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Tag - monnaie-hélicoptère

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lundi 24 août 2015

L’éthique de la monnaie-hélicoptère

« Le débat sur la monnaie-hélicoptère (helicopter money) porte essentiellement sur des mécanismes macroéconomiques, ce qui est bien sûr normal et (tout du moins pour moi) très intéressant. Mais parce qu’elle se rapproche de la politique budgétaire, la monnaie-hélicoptère soulève aussi des questions éthiques. Jeremy Stangroom les a abordées dans un récent billet. C’est de cela et de questions connexes dont je veux parler ici.

Pour simplifier les choses, focalisons-nous sur un type spécifique de monnaie-hélicoptère. L’Etat met en place un mécanisme de distribution (la trajectoire de l’hélicoptère, si vous voulez) que la banque centrale a la possibilité d’utiliser si les taux d’intérêt menacent de buter sur leur borne inférieure zéro (zero lower bound) et si elle juge que, sans ce mécanisme, l’inflation sera probablement inférieure à sa cible. Si quelques temps plus tard la banque centrale juge qu’elle risque d’être insolvable (…), le gouvernement accepte de la recapitaliser. Donc il n’est pas question d’abandonner la cible d’inflation dans un futur lointain : la monnaie-hélicoptère est utilisée pour éviter que l’inflation soit inférieure à sa cible dans un futur proche.

Cette politique se rapproche d’un impôt censitaire inversé. (…) A la différence d’un transfert de cash du gouvernent qui serait financé par endettement et qui serait presque certainement suivi par une hausse d’impôt (…), avec la monnaie-hélicoptère le gouvernement ne va pas nécessairement accroître les impôts à l’avenir ; cela dépendra du besoin (ou non) de la banque centrale à être recapitalisée.

Les autres différences clés entre la monnaie-hélicoptère et un impôt censitaire inversé est que la monnaie-hélicoptère est mise en œuvre par la banque centrale. Cela va à l’encontre d’une forme d’argument "pas de taxation sans représentation" : les redistributions doivent être réalisées par un gouvernement démocratiquement élu. Cependant, dans le cas de la monnaie-hélicoptère, le mécanisme de distribution est cadré et soutenu par le gouvernement. Plusieurs mécanismes de distribution sont possibles et celui qui sera finalement utilisé sera celui choisi par le gouvernement. Le seul critère qui compte est que le mécanisme doit avoir un impact puissant, immédiat et raisonnablement prévisible sur la demande agrégée. (Financer l’investissement en infrastructures peut être sur cette liste d’usages potentiels pour la monnaie-hélicoptère si l’investissement peut être immédiatement lancé et s’il ne se substitue pas à un investissement que le gouvernement aurait de toute manière entrepris.)

Donc la monnaie-hélicoptère est toujours sanctionnée par le gouvernement. En outre, les circonstances dans lesquelles la monnaie-hélicoptère serait utilisée sont limitées et précisément décrites, et l’agent qui prend ces décisions (la banque centrale) doit rendre des comptes au gouvernement. Bien sûr, plusieurs agences gouvernementales prennent déjà des décisions qui ont de larges impacts sur les individus (…).

Un argument additionnel que nous avons avancé, Mark Blyth, Eric Lonergan et moi-même, est que la politique monétaire conventionnelle implique aussi des redistributions entre les épargnants et les emprunteurs. Jeremy Stangroom soulève ici un bon point : les épargnants et les emprunteurs signèrent leurs contrats de prêt en sachant que les taux d’intérêt pourraient bien augmenter ou diminuer. A l’inverse, personne n’a pris en compte la monnaie-hélicoptère dans son contrat de prêt.

Cependant je pense qu’il y a un point supplémentaire à soulever ici. Les épargnants et les emprunteurs concluent généralement les contrats de dette en termes nominaux et donc ils vont être affectés par des variations de l’inflation. Ils peuvent bien conclure ces contrats de dette dans l’anticipation que l’inflation sera en moyenne égale à la cible d’inflation de la banque centrale. La monnaie-hélicoptère est une manière pour la banque centrale d’assurer que cette anticipation se réalise.

Je pense aussi qu’il est toujours important de discuter de la monnaie-hélicoptère en termes comparatifs, et en particulier de la considérer comme une alternative à l’assouplissement quantitatif. Je pense en effet que c’est un passage obligé lorsque l’on parle de la monnaie-hélicoptère : après tout, la plupart des gens qui proposent d’utiliser la monnaie-hélicoptère le font parce qu’ils pensent qu’elle fait le même boulot que l’assouplissement quantitatif, mais plus efficacement. Dans la mesure où la banque centrale réalise une perte sur l’assouplissement quantitatif (et si ce dernier est temporaire, elle peut réellement faire une perte, ce qui explique pourquoi la Banque d’Angleterre a obtenu du gouvernement qu’il couvre ces éventuelles pertes), cela implique de donner la monnaie nouvellement créée. Dans ce cas, les bénéficiaires sont ceux qui vendirent leur dette publique à la banque centrale et la lui rachètent ensuite. Il n’est pas évident que la plupart des gens considèreraient ces profits distribués par un bras de l’Etat comme justes. (1)

Je pense qu’au final la question éthique repose sur l’ampleur à laquelle le gouvernement peut déléguer les décisions qui ont un impact distributionnel sur la population. Après tout, la contrainte budgétaire pertinente du point de vue du secteur privé est le secteur public consolidé et ce dernier inclut la banque centrale. La monnaie nouvellement émise doit aller entre les mains de quelqu’un. En l’absence d’assouplissement quantitatif, les profits que la banque centrale réalise sont transférés au gouvernement. Avec l’assouplissement quantitatif, il y a une bonne chance que la banque centrale transfère cette monnaie au secteur financier. Avec la monnaie-hélicoptère, la monnaie va à la population. La monnaie-hélicoptère n’a pas été appelée "assouplissement quantitatif pour le peuple" sans raison. Il est clair que l’Etat fournit trop de soutien au secteur financier (…), même sans assouplissement quantitatif.

(1) L’assouplissement quantitatif ne consiste pas à acheter des actifs dans l’objectif de réaliser un profit. La banque centrale achète la dette publique existante quand elle est chère, parce que l’assouplissement quantitatif est mis en œuvre quand les taux de court terme courants et anticipés sont faibles, et elle la revend lorsque les taux d’intérêt sont plus élevés (on anticipe une inversion de l’assouplissement quantitatif après la hausse des taux courts). Cela sauve l’argent public sur les paiements d’intérêt, mais cela implique aussi une perte de capital. »

Simon Wren-Lewis, « The ethics of helicopter money », in Mainly Macro (blog), 9 août 2015. Traduit par Martin Anota

mercredi 19 août 2015

La monnaie-hélicoptère et l’assouplissement quantitatif de Corbyn

« Les politiciens aiment souvent reprendre des termes apparemment attrayants pour défendre leurs propres idées, même s’ils doivent pour cela en détourner le sens. Osborne a par exemple annoncé une forte hausse du salaire minimum, mais en l’appelant "salaire de subsistance". C’est vraiment sournois, dans la mesure où les calculs du salaire de subsistance actuel intègrent les crédits d’impôts qu’Osborne prévoit de réduire.

Est-ce que l’"assouplissement quantitatif des gens" (Peoples QE) du travailliste Jeremy Corbyn est un exemple du même genre ? Il est certainement vrai que certains macroéconomistes (y compris moi-même) utilisent ce terme de manière différente que Corbyn. Pour nous, l’assouplissement quantitatif pour les gens est juste un autre terme pour qualifier la monnaie-hélicoptère. Le terme de monnaie-hélicoptère a été utilisé pour la première fois par le radical Milton Friedman. Elle implique que la banque centrale crée de la monnaie et la distribue directement aux gens d’une manière ou d’une autre. C’est une façon efficace (1) pour la banque centrale de stimuler la demande globale : ce que les économistes appellent parfois une relance budgétaire financée par monnaie.

L’idée a été récemment reprise, principalement au Royaume-Uni par Adair Turner, en raison de l’échec de la politique monétaire conventionnelle (consistant à faire varier les taux d’intérêt réels) à mettre un terme rapidement à la Grande Récession. Cette dernière fut, elle-même, aggravée par l’adoption de plans d’austérité par les gouvernements (une contraction budgétaire financée par obligations) en lieu et place aux plans de relance. Les banques centrales au Japon, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, et désormais de la zone euro, ont créé de la monnaie pour acheter des actifs financiers (principalement de la dette publique), à travers ce qui s’appelle l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Voici d’où vient le terme "assouplissement quantitatif pour le peuple" pour la monnaie-hélicoptère : au lieu que la banque centrale crée de la monnaie pour acheter des actifs, elle crée de la monnaie pour la donner aux ménages.

La genèse de l’assouplissement quantitatif de Corbyn semble assez différente. Richard Murphy, le conseiller de Corby, avait précédemment suggéré ce qu’il appela une "Infrastructure Verte", qu’il décrivit comme un "nouveau programme consistant à acheter les obligations émises par la Banque d’Investissement Vert afin de financer l’énergie soutenable, par les autorités locales afin de payer de nouveaux logements, par les services de santé afin de construire de nouveaux hôpitaux et par les autorités chargées de l’éduction afin de construire des écoles". C’est lié à deux idées : premièrement, à idée presque universellement acceptée parmi les macroéconomistes selon laquelle l’Etat doit accroître ses investissements dans les infrastructures lorsque les taux d’intérêt sont faibles et le travail peu cher et, deuxièmement, à l’idée qu’une Banque d’Investissement Nationale puisse être utilisée pour encourager l’investissement du secteur privé. (…)

La principale différence entre la monnaie-hélicoptère et l’assouplissement quantitatif de Corbyn semble par conséquent résider dans la destination à laquelle est promise la monnaie créée par la banque centrale : aux individus sous la forme d’un chèque envoyé par la banque centrale ou au financement de projets d’investissement. Je pense que c’est erroné. Pour voir pourquoi, nous devons poser une question évidente : qu’est-ce que cette innovation est censée réalisée ? Je pense que c’est ici où la confusion apparaît.

Comme je l’ai noté ci-dessus, l’idée derrière la monnaie-hélicoptère est de fournir un outil que la banque centrale pourrait utiliser quand les variations du taux d’intérêt ne sont plus possibles ou ne sont plus efficaces. Avec une banque centrale indépendante, cela signifie que c’est elle, et non le gouvernement, qui décide quand la monnaie-hélicoptère doit être émise. A l’inverse, si votre but est d’accroitre l’investissement public ou privé (ou les deux) pour une période prolongée, alors son calendrier et son montant devraient être décidés par le gouvernement. Alors que l’assouplissement quantitatif est susceptible d’être rarement utilisé, l’objectif d’une banque d’investissement est censé porter sur le plus long terme, c’est-à-dire au-delà de l’horizon des seules sévères récessions.

Pour cette raison, l’assouplissement quantitatif de Corbyn semble être l’une de ces idées qui sont attrayantes parce qu’elles semblent faire d’une pierre deux coups, mais après réflexion elle se révèle être une mauvaise idée. Si nous voulons garder une banque centrale indépendante, nous ne voulons pas que le gouvernement puisse exercer des pressions sur la banque pour qu’elle adopte l’assouplissement quantitatif au motif qu’il désire davantage d’investissements, et si cela ne survient pas nous ne voulons pas d’une banque centrale qui décide s’il doit y avoir un supplément d’investissement. En effet, certains des détracteurs de l’idée de monnaie-hélicoptère ont déjà profité de la proposition d’assouplissement quantitatif de Corbyn pour dire "Nous vous avons bien dit que la monnaie-hélicoptère est une pente glissante qui ne peut que conduire à la fin de l’indépendance de la banque centrale !"

Cependant je pense que c’est injuste et stérile d’en rester là. Supposons qu’une Banque d’Investissement Nationale soit créée, non pas en s’appuyant sur l’assouplissement quantitatif, mais en utilisant des formes de financement plus conventionnelles. (Si le gouvernement veut encourager cela, il n’a qu’à subventionner ce financement avec l’emprunt conventionnel. Ne retardez pas cela en nourrissant un fétichisme du déficit.) Supposons que nous adhérions aussi au concept de monnaie-hélicoptère, non pas pour le mettre en œuvre aujourd’hui, mais pour la prochaine fois que les taux d’intérêt buteront sur leur borne inférieure et que la banque centrale veut stimuler davantage l’activité. Dans ces circonstances, il peut faire sens d’utiliser la monnaie-hélicoptère, non seulement pour envoyer des chèques aux individus, mais aussi pour avancer l’investissement financé par la Banque d’Investissement Nationale ou l’investissement public directement financé par l’Etat. Si ces projets d’investissement peuvent être lancés rapidement et s’ils n’auraient pas pu être lancés pendant quelques temps autrement, alors ce que j’ai auparavant décrit comme de la "monnaie-hélicoptère démocratique" fait sens (2). C’est parce que l’investissement (qui stimule par ailleurs notamment l’offre) est susceptible de constituer une forme de relance bien plus efficace que l’envoi de chèques aux individus.

Donc, un jour, cette forme d’assouplissement quantitatif que Corbyn appelle de ses vœux pourrait être adoptée. Mais il faut tout d’abord accepter en tant que telles l’idée de monnaie-hélicoptère et la nécessité d’un investissement public et d’une Banque d’Investissement Nationale. Il serait peu judicieux de combiner les deux idées aujourd’hui et cela risquerait de discréditer deux idées potentiellement bonnes.

(1) A moins que vous croyez en une parfaite équivalence ricardienne.

(2) Quand j’ai soulevé l’idée d’une "monnaie-hélicoptère démocratique" à Tim Harford, ce dernier a répondu qu’il s’agissait probablement de l’idée la plus radicale et politiquement infaisable qu’il ait entendue. Si Corbyn gagne, je vais avoir le plaisir de le lui rappeler ! »

Simon Wren-Lewis, « Peoples QE and Corbyn’s QE », in Mainly Macro (blog), 16 août 2015. Traduit par Martin Anota

mercredi 12 août 2015

La banque centrale, la monnaie-hélicoptère et le conservatisme budgétaire

« Je veux faire le lien entre deux billets traitant de sujets apparemment différents. Le premier est celui de Fergus Cummung de la Banque d’Angleterre sur la monnaie-hélicoptère, et le second est celui de Jon Cruddas, parlementaire travailliste, cherchant à expliquer la défaite du parti travailliste aux élections.

Eric Lonergan a déjà répondu de façon détaillée au billet de Fergus Cumming. Je vais seulement faire deux observations. Voici une phrase importante tirée des premières lignes : "ce billet explique pourquoi une telle politique est différente de l’assouplissement quantitatif, pourquoi elle n’est pas susceptible d’être plus efficace que les mesures budgétaires conventionnelles et les embuches qui lui sont associées".

Lisez ce passage soigneusement : il indique que la monnaie-hélicoptère sera présentée comme différente de l’assouplissement quantitatif, mais qu’elle sera ensuite comparée, non pas avec l’assouplissement quantitatif, mais avec les mesures budgétaires conventionnelles. Si cela vous semble étrange (dans la mesure où, en principe, la banque centrale met en œuvre l’assouplissement quantitatif et, selon les propositions les plus sérieuses, mettrait en œuvre la monnaie-hélicoptère, tandis que les gouvernements assurent la politique budgétaire), c’est normal (…).

Après, en parlant à propos de ce qui peut se passer si (et c’est bien un "si") la banque manque d’actifs à vendre après qu’elle ait émis de la monnaie-hélicoptère, il écrit : "Dans un certain sens, la banque centrale est désormais "insolvable". (…). Typiquement, un gouvernement peut recapitaliser la banque centrale en lui donnant des titres publics. Mais cela nécessite d’émettre une nouvelle dette, toutes choses égales par ailleurs, qui ramène la relance initiale à un simple transfert budgétaire, financé par émissions d’obligations".

Donc la monnaie-hélicoptère qui est financée après en recapitalisant la banque centrale est juste similaire à une relance budgétaire normale et elle n’est par conséquent pas problématique du point de vue de la banque centrale. Peut-être que, pour cette raison, elle n’est pas davantage discutée dans le billet, mais cela ôte toute justification à la plupart des choses que l’on peut entendre à propos des risques associés à la monnaie-hélicoptère. Après tout, la Banque d’Angleterre s’est déjà attaquée à la question de l’éventuelle "insolvabilité" résultant des pertes associées à l’assouplissement quantitatif et sa réponse a été d’obtenir du gouvernement qu’il s’engage à la recapitaliser si nécessaire. Il semble évident que la même solution peut s’appliquer au cas de la monnaie-hélicoptère. En d’autres mots, quel est problème ? Cela ne fait seulement sens d’ignorer cette possibilité parce que la monnaie-hélicoptère est comparée à la politique budgétaire plutôt qu’à l’assouplissement quantitatif, quelque chose qui, comme nous devons le voir, fait peu sens.

La conclusion clé du billet est : "Pour que la monnaie hélicoptère marche, les ménages et entreprises doivent croire que tous les futurs banquiers centraux et gouvernements devront abandonner le ciblage d’inflation".

Cela ne découle pas forcément de ce que nous avons dit. Comme nous l’avons déjà vu, l’émission de monnaie-hélicoptère qui est suivie par une recapitalisation si elle s’avère nécessaire évite tout problème d’inflation. En outre, cette déclaration suppose implicitement que la banque centrale est toujours capable d’atteindre sa cible d’inflation. C’est un peu comme si vous supposiez votre conclusion. Si l’inflation et l’écart de production (output gap) sont tous deux inférieurs aux niveaux que la banque centrale veut atteindre, alors le bon montant de monnaie-hélicoptère ne va pas entraîner l’insolvabilité de la banque centrale, mais va permettre à cette dernière d’atteindre sa cible.

Jon Cruddas présente des données tirées des sondages d’opinion à propos des raisons expliquant pourquoi le parti travailliste a perdu les élections de 2015. Le titre en est : "le parti travailliste a perdu parce que les électeurs pensaient qu’il était contre l’austérité". Ses preuves empiriques semblent très simples. Quand on demanda aux électeurs s’ils étaient d’accord avec la phrase "nous devons vivre selon nos moyens, donc la réduction du déficit est la priorité", la plupart se sont déclarés d’accord avec celle-ci. (…) C’est un peu comme demander si les gens sont d’accord avec la déclaration "la protection sociale est hors de contrôle, donc le gouvernement doit prendre des mesures afin de réduire les prestations sociales". Il n’est pas clair comment la réponse à cette question justifie le titre selon lequel les électeurs britanniques croyaient que le parti travailliste était contre l’austérité. Cependant je suis d’accord avec la conclusion finale de Cruddas. La voici : "Nous pouvons chercher à changer les idées du public, mais il vaut mieux les ignorer". La politique du parti travailliste juste avant les élections de 2015 sembla consister à essayer d’ignorer la question.

Quelle est le lien entre les deux billets ? Cruddas suggère que les électeurs britanniques sont conservateurs en ce qui concerne le Budget. En effet si nous prenons la réponse du sondage pour argent comptant, les électeurs préfèrent que le Budget soit équilibré, même durant les récessions. Si les politiciens suivent ou exploitent ce conservatisme, cela signifie que la politique budgétaire contracyclique appropriée risque de ne pas être mise en œuvre lorsque l’économie subit une récession sévère et qu’une politique budgétaire inutile et a davantage de chances d’être mise en œuvre. Par conséquent, il est bizarre de rejeter l’idée de la monnaie-hélicoptère au motif qu’elle présente des similarités avec les mesures budgétaires appropriées.

L’idée de la monnaie-hélicoptère a gagné en popularité en raison de l’absence de réponse appropriée de la part de la politique budgétaire et des insuffisances de l’assouplissement quantitatif. Aussi longtemps que la plupart des politiciens dominants continuent de se montrer hostile à l’idée d’adopter une politique budgétaire sensée dans une récession couplée à une trappe à liquidité, les critiques de la monnaie-hélicoptère devront cesser de supposer que cette politique budgétaire sensée sera adoptée. C’est étrangement hypocrite de la part des personnes travaillant dans les banques centrales qui mettent en œuvre l’assouplissement quantitatif en partie à cause d’actions budgétaires inappropriées de comparer tout d’abord la monnaie-hélicoptère, non pas à l’assouplissement quantitatif mais aux mesures budgétaires censées qui ne sont pas adoptées et d’ignorer ensuite le cas où la monnaie-hélicoptère se substitue efficacement à ces mesures. C’est comme si l’on disait : j’adopte la seconde meilleure politique B parce que la première meilleure politique A n’est pas mise en œuvre, mais je ne vais pas adopter la politique C parce qu’elle peut être similaire à A ! Je commence à me dire que les critiques de la monnaie-hélicoptère sont vraiment infondées. »

Simon Wren-Lewis, « The Bank, helicopter money and fiscal conservatism », in Mainly Macro (blog), 6 août 2015. Traduit par Martin Anota

jeudi 28 mai 2015

Pourquoi la monnaie-hélicoptère est un problème d’économie politique

« Lorsque l’économie se retrouve en récession en raison d’une demande globale insuffisante, alors même que les taux d’intérêts nominaux butent sur leur borne inférieure zéro, le gouvernement devrait logiquement adopter une relance budgétaire selon un point de vue strictement macroéconomique. C’est précisément la situation à laquelle nous sommes confrontés et pourtant les gouvernements ne sont obsédés que par la réduction de leur dette et de leurs déficits, si bien que nous nous retrouvons en avec une austérité budgétaire.

Il est important de comprendre que cette obsession des déficits n’exprime pas une inquiétude quant à la soutenabilité à long terme des finances publiques. Et ce pour deux raisons. Premièrement, si les gouvernements s’inquiétaient vraiment de la soutenabilité de la dette publique à long terme, ils n’adopteraient pas de plan d’austérité aujourd’hui (c’est-à-dire à un instant où celle-ci est particulièrement coûteuse), mais ne resserreraient leur politique budgétaire qu’une fois le problème de la borne inférieure zéro loin derrière nous. En fait, les gouvernements devraient plutôt craindre que leurs plans d’austérité détériorent la soutenabilité à long terme de leur dette publique, en raison des effets d’hystérèse mis en évidence par DeLong et Summers (notez que leurs arguments peuvent également s’appliquer à l’impact d’une réduction de l’investissement public même s’il n’y a pas d’effets d’hystérèse). Deuxièmement, les gouvernements semblent heureux de réduire les déficits courants en utilisant des mesures qui détournent l’attention de la soutenabilité à long terme (car elle aggrave leur contrainte budgétaire intertemporelle). Les privatisations à prix cassés en sont un exemple évident. (…)

Le problème d’économie politique qui se pose est que les gouvernements sont obsédés avec les déficits de ces prochaines années. D’un point de vue macroéconomique, il y a une manière évidente de contourner cette obsession du déficit qui consiste à financer toute relance budgétaire en utilisant la création monétaire plutôt que la dette publique. Au cours d’une récession, créer de la monnaie ne génère pas de tensions inflationnistes, comme nous avons tous le voir ces dernières années avec l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Le problème avec cette solution tout droit sortie des manuels (que l’on qualifie souvent de "relance budgétaire financée par création monétaire"), c’est que nous l’avons exclue en rendant les banques centrales indépendantes. Les gouvernements ne peuvent créer de la monnaie pour financer la relance budgétaire. Les banques centrales créent de la monnaie (…) mais elles ne peuvent l’utiliser que pour acheter des actifs. Qu’importe le problème d’économie politique que l’indépendance des banques centrales est censé résoudre, celle-ci a fortement restreint nos options en termes de politique économique.

La monnaie-hélicoptère apparaît comme une solution évidente à ce problème. Mais elle est susceptible de provoquer un autre problème. La monnaie-hélicoptère est un moyen très efficace par lequel les banques centrales injectent de la monnaie dans le système pour accroître la demande globale, mais ce processus n’est pas réversible. En effet, personne ne va proposer qu’une banque centrale prenne de la monnaie de chaque citoyen. Donc que se passe-t-il, une fois que la récession est finie, si la banque centrale désire réduire le montant de monnaie en circulation dans le système ?

Comme l’expliquent Eric Lonergan, Cecchetti et Schoenholt, c’est la seule raison expliquant pourquoi le bilan des banques centrales se révèle important. Si la banque centrale manque d’actifs à vendre, elle pourra difficilement retirer du système la monnaie qu’elle a injectée avec son hélicoptère. Ce problème n’est pas nouveau. Il se pose déjà avec les pertes potentielles associées à l’assouplissement quantitatif. Au Royaume-Uni, la banque centrale a réglé ce problème en obtenant du Trésor qu’il couvre ces éventuelles pertes. Il y a plusieurs choses que la banque centrale peut faire si elle manque d’actifs à vendre suite à l’émission de monnaie-hélicoptère, mais la plus simple d’entre elles est de généraliser cet accord. Les gouvernements doivent s’engager à fournir aux banques centrales les actifs dont elles ont besoin pour contrôler l’inflation.

Rendre explicite le "soutien budgétaire" des banques centrales impose aussi un passif contingent sur les gouvernements. La monnaie-hélicoptère génère un passif contingent, ce qui détériore la position budgétaire à long terme du gouvernement. Mais comme nous l’avons vu, ce n’est pas la principale préoccupation des gouvernements. Le gouvernement britannique ne voit pas d’objection à l’assouplissement quantitatif au motif qu’il lui impose un passif contingent. Tout ce qui importe, c’est qu’il n’accroisse pas les déficits prévus pour les cinq années suivantes.

Alors qu’Eric Lonergan estime que les banques centrales ne doivent pas s’inquiéter pour leur bilan, Cecchetti et Schoenholtz estiment de leur côté qu’elles ont raison de s’en inquiéter, pour des raisons politiques plutôt qu’économiques. Si le bilan ne la banque centrale n’est pas robuste, elle devient dépendante du gouvernement, ce qui compromet son indépendance. Cet argument n’est pas très solide. Il suggère que l’indépendance de la banque centrale consiste à protéger la population face à un gouvernement de cauchemars qui ferait tout son possible pour avoir une forte inflation. Comme je l’ai affirmé ici, un gouvernement qui désire une forte inflation ne va pas laisser sa banque centrale indépendante. Il est également ironique de voir que les banques centrales s’inquiètent toujours à propos des gouvernements dépensiers inflationnistes alors même que notre principal problème aujourd’hui est que les gouvernements considère la réduction de la dette publique comme prioritaire sur le reste, notamment sur la santé de l’économie. La combinaison d’un gouvernement qui est obsédé avec son déficit courant et une banque centrale qui est obsédée par une hypothétique inflation future est un dangereux mélange. »

Simon Wren-Lewis, « Why helicopter money is a political economy issue », in Mainly Macro (blog), 27 mai 2015. Traduit par Martin Anota

dimanche 24 mai 2015

Nous voulons des hélicoptères !

« (…) Au Royaume-Uni, par exemple, le comité de politique monétaire a une marge de manœuvre pour davantage réduire ses taux d’intérêt. (Je pense que la Banque d’Angleterre doit utiliser cette marge de manœuvre maintenant, mais je me pencherai sur cette question un autre jour.) Mais, comme Mark Blyth, Eric Lonergan et moi-même l’affirmons dans les pages de The Guardian, si quelque chose de sérieux se passait ces deux prochaines années ou si une autre crise financière survenait au cours des deux prochaines décennies, la politique monétaire serait sous-équipée.

Est-ce que cela signifie que je ne pense plus que ce soit une bonne idée d’adopter une relance budgétaire au cours d’une récession lorsque les taux d’intérêt nominaux sont à leur niveau plancher ? Bien sûr que je le crois toujours ! En effet, la monnaie-hélicoptère s’apparente finalement à une réduction d’impôts. Pourtant, la monnaie-hélicoptère n’est pas la forme idéale de relance budgétaire, notamment parce qu’il n’est pas certain que les ménages la dépenseront. J’estime qu’elle est moins efficace qu’un surcroît d’investissement public, comme le tendent à confirmer les analyses macroéconomiques et microéconomiques (1). Michael Spence rejoint une longue liste d’économistes importants (aux côtés de Kenneth Rogoff) estimant qu’un surcroît d’investissement public dans les pays de l’OCDE serait bénéfique.

Nous continuerions à exiger des gouvernements qu’ils ne le reconnaissent, mais nous devons accepter le fait qu’ils ne nous écouteront pas. En termes politiques, la nécessité de réduire les déficits apparaît comme la plus impérieuse. (Peut-être que les choses changent aux Etats-Unis, mais tant que les républicains ne perdent pas de pouvoir, je ne serais pas optimiste.) L’une des constats les plus désespérants que l’on puisse tirer de la victoire des conservateurs aux récentes élections au Royaume-Uni est que l’obsession du déficit semble être une stratégie gagnante, aussi longtemps que l’austérité est frontale, ce qui explique pourquoi Osborne projette de la poursuivre.

Parce que la monnaie-hélicoptère est principalement une forme de relance budgétaire et parce que la plupart des macroéconomies s’accorde pour dire que la relance budgétaire est efficace dans une trappe à liquidité, le débat autour de la monnaie-hélicoptère est essentiellement une question politique. L’insuffisance persistante de la demande entraîne de larges coûts pour la société, alors même que nous aurions pu l’éliminer rapidement. Les politiciens ne vont pas entreprendre une relance budgétaire financée par emprunt parce qu’il est plus rentable pour eux de donner crédit aux histoires effrayantes racontées à propos de la dette publique. Par conséquent, nous ne pouvons compter que sur une relance budgétaire financée par création monétaire, dont la monnaie-hélicoptère n’est qu’une forme parmi d’autres. Lorsque les banques centrales sont indépendantes, cela signifie leur donner le pouvoir d’émettre de la monnaie-hélicoptère.

Je pense que le plus grand obstacle à la monnaie-hélicoptère, ce sont probablement les banques centrales elles-mêmes. Il y a deux raisons à cela. Premièrement, elles sont trop optimistes à propos de l’efficacité qu’il y a à créer de la monnaie pour acheter des actifs financiers (dans le cadre de ce que l’on appelle l’assoupissement quantitatif), alors même qu’elles vont très certainement créer davantage de monnaie qu’avec la monnaie-hélicoptère pour un résultat encore moins certain. Deuxièmement, les banques centrales craignent que si elles créent de la monnaie aujourd’hui, elles se révéleront incapables de contrôler l’inflation dans le futur, comme si un gouvernement moderne dans une démocratie avancée refuserait de leur fournir les actifs qu’elles réclament.

Le consensus parmi les macroéconomistes est que c’est une bonne idée que les banques centrales soient indépendantes. Une idée largement partagée est que la tâche de stabilisation macroéconomique est mieux réalisée si elle est déléguée. Mais rendre les banques centrales indépendantes ne suffit pas pour déléguer complètement la tâche de la stabilisation macroéconomique, en raison du problème de la borne inférieure zéro pour les taux d’intérêt nominaux. En effet, l’indépendance des banques centrales rend plus difficile de résoudre le problème de la borne inférieure (en l’occurrence l’adoption d’une expansion budgétaire financée par création monétaire). La monnaie-hélicoptère est une manière de compléter la délégation de la politique de stabilisation.

(1) J’ai déjà suggéré (notamment ici) comment nous pourrions adopter une "monnaie-hélicoptère démocratique" qui puisse nous faire bénéficier d’un supplément d’investissement public, mais je peux me contenter de la monnaie-hélicoptère sous sa forme la plus simple aujourd’hui. »

Simon Wren-Lewis, « We want helicopters, and we want them… », in Mainly Macro (blog), 22 mai 2015. Traduit par Martin Anota

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