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Développement

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samedi 20 juillet 2013

La Grande Muraille et les réformes institutionnelles en Chine

« Dans une colonne du New York Times, Paul Krugman fait valoir que l'économie chinoise va avoir de plus en plus fortes difficultés avec son modèle actuel de croissance. Il utilise l'expression que la Chine est sur le point d’heurter sa Grande Muraille (d'un point de vue économique). Il y a quelques années, Ilian Mihov et moi-même avions écrit un papier que nous avons appelé "The Great Wall" pour parler des enjeux auxquels de nombreux pays sont confrontés lorsqu’ils vont au-delà d'un certain niveau de développement. D'autres ont appelé ce dernier la "trappe à revenu intermédiaire" (middle-income trap). (…) »


Antonio Fatás, « China getting close to hit the Great Wall », in Antonio Fatás and Ilian Mihov on the Global Economy (blog), 19 juillet 2013.


« L'argument selon lequel la qualité des institutions est importante pour la croissance n'est pas nouveau et beaucoup ont déjà écrit à ce sujet, mais nous mettons l'accent sur l'évolution des relations entre les institutions et la croissance au cours des différents stades de développement. Dans les premières phases de la croissance, la relation entre les institutions et le revenu par habitant est très faible (il n’y a pas besoin de réforme radicale), alors qu’elle devient très forte pour des niveaux plus élevés de développement. Nous avons mis à jour notre graphique originel avec des données plus récentes (datant de 2010) et nous le présentons ci-dessous (la qualité des institutions correspond à la moyenne de six indicateurs de gouvernance produits par la Banque mondiale ; le PIB par habitant est calculé en termes de PPA).

greatwall.png

Les conclusions de nos travaux antérieurs demeurent. Le tableau suggère qu'il existe deux phases de croissance. Durant la première phase, la réforme institutionnelle est moins pertinente. Quand nous regardons le tableau, nous ne voyons presque pas de corrélation entre la qualité des institutions et le revenu par habitant pour de faibles niveaux de développement. Pour être clair, tout le monde est en croissance dans cette partie du graphique, ce qui suggère que quelque chose se passe dans les pays en croissance (en déplacement vers la droite). La réussite économique dans cette région est le résultat de bonnes "politiques" par opposition aux profonds changements institutionnels qui s’avèrent nécessaires plus tard (vous pouvez également les appeler "réformes économiques" par opposition aux réformes institutionnelles).

La deuxième phase de croissance concerne les pays ayant un niveau de PIB par habitant supérieur à 10,000 - 12,000 dollars. C'est dans cette deuxième phase que la corrélation entre les institutions et le revenu par habitant est forte et positive. Aucun pays riche n’a d’institutions faibles, donc la réforme institutionnelle apparaît comme une condition à la poursuite de la croissance.

Dans notre article originel, nous avons appelé cette région la "Grande Muraille" (Great Wall). Soit les économies franchissent la muraille pour devenir riche, soient elles la heurtent et y restent coincées. Les économies qui illustrent cette idée de prise au piège sont l'ex-Union soviétique qui s'est effondrée après s’être révélée incapable de "passer à travers" la muraille avec son cadre institutionnel ou encore les économies d'Amérique latine comme le Venezuela et l'Argentine qui ont des revenus autour de ce niveau et qui ne semblent pas mesure de déplacer leur économie à l'étape suivante.

Nous avons appelé ce seuil "La Grande Muraille" comme référence à la Chine, un pays qui, au cours des dernières décennies, a affiché la plus forte croissance du revenu par habitant au monde avec un ensemble d'institutions qui sont considérées comme faibles (du moins par rapport aux économies avancées). La Chine est mise en évidence dans notre graphique ci-dessus et nous pouvons voir qu’elle est encore dans la première phase de croissance, mais qu’elle se rapproche de plus en plus du mur. (…)

Il est difficile de caractériser les deux phases de croissance et d’expliciter les réformes nécessaires pour aller de l'une à l'autre. Les recommandations politiques ne sont par ailleurs pas forcément les mêmes pour les différents pays. Pour une analyse très détaillée de la réforme institutionnelle, je recommande vivement le livre de Daron Acemoglu et de James Robinson, Why Nations Fail. Leur travail met en évidence la nécessité de développer des institutions inclusives pour passer à la deuxième phase de croissance (vous découvrir leur réflexion sur leur blog et y trouver un lien vers leur livre). D'autres ont développé des conceptions alternatives pour réfléchir aux différentes phases de croissance. C'est le cas de Dani Rodrik qui met l'accent sur le rôle joué par les différents secteurs dans cette transition. »

Antonio Fatás, « The Great Wall and Chinese Reforms », in Antonio Fatás and Ilian Mihov on the Global Economy (blog), 26 mars 2012.

aller plus loin… lire « Eviter la trappe à revenu intermédiaire », « Les institutions comme source d’avantage comparatif » et « La croissance selon Rodrik ».

dimanche 7 juillet 2013

Les trois âges de la globalisation financière

« Voici les trois âges de la globalisation financière selon le rapport Global Development Horizons de la Banque mondiale sur le thème "Capital for the future: Saving and investment in an interdependent world" (…).

"Pendant le Premier Age de la globalisation financière, qui commença dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, de larges montants de capitaux ont été transférés depuis les pays d'Europe vers le Nouveau Monde, principalement pour financer les investissements dans les chemins de fer, l'immobilier et les projets agricoles à grande échelle. Au début de la Première Guerre mondiale en 1914, plus d'un quart de la richesse britannique a été investie à l'extérieur de la Grande-Bretagne, principalement dans des titres publics et des chemins de fer à l’étranger. En 1913, près de la moitié du stock de capital de l'Argentine et un cinquième du stock de capital australien étaient détenus par les investisseurs étrangers en Europe. Cet âge s’achève lorsque les pays européens inversent considérablement leurs sorties de capitaux non militaires pendant la Première Guerre mondiale...

"Les progrès vers la libéralisation complète du marché des capitaux parmi les pays développés ont été soutenus dans la période post-Bretton Woods, si bien que celle-ci peut être considérée comme le Deuxième Age de la globalisation financière. Les obligations découlant du Code de Libéralisation de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) furent élargies pour inclure presque tous les mouvements de capitaux, y compris les opérations à court terme par les entreprises et les particuliers. La globalisation rapide dans le secteur financier au cours des années quatre-vingt-dix et deux mille a apporté des changements encore plus spectaculaires dans le paysage du système financier mondial, non seulement en encourageant le fort accroissement des flux de capitaux transfrontaliers comme les instruments du marché monétaire, les forwards, les swaps et les autres dérivés furent créés, mais aussi en permettant aux pays en développement de vraiment s’intégrer au système financier mondial.

À l'heure actuelle, le monde semble se diriger vers un Troisième Age de la globalisation financière. Les prémices de ce changement ont probablement eu lieu au début des années deux mille, lorsque les pays en développement se sont davantage intégrés au système financier mondial et qui les flux de capitaux dont ils étaient la destination devinrent significatifs en termes absolus pour la première fois. La tendance est plus perceptible au cours de la crise financière mondiale, lorsque les flux bruts de capitaux à destination des pays en développement ont beaucoup moins décliné que les flux à destinations des pays avancés... Les pays en développement vont probablement représenter une part sans cesse croissante des entrées de capitaux à l'avenir, comme la tendance qui a commencé dans les années d'avant-crise devrait se poursuivre. "

GRAPHIQUE 1 L’investissement brut dans les pays en développement s’est accru en termes absolus et relatifs

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source : Banque mondiale (2013)

Voici quelques graphiques pour illustrer ce Troisième Age de la mondialisation financière. Commençons par regarder l’investissement. Le graphique 1a montre l'investissement brut total : la somme réalisée dans les pays en développement a presque déjà rattrapé celle réalisée dans les pays à revenu élevé. Le graphique 1b présente la même information, mais comme part relative de l'investissement mondial : les pays en développement ont stagné à environ 20 % du total des investissements mondiaux des années soixante jusqu’à environ 2000, mais ils représentent désormais près de la moitié de l'investissement total. Le graphique 2a montre le taux d'investissement annuel. Alors que le taux d'investissement dans les pays en développement a été plus élevé depuis 1980, les courbes pour les pays en développement et les pays à revenu élevé commencent vraiment à diverger autour de 2000.

GRAPHIQUE 2 Les taux d’investissement

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source : Banque mondiale (2013)

Maintenant passons à l’épargne. Le graphique 3 montre que l'épargne mondiale en tant que part du revenu mondial n'a pas beaucoup varié depuis 1980, mais la part de cette épargne en provenance des pays en développement a augmenté de façon spectaculaire.

GRAPHIQUE 3 Part de l’épargne mondiale détenue par les pays en développement

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source : Banque mondiale (2013)

Bien sûr, une part substantielle de ce changement s’explique par les dynamiques de l'épargne et de l'investissement propres à la Chine, mais il ne doit pas être minimisé sur ce motif. Tout d'abord, dire que quelque chose concerne seulement la Chine est une façon particulière de parler d’un pays ce qui est destiné à être la plus grande économie au monde. Deuxièmement, ces évolutions touchant l’épargne et l’investissement s’observent également dans le reste des pays en développement, même si la tendance n'est pas aussi prononcée. Le graphique 4 montre la part de l'investissement par rapport à la production mondiale totale pour les pays en développement, et ensuite pour les pays en développement sans la Chine et l'Inde. Le graphique 5 montre le taux d'épargne des pays en développement dans leur ensemble et ensuite sans la Chine et sans les autres BRIIC (en l’occurrence, sans le Brésil, ni la Russie, ni l'Inde, ni l'Indonésie, ni la Chine).

GRAPHIQUE 4 Part de l’investissement des pays en développement dans la production mondiale

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source : Banque mondiale (2013)

GRAPHIQUE 5 Taux d’épargne des pays en développement

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source : Banque mondiale (2013)

Il y a quelques décennies, on disait que les pays à faible revenu étaient piégés par leurs faibles taux d'épargne et d'investissement et par leur incapacité à attirer les capitaux étrangers. Peut-être que le piège existait il y a quelques décennies, mais c'est un piège qui s’est refermé dans ce Troisième Age de la globalisation financière. »

Timothy Taylor, « The Third Age of Financial Globalization », in Conversable Economist (blog), 31 mai 2013. Traduit par M.A.

samedi 15 juin 2013

Vers la fin de la pauvreté ?

GRAPHIQUE Le nombre de pauvres dans le monde, en millions

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source : The Economist (2013)

samedi 8 juin 2013

Ressources naturelles et institutions politiques

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« La discussion sur la malédiction des ressources naturelles (natural resource curse) au Cameroun soulève la question de savoir si la richesse en ressources naturelles, en particulier l’abondance de pétrole, est susceptible d'influencer aussi bien l'économie que les institutions politiques. Les mécanismes que nous avons proposés pour la malédiction des ressources, sans surprise, opèrent à travers la politique. Mais ils considèrent les institutions politiques comme données.

Le pétrole et plus généralement les richesses naturelles peuvent-elles mener à une détérioration institutionnelle dans la sphère politique ? La richesse pétrolière a-t-elle poussé le président Biya au Cameroun à inverser la transition espérée à la démocratie dans les années quatre-vingt-dix ? Ces questions ont été initialement posées dans deux articles de science politique. Leur réponse a été un oui retentissant.

Michael Ross a fait cela au niveau mondial dans son article de 2001 intitulé "Does oil hinder democracy?". Nathan Jensen et Leonard Wantchekon l'ont fait pour l'Afrique dans leur article "Resource wealth and political regimes in Africa". Les deux études ont montré que différentes mesures de l'abondance des ressources naturelles ou de leur importance dans l'économie sont négativement corrélées avec le degré de démocratie d'un pays. Plus le pays est abondant en ressources naturelles, moins il est démocratique : tel était le message retentissant de ces papiers qui est devenu une idée bien ancrée en science politique. On peut penser à de nombreux mécanismes via lesquels cela pourrait fonctionner. Par exemple, lorsque la richesse en ressources naturelles augmente, comme dans les études théoriques dont nous avons parlé, il devient plus lucratif d’être au pouvoir. Ainsi, les dirigeants autocratiques sont mieux préparés à utiliser la répression ou d'autres moyens pour éviter d'avoir à démocratiser leur pays ou pour éviter de perdre le pouvoir s'ils doivent faire face à des élections (ce qui est exactement ce que Biya a fait).

Il y a toutefois un profond problème avec cette littérature. Les études empiriques ont utilisé la variation transversale pour estimer l'effet de la richesse des ressources naturelles sur la démocratie. Pourtant, presque par définition, les pays pauvres dépendent des ressources et la richesse des ressources naturelles est grande par rapport à la taille totale de l'économie ou aux exportations et elle constitue une source de financement pour le gouvernement. Par exemple, les pays pauvres n'ont pas de bons systèmes fiscaux et ils ont donc tendance à s'appuyer sur les rentes des ressources naturelles. Mais les pays pauvres ont également tendance à être beaucoup moins démocratiques. Par conséquent, cette littérature ne considère par l’éventualité que la corrélation entre l’abondance des ressources naturelles (…) et l'autocratie pourrait ne pas présenter de relation causale du tout.

Cette question a été abordée par Stephen Haber et Victor Menaldo qui ont attiré l'attention sur (…) ce qui s'est passé dans un pays au niveau de la démocratie lorsque l'abondance des ressources naturelles ou la dépendance envers ces dernières se modifie. Dans leur article “Do natural resources fuel authoritarianism? A reappraisal of the resource curse”, ils trouvent qu'il n'y a pas du tout d'effet négatif de la richesse des ressources naturelles (le pétrole, en l’occurrence) sur la démocratie. Ils suggèrent même au contraire des effets positifs.

Une telle conclusion ne surprend pas totalement. En fait, il existe une littérature d'études de cas pour le Venezuela qui suggère que la richesse pétrolière était cruciale pour maintenir la démocratie parce qu’elle permettait aux gouvernements démocratiques de financer les dépenses publiques sans taxer les riches et de réduire la menace d'un coup d'Etat. Cet argument a été développé dans Crude Democracy de Thad Dunning, qui affirme que l'abondance des ressources naturelles peut à la fois promouvoir ou retarder la démocratie selon le niveau d’inégalités. Selon son modèle et de son analyse empirique, la richesse pétrolière ne retarde la démocratie que lorsque les inégalités sont faibles. Le travail de Dunning indique que les conclusions de Haber et Menaldo peuvent ne pas clore le débat. Tout comme la richesse en ressources naturelles peut avoir des effets hétérogènes sur la croissance économique en fonction des institutions, elle a probablement aussi des effets hétérogènes sur la démocratie.

Mais quelles sont les facteurs institutionnels et historiques qui jouent un rôle important dans cette hétérogénéité des effets ? Il s'agit d’une question à laquelle personne, à notre connaissance, ne s’est encore attaqué. »

Daron Acemoglu et James Robinson, “Natural resources and political institutions: Democracy“, in Why Nations Fail (blog), 29 mai 2013.


« Michael Ross (…) nous a pointé son nouveau travail avec Jorgen Andersen qui met à l’épreuve les conclusions de Haber et de Menaldo et auquel ceux qui s'intéressent à ce domaine, et en particulier aux facteurs retardant l'émergence de la démocratie au Moyen-Orient, devraient y jeter un coup d’œil. Andersen et Ross font valoir que, même avec des effets fixes de pays, il y a un effet négatif de la richesse pétrolière sur la démocratie, mais pour déceler celui-ci, on a besoin de faire interagir la richesse pétrolière avec une variable muette pour la période postérieure à 1980 (en partie parce que le rôle du pétrole a un peu changé après la hausse des prix du pétrole de l'époque). Donc, le débat se poursuit et il y a probablement encore pas mal de choses à découvrir dans ce domaine ; nous pensons notamment à l'interaction plus détaillée entre des aspects spécifiques des institutions et le rôle de l’abondance des ressources naturelles comme nous le discuterons prochainement. »

Daron Acemoglu et James Robinson, “More on natural resources and democracy”, in Why Nations Fail (blog), 4 juin 2013.

aller plus loin... lire « Le syndrome hollandais ou l'abondance en ressources naturelles comme malédiction »

mercredi 5 juin 2013

Les mécanismes de la malédiction des ressources

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« Nous avons vu dans notre précédent billet que les données internationales suggéraient que les pays dotés d'institutions faibles (caractérisées notamment par un manque d'équilibre des pouvoirs ou par des niveaux élevés de corruption) connaissent une contraction de leur activité lorsqu’ils découvrent les ressources naturelles. La question est : pourquoi ?

Il n'y a pas de consensus parmi les universitaires à ce sujet. Une très belle vue d'ensemble des nombreux arguments est fournie dans une récente revue de la littérature en 2011 par Rick van der Ploeg, expert en économie des ressources, “Natural resources: curse or blessing?”.

Un ensemble d'hypothèses est développé dans notre travail “Economic backwardness in political perspective” et dans l'article de Daron Acemoglu "Modeling inefficient institutions". L'idée est simple : si un dictateur ou un groupe d'élites est prêt à faire des choses inefficaces pour garder le pouvoir (ce fut le cas, comme nous l’avons discuté dans notre ouvrage Why Nations Fail, avec les élites russes et austro-hongrois au début du dix-neuvième siècle qui étaient prêtes à bloquer les chemins de fer et l'industrialisation), alors une plus grande rente des ressources naturelles ne fera qu’aggraver les choses. En particulier, les ressources naturelles vont accroître les "enjeux politiques", alimenter le désir des élites de s'accrocher au pouvoir et les pousser à élargir l'éventail des politiques, institutions et stratégies inefficaces et répressives pour atteindre cet objectif.

(…) De plus grands enjeux politiques ne rendront pas seulement les élites plus enclines à poursuivre des politiques ou une répression inefficaces pour s'accrocher au pouvoir, mais encourageront aussi les groupes qui aspirent à remplacer l’élite à contester le pouvoir pour prendre le contrôle des rentes des ressources naturelles, chose particulièrement probable dans les pays riches en ressources qui sont confrontés aux fréquentes guerres civiles. (…).

Une théorie connexe, peut-être mieux adaptée pour décrire les dynamiques observées au Cameroun, est celle développée par James Robinson en collaboration avec Ragnar Torvik et Thierry Verdier dans leur article “The political economy of the resource curse”. Dans ce modèle, un politicien en exercice essaye de rester au pouvoir lors d’une élection (…) en adoptant des pratiques clientélistes. Dans le modèle, le clientélisme consiste à garantir des emplois dans le secteur public à certains groupes en particulier. Cela est socialement inefficace parce que ces gens sont plus productifs dans le secteur privé, mais le rôle de l'emploi dans le secteur public est de lier les revenus futurs de ces personnes à l’actuel détenteur du pouvoir, les incitant ainsi à soutenir ce dernier lors des élections. S’il y a un boom des ressources naturelles, il devient beaucoup plus désirable pour le gouvernant de rester au pouvoir, si bien qu’il s'engage beaucoup plus agressivement dans le clientélisme et le secteur public s’élargit. Cela tend à réduire le revenu national. Bien sûr, l'augmentation de la richesse des ressources naturelles tend au contre à accroître mécaniquement le revenu national.

L’article montre que l'effet négatif peut être si important qu’il surcompense l'effet positif, si bien qu’une manne de ressources peut finalement se traduire par une baisse du revenu national. Cela se produit lorsque le clientélisme est un moyen très efficace pour rester au pouvoir et l’article l’interprète d’un point de vue institutionnel. Par exemple, lorsqu’il y a peu de freins et de contrepoids ou lorsque l'État est faible, il est alors facile d’ignorer le critère méritocratique pour embaucher dans le secteur public, comme ce fut le cas au Cameroun à la fin des années soixante-dix, auquel cas un boom des ressources naturelles peut réduire le revenu par habitant. »

Daron Acemoglu et James Robinson, « The economic nature of the resource curse: Mechanisms », in Why Nations Fail (blog), 23 mai 2013.

aller plus loin... lire « Le syndrome hollandais ou l'abondance en ressources naturelles comme malédiction »

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