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Politique budgétaire et endettement public

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lundi 9 mars 2020

Les arguments en faveur d’une relance budgétaire permanente

« Si vous êtes un être humain normal s'apprêtant à lire ce billet, je tiens à vous prévenir : bien qu’il ne soit pas non plus très technique, il est destiné à une audience restreinte et plusieurs passages ne sont pas tout à fait en français. De plus, il a une pertinence limitée en termes de politique économique, dans la mesure où l’administration Trump ne considèrera jamais l’idée d’adopter la politique que je suggère et même une administration Biden aurait probablement du mal à aller à emprunter la voie que je propose. Oh, et je ne pense pas que ce soit très différent de ce que Larry Summers dit, mais je pense que cela aiderait à mettre des chiffres à ce que j’ai en tête et à ce que je crois qu’il a en tête.

Bon, si vous êtes toujours avec moi : je propose ici à ce que les prochains Président et Congrès des Etats-Unis dépensent de façon permanente un surcroît de 2 % du PIB dans l’investissement public (défini dans un sens large, c'est-à-dire dans les infrastructures bien sûr, mais aussi des choses comme la recherche-développement et le développement des enfants) en recourant à l'emprunt.

Le point de départ pour mon raisonnement est la chute impressionnante des taux d’intérêt au cours des dernières semaines. Ils atteignaient déjà un niveau historiquement faible il y a un an, mais à l’instant où j’écris le taux à dix ans s’élevait à seulement 0,76 %. C’est moins que les taux sur la dette japonaise au cours de la Décennie perdue :

GRAPHIQUE Taux des obligations publiques à 10 ans du Japon (en %)

FRED__taux_obligations_publiques_Japon_a_10_ans.png

Ce que cela nous dit, c’est que le marché obligataire ne se contente pas de prendre en compte une récession mondiale provoquée par le coronavirus, mais qu’il s’attend aussi à ce que le taux des fonds fédéraux soit proche de zéro pendant une longue période. Le marché voit un avenir de stagnation séculaire, dans lequel l’économie est piégée dans une trappe à liquidité, c’est-à-dire une situation dans laquelle la politique monétaire perd l’essentiel de sa marge de manœuvre une grande partie du temps, voire l’essentiel du temps. Nous avons été dans une trappe à liquidité pendant huit ans au cours des douze dernières années ; le marché semble maintenant croire que quelque chose comme cela constitue une nouvelle norme.

La politique monétaire conventionnelle ne fonctionne pas dans une trappe à liquidité, mais la politique budgétaire est hautement efficace. Le problème est que le genre de politique budgétaire qui s’avère le plus efficace (un investissement public qui tire profit des taux faibles taux d’intérêt et renforce l’économie à long terme) est difficile à adopter à brève échéance. C’est pourquoi les propositions actuelles de relance budgétaire, comme celle avancée par Jason Furman, passent essentiellement par les revenus de transfert ; une bonne idée au vu des contraintes, mais une mauvaise idée au vu de l’opportunité donnée pour investir dans l’avenir.

Voici ma suggestion. Pourquoi ne pas mettre en place indéfiniment une relance centrée sur l’investissement public ? Cela permettrait d’absorber les chocs négatifs qui toucheraient l’économie. Cela ne serait peut-être pas nécessaire pour atteindre le plein emploi en bonne conjoncture, mais cela ne nuirait pas non plus, au vue de la faiblesse des taux d’intérêt et des besoins en investissement public.

Mais, vous vous dites, que se passerait-il avec la dette publique ? Eh bien, c’est là où l’arithmétique de la dette publique dans une ère de faibles taux d’intérêt devient cruciale pour comprendre. Considérons une économie stylisée que nous appellerions "Etats-Unis". Cette économie présente une dette publique équivalente à 100 % de son PIB. Elle peut s’attendre, en moyenne, à connaître une croissance du PIB nominal de 4 % par an, à moitié réelle, à moitié due à l’inflation. Elle peut aussi s’attendre, en moyenne, à payer un taux d’intérêt de 2 % sur sa dette publique. Les véritables chiffres peuvent ne pas exactement coller à mon exemple ; aujourd’hui, les perspectives de croissance sont peut-être un peu plus sombres, mais les taux d’intérêt sont bien plus faibles. Mais je pense que les chiffres sont assez proches pour que mon exemple tienne.

A long terme, la politique budgétaire est soutenable si elle stabilise le ratio dette publique sur PIB. Parce que les taux d’intérêt sont inférieurs au taux de croissance, notre économie hypothétique peut en fait stabiliser le ratio d’endettement public, tout en générant des déficits primaires persistants (des déficits qui n’incluent pas les paiements d’intérêts). Soit d le ratio dette publique sur PIB, b le solde primaire en pourcentage du PIB, r le taux d’intérêt et g le taux de croissance du PIB. Alors, l’équation pour la dynamique de l’endettement public (j’avais prévenu que tout ne serait pas en français !) sera

variation de d = -b + (r – g).d

Donc, dans mon cas hypothétique où d = 1 (la dette représente 100 % du PIB), le ratio d’endettement public peut être stabilisé, tout en générant un déficit primaire de 2 % du PIB. Remettez les paiements d’intérêt et cela se traduit par un déficit global de 4 % du PIB. Le déficit budgétaire des Etats-Unis est actuellement un peu plus élevé que cela, mais nous pourrions revenir à cette gamme en annulant les cadeaux fiscaux de Trump aux entreprises, que celles-ci n’utilisent de toute façon pas pour investir.

Maintenant, introduisons un programme d’investissement public de 2 % du PIB (…). Le ratio d’endettement public va alors commencer à augmenter, mais non sans limite. Si rien d’autre ne change, d devrait finir par se stabiliser à 2 : la dette publique représenterait au final 200 % du PIB. C’est énorme, n’est-ce pas ? Ne me parlez pas du fardeau des paiements d’intérêt sur la dette. Il est déjà pris en compte dans mon calcul. Peut-être que nous pourrions avoir une crise de la dette publique, mais le Japon a beau avoir une dette publique équivalente à plus de 200 % de son PIB, il ne connaît pourtant toujours pas de crise de la dette souveraine. En outre, "au final" pourrait survenir à très long terme. Cette petite équation de dynamique de la dette a un taux de convergence de 0,02, donc une demi-vie de 35 ans. En d’autres termes, mon plan de relance permanente accroîtrait le ratio dette publique sur PIB de seulement 150 % d’ici l’année 2055. C’est le niveau que la dette du Royaume-Uni a dépassé pendant l’essentiel de l’Histoire moderne :

GRAPHIQUE Dette publique du Royaume-Uni (en %)

FMI__dette_publique_Royaume-Uni.png

Certes, il y a une objection valide à mon raisonnement : j’ai implicitement supposé qu’une relance budgétaire permanente n’accroîtrait pas le taux d’intérêt et ce n’est pas une hypothèse sûre. Les épisodes où les taux butent sur la borne inférieure zéro seraient probablement moins fréquents et plus courts qu’ils ne l’auraient été sinon. En outre, la banque centrale relèverait probablement davantage ses taux qu’elle ne l’aurait fait sinon durant les périodes où l’économie n’est pas piégée dans une trappe à liquidité.

Mais il y aurait aussi des facteurs compensateurs. Premièrement, quand l’économie est dans une trappe à liquidité, ce qui semble à présent probable pour une grande partie du temps, un supplément d’investissement public aura un effet multiplicateur, en poussant le PIB au-delà du niveau qu’il aurait atteint sinon. Si l’on se base sur l’expérience de la dernière décennie, le multiplicateur devrait être autour de 1,5, ce qui signifie un PIB supérieur de 3 % en mauvaise conjoncture et un supplément significatif de recettes fiscales généré par ce gain de PIB. Une relance budgétaire permanente ne s’autofinancerait pas totalement, mais elle le ferait en partie.

Deuxièmement, si l’investissement est productif, cela accroît la capacité productive de l’économie à long terme. C’est évidemment vrai pour les infrastructures physiques et la recherche-développement, mais il y a aussi des preuves empiriques robustes qui suggèrent que les programmes de protection sociale pour les enfants font d’eux des adultes en meilleure santé, plus productifs, ce qui contribue aussi à compenser leur coût budgétaire direct.

Enfin, il y a des preuves empiriques robustes suggérant que des effets d’hystérèse sont à l’œuvre : les contractions temporaires de l’activité dépriment de façon permanente ou semi-permanente la production future. A nouveau, en empêchant ces effets d’hystérèse de se manifester, une relance budgétaire soutenue s’autofinancerait en partie.

Liez toutes ces choses et elles auront probablement plus de poids que tout effet budgétaire dû à la relance poussant les taux d’intérêt à la hausse.

Parce qu’une crise de la dette publique ne semble pas du tout imminente, nous allons avoir beaucoup de temps pour reconsidérer si l’arithmétique des dépenses en infrastructures ne se révèle pas aussi favorable que je le pense. Si la stagnation séculaire apparaît à un moment ou à un autre un problème lointain (disons, durant le second mandat d’Alexandria Ocasio-Cortez à la tête de la Maison Blanche), nous pourrons alors reconsidérer la relance permanente.

En attendant, il y a cependant de bonnes raisons pour mettre en place un programme soutenu et productif de relance le plus tôt possible, au lieu de s’acharner à ne proposer que des mesures de court terme chaque fois que les choses tournent mal. Parce que tout ce que nous voyons à présent suggère que les choses devraient très fréquemment mal tourner. »

Paul Krugman, « The case for permanent stimulus », 7 mars 2020. Traduit par Martin Anota



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« C’est le moment de relancer les infrastructures »

« L’hystérèse, ou comment la politique budgétaire a retrouvé sa légitimité »

« Faut-il s'inquiéter de la dette publique lorsque les taux d’intérêt sont faibles ? »

« Pourquoi les gouvernements empruntent-ils ? »

jeudi 2 janvier 2020

L’héritage de l’austérité destructrice

« Il y a une décennie, le monde sortait à peine de la pire crise économique qu'il ait connue depuis les années 1930. Les marchés financiers étaient stabilisés, mais l’économie réelle était encore dans un état lamentable, avec environ 40 millions de chômeurs en Europe et en Amérique du Nord. Malheureusement, les responsables de la politique économique des deux côtés de l’Atlantique ont passé la première moitié des années 2010 à faire exactement ce que la théorie et l’Histoire leur a dit de ne pas faire. Et cette mauvaise orientation de la politique économique a eu des conséquences durables tant au niveau économique qu’au niveau politique. En l’occurrence, l’obsession vis-à-vis des déficits entre 2010 et 2015 prépara le terrain pour la crise actuelle de la démocratie.

Pourquoi l’austérité dans une économie déprimée est-elle une mauvaise idée ? Parce qu’une économie n’est pas comme un ménage, dont le revenu et les dépenses sont deux choses séparées. Dans l’économie dans son ensemble, mes dépenses constituent votre revenu et vos dépenses constituent mon revenu. Que se passe-t-il si tout le monde essaye de réduire ses dépenses au même instant, comme ce fut le cas dans le sillage de la crise financière ? Les revenus de chacun diminuent. Donc, pour éviter la dépression, vous avez besoin que quelqu’un (à savoir le gouvernement) maintienne ou, mieux, accroisse ses dépenses, alors que tous les autres réduisent les leurs. C’est pour cela qu’en 2009 la plupart des gouvernements s’étaient engagés pour un minimum de relance budgétaire.

En 2010, cependant, le discours politique a été accaparé par des personnes insistant sur l’idée que nous devions réduire immédiatement les déficits sous peine de connaître le même sort que la Grèce, ainsi que sur l’idée que les baisses de dépenses publiques ne nuiraient pas à l’économie dans la mesure où elles nourriraient la confiance. Les fondements intellectuels pour ces affirmations ont toujours été fragiles ; la poignée d’articles académiques plaidant en faveur de l’austérité n’a pas tenu bon à un examen méticuleux. Et les événements confirmèrent rapidement la macroéconomie de base : les Etats-Unis ne sont pas devenus la Grèce et les pays qui embrassèrent une austérité brutale souffrirent de sévères contractions de l’activité économique.

Mais pourquoi le monde politique et les faiseurs d’opinion ont plaidé pour l’austérité alors qu’ils auraient dû combattre le chômage ? Une réponse, qui ne doit pas être ignorée, est que fulminer contre les malheurs des déficits publics vous fait paraître responsable, du moins aux yeux de ceux qui n’ont pas étudié la question ou qui n’ont pas assez suivi l’état de la recherche économique. C’est pourquoi je me suis souvent moqué des centristes et des grandes figures des médias qui prêchèrent en faveur de l’austérité en les qualifiant de "personnes très sérieuses" (very serious people). En effet, à ce jour, les milliardaires avec des ambitions politiques imaginent que s’alarmer à propos de la dette publique démontre leur sérieux.

En outre, l’élan pour l’austérité a toujours été impulsé en grande partie par des motifs cachés. En l’occurrence, les craintes autour de la dette ont été utilisées comme prétexte pour réduire les dépenses dans les programmes sociaux et aussi comme moyen pour réfréner les ambitions des gouvernements de centre-gauche.

Ici aux Etats-Unis, les Républicains ont passé leur temps durant les mandats d’Obama à se déclarer profondément inquiets à propos des déficits budgétaires, contraignant le pays à connaître plusieurs années de baisses de dépenses publiques qui ont freiné la reprise économique. A l’instant même où Donald Trump accéda à la Maison Blanche, toutes ces supposées inquiétudes s’évanouirent, donnant raison à tous ceux qui affirmaient depuis le début que les Républicains qui se présentaient comme des faucons anti-déficit ne croyaient pas ce qu’ils disaient.

Ce keynésianisme grossier est, par ailleurs, probablement la principale raison pour laquelle la croissance économique des Etats-Unis a été (non pas fabuleuse, mais) bonne au cours des deux dernières années, même si la baisse d’impôts de 2017 n’est absolument pas parvenue à délivrer la hausse promise de l’investissement privé : les dépenses fédérales ont augmenté à un rythme qui n’avait pas été vu depuis les premières années de la précédente décennie. Mais pourquoi est-ce que cette histoire importe-t-elle ? Après tout, aujourd’hui, les taux de chômage sont proches ou inférieurs à leurs niveaux d’avant-crise. Peut-être qu’il y a eu beaucoup de souffrances inutiles entretemps, mais ne sommes-nous pas dans une bonne situation à présent ?

Non, nous ne le sommes pas. Les années d’austérité ont laissé plusieurs cicatrices durables, en particulier au niveau politique. Il y a plusieurs explications pour la rage populiste qui déstabilise la démocratie dans le monde occidental, mais les effets pervers de l’austérité sont au début de la liste. En Europe de l’Est, les partis nationalistes sont arrivés au pouvoir après que les gouvernements de centre-gauche aient aliéné la classe laborieuse en se laissant aller aux politiques d’austérité. En Grande-Bretagne, le soutien en faveur des partis d’extrême-droite est plus fort dans les régions qui ont été les plus frappées par l’austérité budgétaire. Et aurions-nous eu Trump si plusieurs années d’austérité malavisée n’avaient pas retardé la reprise économique sous Barack Obama ?

En outre, je pense que cette manie de l’austérité a profondément endommagé la crédibilité des élites. Si les familles ordinaires ne croient plus que les élites traditionnelles sachent ce qu’elles font ou qu’elles s’inquiètent des gens comme elles, eh bien, ce qui s’est passé durant les années d’austérité suggère qu’ils ont raison. Certes, il est illusoire de s’imaginer que des gens comme Trump vont mieux servir leurs intérêts, mais il est bien plus difficile de dénoncer un arnaqueur quand vous avez vous-même passé plusieurs années à promouvoir des politiques destructrices simplement parce qu’elles semblaient sérieuses.

Bref, nous sommes dans le chaos dans lequel nous sommes en grande partie à cause de la mauvaise voie prise par les politiques il y a une décennie. »

Paul Krugman, « The legacy of destructive austerity », 30 décembre 2019. Traduit par Martin Anota



« La fée confiance ou le mythe de l’austérité expansionniste »

« Quelles ont été les répercussions de l’austérité dans le sillage de la Grande Récession ? »

« L’austérité nuit à la croissance de long terme »

samedi 7 décembre 2019

L’austérité a provoqué le Brexit

« En décembre, la Grande-Bretagne retournera aux urnes pour élire un nouveau Parlement qui pourrait finaliser le Brexit. Plusieurs années tumultueuses se sont écoulées depuis que le référendum s’est conclu en faveur d’une sortie (Leave) du Royaume-Uni de l’Union européenne. Même si le gouvernement britannique parvient à se décider sur la façon par laquelle la sortie prendra forme, le pire pourrait encore survenir après.

Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’est-ce qui a provoqué la révolte populiste qui continue de diviser le Royaume-Uni ? Thiemo Fetzer a observé un ensemble spécifique de réformes qui ont joué un rôle décisif dans l’issue du référendum. Dans la revue American Economic Review, Fetzer montre que les baisses de dépenses publiques dans le cadre de plans d’austérité adoptés à partir de 2010 ont joué un rôle décisif dans la victoire du "Leave".

Fetzer a évoqué avec l’American Economic Association l’austérité au Royaume-Uni, la façon par laquelle celle-ci a alimenté le soutien en faveur de mouvements populistes comme le "parti pour l’indépendance du Royaume-Uni" (UKIP), les possibles retombées des réductions des programmes d’aide sociale et les prochaines élections parlementaires du 12 décembre. (…)

American Economic Association : J’aimerais évoquer spécifiquement de ce qui s’est passé en 2010 avec l’austérité. Quels genres de baisses ont touché les programmes de protection sociale au Royaume-Uni et qui en a été le plus affecté ?

Thiemo Fetzer : Il y a eu trois gros éléments derrière l’austérité. Le premier concerne les baisses de salaires pour tous ceux qui travaillaient dans le secteur public, si bien que les salaires n’ont pas augmenté avec l’inflation comme ils avaient l’habitude de le faire par le passé. Le deuxième élément est relatif à une réforme générale du système de protection sociale, qui affecta principalement les personnes (…) qui étaient employées dans des emplois à faible salaire et qui recevaient un coup de pouce de l’Etat via ce que l’on appelle le crédit d’impôt. Financièrement, cela constitua une part importante de l’austérité, puisque ce sont ces suppléments de revenu qui ont été réduits le plus vite.

Le troisième élément derrière l’austérité correspond aux baisses significatives de financements aux administrations locales, des ressources financières qui sont utilisées pour financer des services de base, la maintenance des routes locales et je pense que ces diverses dépenses ont été réduites d’environ 50 % en termes réels, ce qui est assez spectaculaire. Enfin il y a eu des baisses significatives des dépenses dans des choses comme l’éducation, des dépenses qui ont chuté de 20 % en termes réels.

AEA : Comment avez-vous fait pour connecter ces baisses des dépenses publiques avec la façon par laquelle les gens qui en ont été les plus affectés ont voté lors du référendum du Brexit ?

Fetzer : L’analyse s’est faite en deux parties. L’une d’entre elles est essentiellement basée sur la géographie des résultats électoraux au niveau des districts lors des élections européennes (…) et l’autre ensemble d’élections que j’ai regardé sont celles de Westminster (les élections parlementaires). Et lors de ces élections, j’ai étudié la performance électorale du parti politique au Royaume-Uni, en l’occurrence l’UKIP, qui préconisait dans son programme une sortie de l’Union européenne sur l’ensemble de la période de l’échantillon, de 2000 à 2015.

AEA : Comment avez-vous déterminé que ces baisses de dépenses publiques associées aux politiques d’austérité ont contribué à la victoire du "Leave" lors du référendum ?

Fetzer : Ce qui est assez remarquable est qu’après 2010, la structure de la population qui soutenait l’UKIP a fortement changé. L’UKIP a gagné environ 16 % du vote populaire lors des élections européennes en 2004 et 2009, donc ce n’était pas une force électorale négligeable. Mais en 2014, il y a eu une progression massive du soutien en faveur de l’UKIP. Et une grande partie du soutien en faveur du l’UKIP peut s’expliquer pour l’essentiel par l’exposition régionale ou individuelle aux baisses de dépenses publiques. Vous voyez que le soutien en faveur de l’UKIP augmente de 5 à 6 points de pourcentage dans les zones les plus exposées à l’austérité.

Cela peut ne pas sembler énorme, mais au fond pour chaque personne qui a effectivement voté pour l’UKIP, il y en avait une autre qui n’allait pas voter, mais qui présentait les mêmes préférences politiques. Si vous considérez cela, il apparaît une forte relation entre le soutien des individus pour l’UKIP et le soutien subséquent pour le Leave. Vous pouvez lier économétriquement ces deux schémas (l’austérité et le soutien en faveur de l’UKIP, puis le soutien en faveur de l’UKIP et le soutien en faveur du Leave), vous voyez que la hausse du soutien pour l’UKIP est associée à une hausse de 10 point de pourcentage du soutien en faveur du Leave en 2016. Le Leave a gagné au référendum avec environ 52 % des suffrages, donc un écart de 10 points de pourcentage fait une grosse différence et a contribué à faire basculer le référendum en faveur du Leave.

AEA : Il y a certains parlementaires qui ont initialement voté en faveur de ces réductions de revenus de transfert, mais qui ont aussi appelé quelques années plus tard à rester dans l’UE. Plusieurs d’entre eux, si ce n’est pas tous, ne pouvaient pas prédire le Brexit. Qu’aimeriez-vous qu’ils retiennent de cela, à propos des conséquences de leurs positions sur certaines politiques qui peuvent avoir des conséquences qu’ils ne peuvent pas prédire ?

Fetzer : Dans l’ensemble, vous pouvez considérer le Brexit comme une séquence de nombreuses erreurs et accidents au niveau politique, en partie facilitée par des institutions comme le système électoral du Royaume-Uni. En 2015, personne ne s’attendait à ce que le parti conservateur gagne avec une large majorité. Ce fut le fait qu’il gagna avec une large majorité qui a conduit à la tenue d’un référendum. Evidemment, en 2010, le pays émergeait d’une crise financière. Les déficits publics s’envolaient et, à un certain niveau, il était clair que certaines choses devaient être faites pour contenir les dépenses publiques. Le gouvernement de coalition de 2010 a cherché à contenir les dépenses d’une manière qui s’est révélée être très corrosive pour la cohésion sociale et au contrat social implicite.

L’austérité a été imposée… et fait que ce furent en définitive les mères célibataires, les personnes handicapées et la population adulte en âge de travailler qui payèrent pour les fautes lourdes du secteur financier. (...)

AEA : Que va-t-il se passer selon vous en décembre et concernant le sort final du Brexit ?

Fetzer : Les élections générales sont une très mauvaise façon de confirmer un sentiment public concernant une version du Brexit qui romprait radicalement les liens entre le Royaume-Uni et l’UE, un Brexit que personne n’a conseillé, ni même appelé à mettre en œuvre dans sa campagne en 2016. Ce que cette élection peut faire, c’est offrir une victoire aux conservateurs grâce à peut-être 35 % du vote populaire. Ce n’est pas un mandat démocratique pour mettre en œuvre un plan de Brexit et cela ne résoudra pas la crise démocratique et institutionnelle qui mijote.

Mon espoir pour cette élection est qu’elle produise exactement ce que la précédente élection avait produit, à savoir un Parlement sans majorité, puisque les politiciens se retrouveraient dans la même position pour résoudre le problème sous-jacent. D’une certaine manière, la chose la plus raisonnable serait d’aboutir à une solution de compromis entre les 48 % qui se sont prononcés en faveur du "Remain" et les 52 % qui se sont prononcés en faveur du "Leave", ce qui serait proche de ce qui avait été promis aux électeurs en 2016. Ce serait mon résultat idéal. »

American Economic Association, « Cutting off support », 22 novembre 2019. Traduit par Martin Anota



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« Le Brexit, fruit d'une relation pernicieuse entre mondialisation et austérité »

« Les coûts ignorés de la crise financière »

lundi 7 octobre 2019

Le retour de la politique budgétaire ?

« Alors que nous entrons dans le dernier trimestre de l’année 2019 (et de la décennie), les indicateurs conjoncturels suggèrent que l’économie mondiale ralentit, notamment en raison de plusieurs tendances structurelles. Il y a de nombreux problèmes qui retiennent notre attention, que ce soit le changement climatique, la résistance des microbes aux vaccins, le vieillissement démographique, le déficit des systèmes de soin et de santé, les niveaux élevés d’endettement et la guerre commerciale en cours.

Mais comme le dit le vieux proverbe, on ne doit jamais gâcher une crise. L’un des pays qui essuient le plus les contrecoups des tensions commerciales en cours est l’Allemagne, où les autorités semblent enfin prendre conscience de la nécessité d’adopter une relance budgétaire fondée sur les investissements favorables à la productivité. De même, en proie au chaos généré par le Brexit, le Royaume-Uni considère aussi l’option de la relance budgétaire. Tout comme la Chine, qui cherche des mesures pour réduire sa vulnérabilité aux perturbations du commerce international et des chaînes de valeur.

Les responsables tout autour du monde prennent conscience qu’il n’est ni sage, ni même possible de constamment se reposer sur les banques centrales pour stimuler l’économie. Dans l’environnement actuel caractérisé par des taux d’intérêt faibles, voire négatifs, l’opportunité de faire basculer la tâche du soutien conjoncturel de la politique monétaire à la politique budgétaire apparaît plus nettement.

Au début du moins de septembre, la BCE a décidé de poursuivre sa baisse des taux et d’amorcer un nouveau cycle d’assouplissement quantitatif (quantitative easing), une décision qui a semblé accélérer la brutale cession sur les marchés obligataires mondiaux. Pourtant, en annonçant la décision, Mario Draghi, le président de la BCE, a rejoint un chœur de plus en plus nombreux de personnes appelant à un usage plus actif de la politique budgétaire.

Il avait raison de faire ce qu’il a fait. Pourtant, on peut se demander quel bénéfice il s’attend à tirer d’un nouvel assouplissement, étant donné que les taux d’intérêt ultra-faibles ont déjà échoué à stimuler l’investissement ou la consommation. Comme pour l’assouplissement quantitatif, un retour aux politiques monétaires non conventionnelles qui commencèrent après la crise de 2008 risque d’aggraver certains maux sociaux et politiques affligeant déjà les démocraties occidentales. Après tout, il est bien connu que les bénéfices de telles politiques vont principalement aux ménages aisés qui possèdent déjà un ample patrimoine financier.

Parallèlement, les données mensuelles de la Chine tendent à confirmer l’idée qu’elle connaît un ralentissement, avec un essoufflement des exportations suggérant clairement que la guerre commercial avec les Etats-Unis n’est pas indolore. C’est peut-être pour cette raison que les autorités chinoises ont assoupli les mesures qu’elles avaient prises pour décourager l’endettement domestique (la priorité de l’année dernière) afin de soutenir la croissance économique.

Le ralentissement en Allemagne est également apparent. En raison de sa dépendance excessive vis-à-vis des exportations, l’économie allemande flirte avec la récession malgré une forte demande domestique (relativement aux faibles niveaux habituellement observés historiquement en Allemagne).

J’affirme depuis longtemps que l’économie allemande n’est pas aussi saine structurellement qu’elle ne laisse le paraître et qu’un changement de sa politique économique se fait attendre depuis longtemps attendre. Pendant une décennie, l’Allemagne a adhéré à un cadre budgétaire étroit et s’est constamment focalisée sur la réduction de la dette publique. Mais maintenant même les autorités allemandes semblent reconnaître le besoin d’un changement. Les rendements obligataires à dix ans du pays sont bien inférieurs à zéro, son ratio dette publique sur PIB est inférieur à 60 %, son excédent de compte courant est indécemment élevé (approchant les 8 % du PIB) et ses infrastructures se détériorent.

Depuis 2008, le déficit de compte courant des Etats-Unis a diminué de moitié, s’élevant désormais à moins de 3 % du PIB et l’excédent courant de la Chine est passé de 10 % du PIB à quasiment zéro. Mais le déséquilibre externe de l’Allemagne a continué à s’accroître, menaçant la stabilité de la zone euro dans son ensemble. Une ample expansion budgétaire allemande pourrait contribuer à inverser cette tendance. Elle aurait aussi probablement des effets multiplicateurs positifs pour l’investissement privé et la consommation, ce qui créerait des opportunités à l’exportation pour d’autres pays-membres en difficulté de la zone euro. En outre, un changement dans l’approche budgétaire suivie par l’Allemagne peut ouvrir la porte à un assouplissement des règles budgétaires de la zone euro. Les gouvernements européens doivent avoir l’opportunité de poursuivre un rôle plus actif dans l’économie, de façon à ce qu’ils puissent investir dans les sources de croissance à long terme et mener le processus de décarbonisation.

En ce qui concerne le Royaume-Uni, deux problèmes en plus du Brexit méritent de retenir notre attention. Premièrement, Boris Johnson, qui a récemment endossé la fonction de Premier Ministre, a déjà donné d’importants discours au nord de l’Angleterre, signalant son soutien au modèle de la "locomotive nordique" d’un développement géographiquement ciblé. Certes, beaucoup voient derrière l’attachement au nord affiché par Johnson comme une manœuvre stratégique pour conforter sa base électorale avant la prochaine élection. Mais peut-être que Johnson et ses conseillers ne sont pas idiots de supposer que les votes peuvent être facilement achetés. Surtout, la résolution des problèmes structurels de long terme que rencontre le nord et la stimulation de sa productivité sont même plus importants pour l’économie britannique que la relation commerciale qu’elle entretient avec l’UE, même si cette dernière n’est pas anecdotique.

Deuxièmement, le Chancelier de l’Echiquier Sajid Javid a récemment laissé augurer un changement de la politique budgétaire britannique lorsqu’il a commenté les dépenses publiques. En raison de la faiblesse des taux d’intérêt et d’une forte réduction du déficit budgétaire au cours de la dernière décennie, Javid croit qu’il est temps de commencer à répondre aux besoins massifs en infrastructures domestiques que rencontre le pays. Il a suggéré une nouvelle règle budgétaire qui diffèrerait selon le niveau de dette et exclurait les dépenses d’investissement. Au vu des circonstances actuelles, une telle règle ferait sens non seulement pour le Royaume-Uni, mais aussi pour l’UE, l’Allemagne en particulier et d’autres pays. »

Jim O’Neill, « The return of fiscal policy », 18 septembre 2019. Traduit par Martin Anota



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« C’est le moment de relancer les infrastructures »

« Les taux neutres, la stagnation séculaire et le rôle de la politique budgétaire »

« L’hystérèse, ou comment la politique budgétaire a retrouvé sa légitimité »

vendredi 4 octobre 2019

C’est le moment pour l’Allemagne d’adopter une relance budgétaire

« Tant que l’économie allemande va bien, comme elle le fit de la reprise suite à la crise financière mondiale de 2008, il apparaît assez justifié que les autorités allemandes optent pour l’austérité budgétaire. L’engagement national à la discipline budgétaire s’est concrétisé en 2009 à travers le "frein à la dette", qui limite le déficit structurel fédéral à 0,35 % du PIB et en 2011 par la politique du "schwarze Null" (le "zéro noir") visant à pleinement équilibrer le Budget. En effet, le gouvernement d’Angela Merkel a réussi à atteindre un équilibre budgétaire en 2012 et des excédents entre 2014 et 2018.

Avec un faible chômage et une croissance relativement robuste, la peur de se retrouver avec une économie domestique en surchauffe constituait un contre-argument solide que l’Allemagne pouvait lancer aux pays qui l’appellent depuis longtemps à entreprendre une relance budgétaire. Ces pays voulaient plus de dépenses allemandes, ce qui aurait réduit l’excédent de son compte courant (un massif 8-9 % du PIB au cours des dernières années) et permit de créer un supplément de demande pour les autres pays-membres de la zone euro, en particulier ceux au sud.

Il est temps pour l’Allemagne d’adopter une relance budgétaire


Dans tous les cas, les inquiétudes à propos d’une surchauffe ne sont plus d’actualité, comme la croissance allemande a ralenti, en raison d’un secteur manufacturier très dépendant du commerce international. Le pays se retrouve au bord d’une récession : si les rapports allemands publiés en octobre indiquent que la croissance du PIB est négative au troisième trimestre, ce sera le deuxième trimestre consécutif où elle le sera et l’on pourra qualifier cela de récession.

Une baisse des revenus se traduit par une baisse des recettes fiscales et une baisse de l’excédent budgétaire. Berlin ne doit pas chercher à préserver son excédent. Au contraire, le gouvernement allemand doit répondre à une contraction de l’activité en augmentant ses dépenses ou en réduisant ses impôts. Le mieux serait qu’il accroisse ses dépenses dans les infrastructures, ces dernières ayant vraiment besoin d’être maintenues et rénovées en Allemagne, même si elles restent en meilleur état que les infrastructures aux Etats-Unis. Du côté des impôts, le gouvernement pourrait réduire les impôts sur les salaires.

Les contraintes légales du "frein sur la dette" peuvent limiter l’ampleur de la relance, mais elles laissent toujours une certaine marge de manœuvre, plus de marge que le gouvernement ne cherche à utiliser. Le « zéro noir » peut être laissé de côté dans le cas d’une récession. Ou il peut être réinterprété pour creuser le déficit pour financer des dépenses qui iraient à l’investissement (en particulier au niveau municipal), tout en équilibrant le Budget du gouvernement. Après tout, l’investissement dans les infrastructures ne constitue pas un emprunt contre l’avenir dans un sens économique. Le fait que les taux d’intérêt allemands soient négatifs (le gouvernement peut emprunter pour dix ans à -0,5 %) plaide pour investir dans les projets publics avec des rendements positifs, notamment les routes, les ponts et le réseau ferroviaire, sans oublier le réseau de la 5G.

Et le fait que les taux d’intérêt européens soient si faibles signifie aussi que la BCE ne peut guère en faire beaucoup plus, malgré les nouveaux efforts que Mario Draghi a déployés en quittant la présidence. Répondre à une récession dans de telles conditions est une tâche pour la politique budgétaire, comme Draghi l’a récemment suggéré.

Des politiciens procycliques

Comme l’a notoirement dit Keynes : "c’est lors de l’expansion, et non lors de la récession, que le Trésor doit adopter l’austérité".

Si l’Allemagne se convaincre par sa tradition philosophique d’ordolibéralisme qu’elle ne doit pas connaître un déficit budgétaire lors des récessions, ses dirigeants vont se retrouver dans le club des politiciens sottement procycliques. Ils ne manqueront pas de compagnie dans ce groupe. Historiquement, plusieurs pays en développement exportateurs de ressources naturelles ont longtemps suivi une politique budgétaire procyclique, en accroissant leurs dépenses publiques et en creusant leurs déficits budgétaires lors du boom des prix des matières premières, puis en étant forcés de réduire leurs dépenses publiques lorsque les prix des matières premières chutèrent. La Grèce le fit aussi, en creusant d’amples déficits budgétaires lors de ses années de croissance, entre 2003 et 2008, puis en les réduisant brutalement (sous la pression de ses créanciers) au cours de la dernière décennie. Les Républicains, aux Etats-Unis, l’ont également fait, en adoptant une relance budgétaire lorsque l’économie est déjà en expansion, comme avec la baisse d’impôts de Trump en 2017, et en redécouvrant le besoin de combatte le déficit budgétaire lorsque la récession frappe (ce qui fut le cas en 1990 et en 2008).

Alors que certains pays comme la Grèce passèrent d’une politique budgétaire contracyclique à la fin des années quatre-vingt-dix à une politique budgétaire procyclique déstabilisatrice après 2000, d’autres pays ont au contraire adopté une politique budgétaire de plus en plus contracyclique. Prenons deux exemples : le Chili et la Corée du Sud présentaient des dépenses publiques en moyenne procycliques entre 1960 et 1999, mais depuis le tournant du siècle leurs dépenses publiques apparaissent contracycliques. L’Allemagne prendre le chemin qu’avait emprunté la Corée du Sud : après vingt ans d’excédents budgétaires, la Corée su Sud accroît à présent substantiellement ses dépenses pour contenir le ralentissement de sa croissance économique (comme le font d’autres pays disposant d’une marge de manœuvre budgétaire, par exemple les Pays-Bas).

Oui, la responsabilité budgétaire est nécessaire à long terme


La politique budgétaire doit être globalement guidée par certains objectifs en plus de la contracyclicité. L’un de ces objectifs est de maintenir la dette publique sur une trajectoire soutenable à long terme. On peut reconnaître l’erreur qu’a été une austérité excessive dans certains pays au cours de la dernière récession sans pour autant affirmer que les Etats peuvent s’endetter sans limites, comme certains observateurs semblent maintenant le penser.

Les gouvernements doivent toujours vérifier si leur dette est trop importante, même lorsque les taux d’intérêt réels sont négatifs. Beaucoup de pays se sont engagés dans une trajectoire budgétaire qui semblait soutenable lorsque les taux d’intérêt étaient inférieurs au taux de croissance du PIB, mais se sont ensuite retrouvés piégés dans une trajectoire d’endettement insoutenable lorsque les conditions changèrent soudainement.

On peut comprendre l’attitude si décriée de l’Allemagne. Avant la création de l’euro en 1999, les citoyens allemands étaient sceptiques à propos des assurances qu’on leur proposait à travers les critères de Maastricht et la « clause de non-renflouement ». Leur scepticisme s’est révélé justifié. Ils ont affirmé que la crise grecque de 2010 ne se serait pas produite si, après avoir rejoint la zone euro, la Grèce avait maintenu la discipline budgétaire imposée par le Pacte de Stabilité et de Croissance et avait fait les mêmes réformes que celles adoptées par l’Allemagne entre 2003 et 2005 pour contenir ses coûts du travail. Mais éviter une trajectoire d’endettement public (relativement au PIB) qui soit explosive, cela ne signifie pas qu’il faille s’interdire de connaître un déficit à un moment ou à un autre. Il y a de nombreuses possibilités entre ces deux extrêmes.

Bien sûr, la façon par laquelle on dépense l’argent est importante

D’autres fonctions cruciales de la politique budgétaire impliquent la composition des dépenses et impôts. Ces deux leviers peuvent être utilisés pour répondre à des objectifs environnementaux, par exemple. Un nouvel engagement allemand pour atteindre les objectifs fixés à Paris pour réduire les émissions de carbone d’ici 2030 est perçu comme un bélier contre le schwarze Null. En effet, le 20 septembre, le gouvernement a annoncé dépenser près de 54 milliards d’euros pour réduire les émissions. Aux Etats-Unis, certains appelleraient cela un "New Deal vert".

Dépenser sur de telles priorités comme l’énergie et la recherche environnementale peut être utile. Mais en vérité, s’inquiéter du charbon et des autres objectifs environnementaux ne se traduit pas forcément par de plus amples déficits budgétaires. L’élimination des subventions aux énergies fossiles, l’accroissement des taxes sur les émissions et la limitation des permis d’émission peuvent renforcer le Budget, ce qui aurait été approprié au pic des cycles d’affaires américain et allemand. Ou les recettes qui en résultent peuvent être redistribuées pour atteindre d’autres objectifs tels que l’aide aux ménages pauvres, qui peuvent vivre dans le Midwest américain ou dans les länders à l’est de l’Allemagne. Le point important pour la politique climatique est d’accroître le prix du carbone. Le faire est orthogonal au choix à faire entre expansion budgétaire et austérité budgétaire.

Ce choix doit se fonder sur le critère de contracyclicité et la soutenabilité de la dette publique. Les Etats-Unis ont commis certaines erreurs, en réduisant les impôts pour les riches au pic du cycle d’affaires. L’Allemagne ne doit pas faire l’erreur symétrique qui serait de préserver son excédent budgétaire au risque de plonger dans la récession. »

Jeffrey Frankel, « It’s finally time for German fiscal expansion », in Econbrowser (blog), 3 octobre 2019. Traduit par Martin Anota



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