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Tag - Etats-Unis

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vendredi 29 janvier 2021

Ce que les données sur le PIB américain nous disent à propos de 2020

« Sur une base annuelle, l’économie américaine s’est contractée de 3,5 % en 2020, si bien qu’il s’agit de la plus forte contraction observée sur une quelconque année depuis la démobilisation en 1946 suite à la Seconde Guerre mondiale. L’ample déclin du PIB annuel reflète le très faible niveau d’activité économique que l’on a observé au deuxième trimestre. Avec le rebond relativement rapide au cours de la seconde moitié de l’année, l’économie s’est retrouvée au quatrième trimestre 2020 2,5 % en-deçà de son niveau au quatrième trimestre 2019, si bien qu’il s’agit de l’une des pires contractions sur quatre trimestres que l’on ait pu connaître durant la période d’après-guerre, mais quelque peu moindre que celle observée lors de la pire période au cours de la crise financière mondiale.

Par contre, le revenu disponible personnel (qui soustrait les impôts payés et comprend les revenus de transfert reçus de la part du gouvernement) a connu sa plus forte croissance annuelle depuis 1984, stimulé par les extensions de l’assurance-chômage, les chèques de la relance et le soutien des petites entreprises. Avec les faibles taux d’intérêt qui résultèrent de l’extraordinaire assouplissement monétaire, cela a alimenté de fortes hausses de dépenses dans les nouveaux logements, les biens récréatifs et les véhicules, compensant en partie la forte réduction des dépenses dans les services et l’investissement fixe des entreprises dans les structures.

Globalement, la contraction de l’économie a été considérablement plus faible qu’on ne l’anticipait en début d’année et elle devrait être plus faible que celle observée dans la plupart des autres grandes économies développées. Cela s’explique en partie par la forte réponse de la politique économique et la résilience de l’économie, mais aussi par le fait que les Etats-Unis ont adopté moins de mesures pour contenir la propagation du nouveau coronavirus.

L’économie américaine a fini l’année 2020 avec une production environ 5 % en-deçà de sa trajectoire tendancielle. Les ménages américains ont fini l’année 2020 avec une épargne excessive d’environ 1.600 milliards d’épargne due à la hausse du revenu disponible personnel et à la réduction de la consommation globale (équivalente à environ 7 % du PIB). Si les vaccins peuvent nous permettre de mettre le virus sous contrôle, ces ressources plus les ressources du programme de 900 milliards de dollars du mois de décembre et du plan de relance qui est sur le point d’arriver devraient fournir une demande substantielle pour soutenir une forte reprise économique. Le montant de demande déprendra toutefois de la vitesse avec laquelle la population reviendra à ses niveaux précédents de consommation de services et d’une éventuelle demande apportant un surcroît de consommation. Une plus grosse incertitude relative à l’économie concerne la capacité de l’offre à augmenter de façon à satisfaire une hausse de la demande, en l’occurrence la vitesse avec laquelle les personnes qui ont perdu leur emploi pourront en retrouver un autre.

Voici ci-après (…) des graphiques illustrant certains des points les plus importants de cette publication relative au PIB.

La plus forte contraction annuelle du PIB depuis la démobilisation au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le PIB sur l’ensemble de l’année 2020 a été 3,5 % inférieur à sa valeur sur l’ensemble de l’année 2019. C’est la plus forte contraction du PIB depuis 1946, comme le montre le graphique 1.

GRAPHIQUE 1 Les plus fortes baisses annuelles du PIB réel américain depuis 1946

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Parmi les quatre plus fortes contractions du PIB sur quatre trimestres depuis la démobilisation au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Mesurer la croissance économique entre le quatrième trimestre d’une année et celui de l’année suivante est la meilleure façon de comprendre ce qui s’est passé au cours de l’année. En 2020, il y a eu une contraction massive du PIB au deuxième trimestre, suivie par un rebond substantiel, mais incomplet, aux troisième et quatrième trimestres.

GRAPHIQUE 2 Variation du PIB réel américain sur quatre trimestres (en %)

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La contraction du PIB en 2020 n’a pas été aussi mauvaise que ne l’attendaient la plupart des prédictions au début de l’année. Certes la contraction de l’activité économique en 2020 a été l’une des plus fortes enregistrées, mais les conjoncturistes prévoyaient une chute deux fois plus importantes. A mesure que l’année s’est écoulée et que la vitesse de la reprise initiale et des effets de la politique économique devinrent apparents, les prévisionnistes se montrèrent moins pessimistes.

La contraction du PIB devrait être aux Etats-Unis moins forte que dans d’autres pays développés. Parmi les autres grandes économies développées, seul le Japon, où la pandémie a été moins mortelle et qui a largement évité les plus gros freins sur l’activité économique, devrait connaître une moindre contraction de l’activité que les Etats-Unis.

GRAPHIQUE 3 Prévisions de variation annuelle du PIB dans les principaux pays développés en 2020 (en %)

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La plus forte hausse du revenu personnel disponible annuel depuis 1984. Globalement, le revenu personnel disponible annuel réel a augmenté de 6,0 % en 2020. C’est entièrement dû aux hausses des revenus de transfert versés par le gouvernement, sans lesquels le revenu aurait chuté de 0,9 %. Bien que ce soit un simple indicateur pour l’économie dans son ensemble, plusieurs éléments empiriques suggèrent que les ménages modestes ont connu, en moyenne, des hausses plus fortes du revenu personnel disponible que le ménage moyen. Cependant, les gains agrégés, mêmes ceux concentrés parmi les ménages en bas de la répartition du revenu, dissimulent le fait que des millions de ménages n’ont pas été soutenus par les programmes du gouvernement et ont fait face à d’importantes difficultés tout au long de l’année. (…)

GRAPHIQUE 4 Variation annuelle du revenu disponible aux Etats-Unis (en %)

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L’économie américaine a débuté l’année 2021 avec un excès d’épargne de 1.600 milliards de dollars dû aux revenus plus élevés de 2020 et à la chute de la consommation. Pour l’ensemble de l’année 2020, le revenu personnel disponible était supérieur de 600 milliards de dollars à sa tendance et la consommation inférieure de 1.000 milliards de dollars à sa tendance. Par conséquent, le taux d’épargne était de 16 %, bien au-dessus de la moyenne de 7 % de ces dernières années. Cela laisse les ménages avec un supplément d’épargne de 1.600 milliards de dollars. (Notons que ces totaux incluent seulement les flux d’épargne, non les milliers de milliards de dollars de gains en capital, qui se sont pour l’essentiel entre les mains des ménages à haut revenu.) »

Jason Furman, « What the US GDP data tell us about 2020 », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 28 janvier 2021. Traduit par Martin Anota



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« Anatomie de la récession en cours »

« Quelle reprise de l’activité économique après une pandémie ? »

« L’économie mondiale fait face à l’une des plus sévères récessions de son histoire »

samedi 19 septembre 2020

Inégalités et Covid-19 aux Etats-Unis

« Les inégalités sont par définition multiformes. Non seulement il y a une différence entre les inégalités de revenu et les inégalités de richesse, mais les inégalités peuvent aussi être des inégalités de genre, de race, d’âge, de territoire au sein d’un pays, et ainsi de suite. Quand on se promène dans une ville comme New York, les inégalités nous apparaissent clairement lorsque nous passons d’un quartier à l’autre.

Donc, il n’est pas surprenant que nous puissions voir une relation entre les inégalités (dans leurs diverses incarnations) et les effets de la pandémie. Cela apparaît très clairement, je pense, dans le cas des Etats-Unis, mais aussi probablement dans d’autres pays dévastés comme l’Afrique du Sud, le Pérou, le Brésil et l’Inde.

Les inégalités de santé aux Etats-Unis sont bien connues. Même après l’Obamacare, presque 30 millions d’Américains n’ont pas d’assurance-santé. Beaucoup dépendent de leur emploi pour en avoir une. Quand ils perdent leur emploi, comme ce fut le cas durant la pandémie, ils perdent aussi leur assurance-santé. Les inégalités de santé ont contribué aux décès même si beaucoup d’hôpitaux ont traité les patients sans s’inquiéter à l’idée qu’ils aient ou non une assurance-santé, présentant ainsi un remarquable sens d’esprit civique dont les politiciens semblaient par contre être dépourvus.

Les inégalités d’éducation aux Etats-Unis sont rarement évoquées dans les débats à propos du coronavirus. Mais la faible qualité de l’enseignement primaire et secondaire combinée à grande latitude pour faire l’école à la maison a contribué à un rejet généralisé de la science et des mesures prophylactiques adoptées pour freiner la propagation de l’épidémie. Le fait que les Etats-Unis présentent un fort pourcentage de personnes adhérant aux croyances les plus extravagantes (des reptiliens à la Terre plate), relativement aux pays aux niveaux de vie similaires, n’est pas un accident. Il révèle son aspect nocif durant la crise, lorsque les gens refusent de croire la science lorsqu’elle leur dit ce qui est mauvais pour eux, pour leur famille et pour leurs amis.

Un système fragmenté de prise de décision politique semblait à première vue très utile, face à un gouvernement fédéral ouvertement obstructionniste. Mais cela s’est révélé être illusoire : l’incapacité des plus hautes unités territoriales (comme les Etats) à mettre en application les règles pour contenir la pandémie dans les plus petites juridictions (les comtés) entraîna un chaos administratif. En outre, cela alimenta l’expansion dans la pandémie dans la mesure où le traitement inégal par les régions dans un contexte de libre circulation des personnes diffusa le virus à travers le territoire. Les régions les moins restrictives déterminaient la propagation. Il faisait peu sens d’être responsable dans de telles circonstances, dans la mesure où cela ne faisait que nuire aux entreprises et ne contenait pas la contagion. Donc il y eut une incitation à une irresponsabilité généralisée.

Les inégalités de pouvoir politique deviennent également manifestes. Même quand les administrations au niveau fédéral ou au niveau de chaque Etat fédéré étaient déterminées à imposer des mesures très strictes, elles furent soumises aux pressions acharnées des entreprises. Peu de politiciens, conscients de l’importance du soutien des entreprises pour leur élection, se sont révélés capables de résister à ces pressions. Cela explique pourquoi la Californie s’est retrouvée en pleine débâcle malgré ses succès initiaux.

Les inégalités face à la mort, qui se manifestent notamment par les taux de décès très élevés parmi les noirs et latinos, ont probablement émoussé la réponse politique. Aucune de ces deux communautés n’est politiquement puissante. Parmi les latinos en Californie, beaucoup pouvaient être des immigrés en situation irrégulière, si bien que leur influence politique était encore moindre. Leur mort n’importait vraiment pas.

Au terme de tous ces processus, un pays démocratique semblait être, et se révéla effectivement être, bien plus indifférent aux morts qu’un régime autoritaire comme celui de la Chine. Les Etats-Unis s’inquiètent davantage des entreprises que des morts, mais ils ont fini par connaître une puissante contraction de l’activité économique et atteindre le nombre de morts le plus élevé à travers le monde (en ce mois de septembre). »

Branko Milanovic, « Inequalities and Covid-19 », in globalinequality (blog), 15 septembre 2020. Traduit par Martin Anota



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« Covid-19 : l’épidémie est la plus meurtrière là où les inégalités sont les plus fortes »

« Covid-19 : la pandémie ne manquera pas de creuser les inégalités »

jeudi 18 juin 2020

Une sévère récession aux Etats-Unis

« Le comité de datation du cycle d’affaires du NBER a officiellement annoncé le 8 juin que la récession américaine liée au Covid-19 s’est amorcée en février 2020. Cette annonce a été faite très rapidement après l’occurrence du pic d’activité, en raison de la nature très spécifique de cette récession. Dans ce billet, je compare les récessions américaines depuis la Seconde Guerre mondiale en évaluant leur sévérité, définie comme leur amplitude multipliée par leur durée.

Le 8 juin, le comité de datation du cycle d’affaires du NBER a officiellement annoncé que l’activité américaine avait atteint son pic en février 2020. Certains billets qui ont été précédemment publiés sur Econbrowser suggéraient déjà que le mois de février marquait en effet la fin de la plus longue expansion économique que les Etats-Unis aient connue au cours de leur histoire (128 mois), par exemple ici.

GRAPHIQUE 1 Délais des annonces officielles de récessions par le comité de datation des cycles d’affaires du NBER depuis 1980

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source: NBER

Ce qui est plus surprenant est qu’il a fallu seulement 4 mois au comité de datation du cycle d’affaires pour annoncer officiellement cette récession. En général, le délai entre la date des points de retournement du cycle d’affaires et leur annonce officielle est bien plus long. Le délai moyen (depuis 1980) pour les pics d’activité est de 7,3 mois, alors que le délai moyen pour les creux est de 15,2 mois (cf. graphique 1). Cet écart entre les pics et les creux reflète l’asymétrie bien connue entre les expansions et les récessions. Il révèle aussi qu’il faut plus de temps pour identifier quand une récession s’arrête plutôt que pour déterminer quand une récession commence. En ce qui concerne l’actuelle récession, sa nature spécifique due à un choc externe bien identifié fait que le comité de datation du cycle d’affaires s’est très rapidement décidé à parler de récession.

GRAPHIQUE 2 Amplitude et durée des récessions

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source : Harding et Pagan (2002)

Un autre fait stylisé de l’actuelle récession est son amplitude inhabituellement large. Le PIB américain a chuté de 5 % au premier trimestre de l’année 2020 (en comparaison au quatrième trimestre 2019 en rythme annualisé) et il est susceptible de chuter à nouveau d’environ 40 % au deuxième trimestre 2020 selon les prévisions actuelles de la Federal Reserve Bank of New York et de la Federal Reserve Bank of Atlanta. C’est pourquoi le comité de datation du cycle d’affaires du NBER n’a pas hésité à parler rapidement de récession. Même si la récession est susceptible d’être très brève (deux trimestres selon les prévisions du CBO), sa sévérité est susceptible d’être très élevée. La sévérité d’une récession est définie dans la littérature par son amplitude multipliée par sa durée et divisée par deux (voir Harding and Pagan, 2002, ou Darné and Ferrara, 2011). Comme le montre le graphique 2, l’indice de sévérité mesure la zone du triangle ABC. L’amplitude est mesurée par la chute du niveau du PIB entre le pic et le creux (exprimé en termes de pourcentage), tandis que la durée est donnée par le comité de datation du cycle d’affaires du NBER.

GRAPHIQUE 3 Sévérité des récessions américaines depuis la Seconde Guerre mondiale

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Les indices de sévérité pour les précédentes récessions américaines sont représentés sur le graphique 3. La sévérité de l’actuelle récession est déterminée à partir des prévisions du CBO (-29,6 % au deuxième trimestre 2020 relativement au premier trimestre en rythme annualisé), en supposant donc qu’elle ne durera que deux trimestres. Selon cette hypothèse, nous constatons que la sévérité de la récession du Covid-19 sera large, mais du même ordre de grandeur que celle de la Grande Récession en 2008-2009 (elle sera d’une plus faible durée, mais d’une plus forte amplitude). Donc, cette forte sévérité attendue a poussé le comité de datation du cycle d’affaires du NBER à ne pas attendre autant que d’habitude pour parler officiellement de récession.

Chose intéressante, nous notons aussi que l’indice de sévérité pour les récessions de 2001 et de 1970 est à présent positif (en se basant sur le PIB réel courant du BEA). »

Laurent Ferrara, « A severe US recession », in Econbrowser (blog), 9 juin 2020. Traduit par Martin Anota



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« Covid-19 : de sombres prévisions pour l’économie mondiale »

« Covid-19 : les scénarios du FMI pour la récession mondiale »

« L’économie mondiale fait face à l’une des plus sévères récessions de son histoire »

mardi 21 avril 2020

Le marché du travail américain au cours de la crise du Covid-19

« La propagation du virus Covid-19 et les réponses de la politique publique qu’elle a suscitées ont entraîné une hausse sans précédent des demandes d’allocations-chômage depuis début mars 2020 aux Etats-Unis. Mais les difficultés potentielles dans la capacité des gouvernements des Etats à traiter tant de demandes sur une aussi courte période, combinées au fait que de nombreux travailleurs ne sont pas éligibles aux allocations-chômage, ont amené beaucoup à craindre que les pertes totales d’emplois soient sous-évaluées par ces chiffres.

En utilisant de nouvelles enquêtes menées à grande échelle auprès des ménages américains comme la Current Population Survey menée mensuellement au niveau national, nous identifions trois faits clés à propos des récents développements sur le marché du travail américain.

Premièrement, le taux d’emploi, c’est-à-dire la part des personnes en âge de travailler ayant un emploi, a chuté très brutalement, en passant de 60 % de la population à 52 %. Ce déclin du taux d’emploi est énorme selon les normes historiques et il est plus ample que le déclin total du taux d’emploi durant la Grande Récession. Etant donné que la population en âge de travailler représente environ 260 millions de personnes, cette chute est équivalente à 20 millions de personnes perdant leur emploi.

Deuxièmement, nous observons une hausse bien plus faible du taux de chômage, de l’ordre de 2 points de pourcentage. Certes, cette hausse est la plus forte hausse sur un mois du taux de chômage observée depuis la publication de la première enquête en 1948 (jusqu’à présent, c’était lors de la grève nationale du secteur de la métallurgie en 1949 que le taux de chômage avait connu sa plus forte hausse mensuelle, en l’occurrence de 1,5 point de pourcentage). Mais si toutes les personnes qui venaient de se retrouver sans emploi (comme le suggère la chute du taux d’emploi) étaient comptabilisés comme chômeurs, nous aurions observé une hausse du taux de chômage de 3,5 % en mars 2020 à 16,4 % aujourd’hui, ce qui aurait été le niveau le plus élevé depuis 1939.

La raison expliquant le décalage entre les deux mesures est que beaucoup des personnes qui se retrouvent sans emploi déclarent qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, si bien qu’elles ne sont pas comptabilisées comme chômeuses, mais plutôt comme inactives. C’est cohérent avec le troisième fait que nous observons, à savoir qu’il y a une baisse massive de la part de la population qui travaille ou qui recherche un emploi (le taux d’activité) : cette part est passée de 64,2 % à 56,8 %. La Grande Récession de 2008-2009 a été suivie par une baisse historiquement forte du taux d’activité de 3 points jusqu’en 2016. Mais même cette baisse cumulée sur huit ans n’équivaut pas la baisse historique du taux d’activité dont nous venons d’être les témoins.

Pourquoi tant de personnes sans emploi ne recherchent pas activement d’emploi ? Avant la crise, l’essentiel des répondants en-dehors de la population active déclaraient que c’était parce qu’ils étaient à la retraite, malades, personnes au foyer, étudiants ou qu’ils n’avaient pas besoin de travail. Au plus fort de la crise du Covid-19, avec un nombre de personnes bien plus élevé en-dehors de la population active, nous voyons une baisse de la part de ceux qui élèvent des enfants et des malades, mais une forte hausse de la part de ceux qui affirment être à la retraite, passée de 53 % à 60 %. Cela fait que la retraite anticipée constitue un facteur primordial pour expliquer la chute du taux d’activité et suggère que la crise du coronavirus a amené de nombreuses personnes à prendre leur retraite plus tôt qu’elles ne l’avaient anticipé. Cette vague peut constituer le premier des nombreux changements économiques permanents que le Covid-19 provoquera. Il reste à savoir si cette tendance continuera d’être observée dans les prochaines enquêtes et si elle peut également s’observer dans les autres pays développés. »

Olivier Coibion, Yuriy Gorodnichenko et Michael Weber, « Labor markets during the Covid-19 crisis: A preliminary view », IZA, 21 avril 2020. Traduit par Martin Anota

lundi 12 août 2019

Guerre commerciale : que penser de la dévaluation du yuan ?

Le choc chinois de Trump

« (...) Ni l’annonce des droits de douane de Trump la semaine dernière ni, surtout, la dépréciation de la devise de la Chine aujourd’hui ne doivent objectivement pas être si graves que cela. Trump a rajouté dix points de pourcentage de droits de douane sur 200 milliards de dollars d’importations de produits chinoises, ce qui représente une hausse d’impôt équivalente à 0,1 % du PIB étasunien et 0,15 % du PIB chinois. En réponse, la Chine a laissé sa devise chuter d’environ 2 %. A titre de comparaison, la livre sterling britannique a chuté d’environ 9 % depuis mai, lorsqu’il devint clair qu’un Brexit sans accord serait probable.

Donc, pourquoi ces petits chiffres sont si importants ? Principalement parce que nous avons appris des choses à propos des protagonistes dans le conflit commercial, des choses qui font qu’une guerre commerciale plus grosse, plus longue semble bien plus probable qu’elle ne l’était il y a quelques jours. Premièrement, Trump est réellement un homme de droits de douane. Certains esprits naïfs espéraient encore qu’il apprendrait quelque chose de échecs rencontrés jusqu’à présent par sa politique commerciale. Des gens plus sensés espéraient qu’il pourrait faire ce qu’il fit avec l’ALENA : obtenir un nouvel accord ressemblant essentiellement au précédent accord, proclamer qu’il était totalement différent et parler d’une grande victoire.

Mais non : il est clair maintenant qu’il refuse d’abandonner sa croyance que les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner : son projet est de continuer de donner des coups jusqu’à ce que le moral revienne. Ce qui peut avoir semblé comme des droits de douane temporaires visant à obtenir des concessions semblent maintenant comme des aspects permanents de l’économie mondiale, avec le niveau de droits de douane et l’éventail de pays faisant l’objet de hausses de droits de douane susceptibles d’augmenter au cours du temps.

Deuxièmement, la Chine signale clairement qu’elle n’est ni le Canada, ni le Mexique : elle est trop grosse et trop fière pour se soumettre à ce qu’elle considère être de l’intimidation. Cette glissade du renminbi a été moins une mesure de politique concrète qu’une manière de dire à Trump "parle à ma main" (…).

Incidemment (ou peut-être pas si incidemment), alors qu’il y a plusieurs raisons valides de critiquer la politique chinoise, la manipulation de devise n’en est pas une. La Chine était un manipulateur de devise majeur il y a 7 ou 8 ans, mais ces jours elle soutient sa devise pour être au-dessus du niveau auquel elle serait si elle flottait librement. Et réfléchissez une minute à ce qui surviendrait à un pays ayant une devise non manipulée, si un de ses marchés d’exportations majeurs relevait soudainement ses droits de douane sur plusieurs de ses biens. Vous vous attendriez sûrement à voir la devise du pays se déprécier, juste comme celle du Royaume-Uni l’a fait avec la perspective de l’accès perdu aux marchés en raison du Brexit.

En d’autres termes, l’administration Trump, dans sa grande sagesse, a réussi à accuser les Chinois du seul crime économique pour lequel ils sont innocents. Oh, qu’allons-nous faire pour les punir pour ce crime ? Ajouter des droits de douane sur leurs exportations ? Hum, nous l’avons déjà fait.

Donc comment cela finira-t-il ? Je n’en ai aucune idée. Surtout, personne ne semble le savoir. A mes yeux, c’est comme si Trump et Xi ont maintenant misé leur réputation sur leur aptitude à tenir bon. Et il est difficile de voir ce qui amènerait l’un des deux camps à céder (ou même à savoir ce que l’on pourrait entendre par "céder"). A ce rythme, nous allons devoir attendre un nouveau président pour nettoyer ce bordel, en espérant qu’il le puisse. »

Paul Krugman, « Trump’s China shock », 5 août 2019. Traduit par Martin Anota



La Chine essaye d’enseigner un peu d’économie à Trump


« Si vous voulez comprendre la guerre commerciale qui se déroule avec la Chine, la première chose que vous devez comprendre est qu’aucune action de Trump n’est sensée. Ses idées sur le commerce sont incohérentes. Ses demandes sont incompréhensibles. Et il surestime grandement sa capacité à infliger des dommages à la Chine, tout en sous-estimant les dommages que la Chine peut infliger en retour à l’économie américaine.

La deuxième chose que vous devez comprendre est que la réponse de la Chine jusqu’à présent a été assez modeste et mesurée, du moins en considération de la situation. Les Etats-Unis ont mis en œuvre ou annoncé des droits de douane sur quasiment tout ce que la Chine vend ici, avec des droits de douane moyens que l’on n’avait pas vus depuis plusieurs générations. Les Chinois, à l’inverse, sont très loin d’avoir déployé toute la panoplie d’outils à leur disposition pour compenser les actions de Trump et nuire à sa base électorale.

Pourquoi les Chinois ne sont-ils pas allés plus loin ? A mes yeux, c’est comme s’ils essayaient encore d’enseigner un peu d’économie à Trump. Ce qu’ils disent à travers leurs actions est en effet : "Vous pensez que vous pouvez nous intimider, mais vous ne le pouvez pas. Par contre, nous, nous pouvons ruiner vos fermiers et faire effondrer votre marché boursier. Voulez-vous reconsidérer les choses ?"

Il n’y a cependant rien qui suggère que ce message ait été saisi. En effet, à chaque fois que les Chinois se mettent en pause et donnent à Trump une chance de reconsidérer sa position, il y voit une confirmation de ses idées et décide d’aller encore plus loin. Ce que cela suggère, c’est que tôt ou tard les tirs de sommation laisseront place à une guerre commerciale et monétaire ouverte.

A propos de la vision des choses de Trump : son incohérence se manifeste presque chaque jour, mais l’un de ses récents tweets en est une parfaite illustration. Souvenez-vous, Trump s’est continuellement plaint à propos de la force du dollar, qui confère selon lui aux Etats-Unis un désavantage compétitif. Lundi dernier, il a obtenu du département du Trésor que ce dernier qualifie la Chine de manipulateur de devise, chose qui était exacte il y a sept ou huit ans, mais qui ne l’est plus aujourd’hui. Pourtant, le lendemain, il écrit triomphalement que "de massifs montants d’argents provenant de Chine et d’autres parts du monde affluent aux Etats-Unis", "une chose magnifique à voir" a-t-il commenté.

Hum, que se passe-t-il quand "de massifs montants d’argent" affluent dans votre pays ? Votre devise s’apprécie, ce qui est exactement ce dont se plaint Trump. Et si beaucoup de capitaux sortent de Chine, le yuan va plonger, bien davantage que la petite baisse de 2 % que condamne le Trésor. (…)

Pourtant, même si Trump est insensé, les Chinois vont-ils se soumettre à ses désirs ? La réponse, pour faire court, est, "quelles demandes ?". Trump semble essentiellement s’inquiéter du déficit commercial que les Etats-Unis connaissent vis-à-vis de la Chine, un déficit qui a de nombreuses causes et qui n’est pas vraiment sous le contrôle du gouvernement chinois. D’autres dans son administration semblent s’inquiéter de voir la Chine pénétrer les secteurs de haute technologie, ce qui peut en effet menacer la domination américaine. Mais la Chine est à la fois une superpuissance économique et relativement pauvre en comparaison avec les Etats-Unis ; il est peu réaliste d’imaginer qu’un tel pays puisse être poussé à revenir sur ses ambitions technologiques. Ce qui nous amène à la question quant à savoir quelle puissance les Etats-Unis disposent dans cette situation.

Les Etats-Unis sont bien sûr un marché majeur pour les biens chinois et la Chine achète relativement peu de produits américains, donc l’effet direct adverse de la guerre tarifaire est plus important pour les Chinois. Mais il est important d’avoir une bonne idée de l’échelle. La Chine n’est pas le Mexique, qui envoie 80 % de ses exportations aux Etats-Unis ; l’économie chinoise dépend moins du commerce que des nations plus petites et moins d’un cinquième de ses exportations va aux Etats-Unis. En outre, alors que les droits de douane de Trump nuisent certainement aux Chinois, Pékin est plutôt bien placée pour contrer leurs effets. La Chine peut stimuler les dépenses domestiques avec la relance monétaire et budgétaire ; elle peut stimuler ses exportations, aussi bien dans le monde dans son ensemble qu’aux Etats-Unis, en laissant le yuan chuter.

Parallèlement, la Chine peut infliger des dommages spécifiques aux Etats-Unis. Elle peut acheter son soja ailleurs, ce qui nuit aux fermiers américains. Comme nous l’avons vu cette semaine, même un affaiblissement somme toute symbolique du yuan peut entraîner un plongeon des marchés boursiers américains. La capacité des Etats-Unis à contrer ces mesures est entravée par une combinaison de facteurs techniques et politiques. La Fed peut réduire ses taux, mais d’une faible amplitude au vu du niveau auquel ils sont déjà. Nous pouvons faire de la relance budgétaire, mais après avoir accordé de ploutocratiques baisses d’impôts en 2017, Trump aurait à faire de réelles concessions aux Démocrates pour obtenir quelque chose en plus, quelque chose qu’il n’aura probablement pas.

Que penser d’une éventuelle réponse internationale coordonnée ? Elle est improbable, à la fois parce qu’il n’est pas clair quant à savoir ce que Trump veut exactement de la Chine, mais aussi parce que sa belligérance (sans parler de son racisme) a laissé les Etats-Unis dans une situation où pratiquement personne ne désire rejoindre leurs côtés dans les différends mondiaux.

Donc Trump est une position bien plus faible qu’il ne l’imagine et je pense que la minuscule dévaluation de la devise chinoise fut une tentative de le ramener à la réalité. Mais je doute sincèrement qu’il en tire un enseignement. Son administration a déjà évincé les rares personnes qui en savaient un peu en économie et les rapports indiquent que Trump n’écoute pas vraiment la bande d’ignorants qui est restée à ses côtés. Donc son chaos commercial va probablement s’accentuer avant de s’éclaircir. »

Paul Krugman, « China tries to teach Trump economics », 8 août 2019. Traduit par Martin Anota



aller plus loin…

« Petite macroéconomie des droits de douane »

« Le coût de la guerre commerciale de Trump pour l’économie américaine »

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