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Tag - Allemagne

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dimanche 13 décembre 2015

L’Allemagne a-t-elle délibérément adopté une politique non coopérative pour gagner en compétitivité ?



« Selon ce que j’ai décrit il y a plus d’un an comme le véritable récit de la crise de la zone euro, l’Allemagne a contenu les hausses de salaires nominaux sous le niveau des autres pays du cœur de la zone euro, ce qui lui permet de gagner graduellement un large avantage comparatif sur eux. Cela a eut plusieurs conséquences, mais peut-être que la plus importante d’entre elles est que, lorsque la Grande Récession survint, l’Allemagne fut en meilleure position que tous les autres pays de la zone euro. (C’est essentiellement un jeu à somme nulle, parce que le taux de change de l’euro varie pour influencer la compétitivité de l’ensemble de la zone euro) (…).

Jusqu’à présent j’ai toujours pris soin d’éviter de décrire ce comportement comme une politique délibérément non coopérative (beggar my neighbour). Mais l’un des cinq membres du Conseil allemand des Experts Economiques, Peter Bofinger, a écrit cela :

"En 1999, lorsque la zone euro débuta, l’Allemagne était confrontée à un taux de chômage excessivement élevé (…), bien qu’il était toujours inférieur à la moyenne de la zone euro. La solution au problème du chômage fut typique du système corporatiste de l’Allemagne. Déjà en 1995, Klaus Zwickel, le patron du puissant syndicat IG Metall, avait proposé un Bündnis für Arbeit (pacte pour le travail). Il a explicitement déclaré qu’il accepterait une stagnation des salaires réels, c’est-à-dire se contenter de laisser s’accroître les salaires nominaux juste suffisamment pour compenser l’inflation, si les patrons acceptaient de créer de nouveaux emplois. Cela mena au Bündnis für Arbeit, Ausbildung und Wettbewerbsfähigkeit (pacte pour le travail, l’éducation et la compétitivité), qui fut établi par Gerhard Schröder en 1998. Le 20 janvier 2000, les syndicats et patronats déclarèrent explicitement que les hausses de productivité ne doivent pas être utilisées pour les hausses de salaires réelles, mais pour des accords qui accroissent l’emploi. Par essence, la modération salariale est une tentative explicite de dévaluer le taux de change réel de manière interne. »

Vous entendrez toujours des gens dire que le deutschemark était surévalué lorsqu’il fut converti en euro, mais mes analyses à l’époque suggéraient que ce n’était pas le cas. En tout cas, il est difficile d’affirmer que le taux de change implicite de l’Allemagne est aujourd’hui sous-évalué dans la mesure où son excédent courant dépasse 7 % du PIB.

Il est difficile de sous-estimer l’importance de tout cela. Les patrons et salariés allemands se sont mis d’accord pour adopter une politique qui prendrait des emplois de leurs partenaires européens. (…) Cela fait de la l’Allemagne, un pays avec une capacité unique à coopérer sur une dévaluation interne de ce genre, un pays dangereux avec lequel former une union monétaire. La chose que je trouve extraordinaire à propos de tout cela est que les voisins de l’Allemagne semblent l’avoir laissée faire sans s’en rendre compte ou en tout cas sans s’en plaindre. »

Simon Wren-Lewis, « Was German undercutting deliberate? », in Mainly Macro (blog), 2 décembre 2015. Traduit par Martin Anota



« Lorsque l’on voit certains des commentaires qui ont été publiés suite à mon précédent billet, il apparaît évident que beaucoup ne comprennent pas comment fonctionne une union monétaire. (…) Je pense qu’une petite explication s’impose.

Nous devons partir de l’idée qu’un pays avec un taux de change flexible ne va pas accroître sa compétitivité externe en réduisant les salaires et prix domestiques. La raison en est que le taux de change varie d’une manière qui compense ce changement. C’est ce que les économistes peuvent appeler une proposition de neutralité basique et il y a eu plein de preuves empiriques pour soutenir cette idée. La zone euro dans son ensemble est comme une économie à taux de change flexible. Par exemple, si les salaires et les prix chutent d’environ 3 %, alors l’euro va s’apprécier de 3 %.

Que se passe-t-il si juste un pays dans la zone euro, comme l’Allemagne, réduit les salaires et les prix de 3 % ? Si l’Allemagne représente un tiers de l’union monétaire, alors les prix et salaires de l’ensemble de la zone euro vont diminuer de 3 %. Etant donnée la logique du précédent paragraphe, l’euro va s’apprécier de 1 %. Cela signifie que l’Allemagne gagne un avantage comparatif par rapport aux autres pays-membres de 3 %, plus un avantage de 2 % vis-à-vis du reste du monde. Ses voisins vont perdre en compétitivité à la fois dans l’union et à une moindre ampleur vis-à-vis du reste du monde.

Cela peut sembler compliqué, mais (…) c’est en fait très simple. La zone euro dans son ensemble ne gagne rien : les gains obtenus par l’Allemagne sont compensés par les pertes des autres pays-membres. Pour l’union monétaire dans son ensemble, c’est ce que les économistes appellent un jeu à somme nulle. L’Allemagne y gagne, mais ses pays-membres y perdent.

L’un des commentaires posés à mon précédent billet disait qu’il n’y avait rien dans les "règles" pour interdire cela, si bien que ce n’est donc pas un problème. Pourtant il doit être évident n’importe qui que ce genre de comportement est très pernicieux et peu compatible avec la solidarité de la zone euro. Dire que ça constitue une saine concurrence, c’est à côté de la plaque. La seule incitation que ça fournit, c’est d’inciter d’autres pays d’essayer d’imiter ce comportement. S’ils le font tous, rien ne sera gagné. Le taux d’inflation de la zone euro sera, toutes choses égales par ailleurs, plus faible, mais d’autres choses ne seront pas égales : la BCE va réduire ses taux pour essayer de ramener l’inflation à sa cible.

La raison pour laquelle il n’y a pas de règles formelles à propos de tout ceci est simple : vous ne pouvez pas légiférer à propos des taux d’inflation nationaux. Ce que vous pouvez faire (…), c’est d’établir des règles budgétaires basées sur les différentiels d’inflation comme je l'ai décrit ici. Si cela avait été le cas, alors quand les taux d’inflation relatifs de l’Allemagne auraient chuté, le gouvernement aurait été obligé de prendre des mesures budgétaires (voire aussi d’autres mesures) pour contrer cette désinflation. A nouveau, c’est la situation symétrique à ce qui aurait dû se passer dans les pays périphériques de la zone euro. Mais si des règles de ce genre avaient été proposées lorsque l’euro fut créé, je vous laisse deviner quel pays, selon moi, se serait montré le plus hostile à leur égard. »

Simon Wren-Lewis, « Competitiveness: some basic macroeconomics of monetary unions », in Mainly Macro (blog), 10 décembre 2015. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Adopter le modèle allemand ou sauver l’euro »

« L’Allemagne contre la zone euro »

« Les dévaluations internes peuvent-elles être efficaces au sein de la zone euro ? »

jeudi 8 octobre 2015

25 après la réunification, le fossé demeure entre l'Allemagne de l'Ouest et l'Allemagne de l'Est

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source : The Economist (2015)



aller plus loin... lire « Deux décennies de convergence entre les deux Allemagne »

samedi 15 août 2015

L’égoïsme allemand

« Michael Burda, de l’Université Humboldt de Berlin, a publié un article intéressant dans la lettre de la Royal Economic Society, dans laquelle il se montre critique envers ce que certains (notamment moi-même) ont pu affirmer à propos du "problème avec la (macro) économie allemande". Selon Michael Burda, il n’y a rien de curieux ou d’inhabituel à propos de la science économique allemande et ce que plusieurs détracteurs interprètent comme soit de l’ignorance économique, soit de l’originalité relève en fait de l’égoïsme. Dans son dernier paragraphe, il écrit que : "ce n’est pas la religion ordolibérale, mais une combinaison d’égoïsme national et de saine défiance fondée sur l’expérience qui guide la politique économique allemande aujourd’hui".

Il est difficile de déterminer si les politiques résultent de l’égoïsme ou d’idées particulières, parce que les deux explications collent avec les faits. Ce dont nous avons réellement besoin, ce sont des exemples de politique économique allemande qui répondent à l’égoïsme et non aux idées dominantes, ou vice versa. Certains peuvent suggérer que le "renflouement" de la Grèce et de d’autres pays périphériques montre clairement que la solidarité européenne a triomphé sur l’égoïsme. Malheureusement, cela ne marche pas : si la Grèce ne fit pas défaut en 2010 et si elle ne fit qu’un défaut partiel en 2012, c’est en partie pour protéger les banques des autres pays-membres. (…) La Grèce a souffert précisément à cause de l’égoïsme de l’Allemagne et des autres pays-membres de l’Union européenne.

En fait, à bien des égards, l’Allemagne a réalisé de plutôt bonnes performes hors de la crise de la zone euro. Henning Meyer attire notre attention sur une étude suggérant que, en conséquence de la crise et du statut de "havre sûr" de l’Allemagne, le gouvernement allemand a épargné plus de 100 milliards d’euros en termes d’intérêts sur la dette entre 2010 et 2015. Comme Henning le note, ceci a aidé l’Allemagne « à servir d’exemple » en matière de déficits sans avoir à faire quelque chose de trop douloureux. Ce montant est légèrement supérieur au montant des pertes totales qui auraient été réalisées si l’Etat grec avait fait complètement défaut sur sa dette.

Peut-être que le plus grand bénéfice que l’Allemagne a tiré de la zone euro a été de gagner en compétitivité-prix par rapport aux autres pays-membres il y a environ dix ans. On parle beaucoup de l’"inflation excessive" dans les pays périphériques avant la crise, mais on parle bien peu de l’insuffisante inflation salariale en Allemagne à la même époque. Cette politique (qui aurait été qualifiée d’opportuniste si elle avait reposé sur le taux de change plutôt que sur l’inflation domestique) n’a peut-être pas été délibérée, mais elle contribue pourtant bel et bien à expliquer pourquoi l’Allemagne est la seule économie de la zone euro qui n’ait pas souffert depuis 2010. En effet, s’il y a en Allemagne un manque général d’intérêt dans l’usage de la politique budgétaire pour la gestion de la demande globale, c’est peut-être parce que le pays a fait partie d’un système de taux de change fixe dans lequel, avec son système de négociation salariale spécifique, il a pu stimuler la demande en faisant varier l’inflation domestique.

Rappelons les pressions que l’Allemagne a exercées sur la BCE, en retardant tout d’abord la mise en œuvre du programme OMT (qui, une fois adopté en septembre 2012, permit cependant de mettre un terme à la crise de la dette souveraine) et ensuite en retardant le déploiement de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). On explique souvent cette réticence par les craintes de l’hyperinflation et de la dominance fiscale de la politique monétaire en Allemagne. Malheureusement, cela a aussi été dans l’intérêt personnel de l’Allemagne. Par exemple, si la BCE avait été capable de garder l’inflation à sa cible de 2 %, le retour à la compétitivité des pays périphériques aurait dû se traduire par une inflation supérieure à 2 % Allemagne.

(…) L’Allemagne (parmi d’autres pays) a mis en œuvre une forme de politique keynésienne contracyclique. Ici, nous avons un cas évident où l’égoïsme a triomphé de la défiance vis-à-vis de la politique budgétaire contracyclique.

Dans certain sens, je suis attiré par l’hypothèse de Michael Burda. J’ai un jour écrit que le "le problème avec la politique macroéconomique de l’Allemagne n’est pas que celle-ci agi ou non dans son propre intérêt, mais qu’elle se fonde sur un ensemble d’idées discréditées et dangereuse". Mais dans le récent billet où je tente d’expliquer pourquoi ces idées discréditées persistent et où je mettais en doute certaines interprétations populaires, j’échouais encore à obtenir une histoire convaincante. C’est peut-être faire preuve d’un faux optimisme que de se focaliser sur la croyance envers de mauvaises idées économiques plutôt que sur l’égoïsme, si vous pensez (ou plutôt espérez) que ces croyances peuvent être plus facilement changées.

Pour à peu près la même raison, je pense aussi qu’il est futile d’essayer de convaincre l’Allemagne qu’elle doit embrasser la relance budgétaire "pour le bien du reste de la zone euro", en partie parce qu’une telle mesure entre en conflit avec sont intérêt personnel, mais aussi parce que la déflation de la zone euro signifie que nous ayons besoin de l’expansion budgétaire non seulement en Allemagne, mais dans l’ensemble de la zone euro, donc que les taux d’intérêt de la BCE puissent se hisser au-dessus de leur borne zéro. Le problème au cours des dernières années n’a pas seulement été l’austérité en Allemagne, mais l’austérité dans l’ensemble de la zone euro.

Donc peut-être que c’est tout juste de l’égoïsme. Mais si cela signifie qu’il n’y a rien eu d’inhabituel à propos de la science économique en Allemagne, cela ne donne pas le droit aux économistes allemands de ne pas se mouiller. L’Allemagne a joué un rôle déterminant dans le basculement de la zone euro dans une seconde récession en appelant à une généralisation de l’austérité budgétaire et en exerçant une pression bien malvenue sur la BCE. L’Allemagne a joué aussi un rôle déterminant (…) pour infliger l’austérité à la Grèce. L’économie dominante nous l’indique, mais peu d’économistes allemands ont été préparés à le dire en public. Les keynésiens allemands (…) avec lesquels j’ai pu parler déplorent que le climat en Allemagne soit anti-keynésien. Ce n’est pas le boulot des économistes allemands de passer sous silence les enseignements de la macroéconomie dominante, juste parce que ces derniers entrent en conflit avec l’intérêt national. »

Simon Wren-Lewis, « German self-interest », in Mainly Macro (blog), 14 août 2015. Traduit par Martin Anota

mercredi 17 décembre 2014

Comment l’Allemagne a-t-elle su limiter la hausse du chômage durant la Grande Récession ?

« Voici une énigme : durant la Grande Récession, la contraction de la production économique fut plus ample en Allemagne qu’aux Etats-Unis, mais la hausse du taux de chômage fut bien plus élevée aux Etats-Unis qu’en Allemagne. Qu’est-ce que l’Allemagne a-t-elle pu faire ? Shigeru Fujita et Hermann Gartner se penchent sur cette question dans leur article "A Closer Look at the German Labor Market Miracle" publié dans le dernier numéro de la Business Review de la Réserve fédérale de Philadelphie (quatrième trimestre 2014, pages 16-24).

GRAPHIQUE Taux de chômage (en %)

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Commençons par présenter clairement l’énigme. Le premier graphique montre les variations des taux de chômage pour les Etats-Unis et l’Allemagne durant la récession. Le deuxième graphique montre la chute de la production réelle dans chaque économie.

PIB réel (en indices base 100 quatrième trimestre 2007)

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Les auteurs considèrent deux explications alternatives pour cette énigme et, du moins du point de vue américain, elles s’inscrivent aux extrêmes du spectre politique. Un premier ensemble possible d’explications est que le chômage allemand est resté relativement faible en raison des programmes publics, comme le programme de travail à temps partiel qui aida les entreprises à réduire le nombre d’heures sans licencier une partie de leur personnel. Le deuxième ensemble d’explications est que le chômage allemand est resté relativement faible en raison des réformes du marché du travail réalisées un peu plus tôt dans la décennie qui réduisirent les allocations chômage et qui continrent et flexibilisèrent les salaires et allocations, ce qui encouragea la création d’emplois. Fujita et Gartner affirment que le second ensemble d’explications est plus probable que le premier.

L’Allemagne a en effet plusieurs programmes publics qui encouragent les entreprises à réduire le nombre d’heures travaillées lorsque l’activité s’essouffle, plutôt que d’embaucher. Mais Fujita et Gartner affirment que ces programmes existèrent au cours des précédentes récessions et ils ne semblent pas avoir eu un impact particulièrement large au cours de la dernière récession. Ils écrivent :

"L’un est le programme de chômage partiel. Lorsque les heures travaillées sont réduites, l’entreprise verse des salaires seulement pour les heures travailleurs, tandis que le gouvernement verse aux travailleurs une allocation de courte durée qui compense 60 à 67 du salaire perdu. De plus, les cotisations sociales de l’entreprise versées pour les salariés concernés par le programme sont réduites. En général, une entreprise peut utiliser ce programme pour au maximum six mois. Au début de l’année 2009, cependant, quand le ralentissement de l’économie est devenu apparent, le gouvernement allemand encouragea l’usage du programme en étendant la période maximale d’éligibilité, tout d’abord à 18 mois, puis à 24 mois et en réduisant davantage le taux de cotisation sociale. Les exigences en termes d’éligibilité furent également assouplies."

"Une chose importante à rappeler ici est que ces mesures avaient déjà été appliquées au cours des précédentes récessions, si bien qu’elles ne furent pas si spéciales que ça après tout. Certes la part des travailleurs concernés par le programme augmenta fortement en 2009 et donc cela a certainement aidé à réduire l’impact de la Grande Récession sur le chômage allemand. Mais une chose plus importante à observer est que, même à son pic durant la Grande Récession, la participation au programme ne fut pas extraordinaire par rapport aux niveaux qu’elle avait atteint lors des précédentes récessions. De plus, au cours des précédentes récessions, le marché du travail allemand avait réagi de la même manière que le marché du travail américain."

"Un autre programme allemand que certains considèrent avoir contribué à réduire le chômage de masse est le compte épargne temps, qui permet aux employeurs d’accroître les heures de travail au-delà de la semaine de travail standard sans payer immédiatement les heures supplémentaires. En fait, ces heures supplémentaires sont enregistrées dans le compte épargne temps comme un excédent. Lorsque les employeurs ont besoin de réduire les heures de leurs salariées, elles peuvent le faire sans réduire le salaire en piochant dans le compte excédentaire. Les entreprises allemandes sont entrées dans la récession avec des comptes excédentaires. Donc, (…) ce programme réduisit certainement les besoins de licenciements. Cependant, moins de la moitié des travailleurs allemands disposaient d’un tel compte et la plupart des comptes épargne temps doivent être remboursés assez rapidement – habituellement dans l’année, voire moins. Selon Michael Burda et Jennifer Hunt, le programme de compte épargne temps réduisit le nombre d’heures par travailleur de 0,5 % en 2008-2009, expliquant ainsi 17 % du déclin total du nombre d’heures par travailleur observé au cours de cette période."

Pour mieux saisir l’explication alternative, considérons ce graphique montrant le taux de chômage allemand au cours des dernières décennies. Notons que juste après 2003, l’emploi allemand commença à s’élever régulièrement et cette tendance n’a seulement connu une pause que durant la Grande Récession.

Niveau d’emploi (en indices base 100 année 1991)

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Qu’est-ce qui permit à l’emploi allemand d’augmenter à partir de 2003 ?

"Nous affirmons que la tendance à la hausse s’explique par les politiques menées sur le marché du travail appelées réformes Hartz et qui furent mises en œuvre entre 2003 et 2005… Les réformes Hartz sont considérées comme certaines des plus importantes réformes sociales dans l’Allemagne moderne. Le plus important changement a concerné le système d’allocation chômage. Avant les réformes, lorsque les salariés perdaient leur emploi, ils avaient le droit de recevoir des allocations représentant 60 à 67 % de leur ancien salaire pendant 12 à 32 mois, en fonction de leur âge. Lorsque ces allocations prenaient fin, les chômeurs avaient droit de recevoir 53 % à 57 % de leur ancien salaire pour une durée illimitée. A partir de 2005, la période fut réduite à 12 mois (ou 18 mois pour ceux ayant plus de 54 ans), période après laquelle les bénéficiaires pouvaient recevoir seulement des revenus de subsistance qui dépendent des actifs qu’ils possèdent et de leurs autres sources de revenu. De plus, les chômeurs qui refusaient des offres d’emplois raisonnables subissaient des sanctions plus grandes et plus fréquentes, telles que des réductions d’allocations. Pour davantage réduire les coûts du travail et stimuler la création d’emplois, la taille des entreprises dont les salariés étaient couverts par une assurance chômage fut élevée de 5 à 10 travailleurs. De plus, la réglementation des contrats de travail temporaires fut assouplie. De plus, à partir de 2004, l’Agence générale pour l’emploi allemande et les agents locales pour l’emploi furent réorganisées de manière à mettre davantage l’accent sur le retour des chômeurs au travail et, par exemple, en externalisant les services de placement au secteur privé."

Mon billet du 14 février 2014 (…) développait l'idée que la flexibilité des salaires et des institutions du marché du travail allemands à partir du milieu des années quatre-vingt-dix commença la hausse de l’emploi allemand. Dans cette histoire, les réformes Hartz ont moins d’importance, mais la focale de l’histoire est toujours placée sur la plus grande flexibilité des marchés, non sur les programmes publics pour partager les heures. Fujita et Gartner avance la même idée : "en d’autres termes, au cours du boom menant à la Grande Récession, la croissance des salaires fut plus contenue qu’au cours des précédents booms et donc cette modération salariale fut un important facteur pour stimuler l’emploi."

Enfin, Fujita et Gartner soulignent qu’il est difficile de comparer les Etats-Unis avec l’Allemagne, parce que les causes sous-jacentes des récessions furent différentes. L’Allemagne n’avait pas de bulle immobilière ; en fait, elle a bénéficié un essor des exportations. (…) Ils écrivent :

"La récession en Allemagne n’a pas été provoquée par le même choc que celui qui amorça la récession aux Etats-Unis. L’économie américaine subit un déclin de la demande domestique comme la chute des prix d’actifs domestiques réduisit la richesse nette des ménages, alors que l’Allemagne n’avait pas connu de bulle immobilière. En fait, le déclin de la production allemande s’explique par la contraction à court terme des échanges mondiaux. La durée attendue d’une récession est un facteur important dans les décisions d’embauches et de licenciements des entreprises. Si une entreprise s’attend à ce qu’un ralentissement dure seulement une courte période, elle peut choisir de ne pas réduire sa main-d’œuvre, même si elle fait face à une plus faible demande, en particulier si licencier et embaucher des travailleurs est coûteux, comme ça l’est justement en Allemagne. Chose cohérente avec cette possibilité, Burda et Hunt remarquent que les entreprises allemandes furent réticents à licencier leurs travailleurs en raison de la difficulté à trouver des personnes aussi qualifiées pour les remplacer, surtout en 2009."

Bien sûr, l’idée selon laquelle le chômage allemand n’a pas beaucoup augmenté en raison des réductions des allocations chômage, de la faible croissance des salaires et de la flexibilité des marchés du travail ne prouve pas que les innovations allemandes comme les allocations de courte durée ou les comptes épargne-temps soient une mauvaise idée. Elles peuvent toujours un peu aider. Mais il ne semble pas qu’elles soient la principale explication du succès de l’Allemagne en termes de chômage pendant et après la récession. »

Timothy Taylor, « How did Germany limit unemployment in the recession? », in Conversable Economist (blog), 4 décembre 2014. Traduit par Martin Anota

samedi 22 novembre 2014

Quelles sont les erreurs de l'Allemagne ?

« Etant donné que la zone euro connaît une récession durable en raison d’une demande insuffisante et que l’Allemagne en est en partie responsable, il est important de bien comprendre l’argument contre l’Allemagne. Il y a deux faux-pas à ne pas commettre. Le premier est d’affirmer que l’Allemagne doit entreprendre une relance budgétaire parce qu’elle dispose d’une plus grande "marge de manœuvre" budgétaire, pour reprendre une expression que le FMI a l’habitude d’utiliser, mais que j’apprécie fort peu. La seconde est d’affirmer que l’Allemagne doit relancer sa demande pour aider ses voisins de la zone euro.

Le problème avec le premier argument est qu’il légitime les règles budgétaires qui sont pourtant à la source des difficultés actuelles de la zone euro. Si nous observons la zone euro dans son ensemble, sa politique budgétaire est plus restrictive que celle du Royaume-Uni ou des Etats-Unis. Comme Fraser Nelson le note, le Royaume-Uni a un plus large déficit structurel que tout autre pays de l’UE. Avec les taux d’intérêt à leur borne inférieure zéro, cela montre que la politique britannique (alors même qu’elle est loin d’être appropriée) n’est pas aussi inappropriée que celle du reste de l’UE. Lorsque vous êtes dans une trappe à liquidité, la meilleure politique à adopter est une relance budgétaire suffisamment large pour vous sortir de cette trappe. Dans la zone euro, les seuls pays qui peuvent en être exemptés sont ceux à sa périphérie. En revanche, il faut une relance budgétaire en France, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, etc., mais aussi en Allemagne.

Le problème avec le second argument est double. Premièrement, il donne crédit à l’idée populaire en Allemagne qu’on lui demande à nouveau de "renflouer" ses voisins de la zone euro. Deuxièmement, il suggère implicitement que l’actuelle position macroéconomique de l’Allemagne est appropriée, mais que l’Allemagne doit l’abandonner pour aider la zone euro dans son ensemble. Les Allemands réagissent naturellement à cette proposition en listant toutes les raisons expliquant pourquoi les autres économies de la zone euro sont actuellement à la traîne (par exemple, comme l’a récemment fait d’Omar Issing dans le Financial Times) et en concluant par conséquent que les autres nations ne peuvent trouver la salvation que dans leurs propres politiques. C’est ainsi que nous finissons stérilement par parler de réformes structurelles en France, en Italie et ailleurs.

(…) En fait, la position macroéconomique qui serait actuellement la plus appropriée pour l’Allemagne est de générer un boom, avec une inflation allant bien au-dessus de 2 %. Les problèmes actuels de compétitivité sont le résultat d’une faible croissance des salaires nominaux en Allemagne sur la période s’étalant entre 2000 et 2007, qui s’est révélée être une politique non coopérative au regard du reste de la zone euro (et ce, même si elle n’était pas délibérée). La position actuelle de l’Allemagne est insoutenable, comme le démontrent son large excédent de compte courant et sa position relative dans le cycle. Elle ne sera corrigée que si elle défait ce qui s’est passé entre 2000 et 2007. Au cours des cinq ou dix prochaines années, l’inflation allemande va être supérieure à la moyenne de la zone euro jusqu’à ce que sa position concurrentielle relative de long terme soit restaurée. (1)

Le seul choix qui nous reste à faire, c’est de décider comment tout cela va se passer. Du point de vue de la zone euro dans son ensemble, la solution la plus efficace serait que l’inflation soit supérieure à 2 % en Allemagne et qu’elle soit inférieure à 2 % ailleurs. C’est ce qui se serait passé si la BCE avait été capable de faire son boulot et l’Allemagne n’aurait pas le choix. Normalement, une inflation supérieure à 2 % en Allemagne nécessiterait un boom (un écart de production positif). Si elle peut atteindre une telle inflation autrement, tant mieux, mais l’inflation allemande ne s’élève actuellement qu’à 0,8 %. Les arguments selon lesquels le chômage est actuellement faible en Allemagne et son écart de production (output gap) nul ne sont donc pas pertinents lorsque l’inflation allemande est si faible. La solution inefficace serait que l’inflation soit inférieure à 2 % en Allemagne et que le reste de la zone euro connaisse une (quasi) déflation. Pourquoi cette solution est-elle inefficace ? Parce que pour que l’inflation soit aussi basse dans le reste de la zone euro, celle-ci doit connaître une récession.

C’est là que les réformes structurelles entrent en scène. Plusieurs commentateurs allemands disent "pourquoi les autres pays ne font-ils pas ce que l’on a fait entre 2000 et 2007 ?". Mais la faible croissance des salaires nominaux en Allemagne entre 2000 et 2007 fut accompagnée d'une récession en Allemagne ! Mais cette récession ne fut pas aussi sévère que celle que connaît actuellement la zone euro précisément parce que la BCE était alors capable de faire ce qu’elle avait à faire et de réduire ses taux d’intérêt, donc l’inflation en-dehors de l’Allemagne était alors supérieure à 2 %. Donc, de 2000 à 2007, plusieurs pays ont connu une inflation supérieure à la cible en raison de la faible croissance des salaires nominaux en Allemagne (2), pourtant beaucoup d’Allemands veulent à tout prix éviter d’avoir une inflation supérieure à la cible lors de la correction des déséquilibres.

Si vous avez en tête ce qui s’est passé en Allemagne entre 2000 et 2007, alors les arguments avancés par l’Allemagne peuvent la faire apparaître comme égoïste. Ils semblent finalement dire "nous avons souffert d’une récession entre 2000 et 2007 lorsque nous avons adopté une politique non coopérative ; désormais, vous devez subir une récession encore plus sévère pour résoudre le problème que nous avons provoqué". Mais comme je l’ai affirmé auparavant (et que plusieurs commentaires publiés suite à mes précédents billets confirment), je pense que la position allemande tient plus de l’ignorance que de l’égoïsme. Je soupçonne aussi que beaucoup font également preuve d’ignorance en macroéconomie en-dehors de l’Allemagne, ce qui expliquerait pourquoi l’Allemagne est capable d’imposer une récession au reste de la zone euro. Prenons pour exemple cet article de Michael Miebach, qui appartient au centre-gauche en Allemagne.

Miebach commet plusieurs erreurs macroéconomiques et avance plusieurs arguments non pertinents. Selon lui, la situation budgétaire de l’Allemagne n’est pas bonne (ce qui n’est pas un argument pertinent dans une trappe à liquidité), sa situation macroéconomique n’est pas trop mauvaise (ce qui n’est pas tout à fait le cas lorsqu’elle devrait en fait avoir une inflation supérieure à 2 % et connaître pour cela un véritable boom), une relance budgétaire en Allemagne n’aurait seulement qu’un faible impact sur la périphérie (alors qu’en fait, il faudrait une expansion budgétaire dans toutes les grandes économies de la zone euro, ce qui aiderait la périphérie aussi bien que la France, l’Italie, etc., et l’expansion en Allemagne bénéficierait à des pays comme les Pays-Bas, ce que confirme ce document de travail) et toutes les discussions à propos de la demande globale ne font que détourner l’attention des problèmes structurels de la zone euro. Mais ce qu’il y a de plus révélateur, c’est cette phrase : "comment l’Allemagne peut-elle demander une discipline budgétaire de la part des autres pays si elle s’assoit sur ses propres principes à la première occasion ?"

Vous ne pouvez écrire cette phrase que si vous ne comprenez pas ce qu'est une trappe à liquidité, lorsque demander la discipline budgétaire des autres pays est la source du problème ! Ce qui rend impardonnable la position actuelle de l’Allemagne, ce n’est pas qu’elle refuse d’entreprendre une relance budgétaire de son propre chef. Ce qui est impardonnable, c’est qu’elle fait tout son possible pour que les autres pays embrassent l’austérité, tout en empêchant la BCE de faire ce qu’elle a à faire pour compenser les répercussions de cette austérité sur l’activité. Le véritable problème, c’est que ce que l’Allemagne voit comme une vertu est en fait un non-sens macroéconomique pré-keynésien, un non-sens qui fait beaucoup de mal aux autres pays. Le mieux que l’on puisse lui trouver comme excuse c’est que, dans une sorte de syndrome de Stockholm collectif, beaucoup dans les autres pays font également l’erreur de considérer ce même non-sens comme une vertu.

(1) Les économistes parleraient naturellement ici des taux de change réels plutôt que d’utiliser le terme de compétitivité, parce que ce dernier est susceptible de nous amener à confondre entreprises et pays. Le premier point à noter est que si l’Allemagne avait son propre taux de change, les répercussions de sa faible croissance des salaires nominaux sur la compétitivité seraient atténuées par l’appréciation nominale. (Il n’y a pas de bénéfices à avoir une appréciation nominale si rien de réel ne change). Le second point est qu’un marché concurrentiel est bénéfique lorsqu’il encourage une amélioration de la productivité. Pour une nation, obtenir un avantage compétitif dans une union monétaire en réduisant les salaires nominaux est source de problèmes.

(2) Regarder les prix à la consommation tend à dissimuler les différences nationales à cause des biens importés. Au cours de la période 2000-2007, l’inflation des prix à la consommation était en moyenne de 2,2 % en zone euro et de 1,7 % en Allemagne. Cependant, si nous regardons les prix à la production (le déflateur du PIB), nous obtenons une meilleure image de la réalité : l’inflation moyenne en zone euro était juste de 2 %, mais l’inflation en Allemagne était de 0,8 %. »

Simon Wren-Lewis, « Getting the Germany argument right », in Mainly Macro (blog), 10 novembre 2014. Traduit par Martin Anota

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