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Finance internationale

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lundi 22 juillet 2019

Un avenir sans guerres de devises ?

« Les politiques protectionnistes du président américain Donald Trump et les accusations de manipulation de devise qu’il porte régulièrement à l’encontre d’autres pays soulignent la nécessité d’un système monétaire universel tel que celui que des économistes du vingtième siècle comme John Maynard Keynes préconisaient. Grâce aux technologies numériques, la longue quête d’un tel système pourrait bientôt s’achever…

La terrible expérience des années trente devrait nous rappeler que les guerres commerciales et monétaires vont ensemble comme le cheval et le chariot. Maintenant que l’administration du Président américain Donald Trump met pleinement en œuvre son programme protectionniste "America First", c’est une question de temps avant qu’un conflit monétaire éclate.

Il n’y a pas eu de guerre de devises à grande échelle pendant un certain temps, bien que le monde était sur le point d’en connaître une après la crise financière de 2008, quand le Ministre des Finances brésilien d’alors, Guido Mantega, utilisa ce terme pour évoquer le niveau extraordinairement faible des taux d’intérêt. Suivant les Etats-Unis, le Japon et l’Europe semblèrent adopter des stratégies similaires de promotion des exportions et un taux de change déprécié devint un aspect négligé et pourtant central derrière la reprise économique dans les pays développés. De même, après 2012, la crise de la zone euro a commencé à apparaître bien plus gérable après que l’euro ait commencé à se déprécier vis-à-vis du dollar. Et, comme plusieurs économistes au Royaume-Uni l’avaient déjà souligné, un taux de change flexible a donné à l’économie britannique, contrairement aux pays de la zone euro, un outil efficace pour gérer les chocs de la période.

En tout cas, les inquiétudes d’après-crises sur les devises s’effacèrent bientôt, principalement en raison de la poursuite simultanée de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) des principales banques centrales, ce qui ne fut pas sans affecter les taux de change. La première guerre de devises potentielle du vingt-et-unième siècle donna lieu à une trêve indécise et fragile. Mais si une quelconque économie majeure adoptait le protectionnisme pour gagner un avantage sur d’autres, la question monétaire serait revenue sur la scène.

Après tout, entre les mains des responsables politiques, les devises nationales sont une arme économique attrayante. C’est pourquoi les 44 pays qui participèrent à la conférence de Bretton Woods en 1944 s’accordèrent sur un cadre qui assurait des taux de change stables. Les Etats-Unis étaient en position de force dans les négociations et ils s’engagèrent à établir un ordre international ouvert sans droits de douane, ni guerres commerciales. Pour tous les autres pays, il n’y a pas eu de réel choix, si ce n’est d’opter pour un taux de change qui permettait d’équilibrer le compte externe.

Depuis lors, la menace d’une guerre commerciale a toujours impliqué le retour du débat monétaire. Dans le conflit commercial qui s’envenime d’aujourd’hui, il était inévitable que Trump finisse par se focaliser sur les politiques monétaires des autres pays. Il a longtemps accusé la Chine de sous-évaluer sa devise (même quand elle faisait précisément l’opposé). Et en réponse à l’annonce d’un nouveau tour d’assouplissement quantitatif par le président de la BCE, Mario Draghi, Trump a tweeté "ils s’en sont tirés avec pendant des années, comme la Chine et d’autres pays".

Comme dans les années trente, la guerre de devises est attrayante pour ceux qui voient la géopolitique comme un jeu à somme nulle. Les attaques de Trump sur la BCE portent en partie sur le commerce, mais elles visent à faire une distinction entre les pays-membres de la zone euro. Comme les critiques du régime monétaire européen le dénoncent depuis longtemps, l’Allemagne jouit d’un plus faible taux de change externe avec l’euro qu’elle n’en aurait joui avec le Deutsch Mark. Et du point de vu de Trump, l’Allemagne maintient une politique mercantiliste pour favoriser ses propres exportations, bien que l’ordre de Bretton Woods mené par les Etats-Unis était conçu précisément pour empêcher le mercantilisme et les dévaluations compétitives qui lui sont associées.

Pourtant, du point de vue de John Maynard Keynes, l’un des architectes de Bretton Woods, l’accord d’après-guerre aurait dû aller bien plus loin, en incluant des contrôles institutionnels pour pénaliser les pays avec de larges excédents ou déficits. La pénalisation des déséquilibres commerciaux serait allée main dans la main avec son plan pour un nouveau système monétaire mondial, qui aurait été basé sur une devise synthétique universelle qu’il appelait "bancor". Comme Draghi l’a souligné dans le discours qui suscita l’ire de Trump, l’euro a été à l’origine adopté comme mécanisme pour éliminer les dévaluations compétitives. Depuis Keynes, les efforts pour raviver l’idée d’une devise générale non nationale (telle que le projet de l’économiste Robert Mundell dans les années soixante) avaient été constants et futiles.

Mais désormais, la nouvelle technologie a apporté la possibilité d’une devise mondiale à portée. Le mois dernier, Facebook a dévoilé ses projets pour une devise digitale, le libra, qui sera ancré à un panier de devises émises par les gouvernements. Selon Facebook, l’initiative est conçue pour bénéficier aux plus pauvres dans le monde, notamment beaucoup des 1,7 milliards de personnes sans compte bancaire. Une plus large base d’utilisateurs est essentielle pour assurer que le libra serve primairement comme moyen d’échange, non comme un outil de spéculation financière. Cela en fait l’antithèse des devises de blockchain de première génération, comme le Bitcoin, qui est sujet à une rareté artificielle maintenue via le processus de "minage".

Certes, la réaction globalement négative à l’encontre de l’annonce du libra par Facebook a été décourageante. Et pourtant, s’il y avait une devise alternative basée sur de multiples actifs largement adoptés, cela ne serait pas aussi déstabilisateur que ses critiques l’affirment. Avec une devise réellement universelle, les utilisateurs achèteraient et vendraient des biens et services, notamment du travail, ce qui signifie que les salaires seraient fixés dans une devise non-nationale. Cela donnerait à l’existence de multiples devises sur un territoire l’image d’un retour vers un passé lointain, quand les pièces d’or et d’argent fluctuaient en valeur les unes vis-à-vis des autres. Et cela peut ne pas être une mauvaise chose.

La fluctuation de la valeur de l’or et de l’argent, il est utile de le rappeler, permit une plus grande flexibilité des salaires, donc moins de chômage. Et plus l’usage d’une devise mondiale (ou de multiples devises mondiales) se diffuse, moins une guerre monétaire apparaît viable. La technologie ravive le rêve d’un vingtième siècle d’un système monétaire mondial dénué de perturbations provoquées par le nationalisme économique. La clé pour y parvenir est de se servir du lien (comme l’euro a commencé à le faire) entre la monnaie et l’Etat-nation. »

Harold James, « A future without currency wars? », 1er juillet 2019. Traduit par Martin Anota

lundi 24 juin 2019

Le libra : ni une caisse d’émission, ni (peut-être) une monnaie stable

« Le libra, la cryptodevise lancée par Facebook (et d’autres membres de l’association Libra) était annoncée hier. Le site web et le livre blanc évoquent la nouvelle devise en la qualifiant de devise stable : "Le libra est conçu de façon à être une devise pour laquelle tout utilisateur saura que la valeur aujourd’hui sera proche de sa valeur demain et après-demain".

La stabilité est garantie par la valeur intrinsèque de la monnaie, grâce aux actifs qui soutiennent la valeur de la devise. Ces actifs sont appelés "réserve Libra". Le livre blanc évoque des similarités de ce mécanisme avec la caisse de devise (currency board) qu’utilisent certaines devises avec taux de change fixes : "(… ) le mécanisme de mise en interface avec notre réserve rend notre approche très similaire à la façon par laquelle les currency boards (par exemple celui de Hong Kong) ont fonctionné. Alors que les banques centrales peuvent imprimer leur monnaie à leur propre discrétion, les currency boards impriment typiquement la monnaie locale quand il y a assez d’actifs en réserves étrangères pour soutenir entièrement une nouvelle frappe de pièces et billets."

Cette référence aux currency boards est confuse et trompeuse. En fait, il est surprenant qu’avec tout le savoir dont nous disposons sur le fonctionnement des taux de change fixes, le livre blanc ne présente pas de description plus précise de la façon par laquelle le libra sera géré. Il confond aussi le fait qu’il y ait des actifs soutenant la devise avec la notion de taux de change fixes et de currency boards. Et il le fait en jouant avec le mythe que les monnaies fiduciaires traditionnelles ne seraient pas adossées à des actifs.

Je vais clarifier chacun de ces points.

Actifs = passifs


La monnaie fiduciaire est soutenue (…) par la valeur des actifs dans le bilan de la banque centrale. Toute banque centrale qui émet une monnaie fiduciaire traditionnelle a des actifs qui ont une valeur identique à celle des passifs qu’elle a émis (de même avec le libra). Cela ne garantit pas la stabilité de la devise. La stabilité vient de l’engagement de la banque centrale à une certaine politique monétaire qui assure que la valeur de la devise reste stable relativement à la valeur des biens et services (c’est-à-dire une inflation faible et stable).

Les taux de change fixes


Certaines banques centrales vont au-delà du seul ciblage de l’inflation et adoptent une politique monétaire en ancrant la valeur de leur devise à une autre devise (qui est vue comme stable), ce que nous appelons les taux de change fixes. Des taux de change fixes nécessitent :

a) que la banque centrale annonce une parité relativement à une autre devise (ou à un panier de devises)

b) et qu'elle s'engage à intervenir sur les marchés des changes pour assurer que la valeur de la devise soit celle qui a été annoncée.

L’exemple le plus simple est celui où la banque centrale annonce un prix fixe relativement à une autre devise (disons 1 à 1 avec le dollar américain) et s’engage ensuite à vendre ou acheter des montants illimités de la devise locale contre les dollars américains au prix préannoncé. Cela assure que le taux de change reste fixe.

Dans le cas du libra, il n’y a pas un tel engagement (du moins, pas pour l’instant).Il y a une certaine affirmation lâche que la valeur de la devise restera stable relativement à un panier de devises, mais il n’y a aucun détail sur la possibilité qu’un engagement soit plus tard annoncé. Si un tel engagement n’existe pas alors nous sommes dans un monde de taux de change flexibles où la crédibilité provient d’une certaine sorte d’annonce de cible d’inflation qui est atteinte au cours du temps.

Les currency boards


Quand une banque centrale fixe le taux de change et s’engage à intervenir pour défendre la devise, il peut y avoir des inquiétudes quant à sa capacité à le faire si la devise est attaquée. Alors que toutes les banques centrales ont assez d’actifs pour racheter leurs passifs, plusieurs de ces actifs sont des actifs domestiques. Alors qu’en théorie on peut contrôler la valeur de la devise via des actifs domestiques (et les taux d’intérêt), la détention d’un large panier d’actifs étrangers qu’une banque centrale peut vendre pour intervenir sur le marché des changes est perçu comme une garantie additionnelle que l’engagement aux taux de change fixes sera honoré. C’est ce qui est connu sous le nom de currency board. Dans sa forme extrême, les banques centrales détiennent assez d’actifs étrangers pour racheter l’offre de devise locale.

Mais ne n’est pas vraiment ce que promet la conception du libra, à moins que la composition en devises de son bilan colle au panier de devises qui est utilisé pour fixer le taux de change. Mais ce serait un système inhabituel et confus, dans la mesure où si la composition en devises change, le panier utilisé comme référence pour le taux de change fixe changerait aussi. En l’absence d’un taux de change fixe propre et d’un mécanisme crédible pour le maintenir, le libra semble davantage comme une devise à taux de change fixe standard. Sa stabilité va dépendre de sa crédibilité. Dire qu’il y a assez d’actifs soutenant son offre n’est pas un bon argument (cet argument s’applique à toute banque centrale émettant une monnaie fiduciaire). »

Antonio Fatás, « Libra: Not a currency board et (maybe) not a stable currency », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), juin 2019. Traduit par Martin Anota

lundi 15 avril 2019

Pourquoi le solde courant de la Chine se rapproche de zéro

On s’attend à ce que le compte courant de la Chine soit équilibré dans les prochaines années. Les observateurs sont en désaccord quant à savoir si cet équilibrage s’explique par des facteurs structurels ou par la politique économique de la Chine. Nous passons en revue leurs évaluations quant à la situation de l’épargne et de l’investissement de la Chine et aux implications de celle-ci pour le futur.

On peut considérer le compte courant depuis différents points de vue. Du point de vue commercial, le solde du compte courant est positif si la somme des exportations nettes et du revenu net tiré du reste du monde est positive. Le solde du compte courant est aussi positif si un pays épargne plus que ce qu’il dépense en investissement domestique.

Selon les prévisions que le FMI a récemment publiées dans ses Perspectives de l’économie mondiale, le solde du compte courant de la Chine devrait être d’environ 0,5 % du PIB en 2019, entrer en territoire négatif en 2022 et atteindre – 0,2 % en 2024. Mais durant les quinze dernières années, le solde du compte courant de la Chine, le moteur manufacturier du monde, a été régulièrement positif et en 2007, avant la crise financière mondiale, il atteignait 10 % du PIB. En conséquence, il y a grand débat quant à savoir si et à quelle vitesse le solde courant chinois deviendra négatif.

Un rapport de la banque d’investissement Morgan Stanley affirme que de telles prévisions sont trop conservatrices et que le déficit courant chinois apparaîtra dès 2019 et croîtra au cours de la prochaine décennie pour atteindre 1,6 % du PIB en 2030. Le rapport note que ce déficit est relativement faible, en particulier lorsque l’on prend en compte l’importance de la position extérieure nette de la Chine. Néanmoins, ses auteurs concluent que la Chine doit prendre des mesures pour ouvrir ses marchés financiers aux investisseurs étrangers afin de faciliter l’entrée de capitaux étrangers, ces derniers étant nécessaires pour financer les futurs déficits du compte courant.

Deux articles de la revue The Economist se penchent sur les forces sous-jacentes et les implications d’un compte courant chinois déficitaire. Ces articles soulignent que la tendance du compte courant à devenir déficitaire est due non seulement à des forces conjoncturelles, mais aussi à des forces structurelles. Les aspects conjoncturels sont mieux mis en évidence avec la perspective commerciale : les prix actuellement élevés des importations chinoises, par exemple du pétrole et des semi-conducteurs, tendent à dégrader le solde commercial. Une fois que ces prix reviendront à leur moyenne de long terme, la facture des importations de la Chine va s'alléger et son solde courant s’améliorera. Les facteurs structurels sont mieux perçus du point de vue financier dans la mesure où ils affectent les taux d’épargne et d’investissement de la Chine. Alors que les investissements en Chine sont restés autour de 40 % du PIB pendant un moment, la part du revenu domestique que les ménages (et certaines firmes) chinois épargnent a chuté, en passant de 50 % à 40 % du PIB. De ce point de vue, le solde courant devrait être plus proche de zéro.

Il y a diverses raisons susceptibles d’expliquer le déclin que l’on observe dans le taux d’épargne (pourtant toujours élevé) de la Chine selon The Economist. La première est que la population chinoise vieillit : il y a moins de jeunes épargnant pour leurs vieux jours et plus de personnes âgées vivant de leur épargne. La seconde raison est que les résidents chinois sont de plus en plus riches, si bien qu’ils consomment une part croissante de leurs revenus. Du point de vue commercial, les dépenses de consommation des touristes chinois à l’étranger (qui comptent comme une importation de biens et services) ont explosé depuis 2013. The Economist affirme que le déficit courant est l’inévitable nouvelle norme pour la Chine pour ces deux raisons-là. La revue rejoint le rapport de Morgan Stanley en concluant que "la Chine aura besoin d’attirer des capitaux en contrepartie de son déficit courant", ce qui n’est possible que si elle ouvre ses marchés des capitaux aux investisseurs étrangers.

Brad Setser voit la situation très différemment en soulignant non seulement l’importance de l’épargne, mais aussi des investissements. Premièrement, il doute que des facteurs structurels poussent le solde courant en territoire négatif. En s’appuyant sur une étude du FMI, Setser affirme que le vieillissement va réduire l’épargne de seulement 6 points de PIB d’ici 2030, si bien que les taux d’épargne resteront très élevés. De plus, il affirme que le niveau d’investissement de la Chine, qui est l’un des plus élevés parmi les grandes économies, est susceptible également de baisser, ce qui équilibrera à nouveau le compte courant. Qu’est-ce qui a alors entraîné la dégradation manifeste du compte courant ? Setser affirme que la Chine a "le même niveau d’épargne nationale que Singapour. Singapour génère un excédent de compte courant représentant 20 % de son PIB. Je pense que sans un déficit budgétaire augmenté de 10 % du PIB ou plus, la Chine génèrerait aussi un excédent courant substantiel". Donc, si le gouvernement chinois (…) adopte une consolidation budgétaire, le compte courant de la Chine deviendrait de nouveau excédentaire. En fait, il affirme que "le tournant de la relance en 2016 est la principale raison, avec la reprise partielle du prix du pétrole, expliquant pourquoi l’excédent a baissé ces deux dernières années, pas un quelconque changement structurel du côté de l’épargne chinoise".

Le second point où Setser exprime son désaccord concerne la nécessité de libéraliser le compte financier de la Chine. Setser affirme qu’il n’est pas certain qu’une libéralisation du secteur financier accroisse l’efficience, puisqu’il y a plusieurs garanties implicites et beaucoup d’institutions financières risquées, sous-capitalisées. "Ce qui semble le plus probable est qu’une ouverture du compte financier entraîne une réallocation plus rapide de l’épargne chinoise hors de Chine, par exemple davantage de fuite des capitaux". Par conséquent, un retrait des contrôles de capitaux entraînerait probablement des sorties des capitaux, ce qui pousserait alors le renminbi à la baisse. Au final, une dépréciation du renminbi conduirait à rendre le compte courant de nouveau excédentaire.

Zhang Jun a évalué les taux d’investissement et d’épargne de la Chine du point de vue de la croissance future. Des taux d’investissement élevés, financés par un taux d’épargne domestique élevés, ont permis à la Chine de connaître une croissance économique rapide au cours des dernières décennies. Cependant, Zhang, affirme que la Chine est arrivée au point de développement où les investissements deviennent sursaturés et où il lui apparaît par conséquent nécessaire de réduire ses taux d’épargne. Il rejoint Setser en affirmant que le solde du compte courant est proche de zéro en raison de politiques économiques plutôt que de facteurs structurels. En raison des pressions des partenaires à l’échange sur ses amples excédents extérieurs, la Chine a décidé d’"étendre substantiellement ses dépenses d’investissement dans les infrastructures et les logements domestiques et de laisser le renminbi s’apprécier". Le taux d’investissement plus élevé a réduit le solde du compte courant, mais aussi réduit les rendements marginaux sur le capital et la productivité globale des facteurs. Pour éviter des bulles sur les marchés d’actifs et une nouvelle détérioration de la productivité, Zhang affirme que les taux d’épargne de la Chine doivent chuter et donc que les secteurs protégés du secteur doivent s’ouvrir à la concurrence. Un tel scénario implique une transformation de l’économie chinoise où celle-ci abandonnerait une croissance tirée par les exportations pour une croissance tirée par la consommation, qui est bien plus focalisée sur le marché domestique. La fourniture de nouvelles opportunités de consommation pour les Chinois, en particulier dans les secteurs domestiques, va réduire l’épargne domestique. Zhang ne préconise pas une ouverture des comptes financiers de la Chine, mais plutôt une transformation purement domestique de son économie. »

Michael Baltensperger, « Why China’s current account balance approaches zero », in Bruegel (blog), 15 avril 2019. Traduit par Martin Anota

jeudi 29 novembre 2018

Où en est le rééquilibrage mondial ?

« Avant la crise financière mondiale, l’économie mondiale connaissait une période d’accroissement des déséquilibres mondiaux où un groupe de pays voyaient son excédent s’accroître rapidement tandis que, en parallèle, un groupe de pays voyait son déficit se creuser. Ces dynamiques étaient en partie liées à l’hypothèse de l’"excès d’épargne" (saving glut) mise en avant par Ben Bernanke pour expliquer le déclin des taux d’intérêt réels mondiaux de long terme. C’était aussi le cas de certains des pays déficitaires (en particulier dans la périphérie de la zone euro) qui se retrouvèrent dans une profonde crise après 2008.

Ce billet fait le point en prenant en compte ces dix dernières années. Aujourd’hui, le monde présente de plus faibles déséquilibres qu’au pic de 2008, mais ce qui est plus intéressant est l’ampleur à laquelle le rééquilibrage s’est opéré entre différents groupes de pays.

Commençons par prendre un point de vue mondial. Le graphique ci-dessous montre les soldes des comptes courants en pourcentage du PIB mondial pour certaines régions ou groupes de pays. Les données remontent à 1980, bien que certaines données soient manquantes pour des pays avant 1995 (…).

Au cours de la période allant de 1998 à 2008, en l’occurrence durant la période des déséquilibres mondiaux, nous avons vu un accroissement des excédents des pays producteurs de pétrole, de la Chine, des pays développés d’Asie (notamment le Japon, la Corée du sud, Singapour et Taïwan) et du reste du monde (la plupart de ces pays-là étant des pays émergents). La zone euro est restée assez équilibrée (je reviendrai dessus après) et le seul pays déficitaire sur ce graphique est les Etats-Unis. Certains pays de la zone euro avaient un déficit, tout comme certains pays du reste du monde.

GRAPHIQUE 1 Soldes de comptes courants (en % du PIB mondial)

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Depuis 2008, nous avons observé plusieurs évolutions :

  • La Chine va rapidement vers un solde courant équilibré (les prévisions du FMI suggèrent que le compte courant de la Chine sera équilibré d’ici ces deux prochaines années).

  • Les producteurs de pétrole sont allés vers un compte courant équilibré avec de petits déficits en 2015-2016 en conséquence de la baisse du prix du pétrole.

  • La zone euro a généré un excédent de plus en plus massif, le plus large parmi les régions en excédent.

  • Les pays développés d’Asie ont maintenu ou accru leur excédent relativement aux années précédentes.

  • Les Etats-Unis continuent d’être le pays qui absorbe l’essentiel des excédents. Le déficit américain est plus petit qu’en 2008 mais il ne faut pas oublier qu’il est mesuré relativement au PIB mondial et non relativement au PIB américain (relativement à ce dernier, le déclin serait moins prononcé).

  • Alors qu’en 2008, plusieurs pays émergents étaient des épargnants nets, en 2018 tous les pays en excédent sont des pays développés (d’Europe ou d’Asie). (…)



GRAPHIQUE 2 Soldes courants des pays développés d’Asie (en % du PIB mondial)

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Penchons-nous sur les sources les plus larges des excédents aujourd’hui. Que s’est passé parmi les pays développés en Asie ? Le graphique ci-dessus montre que le Japon dominait dans ce groupe au cours des premières années. Mais avec la hausse des excédents en Corée du Sud, Taïwan et Singapour au cours des dernières années, ces trois pays ont désormais ensemble un excédent plus large que le Japon. Mesurée relativement au PIB mondial, la taille globale est la même qu’avant. Si nous l’avions observée relativement à leur propre PIB, nous aurions constaté une hausse des excédents.

GRAPHIQUE 3 Soldes courants dans la zone euro (en % du PIB mondial)

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Et finalement la zone euro. Je divise la zone euro en trois groupes : l’Allemagne, les pays déficitaires de la zone euro et les pays excédentaires de la zone euro. Les pays sont considérés selon l’orientation de leur solde courant durant la période allant de 2000 à 2008. (…) Dans la décennie des années deux mille, nous observons une forte hausse des excédents en Allemagne, tandis que le groupe des pays déficitaires accrurent massivement leurs déficits. Après 2008, nous observons un rapide rééquilibrage des pays déficitaires vers un excédent, tandis que l’Allemagne maintient (relativement au pourcentage du PIB mondial) ou augmente (relativement à son propre PIB) son excédent courant. »

Antonio Fatás, « Global rebalancing », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 27 novembre 2018. Traduit par Martin Anota

mardi 28 août 2018

La crise turque

« Les marchés financiers ont été très nerveux à propos de la Turquie ces dernières semaines. Nous passons en revue les opinions des économistes à propos des risques économiques, politiques et géopolitiques et les opportunités de cette situation.

Jamie Powell et Colby Smith écrivent (…) que la crise turque ressemble à l’un de ces classiques effondrements que connaissent les pays émergents : une économie en forte croissance financée par une dette de court terme libellée en dollar et dirigée par un homme fort ayant un penchant pour nommer des proches dans les positions clés du gouvernement. Ainsi, cela rappelle la crise asiatique de 1997 et 1998 (…).

Brad Setser pense que la Turquie partage certes certaines similarités avec les pays qui ont subi la crise asiatique dans les années quatre-vingt-dix, mais qu’il y a aussi d’importantes différences. Les banques turques sont la principale raison pour laquelle la crise de change peut se transformer une crise de financement, en laissant la Turquie sans réserves suffisantes pour éviter un défaut majeur. Mais, à la différence des banques asiatiques, la Turquie a été capable d’utiliser le financement externe en devises étrangères pour soutenir un boom domestique en prêtant des lires aux ménages. Les banques turques n’ont vraiment pas besoin d’emprunter en devises étrangères auprès du reste du monde pour soutenir le niveau actuel de leurs prêts en devises étrangères aux entreprises turques et leur besoin apparent de financement de marché est en lires, non en dollars. En outre, le boom réel du crédit n’est pas venu du prêt en devises étrangères aux entreprises, mais plutôt des prêts en lire aux ménages. Le mystère financier (que Setser va ensuite expliquer) n’est pas de savoir comment les banques ont prêté des devises étrangères aux entreprises domestiques, mais comment elles ont utilisé l’emprunt externe en devises étrangères pour soutenir un prêt domestique en lires.

GRAPHIQUE Dette externe de la Turquie (en milliards de dollars)

Brad_Setser__Dette_externe_de_la_Turquie.png

source : Brad Setser (2018)

Jacob Funk Kirkegaard écrit que les développements économiques poussent inévitablement la Turquie à s’approcher du FMI pour son deuxième renflouement depuis le début du siècle. Les difficultés fondamentales de la Turquie dérivent des déficits jumeaux qu’elle a creusés ces dernières années. Ce qui aggrave les problèmes de la Turquie, ce sont diverses difficultés politiques liées à sa relation avec l’OTAN, l’UE et les Etats-Unis, comme le pays n’a jamais été aussi isolé sur le plan international au cours de ces dernières décennies qu’aujourd’hui. La route pointe donc vers le FMI, mais le Fonds risque de ne pas vouloir aider la Turquie sans que celle-ci adopte en contrepartie des sévères mesures d’austérité, des mesures qui risquent d’affaiblir la mainmise d’Erdogan sur le pouvoir. Mais Erdogan a un certain levier politique potentiel (assez déplaisant), comme une imminente attaque imminente du gouvernement syrien juste au sud de la frontière turque pourrait facilement amorcer un afflux de réfugiés au nord de la Syrie. La décision de la Turquie d’ouvrir ou non ses frontières et d’offrir un refuge aux Syriens pourrait bien dépendre (…) de l’aide économique de l’Occident ou des termes d’un plan de sauvetage du FMI.

Grégory Claeys et Guntram Wolff ne sont pas d’accord à cette idée et affirment qu’une correction des politiques macroéconomiques de la Turquie est nécessaire, mais qu’il est trop tôt pour dire si la Turquie aura besoin d’un programme de sauvetage. Les décideurs européens doivent cependant réfléchir sur ce que doit être la position de l’UE à l’égard de la Turquie. Une crise financière dans un pays voisin de l’UE peut avoir un impact négatif direct sur l’économie de l’UE, principalement via l’exposition de ses banques opérant en Turquie et via le commerce. En outre, une crise en Turquie peut déclencher de possibles effets domino politiques et des changements conséquents dans la politique migratoire de la Turquie, sans mentionner des menaces géopolitiques. Si un programme du FMI était infaisable et si les pays de l’UE en venaient à la conclusion qu’il est dans leur intérêt d’éviter une escalade de la crise turque, l’UE pourrait essayer d’organiser un plan de soutien financier via son programme d’assistance macrofinancière réservé aux pays partenaires hors de l’UE. Mais dans ce cas, l’UE doit décider si un tel instrument doit être utilisé pour obtenir des avancées en matière de valeurs démocratiques ou si l’UE doit avoir une approche plus fonctionnelle et limiter la conditionnalité sur des politiques macro-structurelles spécifiques. (…)

Jim O’Neill estime que la Turquie doit maintenant fortement resserrer sa politique monétaire, réduire l’emprunt étranger et se préparer à l’éventualité d’une sévère récession, durant laquelle l’épargne domestique ne se reconstituera que lentement. Parmi les puissances régionales, la Russie est parfois mentionnée comme possible sauveteur. Alors qu’il n’y a aucun doute que Vladimir Poutine aimerait utiliser la crise turque pour éloigner davantage la Turquie de ses alliés de l’OTAN, Erdogan et ses conseillers se tromperaient s’ils pensaient que la Russie puisse combler le vide financier de la Turquie : une intervention du Kremlin aurait peu d’effet sur la Turquie et exacerberait les défis économiques de la Russie.

José Antonio Ocampo affirme plutôt que les schémas durables dans les pays émergents peuvent ne plus s’appliquer. Au pic des turbulences turques, dans la semaine entre le 8 et le 15 août, les devises de l’Argentine, de l’Afrique du Sud et de la Turquie se sont dépréciées de 8 % à 14 % vis-à-vis du dollar américain. Pourtant les devises des autres pays émergents ne se sont pas dépréciées de plus de 4 %. Cela suggère que la contagion ne se fait pas aussi facilement que par le passé et lue des arrêts brusques (sudden stops) sont peut-être moins probables que par le passé. Même les économies les plus affectées étaient capables de limiter les effets de la chute de leur devise. Cela semble refléter une nouvelle résilience face à la contagion qui s’est formée au cours des dix dernières années, voire plus. Mais cela ne signifie pas que les économies émergentes sont immunisées ; au contraire, elles ont de quoi s’inquiéter, notamment avec l’escalade d’une guerre commerciale. Des politiques réfléchies, avec une amélioration globale du filet de sécurité financier de la part du FMI, restent par conséquent de la plus haute importance. (…) »

Silvia Merler, « The Turkish crisis », in Bruegel (blog), 27 juillet 2018. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« De l’arrêt soudain à la déflation par la dette »

« Comment les pays émergents peuvent-ils gérer l'effondrement des flux de capitaux ? »

« Les hauts et les bas de la croissance turque »

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