970, le coup infligé à l’économie mondiale vient des prix des matières premières. La Russie est une grande exportatrice de pétrole et de gaz naturel ; la Russie et l’Ukraine sont (ou étaient) toutes deux de grandes exportatrices de blé. Donc la guerre a un gros impact sur les prix de l’énergie et des produits alimentaires.

Commençons avec l’énergie. Jusqu’à présent, les sanctions appliquées par l’Europe à la Russie ne s’appliquent pas aux exportations russes de pétrole et de gaz ; les Etats-Unis bannissent les importations de pétrole en provenance de Russie, mais cela n’importe pas beaucoup, parce que les Américains peuvent acheter du pétrole ailleurs et que la Russie peut en vendre ailleurs. Les marchés réagissent néanmoins comme si l’offre de pétrole allait être perturbée, soit par des sanctions futures, soit parce que les compagnies énergétiques mondiales, craignant un contrecoup de la part du public, sont en train de "s’auto-sanctionner" pour leurs achats de pétrole brut russe. En effet, Shell, qui a acheté du pétrole russe au rabais il y a quelques jours s’est excusée et a indiqué qu’elle ne le referait pas. Dans tous les cas, le prix du pétrole réel (c’est-à-dire ajusté de l’inflation) a presque rejoint le niveau qu’il avait atteint durant la Révolution iranienne en 1979 :

GRAPHIQUE 1 Prix réels du pétrole aux Etats-Unis (en indices, base 100 en janvier 2022)

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Pour être honnête, je suis un peu intrigué par l’ampleur de cette hausse du prix. Oui, la Russie est une grande exportatrice de pétrole, mais elle représente seulement 11 % de la production mondial, alors que les producteurs du Golfe persique extrayaient un tiers du pétrole mondial dans les années 1970 :

GRAPHIQUE 2 Production de pétrole (en milliers de milliards de kWh)

Krugman__production_petrole_mondiale_Russie_Golfe_persique.png

Et la Russie va probablement trouver des façons de vendre une part significative de son pétrole malgré les sanctions occidentales. En outre, l’économie mondiale est bien moins dépendante du pétrole qu’elle n’a pu l’être par le passé. L’intensité en pétrole, c’est-à-dire le nombre de barils de pétrole consommés par dollar réel de PIB, est moitié moindre ce qu’elle était dans les années 1970 :

GRAPHIQUE 3 Intensité en pétrole mondiale : nombre de barils de pétrole pour 1.000 dollars de PIB (aux prix de 2015)

Krugman__intensite_en_petrole_du_PIB_mondial.png

Que dire à propos du gaz naturel ? L’Europe dépend beaucoup de la Russie pour se fournir en gaz. Mais la consommation de gaz est fortement saisonnière :

GRAPHIQUE 4 Consommation de gaz de l’UE (en milliards de mètres cubes)

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Donc, l’impact de la perturbation russe ne sera pas aussi fort tout au long de l’année, mais espérons que l’Europe prenne des mesures pour se rendre moins vulnérable.

Globalement, la crise énergétique provoquée par Poutine sera sérieuse, mais probablement pas catastrophique. Ma plus grande inquiétude pour les Etats-Unis, du moins, est politique. Vous pourriez penser que les Républicains ne peuvent pas à la fois demander à ce que les Etats-Unis cessent d’acheter du pétrole russe et attaquer le Président Biden pour les prix élevés de l’essence. (…) Pourtant, c’est précisément ce qui se passe.

La politique de côté, l’alimentation pourrait poser un plus gros problème que l’énergie. Avant la guerre de Poutine, la Russie et l’Ukraine représentaient, ensemble, plus du quart des exportations mondiales de blé. Maintenant, la Russie est sanctionnée et l’Ukraine est une zone de guerre. Chose peu surprenante, les prix du blé ont explosé, en passant de moins de 8 dollars le boisseau avant que la Russe ne commence à masser ses forces autour de l’Ukraine à 13 dollars à présent. Dans les régions riches comme l’Amérique du Nord et l’Europe, cette hausse des prix va être douloureuse, mais pour l’essentiel tolérable, simplement parce que les consommateurs des pays développés dépensent une part relativement faible de leur revenu dans l’alimentation. Pour les pays plus pauvres, où l’alimentation représente une large fraction du budget des familles, le choc sera bien plus sévère.

Enfin, quel sera l’impact de la guerre en Ukraine sur la politique économique ? L’explosion des prix du pétrole et des produits alimentaires va accroître le taux d’inflation, qui était déjà inconfortablement élevé. Est-ce que la Réserve fédérale va réagir en relevant ses taux d’intérêt, ce qui pèserait sur la croissance économique ? Probablement pas. La Fed se focalise depuis longtemps non pas sur l’inflation globale, mais sur l’inflation "sous-jacente", qui exclut les prix alimentaires et énergétiques, très volatiles, une focalisation qui s’est révélée opportune par le passé. Donc, le choc Poutine est exactement le genre d’événement que la Fed ignore normalement. Et c’est ce que les marchés financiers semblent croire : leurs anticipations des taux directeurs de la Fed au cours des prochains mois ne semblent pas du tout avoir été révisées.

Globalement, le choc russe touchant l’économie mondiale sera désagréable, mais probablement pas horrible. Si Poutine imagine qu’il peut prendre le monde en otage, eh bien, c’est probablement un autre mauvais calcul de sa part. »

Paul Krugman, « How the Putin shock might affect the world economy », 8 mars 2022. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Le lien entre prix du pétrole et croissance mondiale : les temps ont-ils changé ? »

« Quarante ans de fluctuations du prix du pétrole »

mardi 28 septembre 2021

Quel impact de la crise du Covid-19 sur le potentiel de l’économie ?

« A mesure que l’économie mondiale poursuit sa reprise de l’impact économique immédiat de l’épidémie de Covid-19, l’attention se tourne de plus en plus vers l’impact à long terme du choc sur le potentiel productif de l’économie. De telles évaluations sont cruciales pour diverses décisions en matière de politique économique. Les projets budgétaires du gouvernement britannique, par exemple, reposent sur l’évaluation de l’Office for Budget Responsibility selon laquelle l’économie du Royaume-Uni restera à long terme 3 % en-deçà de sa trajectoire d’avant-crise (OBR, 2021). Et comme la Réserve fédérale des Etats-Unis et d’autres banques centrales commencent à réduire leur soutien à l’économie, les estimations de la production potentielle et de l’écart de production vont être essentielles pour anticiper les pressions inflationnistes.

Il y a une littérature de plus en plus étoffée étudiant l’impact durable que les chocs conjoncturels peuvent avoir sur le côté de l’offre de l’économie (Cerra et alii, 2020), mais les travaux empiriques ont en tendance à se focaliser sur les seules crises financières comme source de chocs présentant des effets particulièrement durables (Fuentes et Moder, 2021). La crise du Covid-19 n’est pas une crise financière et les pandémies passées peuvent ne pas fournir un guide très utile pour prédire l’impact du Covid en raison des profonds changements dans la structure de l’économie au fil du temps et des différences dans l’échelle même de la pandémie (Bonam et Smădu, 2021). Par conséquent, il n’y a pas d’analogies parfaites sur lesquelles s’appuyer lorsqu’il s’agit d’estimer l’impact à long terme de cette crise.

Dans une récente analyse (Bartholomew et Diggle, 2021), nous nous attaquons à la question en identifiant les divers canaux via lesquels ce choc peut avoir durablement changé le côté de l’offre de l’économie et nous avons évalué comment les réponses des politiques économiques dans divers pays peuvent avoir atténué ou bien exacerbé ces canaux.

Un choc d’offre positif ?

De récentes données sont cohérentes avec une hausse de la productivité agrégée depuis le début de la crise, mais il est difficile de croire que cela reflète une amélioration durable du côté de l’offre de l’économie plutôt qu’un effet de composition qui s’inversera à mesure que l’économie continuera de se rouvrir.

Il y a cependant plusieurs canaux via lesquels l’épidémie de Covid-19 peut avoir durablement amélioré la productivité. Les études comportementales suggèrent que les dépendances au sentier peuvent enfermer les agents dans des comportements sous-optimaux, que de larges chocs peuvent corriger en imposant une ré-optimisation (Larcom et alii, 2017). L’épidémie de Covid-19 peut avoir provoqué une telle ré-optimisation (autour du télétravail, par exemple) et elle peut avoir accéléré l’adoption, la commercialisation et la diffusion de technologies existantes qui permettent de changer les schémas de production et de consommation. Il est aussi possible que le développement de vaccins à ARN messager déclenche une nouvelle vague d’autres innovations dans les sciences de la vie et la médecine qui stimulent la productivité globale des facteurs. Cependant, nous pensons que ces effets ne compensent pas les divers canaux via lesquels l’épidémie de Covid-19 est susceptible de déprimer à jamais le côté de l’offre de l’économie.

Hystérésis sur le marché du travail et perturbations dans l’acquisition de compétences

Les économistes ont depuis longtemps noté que les récessions peuvent avoir des effets cicatrices durables sur le marché du travail (Blanchard et Summers, 1986). En particulier, les périodes de chômage sont associées à une érosion des compétences, une perte de contact avec le marché du travail, de la stigmatisation et une tendance des travailleurs à accepter des emplois qui ne leur conviennent pas. Toutes ces tendances pèsent sur l’offre de travail et sur l’efficacité.

L’impact du choc initial du Covid sur les marchés du travail à travers le monde a dépendu des institutions du marché du travail, très différents d’un pays à l’autre. Aux Etats-Unis, l’allongement de l’indemnisation du chômage a permis de soutenir les revenus des ménages malgré la hausse du chômage, tandis que les mécanismes de chômage partiel ont permis en Europe de largement maintenir le lien à l’emploi malgré l’effondrement des heures travaillées. Tout cela fait que les expériences à long terme seront différentes d’un pays à l’autre : les pays qui ont connu un chômage plus élevé sont davantage susceptibles de souffrir d’une baisse durable des taux d’activité, mais aussi de jouir d’une réallocation plus efficace de la main-d’œuvre.

La crise est aussi susceptible de peser plus fortement sur la formation des compétences que ne le font les récessions typiques. Le nombre élevé d’heures d’éducation perdues avec les fermetures aura bien endommagé l’accumulation de capital humain (Burgess et Sievertsen 2020). Il y a de la marge pour rattraper les retards d’apprentissage pour les plus jeunes enfants, mais les enfants plus âgés et les adultes entrant dans le monde de travail peuvent avoir définitivement perdu en apprentissage.

En effet, il est bien établi que les récessions entraînent une destruction de capital humain spécifique aux entreprises (Fujira et alii, 2020) et que les cohortes entrant sur le marché du travail durant une récession tendent à souffrir de pertes durables en termes de salaires. La cohorte actuelle est particulièrement susceptible d’être pénalisée dans son accumulation de capital humain spécifique aux entreprises en raison de la faiblesse du marché du travail et du télétravail, qui complique certaines formes d’acquisition de savoir spécifique aux firmes.

Un effet cicatrice sur les croyances

L’expérience d’un large choc négatif peut avoir un impact durable sur les croyances des entreprises. Une telle "cicatrice sur les croyances" peut amener les individus à prendre systématiquement moins de risque dans leurs décisions en matière de finance et d’allocation de portefeuille (Malmendier et Nagel, 2009) et peut être associée à une épargne désirée durablement plus élevée et à un moindre investissement désiré, ce qui se traduit par des dommages économiques permanents (Kozlowski et alii, 2020).

Les taux d’épargne des ménages ont significativement augmenté depuis le début de la crise, bien qu’il ne soit pas encore certain à quel point cette hausse sera durable à la lumière des changements dans les bilans des gouvernements (Bilbiie et alii, 2021). Il est également plausible que, dans les pays avec le plus ample soutien en termes de politique économique, les ménages et les entreprises s’attendront désormais à ce que l’Etat soutienne davantage le revenu lors des prochaines récessions, si bien qu’ils réduiront en conséquence leur épargne.

La zombification

La crise peut aussi entraîner une multiplication des "firmes zombies", c’est-à-dire d’entreprises non profitables avec une faible valorisation boursière et des difficultés à rembourser leur dette. Il semble y avoir un effet de cliquet sur la quantité de telles firmes, leur nombre augmentant durant les récessions, mais peu d’éléments empiriques suggèrent que ce processus s’inverse durant les reprises (Banerjee et Hoffman, 2018). L’essor de telles entreprises peut peser sur la productivité via les effets de congestion, freinant la réallocation du capital vers des usages plus productifs.

Etant donné les divers dispositifs d’urgence fournis par les autorités durant la pandémie (notamment les baisses de taux d’intérêt et plus généralement un assouplissement des conditions de financement, des facilités de liquidité d’urgence et une tolérance réglementaire), cette crise peut avoir créé bien plus de firmes zombies. Par exemple, l’Institut der Deutschen Wirtschaft à Cologne estime qu’il y a 4.300 firmes zombies supplémentaires en Allemagne du fait du relâchement des lois de faillite (Röhl, 2020).

Dans l’ensemble, le soutien par le gouvernement a probablement stoppé beaucoup plus d’entreprises potentiellement viables de s’écrouler lors de l’écroulement initial de la demande au début de la pandémie qu’il n’a suscité de nouvelles firmes zombies. Cependant, à mesure que l’économie poursuit sa reprise et se réoriente au gré des changements dans les habitudes de production et de consommation, il est important que les ressources puissent être réallouées et que des politiques encouragent et non empêchent ce processus.

L’erreur de politique économique

La meilleure façon de s’assurer que les ressources se réallouent efficacement consiste peut-être à maintenir les politiques conjoncturelle accommodantes, en tolérant des périodes d’inflation supérieure à la cible (Guerrieri et alii, 2021). En effet, une stimulation insuffisante de la demande globale est le plus gros risque pesant sur la reprise post-pandémique la source la plus probable de dommages durables occasionnés sur le côté de l’offre de l’économie. Une erreur de politique économique de ce genre a été responsable de la lenteur de la croissance économique suite à la crise financière mondiale et il est facile d’imaginer que les mêmes erreurs puissent être répétées. (…)

Quantifions les dommages

Si nous rassemblons tout cela, notre estimation centrale est que l’épidémie de Covid-19 a amputé de façon permanente la production mondiale de l’équivalent de 3 % du PIB. C’est un tiers de la taille des dommages en niveau observés après la crise financière mondiale.

GRAPHIQUE PIB mondial (en indices, base 100 au pic d'activité)

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GRAPHIQUE Pertes en production à long terme selon les pays

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Il y a des différences significatives d’un pays à l’autre dans le degré de dommages à long terme, dépendant de la sévérité de la crise sanitaire, de la taille et de la conception des réponses des politiques économiques et de la structure des marchés du travail. Cela signifie de plus lourds dommages pour la trajectoire du PIB à long terme pour la zone euro, l’Inde et le Brésil et de moindres dommages pour la Chine et les Etats-Unis. (...) »

Luke Bartholomew & Paul Diggle, « The lasting impact of the Covid crisis on economic potential », 21 septembre 2021. Traduit par Martin Anota



« Quelles cicatrices l'économie gardera-t-elle de la pandémie ? »

« Quel sera l’impact économique de la pandémie à moyen terme ? »

« Booms, crises et reprises : n’est-il pas temps de changer de paradigme ? »

« Pourquoi les reprises sont-elles lentes après les crises financières ? »

« Les chocs de demande ont des effets permanents »

lundi 5 avril 2021

L’« excès d’épargne » n’est pas excessif

« Comment l’économie américaine émergera-t-elle de l’actuelle pandémie de Covid-19 ? Va-t-elle avoir des difficultés à revenir aux niveaux antérieurs d’emploi et d’activité ou va-t-elle vite rebondir une fois les vaccinations généralisées à l’ensemble de la population et les Américains rassurés à l’idée de voyager et de manger dehors ? Une partie des réponses à ces questions tient à ce qui va se passer pour l'ample "excès d'épargne" que les ménages américains ont accumulé depuis mars 2020. Selon la plupart des estimations, cette épargne représente environ 1.600 milliards de dollars. Certains économistes, notamment Olivier Blanchard (2021), ont exprimé leurs inquiétudes à l’idée que, si une fraction considérable de ces fonds accumulés était immédiatement dépensée aussitôt l’économie rouverte, l’afflux de demande qui en résulterait se révélerait déstabilisateur. Ce billet affirme que cette épargne n’est pas excessive, lorsqu’on la considère au regard des interventions sans précédent du gouvernement au cours de l’année passée pour soutenir les ménages et qu’il est improbable qu’elle génère une explosion de la demande post-pandémique.

GRAPHIQUE Epargne personnelle dégagée chaque mois aux Etats-Unis (en milliards de dollars)

Eggertsson__epargne_menages_americaines_2020_confinement_Covid-19_pandemie.png

Il est simple de calculer l’excès d’épargne : c’est le montant cumulé d’épargne personnelle durant la pandémie qui excède la trajectoire contrefactuelle sans épidémie de Covid-19. Comme l’indique la courbe bleue sur le graphique ci-dessus, l’épargne personnelle a été élevée depuis fin mars 2020. La ligne rouge représente un scénario contrefactuel plausible, dans lequel le taux d’épargne à partir du revenu disponible est constant et égal au niveau qu’il atteignait avant la pandémie (7,3 %), alors que le revenu personnel disponible croît à son rythme moyen au cours des vingt dernières années (3,5 %). L’excès d’épargne est représenté par la zone entre les deux lignes. Selon ce calcul, il représentait 1.600 milliards de dollars à la date de décembre 2020. Différentes hypothèses plausibles de l’évolution contrefactuelle de l’épargne personnelle en l’absence de pandémie amènent à des chiffres qui sont très proches de cette estimation.

D’où vient cet excès d’épargne ? Il y a manifestement trois facteurs sous-jacents. Premièrement, beaucoup d’Américains ont pu garder leur emploi et leur revenu l’année dernière. Cependant, ils n’ont pas dépensé autant qu’ils ne l’auraient fait en l’absence de la pandémie, parce qu’à cause de cette dernière ils ne sont pas allés au restaurant ou n’ont pas pris de vacances. L’accroissement des achats de fournitures, électronique et autres biens n’a compensé qu’en partie cette chute des achats de services. Par conséquent, la consommation globale a chuté pour plusieurs ménages, même si leur revenu est resté plus ou moins intact. Deuxièmement, à partir de la réponse d’urgence adoptée début mars et le subséquent CARES Act, le gouvernement est intervenu pour remplacer une partie du revenu perdu, en particulier pour les travailleurs dans les secteurs les plus touchés par la pandémie. Une partie de ce soutien des revenus a été dépensée pour permettre aux ménages de continuer de subvenir à leurs besoins, mais il ne l’a pas été en totalité. Troisièmement, il est possible que les ménages aient décidé d’épargner plus que d’habitude par précaution, étant donné la forte incertitude à propos de leurs emplois et de la santé future de l’économie.

Qu’importe la raison précise, il ne fait aucun doute que les ménages ont plus épargné l’année passée qu’ils ne l’auraient fait dans un monde sans pandémie. Mais y a-t-il quelque chose d’"excessif" à propos de l’épargne qu’ils ont ainsi accumulée ? Cette épargne est-elle vraiment si différente des 130 milliards de valeur nette que les ménages américains détiennent déjà qu’ils risqueraient à la dépenser plus vite qu’avec les autres composantes de leur richesse ? Il y a au moins trois raisons de penser que la réponse à cette question est non.

Tout d'abord, l’excès d’épargne est la contrepartie comptable du supplément de dette publique. Selon les principes de la comptabilité nationale, le flux d’épargne privée (par les ménages et les entreprises) doit être canalisé vers l’un des trois usages suivants : il peut financer l’investissement, être prêté à l’étranger ou être prêté au gouvernement. En 2020, le gouvernement américain a dépensé pratiquement 2.000 milliards de dollars pour combattre la récession provoquée par l’épidémie de Covid-19 et l’essentiel de ces dépenses a été financé par endettement. Les 1.600 milliards d’"excès d’épargne" constituent la contrepartie comptable de l’emprunt du gouvernement.

Comme c’est souvent le cas avec les identités comptables, cette observation n’a que des implications économiques limitées. Elle ne révèle pas pourquoi les ménages ont accumulé un "excès d’épargne", ni s’ils vont le dépenser une fois l’économie pleinement rouverte. Néanmoins, cela nous aide à le considérer sous un autre éclairage, non pas comme une ressource supplémentaire prête à être dépensée, mais comme le revers d’un effort budgétaire extraordinaire pour combattre la pandémie de Covid-19.

Ensuite, l’excès d’épargne est principalement détenu par… les épargnants. L’une des raisons pour lesquelles les économistes n’associent pas la hausse exceptionnelle de la dette publique observée l’année dernière à une explosion imminente de la demande agrégée (même s’ils peuvent s’inquiéter à son propos pour d’autres raisons) est l’idée que la dette publique est une dette que les citoyens se doivent à eux-mêmes. En tant que telle, elle ne représente pas une "richesse nette" qui est déjà dépensée. Dans le langage des économistes, cette idée est connue sous le nom d’équivalence ricardienne. Selon cette proposition, les transferts publics financés avec la dette publique n’affectent pas la consommation parce que les ménages les épargnent pour payer la hausse des impôts qui sera en définitive nécessaire pour rembourser cette dette. Si l’équivalence ricardienne est vérifiée, la propension marginale à consommer les transferts financés par endettement sera nulle et l’épargne résultante ne sera jamais dépensée.

L’équivalence ricardienne est le genre de repère théorique que les économistes adorent, mais elle n’est pas clairement vérifiée en pratique. En fait, beaucoup de ménages américains ont dépensé une part significative des chèques qu’ils ont reçus et des autres soutiens au revenu qu’ils ont reçus durant la pandémie. Selon les estimations disponibles, cette part est d’environ un tiers en moyenne. Le reste a été utilisé pour rembourser la dette (également d’environ un tiers) ou sinon épargné. Il est difficile de savoir précisément qui détient cette épargne, mais il semble raisonnable de supposer que ce sont des individus ou ménages avec un matelas dans leur budget et dont les décisions en matière de consommation sont par conséquent moins sensibles à leurs conditions économiques immédiates. C’est ce qui leur permet d’épargner une partie du soutien budgétaire qu’ils ont reçu. Selon la théorie économique, ces épargnants sont davantage susceptibles d’être ricardiens et donc de continuer à détenir cette épargne. Bien sûr, leurs conditions économiques peuvent changer à l’avenir et ils peuvent se retrouver dans la nécessité de dépenser ces ressources accumulées, mais la fin de la pandémie risque peu d’amener ces épargnants à consommer immédiatement. Et à mesure que les conditions agrégées s’améliorent, de moins en moins de ménages font face à des difficultés financières.

Enfin, il est improbable que l’excès d’épargne déclenche une demande de rattrapage pour les services. L’une des choses que l’on peut penser au terme de nos précédents propos est qu’une partie de l’"excès d’épargne" peut s’expliquer par un manque d’opportunités de dépenses dans les secteurs de l’économie les plus affectés par le virus, notamment les voyages et le divertissement. Si c’est exact, une partie de ces dépenses perdues peuvent se matérialiser une fois que ces secteurs seront pleinement rouverts.

A quel point cette demande de "rattrapage" sera importante ? D’un côté, il y a peu de doute que beaucoup de consommateurs vont s’offrir des repas au restaurant supplémentaires et peut-être des vacances prolongées après une si longue période où ils n’ont pas pu s’en offrir. D’un autre côté, il y a une limite à l’ampleur de ces repas et vacances supplémentaires. Pour savoir dans quelle mesure cette demande de rattrapage découlera de l’"excès d’épargne" accumulé durant la pandémie, rappelons que les estimations disponibles de la propension à consommer les transferts du CARES Act est d’environ un tiers. Cela signifie que le ménage moyen dépense environ 33 centimes pour chaque dollar reçu en transferts directs. Cette estimation concorde avec celles tirées des précédents transferts de ce genre, par exemple les Economic Stimulus Payments de 2008. Par conséquent, la pandémie ne semble pas avoir substantiellement limité la capacité des ménages à dépenser le soutien budgétaire qu’ils ont reçu.

L’une des conclusions que l’on peut tirer de ces trois considérations est que, malgré son importance par rapport aux normes historiques, l’épargne accumulée par les ménages américains n’apparaît pas "excessive" lorsqu’on la considère au regard des besoins extraordinaires que beaucoup de ménages américains présentent et de l’intervention publique sans précédent pour les soutenir. Il est certainement possible que les ménages utiliseront une partie de cette épargne pour se payer un supplément de voyages et de divertissement une fois le cauchemar de la pandémie derrière nous, mais notre conclusion est que la stimulation des dépenses qui en résultera sera très limitée. Cette conclusion n’exclut pas une forte reprise de l’activité économique suite au choc du virus. Elle implique seulement que la dépense de cet excès d’épargne n’en sera pas l’un des principaux moteurs. »

Florin Bilbiie, Gauti Eggertsson, Giorgio Primiceri et Andrea Tambalotti, « "Excess savings" are not excessive », in Federal Reserve Bank of New York, Liberty Street (blog), 5 avril 2021. Traduit par Martin Anota

lundi 15 mars 2021

Quelles pourraient être les implications économiques d’une pandémie de Covid-19 persistante ?

« Quand la crise de la Covid-19 a éclaté au début de l’année 2020, beaucoup d’économistes qui ont cherché à en prévoir l’impact supposaient qu’il s'agissait d'un choc temporaire et qu'il serait suivi à un moment ou à un autre par un retour proche du statu quo. Les opinions ont depuis bien changé en ce qui concerne le temps qu’il faudrait pour produire des vaccins et l’ampleur des potentielles cicatrices économiques, mais, jusqu’à ces tout derniers mois, peu en-dehors des professionnels de la santé publique ont sérieusement considéré la possibilité que la pandémie puisse durer à grande échelle.

L’émergence de nouveaux variants du SARS-CoV-2, le virus qui provoque la Covid-19, a rendu cette hypothèse d'un retour à la normale moins réaliste. Même s’ils n’apparaissent pas comme les plus probables, les pires scénarii ne peuvent plus être exclus. (…) Si l’épidémie de Covid-19 dure et continue de menacer des vies, deux scénarii semblent alors se dessiner. Le premier est celui de vagues récurrentes d’infections, amenant les gouvernements à osciller entre renforcement et assouplissement des mesures sanitaires en réponse aux accélérations et ralentissements des contaminations. Le second est un scénario "zéro Covid" : des politiques de confinement strictes ou soutenues au départ, suivies par des mesures sanitaires plus souples, combinées à un traçage et testing systématiques pour maintenir les infections à un très faible niveau par la suite. Alors que les analyses empiriques suggèrent que ce second scénario mènerait à de moins coûts humains et économiques à long terme, les réalités géographiques, humaines et politiques au sein des pays ou entre eux font que ce second scénario est peu probable, du moins dans le cas d’économies à forte densité démographique, ouvertes, étroitement intégrées, telles que les économies européennes. Pour cette raison, ce billet se focalise sur les implications du premier scénario.

Nous voyons trois principales implications d’un scénario d’épidémies récurrentes. La première est celle de restrictions durables aux frontières, dans la mesure où les pays cherchent à se protéger des infections dans le reste du monde. La deuxième est la possibilité de confinements répétés. La troisième est celle d’effets persistants sur la composition de l’offre et de la demande. Nous allons explorer tour à tour chacune de ces implications. (Un billet ultérieur en tirera des leçons en matière de politique économique.)

1. Des fermetures de frontières durables


Le transport aérien transfrontalier de passagers a décliné de plus de 90 % en avril-mai 2020 et il était toujours 64 % en-deçà de son niveau habituel en décembre, selon l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), une agence spécialisée des Nations Unies. En janvier 2021, de nouvelles fermetures de frontières étaient annoncées, en particulier en Europe. Le Royaume-Uni, par exemple, a interdit les entrées en provenance de plus de 30 pays et imposé une période d’isolement de dix jours pour toute personne arrivant sur l’ile. Supposons que ces restrictions aux voyages persistent. Quels pourraient être leurs coûts économiques ?

Certains effets (sur le tourisme étranger, les compagnies aériennes) sont évidents et substantiels. Le tourisme international, qui représentait 1.700 milliards de dollars en 2019, soit 1,9 % du PIB mondial, a chuté de 74 % en 2020. Cela ne s’est pas traduit par une baisse de l’activité économique de même ampleur, dans la mesure où les résidents, désormais forcés de rester au domicile, peuvent compenser une partie du choc, mais seulement en partie (les résidents français peuvent ne pas vouloir visiter la Tour Eiffel à nouveau). Les dommages risquent d’être très importants dans des endroits comme les Maldives ou dans la Bahamas, où le secteur du tourisme représente plus de 50 % du PIB et sévères dans des pays comme la Grèce, l’Italie ou l’Espagne, où ce secteur représente plus de 10 % du PIB et de l’emploi (et où le tourisme étranger a décliné de 70 à 80 % en 2020). Mais même pour un pays très diversifié comme la France, le tourisme étranger représente, directement ou indirectement, environ 3 % du PIB.

Les restrictions à la migration saisonnière, en particulier dans l’agriculture, peuvent avoir des effets substantiels. Les restrictions aux déplacements peuvent à la fois perturber les récoltes (dans les pays d’arrivée) et affecter les envois de fonds (à destination des pays d’origine).

Certains effets sont bien plus difficiles à évaluer, mais pourraient s’avérer bien plus profonds. Une question majeure est comment les restrictions aux déplacements affecteront l’organisation des chaînes d’approvisionnement mondiales, le commerce de biens, les services hors tourisme et la productivité.

En soi, le transport de conteneurs implique un minimum de contacts physique. Une fois qu’un contrat de marchés publics ou d’exportation est signé, l’impact des restrictions aux déplacements aériens sur les gens est minimal. Mais la mobilité des personnes est importante pour l’établissement d’une chaine d’approvisionnement. Plus précisément, les réseaux de production des multinationales sont sujets à trois types de frictions (Head et Mayer, 2019) : les coûts commerciaux, les coûts de marketing et les coûts de coordination de la production. Les restrictions aux voyages n’affectent pas les premiers, mais ils affectent les autres. Delpeuch et ses coauteurs (2020) ont développé un modèle prenant en compte ces coûts et l’ont appliqué à l’industrie automobile. Ils ont constaté qu’une hausse de 20 % des coûts transfrontaliers réduirait typiquement le revenu réel des consommateurs d’environ 4 %. (...)

2. Des confinements récurrents


Dans un scénario de vagues épidémiques récurrentes, les gouvernements sont susceptibles de mettre en oeuvre une politique sanitaire de stop-and-go, avec des confinements plus ou moins stricts qui seraient ensuite relâchés. Quelle serait l’ampleur des coûts de ces mesures en termes d’activité économique ?

Divers facteurs doivent rendre les futurs confinements moins coûteux que ceux qui avaient été initialement adoptés au printemps 2020. Des leçons ont été tirées : les pénuries de masques et d’équipement de protection ont largement disparu, les sites de production ont été restructurés pour contenir les contaminations, le travail à domicile a été mieux organisé et les ventes click-and-collect se sont développées. Les gouvernements ont une idée plus précise, quoiqu’encore toujours limitée, des canaux de transmission d'un groupe à l'autre et ils peuvent procéder à des interventions et fermetures plus chirurgicales. Parallèlement, cependant, il y a des signes manifestes de lassitude au confinement, amenant la population à moins respecter les règles et à adopter un comportement moins prudent.

Pour savoir s’il y a eu du progrès, nous nous sommes focalisés sur sept pays européens qui ont connu deux confinements en 2020, un premier au printemps et un second à l’automne. Ces pays sont l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la France, l’Italie et le Portugal. Pour chacun des deux confinements, nous avons regardé la période commençant avec la plus forte valeur atteinte par le taux de reproduction effectif (R) et finissant avec sa plus faible valeur. Cette période coïncida typiquement (avec au maximum un délai de deux semaines) à la période de confinement officielle et une hausse brutale de l’indice de restriction Blavatnik, un indice visant à mesurer l’intensité des mesures de confinement. La période dura entre six et neuf semaines selon les épisodes et pays.

Comme mesure de l’effet sur les contaminations, nous observons la variation de R, tel qu’il est construit par Arroyo-Marioli et alii (2021). Il est bien connu qu’une valeur de R supérieure à l’unité signifie une accélération des infections et une valeur inférieure à l’unité un ralentissement des infections. Sans surprise, tous les épisodes ont commencé avec une valeur de R supérieure à l’unité et finirent avec une valeur inférieure à l’unité.

Comme mesure de l’effet sur la production de l’économie (Y), nous utilisons le Weekly Tracker de l’activité économique construit par l’OCDE. Selon cet indicateur, une valeur nulle sur le graphique signifie que l’estimation du PIB dans une semaine donnée est égale à sa valeur pour la semaine correspondante une année plus tôt (ce qui élimine les problèmes de saisonnalité). Une valeur négative signifie que l’estimation du PIB est plus faible que la valeur pour la semaine correspondante une année plus tôt.

GRAPHIQUE Taux de reproduction effectif hebdomadaire de la Covid-19 (R) et chute de la production (Y)

Blanchard_Pisani-Ferry__taux_de_reproduction_Covid-19_perte_en_PIB_confinements.png

La seconde vague de confinements a provoqué moins de dommages économiques que la première et a permis de ramener la transmission aux mêmes niveaux.

L’évolution de R et de Y pour chacun des sept pays européens et chacun des deux confinements est présenté dans les deux cadrans du graphique. Le cadran de gauche montre le résultat du premier confinement (printemps 2020), le cadran de droite le résultat du second confinement (automne 2020). Dans chaque cas, le mouvement est antihoraire, partant du sommet. (…)

Le graphique (...) suggère les conclusions suivantes. Les variations de R et du Y furent bien plus amples au cours du premier confinement que lors du deuxième. R est parti d'un niveau plus élevé et le coût en termes de production accompagnant la baisse de R fut bien plus important. La valeur finale de R a également été un peu plus élevée lors du deuxième confinement que lors du premier, ce qui suggère que les gouvernements ont été sous pression pour retirer les restrictions avant que leurs objectifs de santé publique ne soient pleinement atteints.

Le premier confinement a été caractérisé par une forte hétérogénéité des conséquences d’un pays à l’autre. L’Allemagne a fini avec le même faible niveau de R que la France, mais avec un coût en termes de production deux fois moindre. Le deuxième confinement, à l’inverse, a été plus homogène, avec la plupart des pays finissant avec des valeurs de R pratiquement similaires à un coût en termes de production assez similaire.

Plus important pour nos propos, le coût en termes de production associé à l’obtention d’une même valeur R a été substantiellement plus faible durant le deuxième confinement, entre la moitié et un tiers du coût du premier confinement. En observant les choses autrement, en l’occurrence en comparant les trajectoires correspondantes de R allant, par exemple, de 1,5 à 0,7 dans les deux cadrans, le coût en termes de production par semaine a été plus faible lors du deuxième confinement, pratiquement de 7 à 10 % du PIB hebdomadaire.

Ce n’est seulement qu’une première estimation à partir des données. Les données empiriques suggèrent toutefois que ces pays ont été capables de contenir la contagion à un plus faible coût en termes de production durant le second confinement. Comme davantage de leçons sont tirées et que les politiques sont mieux ciblées, un meilleur arbitrage pourrait être atteint si de nouveaux confinements s'avéraient nécessaires. Mais pour l’instant, c'est plutôt le coût économique du second confinement que celui du premier qui devrait être considéré comme point de départ.

3. Des changements dans l’offre et la demande


Dans un scénario de vagues épidémiques récurrentes, les gens sont susceptibles de changer leur comportement même en-dehors des épisodes de confinement. L’idée d’un monde post-pandémique où nous pourrions ignorer le virus et retrouver notre vie normale ne peut être prise pour acquis. Le risque d’infection, même si l’on a été vacciné, contaminé par le passé, ou les deux, demeure. Les gens vont continuer d’être réticents à aller aux restaurants, aux théâtres, aux stades et dans d’autres lieux publics, indépendamment des mesures formelles de confinement ; comme ils l’étaient au printemps 2020 quand certains Etats aux Etats-Unis décidèrent de rouvrir les entreprises non essentielles en pleine vague pandémique. Ces secteurs intensifs en contacts vont souffrir tout au long de l’année, qu’ils soient ou non sujets à des restrictions légales.

En France, par exemple, les entreprises très affectées (celles dont le chiffre d'affaires a été au moins inférieur de 50 % par rapport à la normale) représentaient 7,5 % de l’emploi privé à la fin de l’année 2020, selon une enquête de la DARES. Elles sont très concentrées dans quelques secteurs. Dans un scénario de Covid-19 persistant, les dispositifs de soutien temporaire peuvent échouer à fournir une solution et plusieurs de ces entreprises peuvent finir par fermer, avec de sévères conséquences pour l’emploi. Si c’est le cas, une importante réallocation de la main-d’œuvre prendra place.

Mais même si l’essentiel des entreprises s’adaptent et survivent, des restrictions durables sur l’activité économique se traduiraient par des dommages significatifs. Les analyses empiriques qui sont pour l’heure disponibles suggèrent que le soutien en termes de liquidité a été efficace et que les faillites d’entreprises, du moins jusqu’à présent, ont diminué. Mais comme la dette des entreprises augmente, les situations d’insolvabilité sont susceptibles de se multiplier. Une partie du coût se répercutera sur les finances publiques (...).

L’épargne et l’investissement peuvent aussi s’en trouver substantiellement affectés. Une hypothèse courante a été qu’il pourrait y avoir une phase post-pandémique exubérante, avec une demande de rattrapage, grâce à la large épargne accumulée et au désir d’oublier la mauvaise expérience qu’a constituée la pandémie. Une forte croissance s’ensuivrait. C’est moins probable s’il n’y a pas clairement de fin à la pandémie. Les gens peuvent continuer d’épargner, par précaution face à un avenir incertain. Beaucoup d’entreprises ont pu être sévèrement touchées. Avec des profits à la baisse et une incertitude qui dure, elles peuvent être réticentes à investir et peuvent garder leurs liquidités au cas où les choses seraient de nouveau dures. Cela serait nuisible à la production potentielle et à la demande globale. Le gouvernement pourrait non seulement avoir à protéger les gens et les entreprises, mais aussi à soutenir la demande globale pour maintenir à un potentiel (diminué). Cela se ferait à un coût budgétaire substantiel.

Un vieux thème en macroéconomie est celui de l’hystérèse : les effets permanents des chocs temporaires. Les analyses empiriques basées sur les récessions passées restent nuancées (Blanchard, 2018), mais dans un scénario dans lequel l’épidémie de Covid-19 persiste durant plusieurs années, des effets cicatrices durables apparaissent bien probables. Le chômage de long terme peut finir par avoir des effets psychologiques, même si les chômeurs sont indemnisés. Les effets nettement inégaux du confinement sur la qualité de l’éducation, que ce soit pour les élèves des écoles ou les étudiants dans les universités, ont déjà été relevés et ils apparaissent massifs. Par exemple, Chetty et ses coauteurs (2020) ont constaté que six semaines après la fermeture des écoles américaines durant le printemps 2020, le nombre de leçons complétées sur une plate-forme de maths en ligne a chuté de plus de 40 % dans les écoles avec des élèves à faible revenu, contre 10 % dans les écoles avec des élèves à haut revenu. Ces chiffres sont susceptibles d’être bien plus affolants si l’enseignement en face-à-face physique restait limité sur une période prolongée. (…) »

Olivier Blanchard et Jean Pisani-Ferry, « Persistent COVID-19: Exploring potential economic implications », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 12 mars 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Covid-19 : les rendements décroissants du confinement »

« Quelles conséquences les fermetures d’écoles auront-elles sur les élèves ? »

« Quelles sont les répercussions des pandémies à long terme ? »

« Quelle reprise de l’activité économique après une pandémie ? »

« Quel est l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur la productivité ? »

« Booms, crises et reprises : n’est-il pas temps de changer de paradigme ? »

mardi 9 mars 2021

Covid-19 et macroéconomie

« La pandémie de Covid-19 est un autre choc "unique dans une existence" touchant l'économie, une décennie après la crise financière mondiale. Cette brève note explore les implications macroéconomiques de la pandémie en utilisant les modèles de mon manuel, Macroeconomics. La note est divisée en trois points. Premièrement, nous explorerons les données internationales sur la mortalité associée à l’épidémie de Covid-19 et sur le PIB. Deuxièmement, nous discuterons de la façon de réfléchir à propos du coronavirus en utilisant plusieurs modèles. Enfin, nous examinerons les données sur le PIB, l’emploi et l’inflation au cours du temps pour évaluer ce que nous avons appris de ces modèles.

1. Un aperçu de la pandémie de Covid-19 et de l’économie


La pandémie de Covid-19 a été un désastre économique et humain. A l’instant où j’écris, plus de deux millions de personnes dans le monde en sont mortes, en l’occurrence environ une personne pour 750 habitants aux Etats-Unis, au Mexique et dans plusieurs endroits en Europe. Ces coûts n’ont pas été répartis uniformément au sein de la population ; ils ont été supportés de façon disproportionnés par les personnes âgées, les personnes avec une mauvaise santé, les minorités et les travailleurs essentiels. (…) La recherche suggère que l’éducation perdue associée à la fermeture des écoles et l’enseignement à distance peuvent réduire de façon permanente la consommation annuelle des cohortes affectées de 1 %. (…) Ces pertes sont susceptibles de persister tout au long de l’existence de ces personnes.

Les pays à travers le monde ont cherché à atténuer la propagation de l’épidémie de Covid-19 de plusieurs façons. Les confinements, les restrictions aux voyages, la fermeture des écoles, la distanciation physique et le port du masque sont certaines des réponses adoptées, imposées via les décisions gouvernementales ou adoptées spontanément par les individus. Ces réponses ont réduit le nombre de morts dus au coronavirus, tout en réduisant aussi le PIB et l’activité économique.

GRAPHIQUE 1 Activité économique, morts dus au coronavirus, politique sanitaire et chance

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Le graphique 1 montre une façon stylisée de réfléchir aux effets économiques de ces réponses, dans un graphique représentant le nombre de morts sur l’axe des abscisses et la perte en PIB sur l’axe des ordonnées. Notez que les points signalent une situation d’autant plus grave qu’ils sont éloignés de l’origine, comme les morts dus au coronavirus et les pertes en PIB sont de mauvaises choses. La ligne violette du graphique capture un arbitrage à court terme entre activité économique et nombre de morts du coronavirus. Par exemple, les injonctions à rester chez soi peuvent réduire le nombre de morts du coronavirus, mais entraînent une perte d’activité économique comme les gens réduisent leur consommation de certains biens et peuvent avoir des difficultés à poursuivre leur travail depuis leur domicile. Cet arbitrage est une façon naturelle par laquelle les gens réfléchissent aux conséquences macroéconomiques de l’épidémie de Covid-19.

La ligne verte sur le graphique va dans l’autre direction, cependant. Elle peut capturer les "bonnes politiques" et les "mauvaises politiques". Par exemple, si les économies ont de la chance et évitent d’être trop exposées à l’épidémie trop tôt, elles peuvent être à même de poursuivre leur activité économique sans connaître de hausse substantielle de contaminations au coronavirus, du moins pendant un certain temps. Ou des territoires qui adoptent de bonnes politiques, comme le port obligatoire du masque, peuvent continuer de garder les écoles et les entreprises ouvertes. De bonnes politiques ou la chance peuvent rapprocher de l’origine la ligne violette, ce qui permet de réduire le nombre de morts et les pertes en PIB.

GRAPHIQUE 2 Perte en PIB annuel et mortalité due à la Covid-19 à travers le monde

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Lesquelles de ces forces dominent dans les données ? Sont-elles toutes deux importantes, si bien que lorsque l’on regarde les données nous ne voyons qu’un nuage de points sans claire corrélation ? La réponse pour les pays autour du monde est représentée sur le graphique 2. Le message peut-être surprenant de ce graphique est que la corrélation est davantage positive que négative. Plutôt que dominées par un arbitrage entre morts dus au coronavirus et pertes en PIB, les données suggèrent que les deux variables varient ensemble, du moins sur l’ensemble de l’épisode pandémique. En l’occurrence, certains pays comme la Chine, la Corée du Sud, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et le Japon ont de très bonnes performances sur les deux dimensions, tandis que d’autres pays, notamment le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne, le Mexique et l’Argentine, ont de mauvaises performances sur les deux dimensions.

La magnitude de ces écarts est également saisissante. La Corée du Sud, le Japon et la Norvège ont connu entre 25 et 100 morts par million d’habitants et perdu entre 2 et 3 % du PIB. Le Royaume-Uni, à l’opposé, a un nombre de morts vingt fois plus élevé, supérieur à 1.700 par million d’habitants, et il a perdu plus de 8 % de son PIB annuel. Et, bien sûr, il y a plusieurs pays dans des situations intermédiaires. Les Etats-Unis, par exemple, ont subi 1.500 morts par million d’habitants et perdu environ 3,5 % du PIB annuel.

2. L’épidémie de Covid-19 au prisme de nos modèles macroéconomiques


Je trouve cela utile de considérer la pandémie comme provoquant un choc sur deux paramètres de nos modèles macroéconomiques. D’un côté, elle agit comme une taxe sur la consommation (…). De l’autre, elle agit comme une taxe sur l’emploi dans le modèle de croissance à long terme basé sur Solow et Romer, c’est-à-dire en réduisant la production potentielle. D’un point de vue pédagogique, c’est un excellent exemple pour illustrer comment les chocs du monde réel peuvent être pris en compte de façon sophistiquée dans nos modèles, en affectant plus d’un paramètre et nous amenant à considérer à la fois le modèle de court terme et le modèle de long terme. Nous discuterons de ces chocs l’un après l’autre.

2.1. L’épidémie de Covid-19 comme choc de demande négatif

En partie, l’épidémie de Covid-19 s’apparente à une "taxe" sur la consommation : si vous sortez de chez vous pour aller à l’épicerie, aller voir un concert ou aller au restaurant, vous prenez le risque d’attraper le coronavirus et de tomber malade. Par conséquent, la consommation chute brutalement et cela réduit la demande globale dans l’économie. (…)

Comme plusieurs commentateurs l’ont noté, il est conceptuellement possible pour l’économie de rebondir rapidement suite à un choc comme celui-ci. Après tout, la production dans plusieurs économies chute brutalement le samedi et dimanche relativement au reste de la semaine. De même, plusieurs entreprises dans les pays européens ferment tout au long du mois d’août pour les vacances et ensuite rouvrent normalement en septembre. Si la pandémie disparaissait soudainement, alors il serait possible que les économies à travers le monde reviennent rapidement à la normale.

Si la pandémie et le faible niveau d’activité économique persistent pendant un moment, la dynamique du modèle de court terme soulève une question intéressante. La courbe de Phillips suggère qu’une économie affaiblie doit entraîner un déclin de l’inflation. L’économie est clairement très affaiblie. Cela suggère-t-il que nous devrions nous attendre à une très forte baisse de l’inflation ? Peut-être. Cependant, il y a deux raisons susceptibles de nous amener à penser le contraire. La première tient à l’expérience de la Grande Récession. L’économie était alors très faible, avec une chute du PIB de 6 % en-deçà de son potentiel pendant une période de temps substantielle. Pourtant, l’inflation est restée remarquablement proche de 2 %. Mais dans le cas actuel, il y a une autre raison, qui nous amène à considérer l’épidémie de Covid-19 sous un autre angle.

2.2. L’épidémie de Covid-19 comme choc d’offre négatif

L’épidémie de Covid-19 s’apparente également à une "taxe" sur le travail : si vous allez travailler, vous prenez le risque d’attraper le coronavirus et de tomber malade. Par conséquent, les gens arrêtent d’aller travailler. L’emploi décline brutalement et cela réduit l’offre de biens de l’économie via la fonction de production dans le modèle de croissance à long terme, c’est-à-dire réduit la production potentielle. (...)

Se pencher sur le côté de l’offre de l’économie amène également à se demander dans quelle mesure les effets macroéconomiques de la pandémie peuvent persister. D’un côté, comme nous l’avons noté plus tôt, il est possible pour l’économie de rebondir rapidement une fois que ces “taxes” disparaissent.

D’un autre côté, le modèle de Solow explique comment les chocs touchant l’économie peuvent avoir des effets durables. Par exemple, dans la mesure où le taux d’investissement chute ou le stock de capital se déprécie sans être remplacé, la production peut chuter en-deçà de son état régulier et prendre un certain temps avant d’y revenir. (…) Du côté de l’offre, l’économie dépend de plusieurs relations, notamment celles entre les entreprises et leurs fournisseurs, entre les entreprises et leurs travailleurs ou entre les entreprises et leurs banques. Dans la mesure où une pandémie durable conduit à défaire plusieurs de ces relations, par exemple en raison des faillites d’entreprises, des destructions d’emplois ou des défauts de paiement, reconstruire ces relations peut prendre du temps. (...)

2.3. Mettons les deux chocs ensemble

La prise en compte de ces deux chocs nous amène à plusieurs conclusions clés :

  • Dans la mesure où l’épidémie de Covid-19 se rapproche d’une "taxe sur la consommation" qui mène à une chute de la demande globale, on s’attendrait à une certaine pression à la baisse sur l’inflation.

  • Dans la mesure où l’épidémie de Covid-19 se rapproche d’une "taxe sur le travail" dans le modèle à long terme, l’économie peut connaître de fortes chutes du PIB sans pression à la baisse sur l’inflation.

  • Dans l’un et l’autre cas, une fois que la pandémie est finie, ces chocs peuvent disparaître et il est possible pour l’économie de rebondir rapidement, comme elle le fait chaque semaine après un week-end ou après chaque été en Europe après les vacances.

  • Si la pandémie détruit le "capital relationnel", en l’occurrence les relations entre les firmes et les banques, entre les firmes et leurs fournisseurs ou entre les firmes et les travailleurs, la reprise économique suite à la pandémie pourrait être plus lente.

Dans la section suivante, nous explorons les données empiriques dont nous disposons aujourd’hui pour nous aider à jauger ces conclusions.

3. L’activité macroéconomique et la pandémie


Ici nous nous penchons sur certaines données relatives à l’activité macroéconomique durant la pandémie. Le graphique 3 représente le PIB réel pour les Etats-Unis depuis 2015. La valeur au quatrième trimestre 2019, c’est-à-dire juste avant la pandémie, est normalisée à l’indice 100, afin que l’ampleur de la baisse de l’activité soit facile à interpréter.

GRAPHIQUE 3 PIB en volume des Etats-Unis (en indices, base 100 au quatrième trimestre 2019)

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Deux choses nous frappent lorsque nous regardons l’évolution du PIB étasunien. La première est la très forte contraction qui est survenue au deuxième trimestre 2020, le PIB se retrouvant 10 % en-deçà du niveau atteint au pic d’avant-crise. La seconde est la très forte reprise qui s’est opérée au troisième trimestre 2020. C’est un bon exemple de reprise en forme de V : les gens ont arrêté de travailler et de consommer pendant un trimestre, puis ils ont de nouveau travaillé et consommé une fois que les choses ont semblé plus sûres. Malgré tout, même au quatrième trimestre 2020, le PIB est resté 3 % inférieur au niveau qu’il atteignait une année plus tôt et la perte cumulée en PIB sur l’ensemble de l’année 2020 s’est élevée à environ 3,5 % de PIB.

GRAPHIQUE 4 PIB dans une sélection de pays de l’OCDE (en indices, base 100 au quatrième trimestre 2019)

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Le graphique 4 présente les mêmes chiffres pour une sélection de pays de l’OCDE. Le Royaume-Uni et l’Espagne ont connu de plus fortes baisses du PIB que les Etats-Unis, alors que les baisses du PIB ont été plus modestes en Corée du Sud et en Suède.

GRAPHIQUE 5 Taux d’emploi pour la population de 25-54 ans (en %)

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Le graphique 5 donne un aperçu du marché du travail aux Etats-Unis en représentant la part des travailleurs âgés de 25 à 54 ans qui ont un emploi. Juste avant le début de la pandémie, ce taux d’emploi était retourné à environ 80 %, le niveau qu’il atteignait juste avant la crise financière mondiale de 2008. Avec l’arrivée de la pandémie, le taux d’emploi a brutalement chuté sous les 70 %. A la fin de l’année 2020, il est remonté à environ 76 %, c’est-à-dire est resté en-dessous de son niveau d’avant-crise, mais substantiellement au-dessus du minimum atteint au cours de l’année.

GRAPHIQUE 6 Inflation sous-jacente aux Etats-Unis selon deux indicateurs différents (en %)

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Enfin le graphique 6 montre l’effet de la pandémie sur l’inflation. Rappelez-vous les modèles dont nous discutions plus tôt : dans la mesure où la pandémie réduit la demande globale, on peut s’attendre à ce que l’inflation ralentisse, mais comme la pandémie pèse également sur l’offre, on peut voir au final peu d’effet sur l’inflation. Les données empiriques relatives à l’inflation sous-jacente montrent que celle-ci a légèrement décliné, mais peut-être pas autant qu’on ne s’y serait attendu si la chute du PIB s’expliquait entièrement par un choc de demande. L’inflation sous-jacente a baissé de 0,5 à 0,75 points de pourcentage, selon l’indicateur que l’on regarde. On peut en conclure que ce sont effectivement des forces du côté de l’offre et de la demande qui ont été à l’œuvre.

4. La réponse de la politique macroéconomique


Les gouvernements à travers le monde ont adopté diverses mesures de politique macroéconomique en réponse à la perturbation de l’activité économique provoquée par la pandémie. Le graphique 7 montre les dépenses du gouvernement fédéral américain relativement au PIB pour illustrer la magnitude de certaines de ces actions. En l’occurrence, les dépenses du gouvernement fédérale sont passées de 21 % du PIB en 2019 à 31 % en 2020, soit plus de 2.000 milliards de dollars. C’est un montrant extraordinairement large, significativement plus élevé que le changement observé pendant la Grande Récession.

GRAPHIQUE 7 Dépenses du gouvernement fédéral aux Etats-Unis (en % du PIB)

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Un rôle important pour le gouvernement est de fournir une assurance sociale et assurer les gens contre les conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19 rentre tout à fait dans cette catégorie. Cette assurance prit plusieurs formes, notamment l’extension de l’assurance-chômage en termes de durée et de montant, ainsi que des transferts directs aux ménages à faible revenu ou à revenu intermédiaire. Le graphique 8 illustre une conséquence remarquable de ces programmes : le revenu personnel disponible (c’est-à-dire après transferts et impôt) a augmenté pendant la pandémie. Cette hausse reflète directement les programmes d’assurance sociale qui furent mis en place.

GRAPHIQUE 8 Revenu disponible et consommation (en milliards de dollars)

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Le gouvernement américain a aussi adopté plusieurs programmes pour aider les entreprises à éviter la faillite et désamorcer le potentiel « cercle vicieux » que les faillites auraient créé : si les entreprises font faillite, cela détériore les bilans des banques, donc amène celles-ci à réduire leurs prêts, ce qui se traduit par une crise financière et par une nouvelle vague de faillites d’entreprises. Le Paycheck Protection Program, par exemple, a soutenu les petites entreprises en leur fournissant huit semaines de fonds pour payer les salaires, ce qui a représenté plus de 650 milliards de dollars. De récents travaux suggèrent qu’en l’absence de ces mesures, les banqueroutes qui se seraient produites auraient coûté à l’économie un montant équivalent à une réduction de 6 % de la consommation. Leurs auteurs suggèrent que (…) les recettes qui auraient été perdues avec les banqueroutes aurait été d’un montant similaire au coût budgétaire du programme.

GRAPHIQUE 9 Actifs détenus par la Réserve fédérale (en milliards de dollars)

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La Réserve fédérale s’est aussi fortement impliquée dans le soutien du financement des banques et des entreprises via ses achats d’actifs, à travers ce que l’on appelle généralement l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Comme le montre le graphique 9, la Fed a procédé à des achats d’actifs pour un montant d’environ 3.500 milliards de dollars en 2020, incluant des titres du Trésor et adossés à du crédit hypothécaire, mais aussi des prêts directs et indirects aux entreprises via les institutions financières. (…) »

Charles I. Jones, « COVID-19 and the macroeconomy », Macroeconomics, 5ème édition, 27 février 2021. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

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