Annotations

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Tag - monnaie-hélicoptère

Fil des billets

mercredi 18 mars 2015

La relation entre le ciblage du PIB nominal, le relèvement de la cible d’inflation et la monnaie-hélicoptère

« Supposons que la baisse des prix du pétrole annonce cinq années de croissance significativement supérieure à la moyenne dans les économies de l’OCDE ; nous évitons la déflation, mais malgré une forte croissance, nous parvenons à maintenir l’inflation à sa cible, voire même à un niveau inférieur à celle-ci. Même si cela se passe ainsi, l’histoire de la Grande Récession restera celle d’un drame. Si vous comparez l’endroit où nous sommes avec celui où nous aurions pu être si la crise financière n’avait pas eu lieu, vous constateriez un large fossé entre les deux. Même si nous parvenions par chance à refermer cet écart au cours des cinq prochaines années, cette très lente reprise va nous coûter cher. Dans certains pays (essentiellement en zone euro) ce coût se traduit actuellement par des taux de chômage élevés, tandis que dans d’autres (les Etats-Unis par exemple) il se traduit par une stagnation ou un déclin des salaires réels. (Le Royaume-Uni est désormais dans le second groupe : si vous êtes fatigué d’entendre ça de moi, vous pouvez lire ceci de John Van Reenen.)

Y a-t-il des leçons à tirer de ça ? Vous pouvez probablement diviser le groupe des économistes en deux camps sur ce point. Un groupe, le groupe de l’offre (qui inclurait la plupart de ceux qui décident de la politique monétaire) tend à penser que nous avons fait le mieux que nous puissions faire dans ces circonstances. Par circonstances, j’entends deux choses liées : une hausse assez surprenante de l’inflation durant 2011 et un déclin apparent de la capacité du côté de l’offre de l’économie à croître au même rythme qu’avant la crise. Si le premier fait est indéniable, le second reste à démontrer, parce que nous ne pouvons observer le principal moteur de la croissance à long terme, en l’occurrence le progrès technique.

Le second groupe d’économistes attribue avant tout la lenteur de la reprise suite à la crise financière à une insuffisance de la demande agrégée. J’appartiens à ce second groupe et j’ai régulièrement affirmé que l’austérité budgétaire avait beaucoup contribué à la lenteur de la reprise. (…) Toute hausse nouvelle de l’inflation autour de 2011 aurait été modeste et temporaire, auquel cas il n’y aurait pas eu nécessairement une hausse de taux d’intérêt avec une politique monétaire raisonnable.

Je pense que la plupart des membres du second groupe partagent également l’idée qu’il serait une grande erreur d’ignorer cette mauvaise expérience en le considérant comme un événement unique ou comme quelque chose qui survient seulement une fois par siècle. L’histoire de l’évènement unique peut focaliser sur une lecture erronée de la crise de la zone euro : cependant si celle-ci peut expliquer le changement d’attitude de la part de certaines institutions majeures comme le FMI, elle explique plus difficilement pourquoi les responsables politiques autour du monde ont embrassé l’austérité. L’idée qu’il s’agisse d’un événement qui se produit qu’une fois par siècle est fausse parce qu’elle ne prend pas en compte les changements provoqués par l’adoption généralisée de cibles d’inflation de 2 % dans un contexte où il est probable que le taux d’intérêt réel "naturel" reste faible pendant quelques temps.

Différents membres du groupe de la demande ont proposé trois innovations différentes et radicales en matière de politique macroéconomique pour éviter que ce genre d’erreur se reproduise. Il s’agit du ciblage du PIB nominal (NGDP targeting), du relèvement de la cible d’inflation et d’une certaine forme de monnaie-hélicoptère. Est-ce que ces innovations sont complémentaires ou substituables entre elles ?

Certains économistes (notamment les monétaristes de marché) semblent affirmer que changer la politique monétaire en adoptant le ciblage du PIB nominal serait suffisant. Je suis moins optimiste. Un clair avantage du ciblage du PIB nominal (et non le seul avantage) est qu’il amènerait les agents à formuler des anticipations plus expansionnistes durant la récession et lors de la reprise, mais selon moi ceci ne suffirait pas pour empêcher les trappes à liquidité de survenir. C’est parce que l’économie fut confrontée à une trappe à liquidité (les taux d’intérêt nominaux sont incapables de chuter sous un certaine borne autour de zéro) que la Grande Récession fut si sévère ; les épisodes où nous sommes confrontés à une trappe à liquidité sont devenus plus fréquents parce que la cible d’inflation (qu’elle soit explicite ou bien implicite dans le cas du ciblage du PIB nominal) est faible.

Un relèvement de la cible d’inflation est une manière évidente de réduire la fréquence des trappes à liquidité. Si le taux d’intérêt naturel était de 2 %, par exemple, alors avec une cible d’inflation de 4 %, le taux d’intérêt nominal aurait une plus grande marge pour chuter avant que la borne inférieure zéro soit atteinte que si la cible d’inflation était de 2 %. Il est important de noter que cet argument n’empêche pas d’adopter le ciblage du PIB nominal, parce que toute trajectoire de cible pour le PIB nominal inclut une cible implicite d’inflation. Pour cette raison, vous pouvez considérer le ciblage du PIB nominal et un relèvement de la cible d’inflation comme soit complémentaires, soit substituables selon que vous pensez que l’un des deux dispositifs est capable ou non de faire le boulot à lui seul.

La monnaie-hélicoptère consiste finalement à donner à la banque centrale un instrument additionnel, en l’occurrence une forme de relance budgétaire. Dans ce sens, elle se distingue du ciblage du PIB nominal ou du relèvement de la cible d’inflation dans la mesure où, parce qu’elle implique un changement des instruments plutôt que des objectifs de politique monétaire. Pour cette raison, elle peut en principe être complémentaire à ces deux politiques monétaires radicales. D’une certaine manière, la monnaie-hélicoptère est mieux perçue comme une alternative à l’assouplissement quantitatif et il n’y a aucune raison nous amenant a priori à penser que l’assouplissement quantitatif serait incompatible avec un ciblage du PIB nominal ou avec un relèvement de la cible d’inflation. Il est bien sûr possible que la monnaie-hélicoptère rende moins pressante l’adoption de d’autres changements radicaux si elle se révélait être efficace pour faire face aux trappes à liquidité.

(…) Si la première phrase de ce billet s’avérait exacte, il est peu probable que l’un de ces changements radicaux soit adopté avant le prochain épisode de trappe à liquidité. Une période de forte croissance suffira aux autorités pour prétendre que la lente reprise suite à la crise financière était un événement unique ou bien le mieux qu’il y avait à avoir dans ces circonstances. Je pense plutôt qu’au fur et à mesure que l’économie se rapprochera de sa tendance d’avant-crise, les économistes du groupe de la demande convaincront toujours plus d’économistes du groupe de l’offre qu’ils ont eu tort. Ceci va donner une plus grande crédibilité à l’idée que des changements radicaux de politique monétaire sont nécessaires et chaque alternative fera l’objet d’une plus grande analyse et d’un plus grand soutien parmi les économistes avant que l’économie ne bascule à nouveau dans une trappe à liquidité. »

Simon Wren-Lewis, « Radical macro lessons from the Great Recession. The relationship between NGDP targets, a higher inflation target and helicopter money », in Mainly Macro (blog), 17 mars 2015. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Et si les banques centrales ciblaient une inflation de 4 % ? »

« Les banques centrales doivent-elles cibler le PIB nominal ? »

lundi 9 mars 2015

La monnaie hélicoptère peut-elle être démocratique ?

« La monnaie-hélicoptère a commencé comme une expérience de pensée abstraite : la monnaie serait créée et juste distribuée aux individus par hélicoptère. (…) En termes techniques, il s’agit d’une combinaison de politique monétaire (la création de monnaie) et de politique budgétaire (le gouvernement donnant de la monnaie aux individus). Les économistes appellent de telles combinaisons des relances budgétaires financées par création monétaire. Avec le déploiement de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing), on a également parlé d’"assouplissement quantitatif pour les gens" (QE for the people).

Certains ont suggéré que les banques centrales peuvent émettre de la monnaie-hélicoptère sans que soient impliqués les gouvernements. C’est une fantaisie qu’ont concoctée ceux qui n’aiment pas l’idée de gouvernement. D’autres qui n’aiment pas l’idée de politique budgétaire ont suggéré que la monnaie-hélicoptère ne serait pas réellement un transfert budgétaire. C’est aussi un non-sens.

La monnaie-hélicoptère est une forme particulière de relance budgétaire financée par création monétaire. Elle se caractérise par deux aspects clés que ne possèdent pas les autres mesures de relance budgétaire financées par création monétaire. Le premier est qu’elle implique un genre particulier de politique budgétaire. Un hélicoptère qui effectuerait ce transfert budgétaire le ferait aléatoirement, mais ce que la plupart des gens ont en tête est une distribution égale entre toutes les personnes (tous les adultes ?), une sorte d’impôt censitaire inversé ou ce que les économistes appelleraient un transfert forfaitaire.

Je pense que c’est ce second aspect qui s’avère crucial. Vous pouvez imaginer le gouvernement faire un transfert à chacun et vous pouvez aussi imaginer la banque centrale distribuer de la monnaie aux seules personnes qui ont payé un impôt sur le revenu l’année précédente. Le fait que la monnaie hélicoptère soit initiée par la banque centrale semble bien plus comme une caractéristique déterminante. Si le gouvernement pouvait ordonner l’émission d’une monnaie-hélicoptère, nous dirions que la banque centrale ne serait plus indépendante.

Cet aspect caractéristique de la monnaie-hélicoptère est aussi ce qui la rend attractive du point de vue de la stabilisation macroéconomique. (…) Le consensus était avant que la fonction de stabilisation de la demande globale devait être entièrement confiée à la politique monétaire menée par des banques centrales indépendantes, tandis que le rôle de la politique budgétaire au niveau agrégé devait être de se focaliser sur les déficits et la dette publique. Le talon d’Achille de cette idée est que les taux d’intérêt ne peuvent plus être utilisés pour stabiliser la demande globale lorsqu’ils butent sur leur borne inférieure zéro (zero lower bound). L’assouplissement quantitatif essaye de restaurer la demande, mais la monnaie-hélicoptère serait bien plus fiable et efficace. Bien sûr, les gouvernements pourraient réaliser des transferts par eux-mêmes en laissant creuser leur déficit. Mais ces dernières années ont clairement montré qu’ils ont tendance, lors des profondes récessions, à se focaliser sur la seule réduction des déficits publics, si bien que nous nous retrouvons finalement avec une austérité budgétaire en lieu et place de la relance budgétaire. (1)

Le dernier point soulève un possible problème avec la monnaie-hélicoptère : le gouvernement peut saisir l’opportunité (…) pour accroître les impôts ou pour réduire les transferts et nous nous retrouvons finalement à monétiser une partie de la dette publique. On peut espérer que cela ne se passera pas ainsi pour les trois raisons suivantes. Premièrement, les gouvernements sont moins agiles que les banques centrales. Deuxièmement, les bons gouvernements doivent travailler avec les règles budgétaires qui spécifient un plan à moyen terme pour réduire les déficits. Troisièmement, la relance monétaire est seulement temporaire, donc le bénéfice à long terme en termes de réduction des déficits serait bien mince si les gouvernements essayaient de jouer à ce petit jeu. (2)

Si la monnaie-hélicoptère a pour caractéristique d’être mise en œuvre par la banque centrale et si cette politique nécessite toujours la coopération du gouvernement, est-il alors possible d’imaginer une forme de monnaie hélicoptère qui soit plus "démocratique" ? Pourquoi la banque centrale ne pourrait-elle pas donner la monnaie au gouvernement, à condition qu’elle soit utilisée pour accroître les transferts ou pour réduire les impôts d’une certaine manière ? Au lieu de donner la monnaie à tout le monde, notamment aux riches, un gouvernement de gauche pourrait trouver préférable d’accroître les transferts aux pauvres. Un gouvernement de droite pourrait décider de la donner aux "familles qui travaillent dur", ce qui correspondrait à un allègement fiscal. Nous pouvons appeler cela la monnaie-hélicoptère démocratique.

Je crois qu’il existe deux problèmes avec la monnaie-hélicoptère démocratique. Supposons que le gouvernement décide d’utiliser la monnaie pour alléger les impôts des ménages ayant une très faible propension à consommer. Si la banque centrale fixe au préalable le montant de la relance monétaire, elle rend cette relance bien moins efficace. Si elle accroît la taille de la relance après que le gouvernement ait décidé de la manière par laquelle dépenser, cela soumet le gouvernement à des incitations perverses : adoptez des manières inefficaces de stimuler l’économie et nous allons vous donner plus de monnaie.

Une manière de régler ces problèmes serait que la banque centrale et le gouvernement coopèrent sur la taille et la forme de toute relance budgétaire financée par création monétaire. Ceci peut avoir des bénéfices supplémentaires. La plupart des études et des théories suggèrent que la relance budgétaire le plus efficace consiste à accélérer les projets d’investissement public. Avec la monnaie hélicoptère démocratique, la banque centrale et le gouvernement peuvent coopérer sur cette politique, plutôt que d’utiliser une réduction d’impôt ou un transfert budgétaire. Cependant une telle coopération est susceptible de créer un deuxième problème : elle remet en question la perception (et peut-être la réalité même) que la banque centrale soit à la fois indépendante et apolitique.

Etant donné ces problèmes, pourquoi envisager la monnaie hélicoptère démocratique ? Une raison peut être politique. Il y a longtemps, j’ai proposé de donner des pouvoirs limités aux banques centrales qui leur permettraient de changer temporairement un ensemble prédéfini de taux d’imposition. J’ai même défendu cette idée devant la commission parlementaire du Trésor du Royaume-Uni. Dire que les parlementaires ne voyaient pas d’un bon œil mon idée serait un euphémisme. Rendre la monnaie-hélicoptère démocratique est nécessaire pour que les politiciennes la soutiennent.

(1) Combiné avec l’assouplissement quantitative, ceci peut devenir une relance budgétaire financée par création monétaire. Une autre manière d’éviter cette focalisation sur la réduction des déficits serait de faire adopter par les gouvernements une règle budgétaire en vertu de laquelle, lorsque les taux d’intérêt sont susceptibles d’atteindre la borne zéro, la banque centrale, en coopération avec le conseil budgétaire, proposerait d’accroître le déficit en adoptant un plan de relance budgétaire d’une taille donnée. C’est la proposition que nous faisons, Jonathan Portes et moi-même. Si le plan de relance était financé par création monétaire, il s’agirait alors de monnaie-hélicoptère.

(2) Aucune de ces considérations, même collectivement, exclut la possibilité que le gouvernement puisse détourner la monnaie-hélicoptère de cette manière. Cette note de bas de page et la précédente montrent que ce que nous sommes finalement en train de parler ici est bien de l’efficacité des différents mécanismes institutionnels à persuader les gouvernements de mettre en œuvre une relance budgétaire en période de récession et ainsi à éviter l’adoption de l’austérité. »

Simon Wren-Lewis, « Can helicopter money be democratic? », in Mainly Macro (blog), 26 février 2015. Traduit par Martin Anota

lundi 2 mars 2015

La monnaie-hélicoptère et le cauchemar des banques centrales

« Si les banques centrales ont embrassé l’assouplissement quantitative (quantitative easing), pourquoi n’optent-elles pas pour la monnaie-hélicoptère ? Nous savons que la monnaie-hélicoptère est bien plus efficace pour stimuler la demande globale. La monnaie-hélicoptère est une forme de ce que les économistes appellent une relance budgétaire financée par création monétaire. Dans leur configuration actuelle, les banques centrales indépendantes excluent de mettre en œuvre des relances budgétaires financées par création monétaire, parce que l’institution qui peut mettre en œuvre la relance (le gouvernement) n’est pas autorisé à coopérer avec l’institution qui crée la monnaie (la banque centrale indépendante) pour la mettre effectivement en œuvre. Dans un monde où les gouvernements (que ce soit par ignorance ou par dessein) sont obsédés par la réduction des déficits lorsqu’ils ne le devraient pas, il s’avère que la relance budgétaire financée par création monétaire (…) est tout ce qui nous reste pour faire face aux puissants chocs de demande et éviter ainsi de profondes et durables récessions. Donc pourquoi est-ce tabou ?

L’une des raisons expliquant pourquoi cette éventualité est un sujet tabou parmi les banquiers centraux est qu’ils veulent un actif qu’ils puissent revendre plus tard, lorsque l’économie aura pleinement achevé sa reprise. L’assouplissement quantitatif leur fournit un tel actif, mais la monnaie-hélicoptère ne le fait pas. Le cauchemar (comme toujours avec les banques centrales indépendantes) n’est pas l’insuffisance de demande globale que connait actuellement l’économie, mais une potentielle inflation future qu’elles seraient incapables de contrôler.

Voici peut-être la manière la plus facile pour parler de la politique monétaire : la banque centrale injecte de la monnaie dans le système lorsque l’inflation est trop faible et elle retire de la monnaie du système quand l’inflation est trop élevée. L’assouplissement quantitatif crée de la monnaie quand les taux d’intérêt sont à leur borne inférieure zéro (zero lower bound), mais cette monnaie peut être retirée du système plus tard s’il le faut ; pour cela, la banque centrale revend les actifs qu’elle a achetés à travers l’assouplissement quantitatif. La monnaie-hélicoptère injecte aussi de la monnaie dans le système à la borne inférieur zéro, d’une manière bien plus efficace que l’assouplissement quantitatif, mais cette monnaie ne peut être retirée par les seules banques centrales. La banque centrale ne peut exiger que nous remboursions la monnaie-hélicoptère (1).

Si le gouvernement coopère, il n’y a pas de problème. Le gouvernement « recapitalise » tout simplement la banque centrale, soit en augmentant les impôts, soit en émettant davantage de sa propre dette. Les économistes appellent cela le « fiscal backing » pour la banque centrale. Dans l’un ou l’autre cas, le gouvernement retire de la monnaie du système au nom de la banque centrale. Donc le cauchemar pour une banque centrale (…) serait que le gouvernement refuse de faire cela (2).

Quel genre de gouvernement cela pourrait-il être ? L’inflation s’accélère et l’institution ayant pour charge de la ramener sous contrôle émet une requête qui peut être facilement satisfaite par le gouvernement en émettant plus de dette. Un gouvernement qui refuserait de faire cela révélerait ainsi qu’il ne s’inquiète pas de la forte inflation : il préfère un environnement de faibles taux d’intérêt et de forte inflation et il est prêt à paralyser sa banque centrale pour l’obtenir.

Maintenant imaginez un gouvernement présentant de telles préférences. Imaginez-le dans un monde où la banque centrale indépendante n’a pas besoin une recapitalisation et où elle vend des actifs et augmente les taux d’intérêts pour remplir son mandat. Pouvons-nous vraiment croire qu’un tel gouvernement ignorerait ses préférences et laisserait la banque centrale faire ce qu’elle a à faire ? Bien sûr, il ne le ferait pas. Il enfreindrait l’indépendance de la banque centrale en la forçant à ne pas relever ses taux d’intérêt. En d’autres mots, un gouvernement qui refuserait de recapitaliser une banque centrale indépendante est aussi un gouvernement qui n’aurait aucune hésitation à violer l’indépendance de la banque centrale. La détention d’actifs ne protège pas une banque centrale indépendante contre ce gouvernement de cauchemar. (3)

Si les banques centrales sont indépendantes, ce n’est pas pour nous empêcher de devenir comme le Zimbabwe. C’est pour empêcher les gouvernements de prendre de petits risques avec l’inflation pour obtenir un gain politique à court terme. Un jour, on m’avait raconté que le Chancelier (de l’époque) savait bien que les taux d’intérêt devaient alors être relevés pour réduire l’inflation, mais il était hors de question que ce resserrement survienne avant la conférence du parti. Mais ce genre de gouvernement n’est pas le genre de gouvernement qui saboterait délibérément sa propre banque centrale en refusant de la recapitaliser.

Tony Yates écrit à propos de la monnaie-hélicoptère : "une fois que le gouvernement prend goût à cela, comment peut-il résister à ne pas en user davantage ?" Il fait référence à un gouvernement de cauchemar qui va être pris d’une frénésie de dépenses en utilisant la monnaie créée par la banque centrale, mais pas à un gouvernement comme il en existe dans les pays avancés. L’idée qu’un gouvernement parfaitement sobre devienne alcoolique à l’instant même où il voit sa banque centrale émettre de la monnaie-hélicoptère est absurde. Si jamais nous sommes suffisamment malchanceux pour avoir un gouvernement alcoolique, une banque centrale indépendante qui détiendrait quelques actifs à vendre ne suffira pas pour l’empêcher d’accroître l’inflation.

Donc ce cauchemar qui rend la monnaie-hélicoptère taboue est aussi irréaliste que la plupart des cauchemars. La chose réellement étrange est que les banques centrales indépendantes ont déjà eu à se confronter à ce cauchemar. Il est plus que probable que les banques centrales vont réaliser une perte lorsqu’elles revendront les actifs qu’elles ont acquis à travers l’assouplissement quantitatif, si bien qu’elles vont faire face exactement au même problème qu’avec la monnaie-hélicoptère (4). (…) Donc le cauchemar a déjà été combattu. Il semble par conséquent doublement étrange que la monnaie-hélicoptère puisse rester taboue.

(1) La banque central peut simplement prêter la monnaie-hélicoptère. Mais en pratique cela revient à la même chose : un gouvernement qui ne va pas soutenir sa banque centrale va dire aux gens de ne pas rembourser le prêt.

(2) Il est souvent suggéré que, si la banque centrale manquait d’actifs, elle pourrait créer les siens, en émettant de la dette de banque centrale. Ce serait efficace si le gouvernement de cauchemar n’était pas susceptible de durer et si un nouveau gouvernement prenait rapidement le pouvoir et recapitalisait aussitôt la banque. Cependant cette solution semble problématique si le gouvernement est perpétuellement non coopératif et si l’inflation est excessivement élevée, parce que la seule manière par laquelle la banque centrale peut payer les intérêts des actifs qu’elle émet est en créant plus de monnaie. (…)

(3) Une institution judiciaire indépendante peut protéger une banque centrale indépendante. Il serait également possible d’inscrire dans la loi le devoir d’un gouvernement d’assurer qu’une banque centrale indépendante puisse remplir son mandat.

(4) Le gouvernement a accordé une indemnité presque totale à la Banque d’Angleterre pour les pertes qu’elle réaliserait avec l’assouplissement quantitative, mais ce n’est pas le cas des autres banques centrales (cf. Willem Buiter). »

Simon Wren-Lewis, « Helicopter money and the government of central bank nightmares », in Mainly Macro (blog), 22 février 2015. Traduit par Martin Anota

lundi 26 janvier 2015

Quand les pertes des banques centrales importent

« Dans ce billet, j’explique pourquoi le tabou à propos de la monnaie-hélicoptère ou de la relance budgétaire financée par création monétaire n’a plus aucun sens une fois que la banque centrale mène un assouplissement quantitatif (quantitative easing), mais peut néanmoins être dans l’intérêt de certains groupes. Beaucoup de macroéconomistes ont affirmé que nous ne devrions pas considérer les banques centrales de la même manière que les banques commerciales. Une banque centrale ne peut jamais être insolvable, du moins aussi longtemps que les gens utilisent la monnaie qu’elle émet. Elle peut combler les pertes en créant plus de monnaie. Tout ce qui importe, d’un point de vue macroéconomique, est si elle a la capacité de faire son boulot, en l’occurrence de contrôler l’inflation.

Je ne veux pas parler ici du contrôle de l’inflation. En fait, je veux parler de ces pertes et en particulier parler des personnes qui gagnent lorsque la banque centrale réalise ces pertes. Les macroéconomistes tendent à se focaliser sur le contrôle d’inflation, donc laissons cela de côté en imaginant (…) que la banque centrale cible un niveau des prix constant et que la vitesse de circulation de la monnaie (PIB nominale/ monnaie) est constante à long terme, si bien que la base monétaire doit retourner à une certaine valeur constante à long terme pour que la cible soit atteinte. A court terme, la vitesse de la monnaie n’est pas constante et nous pouvons avoir des récessions dues en raison d’une insuffisance de la demande globale (…).

Considérons l’assouplissement quantitatif. La banque centrale crée de la monnaie pour acheter de la dette publique sur les marchés à un moment où la dette est chère, parce qu’elle ne mène un assouplissement quantitatif que lorsque les taux d’intérêt sont faibles (1). Supposons que (…) tous les titres publics que la banque centrale achète proviennent des fonds de pension. Ces fonds vendent les titres et obtiennent de la monnaie en échange (…). Après un certain temps, l’économie connaît une reprise, les taux d’intérêt augmentent et le prix de cette dette publique chute. La banque centrale n’a plus besoin de la dette publique et elle veut réduire le stock de monnaie pour ramener le niveau des prix à sa cible, donc elle vend les titres sur les marchés et plus exactement aux fonds de pension auprès desquelles elles les ont achetées. Comme le prix de ces actifs diminue, la banque centrale réalise une perte. Les fonds de pension retrouvent les titres qu’ils ont initialement vendus, mais ils ont gardé de la monnaie. Ils y ont gagné.

On peut dire que c’est bon pour eux, mais pourquoi devrions-nous nous en soucier ? Eh bien, la banque centrale s’inquiète de ne pas retrouver toute la monnaie qu’elle a émise (elle a réalisé une perte) et pour contrôler l’inflation elle doit retirer plus de monnaie du système. Elle demande au gouvernement de la recapitaliser, ce que le gouvernement fait en accroissant les impôts. Ce qui s’est passé en effet, c’est que la monnaie est passée du contribuable aux fonds de pension.

(…) L’assouplissement quantitatif revient dans ce cas à ce que la banque centrale donne de la monnaie aux fonds de pension. Mais alors, pourquoi est-ce que l’on accepte cela, mais que l’on n’accepte pas l’idée que la banque centrale puisse donner le même montant de monnaie (sa perte sur l’assouplissement quantitatif) directement au public ? (2) Pourquoi n’accepte-t-on pas l’idée que la banque centrale puisse donner volontairement le même montant de monnaie au gouvernement de manière à ce qu’il puisse stimuler l’économie par des moyens budgétaires (c’est-à-dire mener une relance budgétaire financée par création monétaire) ? (3)

Si vous pensez que mon hypothèse à propos des cibles de niveau des prix et de la vitesse de circulation de la monnaie constante à long terme est cruciale dans le raisonnement, imaginons le cas où le respect de la cible d’inflation ne nécessite pas que la monnaie nouvellement créée à long terme (la perte réalisée sur l’assouplissement quantitatif) soit retirée du système. Les fonds de pension y gagnent et personne ne semble y perdre. Mais si cette monnaie avait été jetée d’un hélicoptère, c’est chaque citoyen qui y gagnerait. Donc pourquoi est-il acceptable de créer une nouvelle monnaie et de la donner aux fonds de pension (à travers les pertes réalisées en retirant l’assouplissement quantitatif), mais pas de créer de la monnaie pour la donner aux gens ordinaires ou au gouvernement ? La première action est appelée politique monétaire et personne ne voit de problème à ce que la banque centrale la conduise ; la seconde est appelée politique budgétaire, mais ça, la banque centrale ne la fait pas.

Pourquoi ceci importe-t-il, hors du seul point de vue de la distribution ? Parce que, comme moyen de stimuler l’économie à court terme, l’efficacité de l’assouplissement quantitatif est hautement incertaine comparée à l’efficacité de transferts directs aux citoyens ou aux travaux publics. Nous semblons coincés avec une forme inefficace de relance, parce que quelque chose de plus efficace est tabou (…). Pour le dire de façon plus simple, mais plus provocatrice : il est hors de question qu’une banque centrale donne de la monnaie aux gens ou aux gouvernements, mais il apparaît juste qu’une banque centrale donne de la monnaie au secteur financer. C’est un tabou qui arrange bien certains.

(1) Supposons que ce soit une dette publique émise plusieurs années auparavant, lorsque les taux d’intérêt étaient de 5 %. Donc la dette avec une valeur nominale de 100 € rapporte 5 % d’intérêts. Si les taux d’intérêt sont maintenant de 2,5 %, alors la valeur de cette dette est plus élevée que sa valeur nominale (en effet, quelqu’un pourrait vous donner 200 € pour l’avoir si elle a une longue maturité). Cependant si les taux d’intérêt retournaient à 5 %, la valeur de la dette chuterait de nouveau à 100 €.

(2) Supposons que l’équivalence ricardienne ne tienne pas, donc donner de la monnaie stimule l’activité même si cette monnaie retourne finalement à la banque centrale lorsqu’elle est recapitalisée.

(3) Si la relance budgétaire financée par création de monnaie était sous la forme d’un supplément temporaire de dépenses publiques et si le Trésor finança la recapitalisation de la banque centrale en réduisant temporairement les dépenses publiques, alors nous obtenons ce que j’appelle une « pure » relance des dépenses financée par monnaie. Je ne connais aucune théorie qui dise que ce ne serait pas expansionniste. »

Simon Wren-Lewis, « When central bank losses matter », in Mainly Macro (blog), 20 janvier 2015. Traduit par Martin Anota

vendredi 2 janvier 2015

Le scandale de la zone euro

« Imaginons que l’on apprenne que le budget de l’Union européenne (l’argent qui va au niveau supranational de l’UE pour financer la politique agricole commune et d’autres projets à l’échelle de l’UE) était totalement gâché en raison d’actions prises par les autorités européennes. Par "argent gâché", je n’entends pas de l’argent dépensé sur des choses sur lesquelles il n’aurait pas dû être dépensé (de riches agriculteurs, des projets dont les coûts excèdent les bénéfices, etc.), mais de l’argent qui partirait vraiment en fumée. Imaginez le scandale. Des têtes tomberaient et certains se retrouveraient en prison.

Le Budget de l’UE représente environ 1 % du PIB de l’UE. Or des sommes supérieures à ce chiffre sont actuellement gâchées en zone euro, en raison des actions prises par les autorités de la zone euro. Voici la dernière évaluation de l’OCDE des écarts de production (output gaps) parmi onze pays de la zone euro pour l’année 2013 (en bleu) et 2014 (en rouge).



Un écart de production négatif signifie que la production peut s’accroître davantage (du montant de l’écart) sans pousser l’inflation au-dessus de la cible. Bien sûr, la Grèce est un cauchemar et les choses vont vraiment mal dans les autres "pays périphériques", mais l’écart de production aux Pays-Bas est d’environ - 3 %, il est inférieur à - 2 % en France et il est même inférieur à - 1 % en Allemagne. Estimer les écarts de production est une science imprécise, mais les écarts d’au moins cette taille sont cohérents avec une inflation inférieure à la cible (une inflation d’environ 0,3 %). Donc la production peut s’accroître de 1 % sans répercussions néfastes. C’est l’équivalent du Budget entier de l’UE qui part actuellement en fumée.

Des fois, des écarts de production négatifs sont le résultat de chocs qui ne furent pas anticipés par les responsables politiques (comme la crise financière). Des fois, ils sont provoqués par les autorités publiques pour combattre l’inflation. C’est malheureux que ces choses surviennent, mais c’est parfois nécessaire. Cependant les écarts de production que nous avons en zone euro aujourd’hui ne sont pas justifiés. En fait, ils ont été provoqués par les autorités publiques pour de mauvaises raisons. C’est pour cela qu’on peut parler de scandale.

A ce point, vous pouvez pensez que j’ai tort, que ça a sûrement à voir avec la consolidation budgétaire nécessaire pour réduire la dette publique. Je suis d’accord que c’est en raison de l’adoption de l’austérité budgétaire et en particulier des folles règles budgétaires imposées dans la zone euro. Cependant où était-il urgent de réduire la dette publique, mis à part en périphérie de la zone euro ? L’OCDE estime que le solde budgétaire structurel primaire en zone euro sera un excédent d’environ 1 % du PIB en 2014 comparé à un déficit d’un peu plus de 1 % dans l’OCDE dans son ensemble. Donc même si vous pensez que vous devez embrasser l’austérité pour réduire rapidement les déficits (chose que je ne pense pas), pourquoi les autorités publiques en zone euro l’ont fait plus rapidement qu’au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou au Japon ? Pour atteindre cet objectif, ils ont gâché des ressources à une échelle colossale.

Si vous pensez que quelque chose a changé suite au plan d’investissement de 315 milliards d’euro de Juncker, vous devriez lire ce billet de Frances Coppola. (…) L’argent affecté jusqu’à présent à des projets existants est utilisé pour fournir une assurance aux investissements du secteur privé (qui ne seront pas nécessairement mis en œuvre). Ce genre de relance soulève beaucoup de questions. (…) Il faut se demander comment empêcher les entreprises d’obtenir des fonds pour des projets qu’elles auraient de toute manière entrepris et comment la commission procèdera exactement pour sélectionner les projets où elle affectera ses fonds. Les néolibéraux qui pensent que le gouvernement est inefficace pour dépenser son argent ne doivent pas se sentir à l’aise à l’idée que le gouvernement sélectionne les projets du secteur privé qu’il soutiendra. Cependant un tel schéma ne sera pas surprenant pour quelqu’un comme George Monbiot qui pense que les Etats servent de plus en plus les intérêts des entreprises.

Egalement concernés par ce scandale sont ceux qui prennent les décisions de politique monétaire à la BCE. Citons un excellent billet d’Ashoka Mody. En l’occurrence, il explique pourquoi il est trompeur de simplement regarder le bilan de la BCE pour juger de la force de la politique monétaire non conventionnelle. Il y a une importante différence être créer de la monnaie en renflouant les banques, comme la BCE l’a fait, et créer de la monnaie pour acheter des obligations et ainsi réduire les taux d’intérêt à long terme, ce qui correspond à l’assouplissement quantitatif. Il affirme que la "BCE est destinée à rester la banque centrale avec la politique monétaire la plus restrictive et la plus conservatrice parmi les banques centrales majeures". (…)

J’ai une certaine sympathie pour ceux qui disent que l’assouplissement quantitatif, tel qu’il est mis en œuvre par la Banque d’Angleterre ou la Fed, aurait une efficacité limitée en zone euro. Cependant il y a une manière relativement simple de rendre l’assouplissement quantitatif plus efficace et elle consiste pour les banques centrales à créer de la monnaie, non pas pour acheter des actifs financiers, mais pour la transférer directement aux gens, ce que Friedman appela la monnaie-hélicoptère (helicopter money). John Muellbauer parle d'"assouplissement quantitatif pour le peuple". L’assouplissement quantitatif conventionnel consiste à acheter de larges montants d’actifs avec de possibles pertes pour la banque centrale (si les prix d’actifs chutent), mais avec un impact incertain sur la demande. La monnaie hélicoptère implique de petits transferts avec une perte certaine pour la banque centrale, mais avec des effets positifs bien plus prévisibles sur la demande. (1)

Comme innovation institutionnelle, la monnaie hélicoptère a deux défauts majeurs dans les pays disposant de leur propre banque centrale. (2) Premièrement, il est un peu étrange d’innover lorsque vous pouvez mettre en œuvre exactement la même politique à travers des moyens existants : en termes macroéconomiques, la monnaie hélicoptère est équivalente à un assouplissement quantitatif couplé à des réductions d’impôts lorsque vous ciblez l’inflation. Deuxièmement, une relance budgétaire sous la forme de dépenses publiques additionnelles temporaires est susceptible d’avoir un impact plus prévisible que les transferts ou les réductions d’impôts, parce que vous éliminez l’incertitude entourant la manière par laquelle seront dépensés les revenus de transfert ou les réductions d’impôts.

Mais si la politique budgétaire contracyclique est effectivement illégale en zone euro, ces objections ne s’appliquent pas. L’assouplissement quantitatif pour le peuple peut avoir d’autres mérites dans la zone euro. La BCE est contrainte dans une certaine mesure (incertaine) dans sa capacité à acheter de la dette publique. Mais comme John Muellbauer le suggère, envoyer un chèque à chaque citoyen de la zone euro en utilisant les listes électorales permettrait de contourner ces difficultés légales.

Une objection à l’adoption par la BCE d'un assouplissement quantitatif pour le peuple est que cela l’amènerait à aller au-delà de son mandat. (3) Pourtant la BCE ne semble pas répugner à aller au-delà de son mandat : outre les appels habituels à une consolidation budgétaire et aux "réformes structurelles", une lettre (…) montre que la BCE exigeait d’apporter tout une liste de changements aux réglementations et institutions du marché du travail en Espagne. Donc vous pouvez vous demander pourquoi cela ne pose pas de problème à la banque centrale de faire fi du processus démocratique pour cela, mais qu’il lui semble inacceptable de donner de la monnaie directement aux gens.

Si vous pensez qu’envoyer un chèque à chaque électeur dans la zone euro pour résoudre la récession semble trop beau pour être vrai, alors vous devez chercher à comprendre pourquoi les récessions provoquées par le manque de demande globale lorsque l’inflation est inférieure à sa cible est un inutile gâchis. C’est un problème qui peut être facilement résolu, avec beaucoup de gagnants et aucun perdant. La seule raison expliquant pourquoi peu de gens le comprennent, c’est que nous avons créé un divorce institutionnel entre les politiques budgétaire et monétaire qui obscurcit la vérité. Ce divorce a peut-être permis de stabiliser efficacement l’économie en temps normal et elle décourage peut-être la débauche budgétaire lorsque la demande est forte, mais depuis 2010 elle a entraîné une paralysie scandaleuse en zone euro.

(1) Ces pertes sont seulement notionnelles, puisque la banque centrale n’est pas en activité pour faire du profit. Elles importent seulement si elles compromettent la capacité de la banque centrale à assurer à l’avenir sa mission de lutte contre l’inflation. Il y a plusieurs manières d’écarter le danger, mais ce que je cherche à souligner ici, c’est qu’aucune forme d’assouplissement quantitatif n’est dénuée de coûts pour la banque centrale.

(2) Les banques centrales transfèrent les profits qu’elles réalisent (à travers le seigneuriage) aux gouvernements. Donc l’innovation ici, c’est que c’est la banque centrale et non le gouvernement qui décide comment utiliser ces profits.

(3) Une autre objection est que, dans la mesure où la BCE est libre de définir ses propres cibles, changer le cadre de la politique monétaire pour cibler le niveau du PIB nominal serait une meilleure innovation. Je suis d’accord avec l’idée que ce serait une innovation utile. Je pense toutefois que le mieux reste d’utiliser une politique budgétaire contracyclique, parce que seule celle-ci permet de gérer les chocs spécifiques aux pays. Mais si, pour une quelconque raison, ces changements sont exclus, alors il faut utiliser la monnaie hélicoptère. Si vous êtes un monétariste de marché, considérez celle-ci comme une politique d’assurance. »

Simon Wren-Lewis, « The Eurozone scandal », in Mainly Macro (blog), 29 décembre 2014. Traduit par Martin Anota

- page 4 de 5 -